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Opinion
Rafic Hariri : Mythe
ou Mystification ?
René Naba
Samedi 12 février 2011
«Lorsque le peuple
respire, le vent se lève,
Lorsqu’il frappe du
pied, la terre tremble» – Paul Nizan – Aden Arabie.
Le Liban, à tout le moins ses partisans, commémore, le 14
février 2011, le 6eme anniversaire de l’assassinat de Rafic
Hariri, ancien premier ministre libanais. Un cérémonial initié
sous le leadership caricatural de son héritier, Saad Hariri, le
grand perdant du jeu politique libanais, sur fond d’une
contestation généralisée des supplétifs de la stratégie
américaine dans la sphère arabo musulmane, au terme d’une
furieuse décennie de «guerre contre le terrorisme» (2001-2011),
marquée récemment par le renversement des Présidents Zine el
Abidine Ben Ali (Tunisie) et Hosni Moubarak (Egypte).
Retour sur ce personnage, son parcours et sa fonction
stratégique dans l’échiquier du Moyen-orient.
Une industrie du martyrologue
Le martyr est commun à tous les peuples de la planète, mais
sa redondance est une spécialité libanaise, au point de
ressortir d’une industrie du martyrologe.
Au risque de choquer, en cette période de commémoration, ce
dont l’auteur de ces lignes s’en excuse d‘avance, Rafic Hariri
n’est pas l’unique «martyr» du Liban, qui compte une quarantaine
de personnalités de premier plan assassinée, dont deux
présidents de la République (Bachir Gemayel et René Mouawad),
trois anciens premiers ministres (Riad El Solh, Rachid Karamé et
Rafic Hariri), un chef d’état major (le Général François
El-Hajj), le chef spirituel de la communauté chiite, l’Imam
Moussa Sadr, et, le Mufti sunnite de la République, Cheikh
Hassan Khaled, deux dirigeants du parti communiste libanais,
Farjallah Hélou et Georges Hawi, le chef du Parti socialiste
progressiste, le druze Kamal Joumblatt, le chef du parti
nassérien Maarouf Saad, les députés Tony Frangieh et Pierre
Gemayel, l’ancien chef milicien chrétien Elie Hobeika, ainsi
qu’une flopée de journalistes Nassib Metni, Kamel Mroueh, Riad
Taha, Salim Laouzi, Samir Kassir et Gébrane Tuéni.
Rafic Hariri n’est pas non plus l’unique martyr au monde,
mais l’unique martyr au monde à avoir grevé les Finances
Publiques de son pays de l’ordre de cinquante milliards de
dollars et de bénéficier, à ce titre, d’un imposant mausolée sur
la plus importante place publique de l’une des plus
prestigieuses capitales arabes, Beyrouth. L’unique martyr au
Monde à truster en sa mémoire les principaux services publics du
pays, l’unique aéroport international du Liban, l’aéroport de
Beyrouth Khaldé, un centre universitaire libanais et un centre
hospitalier universitaire, trois établissements qui portent tous
trois désormais son nom, sans compter l’imposant boulevard du
front de mer de la capitale libanaise. Là réside la singularité
nullement justifiée d’un homme qui aura été le bailleur de fonds
de tous les seigneurs de la guerre du Liban, le prédateur de son
parc immobilier, le fossoyeur de son économie.
Sous le halo du martyr couve en fait une vaste mystification.
De Patrice Lumumba (1961, Congo Kinshasa) à Stephen Bantu Biko,
alias Steve Biko (1977, Afrique du sud), en Afrique, à John et
Robert Kennedy et Martin Luther King (1963-1968), aux Etats-Unis
d’Amérique, à Ernesto Che Guevara de la Sierna (1967, Bolivie)
et Salvador Allende (1973, Chili), en Amérique latine, à Bobby
Sands (1981, Irlande du Nord), à Olof Palme (Suède), en Europe,
au Mahatma Gandhi (1948), Indira Gandhi (1984) et son fils
Rajiv, en Inde, à Zulficar Ali Bhutto (1973) et Benazir Bhutto
(2007) au Pakistan: Tous les continents regorgent de
personnalités charismatiques, héros mythiques tombés sur le
champ d’honneur du combat politique, dans certains cas toute une
dynastie décimée telles les figures emblématiques du Pakistan,
la dynastie Bhutto avec 4 membres tués dont deux premiers
ministres, et, la famille Gandhi en Inde avec trois membres
tués, dont deux premiers ministres assassinés (Indira et Rajiv).
