Opinion
Liban: Walid Joumblatt, Requiem
pour un saltimbanque
René
Naba
René Naba
Vendredi 4 novembre 2011
Sans surprise, Walid Joumblatt le
chef druze du parti socialiste
progressiste (PSP), a été reconduit, fin
octobre 2011, à la tête de sa formation
qu’il préside depuis 34 ans, sans
concurrent pour lui disputer le
leadership, selon les pires règles de la
féodalité clanique en plein printemps
arabe, sur fond d’un nouveau
repositionnement à l’égard de la Syrie,
ultime pirouette d’une girouette.
Retour sur ce parcours erratique d’un
homme qui était en mesure d’accéder à la
stature d’homme d’état, qui s’est laissé
happer par les sirènes de la dolce vita
et de la combinazione.
1-Une
décennie prodigieuse
La décennie avait été prodigieuse.
Comme larrons en foire, sous la houlette
de la Syrie, ils avaient mis en coupe
réglée la République, Rafic Hariri, à la
tête du gouvernement, en 1992, dans la
foulée de l’avènement du nouvel ordre
mondial américain consécutif à
l’effondrement du bloc soviétique, Walid
Joumblatt à la tête d’un important
ministère chargé de la réinsertion
sociale des 135.000 familles déplacées
du fait des hostilités.
Dans la griserie de l’époque, le laxisme
ambiant, la veulerie des uns, la
couardise des autres, la gloutonnerie
des uns et des autres, la Syrie
commettra une faute majeure qui
conditionnera largement la suite des
évènements, dont elle pâtira durement le
long de la décennie, faute d’avoir bridé
la complaisance des gestionnaires
syriens du dossier libanais, -le
militaire Ghazi Cannaan et le politique
Abdel Halim Khaddam-, face à la mainmise
du milliardaire saoudo libanais sur le
parc immobilier du centre de Beyrouth,
le socle désormais indéboulonnable de
son leadership sunnite.
L’alliance contre nature entre un pur
représentant du pan capitalisme pétro
monarchique et le chef d’un des rares
partis politiques arabes se réclamant du
socialisme pouvait surprendre en termes
de cohérence idéologique, mais non en
termes de drainage financier. Ceux qui
seront par la suite les plus sévères
censeurs de la tutelle syrienne sur le
Liban avaient été pendant douze ans, de
1992 à 2004, les meilleurs gestionnaires
de la mainmise syrienne sur leur pays,
déléguant à la Syrie, le pouvoir
régalien sur le plan diplomatique et
militaire, en contrepartie de leur
mainmise sur le Liban. Un acte de haute
forfaiture commis, néanmoins, en toute
impunité, avec les encouragements de
leurs tuteurs internationaux,
particulièrement la France, si prompte
par ailleurs à se draper dans la dignité
bafouée dès lors que ses intérêts
patrimoniaux sont en jeu.
2- Le pro
consul syrien le Général Ghazi Canaan,
le troisième larron de cette foire
d’empoigne.
Partenaires dans le projet Elissar,
la rénovation du littoral du sud Liban,
et dans les projets fonciers de Kreyha
Sibline, ayant vocation à servir de
point de chute aux réfugiés palestiniens
extirpés des camps de Beyrouth, ils
feront du ministère des personnes
déplacées le centre opérationnel de
prébendes électorales. Le quotidien
libanais «An Nahar», du temps où il
exerçait une fonction critique avant
d’être racheté par Hariri, estimait le
10 juillet 1998, à près de 800 millions
de dollars les fonds ayant transité par
ce ministère pour des opérations sans
rapport avec la réhabilitation
familiale.
De réinsertion il y en eut peu, mais
de prébendes plus que de besoin
notamment pour le financement déguisé
des campagnes législatives et
municipales des partisans du tandem,
pour le maintien du niveau de vie de la
clientèle politique ou la gratification
des grands électeurs et des gros
propriétaires terriens. Le dévoiement
était tel que la cupidité finira par
gangrener tous les contre pouvoirs, au
point même que leur contremaître absolu,
le Général Ghazi Canaan, pro consul de
Syrie au Liban, se comportera de moins
en moins en maître, contrant de moins en
moins de choses, pour finir par
constituer le troisième larron de cette
foire d’empoigne.
