Opinion
Le testament
d'Auguste 1/2
René
Naba
René Naba
Vendredi 9 décembre
2011
2001-2011: La décennie qui a
signé la fin de cinq siècles d’hégémonie
absolue occidentale sur le reste de la
planète
«Il ne faut pas franchir l’Euphrate.
Au delà de l’Euphrate, c’est le domaine
des aventuriers et des bandits»
Testament d’Auguste (1)
Que n’a-t-on révisé nos classiques?
Décideurs, intellectuels médiatiques
évolutifs, tous ces transfuges qui ont
franchi l’Euphrate par leur bellicisme
effréné, reniant leur conviction de
jeunesse par vanité sociale, cupidité
matérielle ou assujettissement
communautariste.
La prophétie d’Auguste semble se
réaliser. L’Afghanistan et l’Irak, les
deux points noirs du XXI me siècle
naissant auront été le cauchemar de
l’Occident. L’Afghanistan, le Vietnam de
l’Empire soviétique, est devenu à son
tour le nouveau Vietnam américain,
solidement quadrillé par des puissances
nucléaires, la Chine, l’Inde et le
Pakistan, désormais interlocuteurs
majeurs de la scène internationale,
alors que l’Irak, victime collatérale
d’un jeu de billard pipé par George Bush
Jr, relayait l’Afghanistan dans sa
fonction de point de fixation des abcès
du Moyen orient, le dérivatif au conflit
palestinien.
1- Une
stratégie cathartique
Que n’a-t-on révisé nos classiques?
Particulièrement Rudyard Kipling (2),
son «Fardeau de l’Homme blanc»,
lointaine préfiguration de la mission
civilisatrice de l’Occident, et son
«Grand jeu» afghan, lointain précurseur
du «Grand Moyen Orient». A deux siècles
de distance, en dépit des avatars, sous
des vocables variés, la même permanence,
un même objectif, pour une même
fixation, qui mutera vers un abcès de
fixation.
La stratégie cathartique initiée
entre les anciens partenaires essentiels
de l’époque de la guerre froide
soviéto-américaine, -les islamistes de
la mouvance saoudienne antisoviétique et
leur parrain américain- a surtout
démontré la corrosivité de
l’instrumentalisation abusive de la
religion comme arme du combat politique
et mis à nu la cécité politique
américaine. Elle a révélé la
vulnérabilité de l’espace national des
Etats-Unis, en même temps que
l’impéritie des dirigeants arabes, la
vacuité intellectuelle de leurs élites
et l’inanité d’un ravalement de façade
d’édifices lézardés du système politique
arabe tel qu’il a fonctionné depuis
l’indépendance des pays arabes au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale
(1939-1945). Première illustration à
l’échelle planétaire des guerres
asymétriques de l’ère postcommuniste
(3), visant la déstructuration de
l’adversaire à défaut de sa destruction,
le «Mardi Noir» américain- l’implosion
de bombes humaines volantes contre les
symboles économiques et militaires de la
puissance américaine, le Pentagone à
Washington et les tours jumelles du
World Trade Center de New York- a
constitué la première irruption brutale
en temps de paix sur le territoire d’un
état occidental de crimes de masses
indifférents à la qualité sociopolitique
des victimes. S’il a modifié
radicalement les formes du combat
politico-militaire, il a tout autant
constitué un acte de rupture avec
l’ordre arabe ancien.
2- L’Irak
huit ans après, l’hécatombe des
«faiseurs de guerre».
Huit ans après, alors que la nouvelle
administration démocrate de Barack Obama
annonçait la fin des missions de combat
de l’armée américaine en Irak, le 21
août 2010, trente cinq des principaux
protagonistes occidentaux de
l’intervention anglo-américaine étaient
déjà passés à la trappe de l’histoire
depuis la chute de Bagdad, le 8 avril
2003. L’hécatombe des «faiseurs de
guerre» comporte les cinq proconsuls
américains en Irak (Général Jay Garner,
Paul Bremer, John Negroponte, Zalmay
Khalil Zadeh, Ray Crocker) et les trois
commandants en chef, (Tommy Franks,
Ricardo Sanchez et John Abizaid), record
mondial absolu de rotation, sans compter
les dommages collatéraux.
A chaque mois, sa victime expiatoire,
avec une régularité de métronome.