Mais nul part ailleurs qu’au Liban le culte des martyrs ne
prend une telle ampleur au point que la vénération posthume des
chefs de clan, la plupart fourvoyés dans des causes perdues,
ressortit d’une industrie du martyrologe, une rente de situation
pour les ayants droits, un passe droit permanent. Peu de famille
demeure dans la sobriété. Beaucoup verse dans l’ostentation qui
brandisse le martyr comme un trophée.
Rafic Hariri n’était pas, non plus, un capitaliste au sens
classique du terme, à l’instar des capitalistes américains ou
européens, dont la fortune s’est accumulée par le libre exercice
des lois de l’économie du marché au sein d’un pays de la libre
entreprise, aux méthodes souvent orthodoxes, parfois
hétérodoxes, toujours concurrentielles. Le milliardaire libano
saoudien constituait un rare exemple de «capitalisme décrété»
par la volonté d’un parrain, bienfaiteur, certes, mais nullement
désintéressé, pour les besoins de sa propre cause.
La sur médiatisation de Rafic Hariri du fait de sa puissance
financière et de son empire médiatique, la financiarisation de
la vie publique consécutive à la mondialisation, qui a favorisé
la propulsion de capitalistes au pouvoir à l’instar de Silvio
Berlusconi (Italie) et de Michael Bromberg (Maire de New York),
son amitié tonitruante avec le président français Jacques Chirac
et les enjeux de puissance que cela véhiculait sur fond de
recomposition régionale dans la foulée de la perte de l’Irak
pour la France, expliquent, sans la justifier, cette phagocytose
et cette proéminence
La recherche constante de
l’homme providentiel
Sur fond d’une contestation généralisée des supplétifs de la
stratégie américaine dans la sphère arabo musulmane, au terme
d’une furieuse décennie de «guerre contre le terrorisme», dans
la foulée de l’instrumentalisation de l’Islam comme arme
de combat contre l’athéisme de l’Union soviétique, initiée par
l’alliance contre nature entre le néo conservatisme américain et
le fondamentalisme wahhabite, les hommes liges de l’Amérique se
retrouvent en position de projection hors du pouvoir, tels le
tunisien Zine el Abidine Ben Ali, «le rempart contre
l’intégrisme en Afrique du Nord», l’égyptien Hosni Moubarak, le
«fer de lance du combat contre l’arc chiite au Moyen Orient», le
complice d’Israël dans le blocus de Gaza, voire même Rafic
Hariri, l’héritier du «martyr de l’Occident».
Au vu de la déconfiture occidentale tant en Tunisie, qu’en
Côte d’ivoire qu’au Liban et de la contestation de ses
auxiliaires en Egypte, en Jordanie et au Yémen, au vu de ce
bilan calamiteux se pose la question de la pertinence de la
politique de l’homme providentiel et du maintien de cette
pratique contraire aux règles de la démocratie.
Un des rares hommes politiques libanais de premier plan à
s’être propulsé à la tête de l’état sans avoir auparavant exercé
le moindre mandat électif, ni la moindre fonction politique, M.
Hariri cherchera à compenser par sa fortune et ses amitiés
internationales son inexpérience politique et gouvernementale.
