Opinion
Or-Tunisie : Une opération de diversion
?
René Naba
Dimanche 10 mars
2013 Paris- Telle
l’arlésienne (1), l’affaire des lingots
d’or dérobés par la Famille du dictateur
tunisien Zine el Abidine Ben Ali a
refait brutalement surface à la
mi-Février 2013, en France, en plein
conflit du Mali, alors que la Tunisie
connait un regain de violence entre
islamistes et progressistes, dans la
foulée de l’assassinat du dirigeant
démocratique tunisien Choukri Belaid.
Le vol des lingots
d’or tunisien avait été évoqué une
première fois dans la presse par le
Journal Le Monde, en janvier 2011 (2-A),
dans la foulée de la fuite du président
déchu. Son surgissement, via Nice Matin
(2-B), deux ans plus tard, pose le
problème des enjeux de pouvoir que
l’affaire sous-tend.
Me William Bourdon,
Président de Sherpa, association
anti-blanchiment d’argent et avocat de
Transparency international, a critiqué «
une faille dans le dispositif français
et européen ». Au-delà de cette
condamnation, en l’absence de toute
réaction officielle des divers
protagonistes, cette affaire ténébreuse
à bien des égards pourrait apparaitre
comme une opération de diversion à une
lutte de pouvoirs transméditerranéens,
en superposition à des enjeux internes.
Un ancien haut
fonctionnaire français, grand
spécialiste du Maghreb, a fait preuve de
scepticisme devant la narration
journalistique de l’affaire suggérant
d’autres pistes. «Pas sûr que l’origine
de cet or soit la Banque Centrale de
Tunisie, établissement à l’image de la
Banque de France ou du Liban, sérieux et
rigoureux, capable de traverser les
turpitudes des politiques et même les
guerres.
«Des lingots
proviennent-ils de Ben Ali ou de son
clan ? Tout est possible avec eux, mais
ce type de trafic a besoin de nombreux
complices. Pourtant, il n’y a pas
d’indiscrétions sur les passeurs.
Pourquoi acheminer du métal encombrant
depuis la Tunisie vers la France? Pour
blanchir? Pour transférer? Vers où? En
France, les douanes et la DNED dépendent
de Bercy (ministère des finances).
Pourquoi passer par Paris ou Nice qui
sont très surveillés. Pourquoi ne pas
aller directement à Zurich, capitale
mondiale des transactions d’or?
«Il ne faut pas
oublier que la Tunisie est au sud de la
Sicile! De plus, le pays n’est plus du
tout contrôlé. Les frontières sont
totalement perméables avec la Libye et
avec l’Algérie. Ainsi à El Menzah,
banlieue de Tunis, l’essence de
contrebande venue d’Algérie est en vente
à la sauvette», a-t-il expliqué à
l’auteur de ces lignes.
Sur la foi des
éléments disponibles, il n’est pas
interdit de déduire six hypothèses de
départ:
Primo: La
divulgation de l’affaire par Nice Matin,
trois mois après son passage sous
contrôle de Bernard Tapie, tendrait à
accréditer l’idée d’un possible
repositionnement politique du repreneur
d’affaires dans l’échiquier régional et
national dans la perspective des
prochaines élections municipales de
2014. L’ancien directeur de l’Olympique
de Marseille avait déjà brigué la Mairie
de la cité phocéenne, dans la décennie
1990, à l’époque où il était membre du
gouvernement socialiste de François
Mitterrand.
La sophistication
des sources citées par l’enquête de Nice
Matin «sources de la Douane française de
Nice, Marseille et Paris, qui ont saisi
le Groupe opérationnel de lutte contre
le terrorisme (Golt) de la Direction
nationale du renseignement et des
enquêtes douanières (DNRED)» tendrait,
là aussi, à suggérer le sérieux de
l’enquête, ou à l’inverse, noyé
l’identité du ou des informateurs. Avec
l’objectif de suggérer que «Tapie, c’est
du lourd désormais et non du pipeau,
Coco». Une force avec laquelle il faudra
compter. Un relayeur efficace. Si cette
hypothèse se vérifiait, Bernard Tapie
aurait opéré là une entrée subliminale
dans le débat public de la région PACA
(Provence-Alpes-Côte d’Azur),
particulièrement à Nice (Sud de la
France), fief du féal sarkozyste
Christian Estrosi.