Au mépris du délicat équilibre
confessionnel de l’échiquier libanais et
des intérêts stratégiques de la Syrie,
mais au bénéfice de son propre compte
bancaire, le proconsul syrien modifiera
la loi électorale au bénéfice du
leadership haririen, favorisant la
naturalisation en masse de sunnites afin
de contrebalancer l’influence
grandissante des chiites libanais et
leur fer de lance le Hezbollah, entré
dans l‘arène politique, en 1992, la même
année que le binational libano saoudien.
La triplice aura fonctionné à merveille
dans une harmonieuse répartition des
rôles, le chef progressiste libanais
apportant sa caution patriotique au
milliardaire libano saoudien gros
pourvoyeur en pétro dollars, sous la
férule du militaire syrien aveuglé par
l’avidité.
3- Abdel
Halim Khaddam, le bien nommé.
L’invasion américaine de l’Irak fera
voler en éclat ce bel échafaudage,
noyant dans le sang cette idylle si
lucrative. Saddam Hussein l’irakien
destitué, Yasser Arafat, le chef
palestinien confiné dans sa résidence de
Ramallah, Marwane Barghouti, son
successeur potentiel, emprisonné, la
voie était dégagée à l’émergence d’un
nouveau chef sunnite sur le flanc Nord
d’Israël. Hariri et Joumblatt, en
stratèges en chambre, portent leur choix
sur le vice président syrien Abdel Halim
Khaddam, l’ancien prédateur du Liban,
mais dont l’immense qualité résidait à
leurs yeux d’être non seulement un
syrien sunnite, mais aussi et surtout
leur partenaire en affaires, pour
prendre la relève du leadership sunnite
et palier la perte de Bagdad, l’ancienne
capitale de l’empire abbasside.
Rafic Hariri se démettra le 20
octobre 2004 pour prendre la tête de
l’opposition anti-syrienne, mais le
magistère de cet ancien féal de Damas
sera bref. Quatre mois. Il sera
assassiné, le 14 février 2005, sur le
lieu même du seul objectif qui échappera
à sa boulimie immobilière, le
prestigieux Hôtel Saint Georges,
déclenchant un cataclysme ravageur. La
Syrie se retirera du Liban, son ancien
proconsul Ghazi Canaan, sera suicidé au
titre de victime sacrificielle de son
laxisme et de sa vénalité. Le troisième
larron, unique survivant du trio, Walid
Joumblatt, sera emporté par un
tourbillon qui le laissera exsangue au
terme de cinq ans de griserie.
Détail piquant, l’homme en charge du
dossier libanais en Syrie pendant trente
ans, celui-la même qui était craint par
les diverses factions libanaises et
redouté par les chancelleries arabes et
occidentales qui tonnait la foudre et
ordonnait les accalmies, à ce titre
responsable au premier chef des dérives
syriennes au Liban, le vice-président de
la République Abdel Halim Khaddam, promu
comme sauveur suprême de la Syrie et du
Liban, avant d’être relégué aux
oubliettes de l’histoire se raccrochera,
telle une bouée de sauvetage, à
l’organisation des «Frères musulmans»,
celle là même qui s’était lancée à
l’assaut du pouvoir, en février 1982, en
vue de faire trébucher le régime
baasiste dont il était un des piliers, à
quatre mois de l’invasion israélienne du
Liban.
Le bien nommé Khaddam, dont le
patronyme en arabe signifie
littéralement «le serviteur», reniera
singulièrement son militantisme après
avoir abusivement ponctionné le Liban,
opérant par cupidité la plus
retentissante reconversion de l’histoire
politique récente, finissant sa vie en
factotum de son coreligionnaire sunnite
libanais Rafic Hariri.
Amplement gratifié de sa forfaiture
d’un somptueux cadeau, -la résidence du
nabab pétrolier grec, Aristote Onassis,
sur la plus célèbre artère de la
capitale française, l’Avenue Foch—le
renégat devra livrer bataille devant la
justice française afin de se maintenir
dans les lieux, alors que son pendant
français, l’ancien président Jacques
Chirac avait droit à un appartement avec
vue sur Seine Quai Voltaire à Paris.
Judas a trahi son Seigneur pour trente
deniers. D’autres trahisons valent
certes leur pesant d’or mais accablent
le renégat d’un discrédit pour
l’éternité.