Homme de parade, il occupera pendant vingt sept ans (1978 -2005)
le devant de la scène politique et médiatique d’abord en tant
qu’hommes d’affaires, puis pendant ses dix ans de pouvoir
(1992-1998 /2000-2004) comme chef de gouvernement. Relayé par
une importante force de frappe cathodique, il reléguera à
l’arrière plan non seulement la totalité de la classe politique,
mais également le pays lui-même. Il exercera une sorte de
magistère de la parole pour promouvoir son projet politique
d’identification substitution, confondant dans sa personne et
l’état et la nation, donnant par la même un rare exemple de
prépotence. A l’heure du bilan, l’erreur lui sera fatale tout
comme son excès de confiance dans ses capacités de gestionnaire
sur le plan économique et de manoeuvrier sur le plan politique.
La diplomatie saoudienne du «carnet
de chèques»
Prestataire de service d’un état rentier, en mission dans la
première opération de délocalisation du rigorisme wahhabite au
sein d’une société pluraliste et contestataire, le Liban, son
lien ombilical le vouera, par fonction et par destination, à
pâtir des éventuels contrecoups de son parrain politique, la
monarchie saoudienne. Sous parrainage saoudien, Rafic Hariri
avait articulé son déploiement international sur deux béquilles,
une béquille régionale, syrienne, en la personne du vice
président Abdel Halim Khaddam, une béquille occidentale,
française, en la personne du président Jacques Chirac. Mal lui
en prit.
Au-delà de Rafic Hariri, la «diplomatie du carnet de
chèques», maniée de tous temps par les Saoudiens, pour restaurer
le pouvoir sunnite tant à Beyrouth qu’à Damas aura ainsi montré
son indigence et ses limites et ses vecteurs son manque de
consistance: Les deux cautions sunnites inamovibles du pouvoir
alaouite, pendant trente ans, le général Moustapha Tlass,
ministre de la Défense, et Abdel Halim Khaddam, ministre des
Affaires étrangères, deux personnalités de premier plan
présumées socialistes du régime baasiste, céderont finalement
aux sirènes des pétrodollars saoudiens, avant de se désintégrer.
Le militaire laissera convoler sa fille Nahed, une belle tige de
la société syrienne, vers le septuagénaire marchand d’armes
saoudien Akram Ojjeh, avant de sombrer dans le comique d’un
problématique doctorat universitaire parisien, tandis que le
diplomate laïc versait dans l’affairisme haririen et
l’intégrisme religieux des «Frères Musulmans», avant de se
carboniser.
Détail piquant, l’homme en charge du dossier libanais en
Syrie pendant trente ans, celui-la même qui était craint par les
diverses factions libanaises et redouté par les chancelleries
arabes et occidentales qui tonnait la foudre et ordonnait les
accalmies, à ce titre responsable au premier chef des dérives
syriennes au Liban, le vice-président de la République Abdel
Halim Khaddam, sera promu comme sauveur suprême de la Syrie et
du Liban. Il se retrouvera relégué aux oubliettes de
l’histoire lâché par tous, y compris par ses nouveaux alliés,
l’organisation des «Frères musulmans», celle là même qui s’était
lancée à l’assaut du pouvoir, en février 1982, en vue de faire
trébucher le régime baasiste dont il était un des piliers, à
quatre mois de l’invasion israélienne du Liban.
Le bien nommé Khaddam, dont le patronyme en arabe signifie
littéralement «le serviteur», reniera singulièrement son
militantisme après avoir abusivement ponctionné le Liban,
opérant par cupidité la plus retentissante reconversion de
l’histoire politique récente, finissant sa vie en factotum de
son coreligionnaire sunnite libanais Rafic Hariri.
Amplement gratifié de sa forfaiture d’un somptueux cadeau,
-la résidence du nabab pétrolier grec, Aristote Onassis, sur la
plus célèbre artère de la capitale française, l’Avenue Foch- le
renégat devra livrer bataille devant la justice française afin
de se maintenir dans les lieux, alors que son pendant français,
l’ancien président Jacques Chirac avait droit à un appartement
avec vue sur Seine, Quai Voltaire à Paris, pensionnaire posthume
de son ami, dont l’assassinat résulte vraisemblablement du grand
basculement opéré par le président français dans la foulée de
l’invasion américaine de l’Irak.