Le premier dans l’ordre des disparus
a été le général Jay Garner, premier
gouverneur militaire américain de
l’Irak, relevé de son poste en mai 2003
pour avoir manqué de diplomatie, suivi
trois mois plus tard, en juillet 2003,
par le Général Tommy Franks, le
commandant en chef du CENTCOM, le
commandement central de la zone
intermédiaire entre l’Europe et l’Asie,
qui englobe les théâtres d’opération
d’Afghanistan et d’Irak. L’homme,
couvert de gloires pour avoir mené à
bien ses deux guerres, a demandé sa mise
à la retraite anticipée, dépité d’avoir
échoué dans la stabilisation de l’Irak
de l’après guerre. Deux autres généraux
ont payé le prix du scandale des
tortures à la prison d’Abou Ghraieb, à
Bagdad: le général Janis Kirkpatrick,
une femme, responsable en chef des
prisons, qui a supervisé les tortures,
ainsi que le général Ricardo Sanchez,
commandant opérationnel pour l’Irak, qui
a demandé sa mutation vers l’Allemagne,
de crainte de servir de fusible pour les
bavures américaines. Sanchez a quitté
son poste en Août 2004, un mois après le
départ anticipé de Paul Bremer. Le 3me
commandant en chef, le libano américain
John Abizaid, a cédé la Place à l’Amiral
William Fatton, début 2007, victime du
rapport Baker Hamilton, critique sur les
revers militaires américains en Irak.
Le spectacle affligeant de
l’évacuation de Paul Bremer a d’ailleurs
gommé dans la mémoire la destitution de
la statue de Saddam Hussein et renvoie
aux pires images de la débandade du
Vietnam. Le départ précipité du pro
consul américain, s’engouffrant à bord
d’un hélicoptère les moteurs allumés,
rotors en action, a propulsé dans
l’opinion l’image d’un homme pressé de
se décharger de ses responsabilités.
Pour un homme réputé pour sa fermeté
dans la lutte anti-terroriste, l’image
contraire a prévalu. Celle d’un homme
qui bat en retraite, l’image d’un sauve
qui peut, d’une Amérique encore assommée
par la virulence de l’opposition
populaire irakienne à sa présence. Une
image qui a renvoyé aux pires images de
la Guerre du Vietnam, surtout à la plus
célèbre d’entre elles, celle de
l’hélicoptère s’élançant du toit de
l’ambassade américaine avec le personnel
de la mission diplomatique à bord, le
jour de la chute de Saigon, le 30 avril
1975.
L’Amérique a raté sa sortie
symbolique d’Irak, tout comme elle avait
auparavant perdu sa guerre psychologique
dans la bataille de l’opinion, tout
comme elle patauge militairement dans sa
guerre contre le terrorisme. La photo du
proconsul américain conversant, dans une
sorte de comédie imposée, avec des
affidés bedonnants et sans âme, avachis
sur un fauteuil, tel premier ministre
Iyad Allaoui, l’agent patenté de la CIA,
promu par le fait du prince, premier
ministre fantoche d’un pays fantôme, va
gommer dans la mémoire collective celle
de la destitution de la statue de Saddam
Hussein sur la Place Fardaous, à Bagdad,
le 8 avril 2003, jour de l’entrée des
troupes américaines dans la capitale
irakienne. Autant la mise en scène de la
destitution de la statue présidentielle
était une mystification, autant le
transit du pouvoir du 28 juin a été une
réalité. Cruelle. A la mesure des
déboires des Etats-Unis en Irak. Son
successeur John Negroponte, l’homme de
la déstabilisation du Nicaragua
sandiniste et du blocus du port de
Managua, tiendra lui aussi un an avant
de réfugier dans le confort douillé des
Nations unies en tant qu’ambassadeur des
Etats-Unis auprès de l’organisation
internationale.
2004 a également vu la démission de
David Key, le chef du corps des
inspecteurs américains, qui a voulu
renoncer à ses responsabilités en signe
de protestation contre les défaillances
de son service dans la recherche des
armes de destruction massive. Le corps
des inspecteurs américains comptait
1.400 membres. Key a estimé que son
service et l’ensemble de
l’administration républicaine avaient
failli dans sa mission. Il en a tiré les
conséquences, les autres dirigeants
américains ont été conduits à assumer
leurs responsabilités ou servir de
fusible pour masquer les défaillances de
l’administration Bush ou ses mensonges.
Il en été ainsi de Georges Tenet, ancien
chef de la CIA (service de
renseignements américains) qui se
targuait de fournir des preuves en
béton, sur les armes de destruction
massive (ADM) a été relevé de son poste
en juin 2004, ainsi que son adjoint pour
les opérations spéciales clandestines,
James Javitt.