Deuxio: L’Elysée
avait fuité l’affaire du vol de l’or
tunisien, en janvier 2011, via Le Monde,
avant que le quotidien ne se rétracte,
sans explications convaincantes. Nicolas
Sarkozy a-t-il voulu garder cette carte
en main en vue d’une éventuelle
collaboration avec les néo-islamistes,
alors au seuil du pouvoir dans le Monde
arabe? D’une manière subséquente, le
pouvoir français avait-t-il alors fermé
l’œil en raison de la proximité de
Rached Ghannouchi, le chef du mouvement
islamiste tunisien d’An Nahda avec
l’Emir du Qatar, alors chouchou de
Nicolas Sarkozy?
Tertio: Le trafic
s’est arrêté en avril 2012. En fuitant
l’affaire un an après, les services
français veulent-ils suggérer une
complicité entre Ben Ali et An Nahda
pour déconsidérer le parti islamiste,
d’autant plus vraisemblablement que M.
Ghannouchi avait noué connaissance avec
Sakr Matari, à Londres, du temps où le
prédicateur y vivait en exil et le futur
gendre présidentiel y séjournait d’abord
en tant qu’étudiant d’abord, en tant
qu’hommes d’affaires, ensuite.
Quarto: En portant
l’affaire une nouvelle fois sur la place
publique, dans un contexte radicalement
différent, le pouvoir socialiste a-t-il
voulu adresser un signal au Qatar pour
«siffler la fin de la partie» et lui
signifier de se calmer avec ses
manigances avec Ansar Eddine que la
France combat au Mali ? Ce faisant, le
pouvoir socialiste a-t-il voulu se
dédouaner à bon compte auprès de
l’opinion française de l’accusation de
duplicité dans ses rapports avec le
djihadisme salafiste, qu’il combat au
Mali, qu’il encadre et conseille en
Syrie.
Quinto: Le trafic
s’est arrêté en avril 2012. S’agit-t-il
d’une torpille socialiste contre Nicolas
Sarkozy en ce que le trafic s’est
déroulé sous sa mandature; révélation
bienvenue pour le pouvoir socialiste
pour autant que l’affaire vienne
encombrer et compliquer encore plus le
paysage politique et judiciaire du
«premier président de sang mêlé de
France» en lui coupant définitivement
l’envie de rêver d’un retour au pouvoir
en se rasant tous les matins?
Dernier et le
moindre des arguments: Occulter le plus
important, selon le principe de la
lettre volée (3), les comptes bancaires
du trio infernal— Ben
Ali-Moubarak-Kadhafi placés dans les
institutions financières occidentales.
De l’ordre de 120
milliards de dollars, infiniment plus
lourd que cette peccadille de lingots
d’or, séquestrés en toute quiétude et
pour leur plus grand bénéfice dans les
coffres des banques occidentales, à un
moment de leur plus grand besoin en
cette période de crise de l’endettement
européen.
Se référant aux
estimations de la CNUCED, Me Fabrice
Marchisio, avocat spécialisé dans le
recouvrement d’actifs frauduleux,
précise que 400 milliards de dollars ont
fui l’Afrique entre 1970 et 2005 vers
d’autres continents et se fondant sur
les estimations de la banque Mondiale,
il indique que le montant des
détournements des dictateurs arabes
déchus lors du «printemps arabe», Hosni
Moubarak (Egypte), Zine El Abidine Ben
Ali (Tunisie) et Mouammar Kadhafi
(Libye) serait d’une ampleur oscillant
entre 100 milliards et 200 milliards,
une variation qui intègre dans ses
estimations des actifs dissimulés (4).
Références
1-L’Arlésienne est
une nouvelle d’Alphonse Daudet publiée
en 1866 dans les Lettres de mon moulin;
Une Arlésienne est une personne
constituant le sujet principal d’une
intrigue mais que l’on ne voit jamais
(comme dans la nouvelle de Daudet). Par
extension, c’est devenu un type de
personnage de fiction.