Judas a trahi son Seigneur pour trente deniers. D’autres
trahisons valent certes leur pesant d’or mais accablent le
renégat d’un discrédit pour l’éternité. Par une cruelle ironie
du sort, l’homme qui a sinistré le Liban par la mise su pied
d’un tribunal Spécial sur le Liban instrumentalisé pour juger
les assassins de Rafic Hariri, Jacques Chirac devra répondre, en
personne, devant la justice de son pays, le 7 Mars 2011, des
affaires en rapport avec l’argent illicite, illustration
pathétique de la prévarication étatique.
Entre Saad Hariri et Hassan Nasrallah,
une différence d’échelle
Sur le plan interne, entre le sunnite Rafic Hariri et le
chiite Hassan Nasrallah, d’une manière encore plus criante entre
Saad Hariri et le chef du Hezbollah, existe une différence
d’échelle. Les deux ont pris les rênes du pouvoir politique, la
même année, en 1992, mais l’un à l’inverse de l’autre. Rafic
Hariri a été propulsé sous George Bush Senior et a implosé sous
George Bush Junior, quand Hassan Nasrallah s’imposait contre le
père et survivait au fils.
Entre les deux acteurs majeurs de la vie politique libanaise
existe une différence d’échelle, une différence de niveau. Face
à un Hassan Nasrallah, impérieux, faisant front à Israël qu’il
humiliera par sa riposte balistique et sa maîtrise de l’art de
la guerre asymétrique, Saad Hariri avait, il est vrai, fait
piètre figure, quatre ans plus tôt, en juillet 2006.
Chef de la majorité parlementaire et député d’une ville
reconstruite par son père, à nouveau détruite par l’aviation
israélienne, l’héritier, plutôt que de partager le sort de ses
concitoyens, plutôt que de se préoccuper des besoins de ses
électeurs, se mettra au frais à l’étranger à des milliers de km
du champ de bataille, laissant la conduite des opérations à ses
rivaux, le Président Emile Lahoud, ostracisé par la communauté
internationale, et le chef du Hezbollah, glanant au passage le
sobriquet de «planqué de Beyrouth». Il se couvrira de ridicule
de même que son mentor Fouad Siniora lorsque le premier ministre
de l’époque éclatera en sanglots devant les destructions
infligées à Beyrouth par ses amis américains par israéliens
interposés, s’inclinant enfin devant son rival chiite propulsé
au firmament de la popularité panarabe.
Le Hezbollah a rompu, psychologiquement et militairement, le
défaitisme ambiant du monde arabe, alors que l’héritier théorise
la soumission au Diktat américain au prétexte de protéger son
pays d’un cordon de sécurité. Chef d’une formation disposant de
la plus forte cohésion idéologique et sociale, bras armé de la
stratégie de la contestation de l’hégémonie israélo américaine
sur la sphère arabe, Hassan Nasrallah tire sa force de ses
exploits, Saad Hariri de son rôle de paravent aux menées israélo
américaines. Le moine soldat est un prescripteur essentiel de
l’ordre régional, le milliardaire libano saoudien, un
prestataire de services pour le compte de ses commanditaires.
Autrement dit, le chiite force le destin quand le sunnite le
subit.
Saad Hariri, un binational libano
saoudien, plus saoudien que libanais
Natif d’Arabie saoudite, le pays de son premier choix qu’il
assure avoir quitté à contre coeur pour répondre à l’appel du
devoir à Beyrouth, binational libano saoudien, plus saoudien que
libanais, Saad Hariri est un cas parfait d’alibi saoudien, la
caution sunnite de la stratégie hégémonique occidentale sur le
Liban. Son père a payé de sa vie le prix de cette servitude, lui
léguant une dette publique de cinquante milliards de dollars, en
guise de cadeau posthume à son entrée en fonction, au titre de
sa gestion erratique.