Beaucoup d’ailleurs au sein de la
haute administration républicaine sont
passés à la trappe: Colin Powell,
premier secrétaire d’Etat afro
américain, s’est désolidarisé de
l’équipe néoconservatrice, inconsolable
d’avoir été piégé par l’éprouvette de
farine qu’il avait brandie en guise de
preuves quant à l’existence de produits
nucléaires en Irak, une prestation qui
demeurera, de son propre aveu, une
«tâche» dans son parcours auparavant
exemplaire.
Ronald Rumsfeld, un des deux
architectes de cette guerre avec le
vice-président Dick Cheney, a été évincé
de son poste de secrétaire à la Défense
après la déroute électorale républicaine
de novembre 2006, de même que l’ultra
faucon John Bolton de son poste
d’ambassadeur aux Nations unies, ainsi
que Scott Libby, du cabinet du vice
président, coupable d’avoir cherché à
discréditer et de déstabiliser un
diplomate américain John Watson, qui
avait conclu à l’absence de transaction
atomique entre le Niger et l’Irak, en
révélant l’identité professionnelle de
son épouse (un ancien de la CIA), crime
fédéral par excellence.
L’Affaire «Valérie Palme» du nom de
l’épouse de l’ambassadeur à l’activité
dévoilée, a valu à Scott Libby une
condamnation à trente mois de prison, en
juin dernier 2007. Larry Franklin, un
des collaborateurs des ultra faucons, le
tandem Paul Wolfowitz et Douglas Faith,
respectivement N° deux et trois du
ministère de la défense, soupçonné
d’espionnage pour le compte du lobby
juif américain et d’Israël dans la
préparation de la guerre, a été
sanctionné, avant que Karl Rove, ancien
secrétaire général adjoint de la Maison
Blanche, ne quitte son poste en
septembre 2007.
Parmi les autres protagonistes de
l’invasion américaine, l’ONU paiera, la
première, son lourd tribut de sang avec
l’attentat aussi spectaculaire que
meurtrier contre le brésilien Sergio
Vieira de Mello, Haut Commissaire aux
Droits de l’Homme des Nations unies, le
20 Août 2003, qui a ravagé le siège de
l’organisation internationale dans la
capitale irakienne faisant 22 morts,
dont 16 fonctionnaires internationaux.
Au niveau de la coalition, un des
fleurons de la coalition, José Maria
Aznar (Espagne) a été désavoué par le
corps électoral. L’Espagnol a été
éliminé de la vie politique pour cause
de mensonge pour avoir mis en cause
l’ETA, l’organisation séparatiste basque
dans les attentats de Madrid, qui
avaient fait, le 14 mars 2004, 1.400
victimes, et non les islamistes, afin de
détourner l’attention sur sa
responsabilité dans l’implication de son
pays dans la guerre d’Irak. Victime du
syndrome irakien, le chef d’état major
interarmes américain, le Général Peter
Pace, un homme proche de Donald Rumsfeld
et qui a participé activement aux
guerres d’Afghanistan et d’Irak, cessera
ses fonctions en septembre, «par crainte
d’une nouvelle controverse sur l’Irak»,
à la reprise des travaux du congrès
américain pour la dernière année du
mandat du président.
3- Tony Blair
«Lord Balfour du XXI me siècle»
Le dégagement quasi-simultané de la
scène internationale de deux artisans
majeurs de l’invasion de l’Irak, le
premier ministre britannique Tony Blair
et le président de la Banque Mondiale,
Paul Wolfowitz, fin juin 2007, a signé
symptomatiquement l’échec de l’aventure
américaine en Mésopotamie. Au terme de
dix ans de pouvoir (1997-2007), l’ancien
jeune premier de la politique
britannique a quitté la scène publique
affligé du quolibet accablant de
«caniche anglais du président américain»
et d’un jugement peu flatteur sur son
action, le plus mauvais bilan
travailliste depuis Neville Chamberlain,
en 1938, (responsable des accords
défaitistes de Munich face à l’Allemagne
hitlérienne), et Anthony Eden, maître
d’œuvre du fiasco de Suez, l’agression
anglo-franco-israélienne contre l’Egypte
nassérienne, en 1956» (4), selon
l’expression du journaliste anglais
Richard Gott. Sa nomination comme
émissaire du Quartet pour le
Moyen-Orient est apparue comme un lot de
consolation de la part du fidèle allié
américain, mais l’activisme belliciste
qu’il a déployé tout au long de son
mandat (Guerre du Kosovo, Guerre
d’Afghanistan, Guerre d’Irak) et sa
nouvelle implication dans le conflit
israélo-arabe, lui a valu de la part de
l’opinion arabe le sobriquet du «nouveau
Lord Balfour du XXI me siècle», par
référence au rôle joué par son
prédécesseur anglais dans le
surgissement du problème palestinien.