2- L’affaire des
lingots d’or de Tunisie
La version du
Journal le Monde
Le journal Le Monde
rapportait, en janvier 2012, dans la
foulée de la fuite du dictateur
tunisien, que La famille Ben Ali aurait
fui avec 1,5 tonne d’or, soit 45
millions d’euros, se référant à des
soupçons en provenance de l’Elysée.
La famille du
président déchu Zine El Abidine Ben Ali
se serait enfuie de Tunisie avec 1,5
tonne d’or, selon le journal Le Monde
qui cite des sources à la présidence
française, une information démentie par
la Banque centrale de Tunisie. «L’Elysée
soupçonne la famille Ben Ali d’avoir fui
la Tunisie avec 1,5 tonne d’or», affirme
le quotidien français dans son édition
de lundi. Le Monde indique que la
présidence «se fonde sur des
recoupements des services secrets
français» qui «essaient de comprendre
comment s’est achevée la journée de
vendredi 14 janvier, qui a vu le départ
du président et de sa famille et la
chute de son régime». Selon les services
secrets français cités par Le Monde,
Leïla Trabelsi, la femme du président,
«se serait rendue à la Banque centrale
de Tunisie cherché des lingots d’or», et
aurait essuyé un refus du gouverneur,
avant qu’il ne cède sous la pression de
Zine El Abidine Ben Ali. «Il semblerait
que la femme de Ben Ali soit partie avec
de l’or (…), 1,5 tonne d’or, cela fait
45 millions d’euros», a déclaré au
journal un responsable politique
français. Une information émanant de
«source tunisienne» qui «a l’air
relativement confirmée», selon un
conseiller de l’Elysée. La Banque
centrale de Tunisie (BCT) a, de son
côté, catégoriquement démenti ces
informations. «Les réserves d’or de la
Banque centrale de Tunisie n’ont pas été
touchées ces derniers jours», a déclaré
à l’AFP une source officielle à la BCT.
«Les réserves de devises n’ont pas été
touchées non plus, le pays a des règles
très strictes», a ajouté cette source,
assurant que «le gouverneur de la BCT
n’avait reçu personne ces derniers
jours, ni Leïla (Trabelsi) ni Ben Ali
lui-même». Zine El Abidine Ben Ali a fui
vendredi son pays pour l’Arabie
Saoudite, après un mois de
manifestations réprimées dans le sang
qui ont mis fin à 23 ans d’un règne sans
partage.
Sa seconde épouse,
Leïla Trabelsi, et la famille de cette
dernière, se sont accaparés les
richesses du pays en utilisant
l’appareil d’Etat, usant d’alliances, de
corruption, de menaces, affirment
plusieurs experts et analystes. Depuis
trois jours, les membres du clan sont
pourchassés en Tunisie, arrêtés ou tués,
et leurs somptueuses villas saccagées.
AFP Le : 2011-01-19 N°: 2350
La version de
Nice Matin
1800 lingots d’or
sortis de Tunisie entre janvier 2011 et
avril 2012, selon »Nice-Matin »
Le journal en date
du 16 Février 2013 précise que ces
lingots, sortis illégalement de Tunisie,
ont transité par les aéroports Nice,
Marseille, Orly et Roissy, transportés
par des passeurs tunisiens des deux
sexes, en transit vers Istanbul ou
Dubaï. »Nice-Matin » cite des sources de
la Douane française de Nice, Marseille
et Paris, qui ont saisi le Groupe
opérationnel de lutte contre le
terrorisme (Golt) de la Direction
nationale du renseignement et des
enquêtes douanières (DNRED), sans qu’on
leur demande d’intervenir pour arrêter
ce transfert qui a tout l’air d’un
trafic illégal et qui a duré pendant
plus d’un an et demi… jusqu’en avril
2012. «Officiellement, d’ailleurs, ce
dossier n’existe pas. Pire que s’il
était couvert par un secret d’Etat. La
direction des douanes ne répond pas. Le
ministère du Budget cherche des
»éclaircissements »», écrit »Nice-Matin
».