Compagnon festif du fils du roi Fahd d’Arabie, rien ne
prédestinait Saad à la direction d’un pays aussi singulier que
le Liban, la poudrière par excellence du Moyen orient. Pas plus
ses balises que ses protecteurs, que sa fortune, ne seront d’un
grand secours à l’héritier Hariri aux heures décisives, propulsé
à l’épicentre du pouvoir d’un pays névralgique sans la moindre
préparation.
A l’Automne 2010, Saad Hariri, au terme de son voyage à
Canossa, fait face à un terrible dilemme. Le tribunal
international ou le gouvernement. Autrement dit, son attachement
à la juridiction ad hoc que son écurie politique a
instrumentalisée pour perpétuer sa mainmise politique sur le
Liban ou son maintien à la tête du gouvernement au sein d’une
coalition nationale.
Saad Hariri a admis, tour à tour, la mise en cause abusive de
la Syrie par les enquêteurs internationaux sur la base de faux
témoignages, de même que l’existence de faux témoins, sans
toutefois en tirer les ultimes conséquences de son aveu: le
jugement des faux témoins. Sa rémission, pour être complète,
suppose qu’il boive la coupe jusqu’à la lie, à l’effet de lui
ouvrir définitivement le chemin de Damas et de lui assurer une
quiétude, gage de sa pérennité politique.
«Le planqué de Beyrouth», le sobriquet qu’il a glané en
juillet 2006, lorsqu’il déserta la capitale dont il est le
député pour se mettre à l‘abri des bombes israéliennes,
empruntera le chemin de la fuite, pour la troisième fois, en
novembre 2010, en plein débat gouvernemental sur le jugement des
faux témoins de l’enquête sur l’assassinat de son père,
entreprenant, une longue tournée diplomatique de trois semaines
au Koweït, à Abou Dhabi, Téhéran, Moscou et Paris, pour se
donner une contenance internationale, à défaut de consistance,
accréditant l’idée d’un fugitif.
En cinq ans, l’homme de la relève aura fui trois fois, soit
une fuite en moyenne tous les dix huit mois. N’est pas Invectus
(l’Invincible) qui veut. Et, au vu de son comportement,
particulièrement lors de la guerre de destruction israélienne du
Liban, en juillet 2006, gageons que Saad Hariri n’est « ni
maître de mon destin, ni capitaine de son âme ».
L’un des plus célèbres transfusés politiques de l’époque
contemporaine, au même titre que Hamid Karzai (Afghanistan) et
Mahmoud Abbas (Palestine), Saad Hariri a implosé , à la mi
janvier, victime collatérale du basculement psychologique opéré
par «le printemps arabe» avec la chute de la dictature
tunisienne, la caramélisation de l’égyptien Hosni
Moubarak, l’un de ses grands protecteurs sur la scène sunnite
libanaise, et de l’instrumentalisation de la Justice
internationale aux fins d’une guerre de substitution à l’Iran
par la criminalisation du Hezbollah.
Rafic Hariri et Benazir Bhutto, une
situation de parfaite similitude pour un traitement différencié.
Rafic Hariri (Liban) et Benazir Bhutto (Pakistan) se
situaient aux extrémités d’un axe politique ayant vocation à
servir de levier de transformation de l’Asie occidentale en
«Grand Moyen Orient».
Les deux anciens premiers ministres, le sunnite libanais et
la chiite pakistanaise, tous deux assassinés à deux ans
d’intervalles, présentaient un cas de similitude absolu dans
leurs fonctions, les deux d’ailleurs en connexion étroite avec
l’Arabie saoudite dans la mesure ou Rafic Hariri était le co-garant
avec le Prince Bandar Ben Sultan, le président du Conseil
national de sécurité, de l’accord régissant le retour d’exil de
l’ancien premier ministre pakistanais Nawaz Charif, rival de
Benazir. Une garantie reprise à son compte par Saad Hariri,
l’héritier politique du clan Hariri au Liban. En dépit de cette
similitude, les deux «martyrs pro occidentaux» bénéficieront,
curieusement, d’un traitement différencié.