Partenaire privilégié de l’aventure
américaine en Irak, le Royaume Uni en a
lui aussi payé le prix fort.
Outre l’attentat de Londres et le
suicide du scientifique David Kerry,
Alistair Campbell, le «spin doctor» par
excellence, le plus en vogue des
manipulateurs de l’opinion, ancien
conseiller du premier ministre
britannique Tony Blair, a été sacrifié
par son mentor, en 2004, avant que le
premier ministre lui-même ne cède la
place à son rival travailliste Gordon
Brown, en juillet 2007.
En Irak, le sort d’Ahmad Chalabi
illustre le statut singulier des
supplétifs des forces d’occupation et
mérite à ce titre réflexion.
Opposant notoire au régime baasiste,
partisan farouche de la guerre, protégé
de l’ultra faucon, Paul Wolfowitz,
secrétaire adjoint à la défense, premier
responsable de l’autorité transitoire,
Chalabi, le propagateur des thèses
américaines sur la présence d’armes de
destruction massive en Irak, sera
sacrifié sur l’autel de la raison d’état
en vue de donner satisfaction à la
Jordanie, un des piliers de l’Amérique
dans la zone, qui lui vouait une
hostilité absolue.
L’homme lige des Américains a été
dépouillé de ses attributs de pouvoir
d’une manière humiliante, avec, en
prime, l’imputation de tous les revers
de ses alliés anglo-américains. Le sort
des supplétifs n’est jamais enviable.
Dans le camp adverse, la famille de
Saddam Hussein a été littéralement
décapitée, lui-même et son frère Barzane,
pendus dans des conditions hideuses,
alors que ses deux fils Ouddai et Qossaï
et son petit fils, Moustapha, étaient
auparavant tués lors d’un raid dans le
nord de l’Irak, en 2003, de même que,
quoique sur un autre registre, Abou
Moushab Al Zarkaoui, chef opérationnel
d’Al Qaida en Irak, en juin 2006.
Dans la configuration régionale de
l’époque, le parrain idéologique du
président américain, le premier ministre
israélien Ariel Sharon, l’artisan de
l’invasion du Liban, en 1982, le plus
ferme partisan de l’invasion américaine
de l’Irak, le tortionnaire de Yasser
Arafat, le maître d’œuvre de la
colonisation rampante de la Cisjordanie
et de Jérusalem-Est, l’homme des
assassinats extrajudiciaires contre les
dirigeants islamistes Cheikh Ahmad
Yassine et Abdel Aziz Rantissi, sombrait
dans le coma, en janvier 2006,
illustration symbolique de l’échec d’une
politique de force. Son successeur, Ehud
Olmert, plongera son pays dans une
impasse par suite de deux déboires
militaires le Liban (2006) et Gaza
(2008) qui ont considérablement modifié
la donne régionale et le climat
psychologique de sa population.
Suivra………….rn
Références
1- Premier empereur
romain, Auguste d’abord appelé Octave
puis Octavien est le petit-neveu et fils
adoptif de César. Il parvient à laisser
à la postérité l’image du restaurateur
de la paix et de la prospérité. Sous
règne, l’armée réformée définitivement
une armée de métier. La charte militaire
(condito militiae) lui donne son statut
légal. Les effectifs sont fixés à 28
légions, soit 300 000 hommes auxquels
viennent s’ajouter 50 000 hommes des
contingents des alliés.
2- Joseph Rudyard
Kipling: Bombay (Inde britannique) le 30
décembre 1865 – Londres 18 Janvier 1936,
premier anglais à obtenir le Prix Nobel
de Littérature (1907), est un auteur à
succès de romans notamment du «Livre de
la Jungle», «l’homme qui voulait être
roi» et surtout de «Kim» dans lequel il
forge la notion du «grand jeu» à propos
de la rivalité des puissances coloniales
en Afghanistan. George Orwel le
qualifiera de «prophète de
l’impérialisme britannique» et
l’américain Henri James « L’homme de
génie le plus complet que je n’ai jamais
connu».
3- Laurent Bonelli,
chercheur en science politique à
l’Université Paris X (Nanterre), in le
Monde diplomatique N° Avril 2005 «Quand
les services de renseignement
construisent un nouvel ennemi».
4 – «Départ sans
gloire pour M. Anthony Blair», par
Richard Gott, cf. «Le Monde
diplomatique» juin 2007
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
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