Les 1.800 lingots
d’or, d’une valeur de 72 millions
d’euros (près de 150 millions de
dinars), ont été exfiltrés illégalement
de Tunisie, et sans obstruction aucune,
au rythme de 2 à 5 passages par semaine
depuis la chute de Ben Ali en janvier
2011 jusqu’en avril 2012. Les douaniers
français ont dénombré près de 150
passages. «Et, mercredi dernier,
surprise: alors qu’on pensait le trafic
terminé, une nouvelle »muse »
tunisienne, sur le vol Djerba-Nice, a
passé douze kilos en lingots d’or à
l’aéroport», écrit »Nice-Matin ».
Ces révélations sont d’autant plus
graves qu’elles font accréditer la thèse
que ce trafic de lingots d’or entre
Tunis et Dubaï via les aéroports
français a un lien avec les biens mal
acquis du clan Ben Ali et que les
passeurs, dont il s’agit de déterminer
l’identité, bénéficient de complicités
dans les différents aéroports tunisiens.
(I.B)
3-La Lettre volée
(The Purloined Letter dans l’édition
originale) est une nouvelle d’Edgar
Allan Poe, parue en décembre 1844. Dans
cette nouvelle, le détective Auguste
Dupin est informé par G…, le préfet de
police de Paris, qu’une lettre de la
plus haute importance a été volée dans
le boudoir royal. Le moment précis du
vol et le voleur sont connus du
policier, mais celui-ci est dans
l’incapacité d’accabler le coupable.
Malgré des fouilles extrêmement
minutieuses effectuées au domicile du
voleur, G… n’a en effet pas pu retrouver
la lettre. Mettre la main sur cette
dernière est pourtant d’une grande
importance, car son possesseur se
retrouve en mesure d’exercer des
pressions sur le membre de la famille
royale à qui il l’a dérobée. G… en vient
donc à demander l’aide de Dupin.
Quelques semaines plus tard, Dupin
restitue la lettre au préfet. Il
explique alors au narrateur comment
certains principes simples lui ont
permis de retrouver la lettre.
Comme dans Double
assassinat dans la rue Morgue, La Lettre
volée met en scène Dupin et ses célèbres
facultés d’analyse. La réflexion logique
est au centre de la nouvelle, et toute
une part de l’intrigue s’appuie sur les
difficultés à trouver une solution
rationnelle à la disparition de la
lettre. Lors de sa visite à Dupin, G…
explique les raisonnements qui lui ont
permis de découvrir l’identité du
voleur, et ceux qui lui ont permis de
déduire que la lettre était toujours en
sa possession, cachée quelque part dans
son domicile. En dépit de ses
certitudes, G… ne parvient pourtant pas
à récupérer l’objet : le mystère se
partage donc entre d’une part la
possession certaine d’éléments, et de
l’autre l’incapacité à obtenir des
résultats. Si Dupin réussit, lui, à
résoudre cette apparente contradiction,
c’est parce qu’il a su raisonner
autrement que le policier, dont les
déductions, pour justes qu’elles
fussent, n’ont pas suffi à résoudre
l’affaire. G… a en vain cherché la
lettre en la supposant cachée: il a
sondé tous les espaces pouvant abriter
une lettre qu’on aurait voulu
dissimuler.
Dupin comprend lui
que si G.. a échoué, c’est que la lettre
volée a volontairement été mise en
évidence par le criminel. Loin d’être
rangé dans un endroit secret, le billet
est en évidence dans le bureau du
coupable : la lettre a été froissée,
maquillée d’un autre sceau et d’une
autre écriture après avoir été pliée à
l’envers. Si elle n’attire pas
l’attention c’est qu’elle semble sans
valeur, ordinaire.
4-Me Fabrice
Marchisio est membre du cabinet Asset
Tracing and Recovering/Cabinet Cotti,
Vivant, Marchisio and Lazurel. Interview
au journal Le Figaro 12 septembre 2011.
Tous droits réservés
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