Le sunnite libanais aura droit à un tribunal international ad
hoc, la chiite pakistanaise, pas, quand bien même les
assassinats ont continué à se produire au Pakistan, comme en
témoigne en janvier 2011, le meurtre du gouverneur du Pendjab.
L’acte d’accusation
En 430 jours de mandature gouvernementale, Saad Hariri aura
passé deux cent jours hors du Liban, soit la moitié de son
mandat dans le giron de ses multiples protecteurs. La sanction,
inéluctable, s’abattra, dans toute sa brutalité, le 12 janvier
2011, à l’instant même où il franchissait le seuil de la Maison
Blanche. Comme pour lui signifier son mécontentement et sa
lassitude devant le protectorat de fait que son comportement
dilatoire imposait au pays, l’opposition libanaise a fait
démissionner, ce jour là, les onze ministres de sa mouvance
entraînant la démission de facto du gouvernement d’union
nationale qu’il présidait. Survenue alors que Saad Hariri
s’apprêtait à s’entretenir avec Barack Obama, cette
spectaculaire démission collective a retenti comme un double
camouflet tant à l’égard du président américain qu’à l’égard du
chef du clan saoudo américain au Liban.
Sans surprise, le procureur du Tribunal spécial pour le Liban
(TSL) a déposé auprès du greffe du tribunal international l’acte
d’accusation au cours d’une audience à huis clos, le 17 janvier,
le jour présumé du début des consultations parlementaires
désigner le successeur de Saad Hariri à la tête visant à la
formation d’un nouveau gouvernement.
Une programmation qui ne doit rien au hasard. Le
calendrier de la juridiction internationale placerait ainsi les
tractations politiques libanaises sous la pression d’une
éventuelle menace de criminalisation du Hezbollah et offrirait à
la coalition pro occidentale la possibilité de galvaniser les
ardeurs de leurs troupes en cette période commémorative du 6eme
anniversaire de l’assassinat de Rafic Hariri, le 14 février
2005, en vue d’imposer la reconduction du mandat gouvernemental
de l’héritier du clan.
La diplomatie occidentale est coutumière de tels procédés. Un
premier coup de semonce avait été lancé à l’encontre du
Hezbollah, avec l’assassinat de Imad Moughnieh, le responsable
militaire de la formation chiite, le 13 février 2008, à la
veille de la commémoration du 3eme anniversaire de l’assassinat
du milliardaire saoudo libanais, elle récidivera, en 2011, en
fixant au 7 février, l’audience du TSL pour la publication de
l’acte d’accusation, soit à une semaine de la commémoration du
6eme anniversaire de l’assassinat de Hariri père. Une démarche
similaire à celle qui se produisit au moment de la bataille
législative libanaise, où Hilary Clinton, secrétaire d’état, et,
son adjoint Jeremy Feltman, avaient fait un forçing similaire,
en juin 2009, pour maintenir la majorité parlementaire au sein
de la coalition occidentale.
Le juge Daniel Fransen disposera de six semaines pour étudier
les preuves remises par le procureur pour étayer ses
accusations. Si celles-ci étaient confirmées, elles seront
ensuite transmises aux autorités des Etats où résident les
accusés. Le secrétaire général du Hezbollah, qui attribue cet
attentat à Israël, a lui-même affirmé, dans de nombreux discours
prononcés depuis mars 2010, que le procureur ciblait, à tord,
des membres de son parti.
Il a affirmé, en octobre 2010, que toute personne qui
arrêterait l’un des membres de « la résistance » aurait « la
main coupée ». La question clé de ces accusations est de savoir
s’il dispose d’éléments concrets pour confondre les
commanditaires.
Cadeau déguisé des Etats-Unis d’Amérique à l’Arabie saoudite,
en compensation de la contribution des «Arabes afghans» dans la
victoire occidentale dans la guerre antisoviétique
d’Afghanistan, Rafic Hariri a été parachuté à la tête du
gouvernement libanais dans la foulée de la conclusion de
l’accord interlibanais de Taëf, qui mis fin à la guerre civile
libanaise (1975-1990), en rongeant les prérogatives
constitutionnelles des Maronites.
Chef du clan américano saoudien au Liban, Rafic Hariri,
ancien partenaire de la Syrie reconverti en fer de lance du
combat antibaasiste, a été, en protée de la vassalité, un
exécutant majeur de la pantomime du Moyen-Orient, et, à ce
titre, une victime majeure du discours disjonctif occidental,
discours prônant la promotion des valeurs universelles pour la
protection d’intérêts matériels, discours en apparence universel
mais à tonalité morale variable, adaptable en fonction des
intérêts particuliers des Etats et des dirigeants. Pur produit
de la financiarisation de la vie publique nationale du fait de
la mondialisation économique, Rafic Hariri aura implosé à
l’instar d’une bulle financière, en purge d’un passif, en solde
de tout compte.
L’histoire du Monde arabe abonde de ces exemples de
«fusibles» magnifiés dans le «martyr», victimes sacrificielles
d’une politique de puissance dont ils auront été, les
partenaires jamais, les exécutants fidèles, toujours. Dans les
périodes de bouleversement géostratégique, les dépassements de
seuil ne sauraient se franchir dans le monde arabe sans
déclencher des répliques punitives. Le Roi Abdallah 1er de
Jordanie, assassiné en 1948, le premier ministre irakien Noury
Saïd, lynché par la population 10 ans après à Bagdad, en 1958,
ainsi que son compère jordanien Wasfi Tall, tué en 1971, le
président égyptien Sadate en 1981, le président libanais Bachir
Gemayel, dynamité à la veille de sa prise du pouvoir en 1982,
l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005, et
l’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto en 2007,
enfin, constituent à cet égard les plus illustres témoins
posthumes de cette règle non écrite des lois de la polémologie
si particulière du Moyen-Orient. Tel pourrait être
l’enseignement majeur de cette séquence dont la victime
principale aura été l’espérance.
Immarcescible, Beyrouth, que le ministre saoudien des
affaires étrangères, Saoud Al Faysal, voulait «débarrasser de
ses voyous», lors du siège israélien de la capitale libanaise,
en juin 1982, dont le secrétaire d’état Alexander Haig voulait
en «conserver le port… dans le camp de l’Occident».
Conscience critique de toute une génération politique,
soupape de sécurité des gouvernements arabes pendant un demi
siècle, pacifiée, normalisée, reconstruite par Rafic Hariri, à
nouveau détruite par Israël, Beyrouth, immarcescible, demeure le
pôle de référence inoxydable de la combativité libanaise et
arabe, exerçant désormais une fonction traumatique à l’égard des
Israéliens, au grand désespoir des Occidentaux, de leurs alliés
arabes et du Clan Hariri au Liban.
Sic Transit Gloria Mundi… Ainsi passent les gloires de ce
monde
Pour aller plus loin
Rafic Hariri- Jacques Chirac: le récit d’une bérézina
diplomatique
http://www.renenaba.com/?p=557
Hassan Nasrallah, l’indomptable :
http://www.renenaba.com/?p=2685
Le martyrologe Libanais: entre instrumentalisation du
martyr et rente de situation
La séquence chrétienne
http://www.renenaba.com/?p=239
La séquence musulmane
http://www.renenaba.com/?p=244
Le Tribunal Spécial sur le Liban à l’épreuve de la guerre
de l’ombre 1/3
Le Liban, une passoire
http://www.renenaba.com/?p=2718
Le Liban, banc d’essai de la théorie de la dissension
sociale2/3
http://www.renenaba.com/?p=2733
Les Etats-Unis, une justice à la carte, la France en
suspicion légitime3/3
http://www.renenaba.com/?p=2765
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Publié le 12 février 2011 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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