Dans la griserie de l’époque, le laxisme
ambiant, la veulerie des uns, la
couardise des autres, la Syrie commettra
deux fautes majeures qui conditionneront
largement, dont elle pâtira durement le
long de la décennie: le choix des
gestionnaires du dossier libanais, .
4 – La
deuxième mort de Kamal Joumblatt.
Dans ce qui apparaît comme un rare
cas de rémission dans les annales de
l’Alzheimer politique, Walid Joumblatt
se souviendra, alors, que son père,
Kamal Joumblatt, le chef de la coalition
palestino progressiste du temps de la
guerre civile libanaise, avait été
assassiné auparavant à proximité d’un
barrage syrien.
L’ancien commensal assidu de la Syrie,
époux en deuxième noces de la fille d’un
ancien ministre syrien de la défense, le
général Charabati, auréolé du titre de
«fils de martyr», se met alors en tête
de réclamer vengeance, vingt huit ans
après l’assassinat de son père.
L’appel du sang a ses raisons qui
échappent à l’entendement. Tardif, mais
opportunément bienvenu, il a permis à
l’ancien orphelin de s’autoproclamer
chef de l’opposition anti-syrienne.
Catapulté «faiseur de Rois» par les
médias occidentaux dont il était devenu
la coqueluche, sa promotion signe par
les reniements qu’elle impliquait, la
deuxième mort de son père.
Kamal Joumblatt, pour les
observateurs avisés de la scène arabe,
aura en effet été assassiné deux fois,
la première fois, physiquement, le 17
mars 1977, la deuxième fois, moralement,
par les virevoltes incessants de son
fils Walid, au point d’y glaner le
qualificatif peu reluisant de «derviche
tourneur» de la politique libanaise,
ridiculisant le glorieux parti fondé par
son père, le Parti Socialiste
Progressiste (PSP), pour en faire le
«parti du saltimbanque permanent», à la
grande désolation des compagnons de
route de son père, qui avait conféré à
sa communauté druze une surface
politique sans rapport avec son
importance numérique (1).
D’une sobriété ascétique, ce Prix
Lénine de la Paix vivait au quotidien
ses convictions, avec pour
interlocuteurs habituels des êtres d’un
grand dépouillement, Nehru et Gandhi
(Inde), Tito (Yougoslavie) et Nasser
(Egypte), des figures de légende du
mouvement des non alignés. Le fils,
Walid, dont la jeunesse tumultueuse a,
par moments, été fascinée par les pas
cadencés des soldats de plomb, sera un
habitué de la bonne chair et de la bonne
chère, des stupéfiantes soirées arrosées
des palaces parisiens, de la dive
bouteille et de la Dolce Vita italienne.
Un des rares chefs d’un parti socialiste
du monde arabe, Walid, aura été le
principal partenaire du milliardaire
libano saoudien Rafic Hariri, le
principal bénéficiaire de sa manne, la
caution affairiste du clientélisme syro
haririen, un visiteur assidu des
dirigeants syriens, leur homme lige au
Liban, au-delà des nécessités de la
realpolitik, au même titre d’ailleurs
que l’ancien premier ministre assassiné.
L’homme qui avait souhaité
publiquement que l’Irak soit le
cimetière de ses envahisseurs
américains, un nouveau Vietnam, se
ravisera brusquement dans ce qui
apparaîtra rétrospectivement comme la
plus grande bévue stratégique de sa
carrière, dont il en pâtira
désastreusement en termes de crédit
moral. Pariant sur le triomphe des
Américains, il se placera d’emblée dans
leur sillage, à la pointe du combat
anti-syrien, réservant quotidiennement
ses philippiques à Damas, son lieu de
pèlerinage hebdomadaire pendant près de
vingt ans.
Rompant avec ses anciens alliés de la
guerre, secondé par des transfuges de la
gauche mutante néo conservatrice,
l’ancien trotskiste mondain Samir
Frangieh et le mollasson communiste
Elias Atallah, il prendra la tête d’une
coalition hétéroclite regroupant ses
plus farouches ennemis d’hier, notamment
Samir Geagea, le chef des milices
chrétiennes, l’ancien compagnon de route
d’Israël et l’un des grands saigneurs de
la guerre intestine libanaise et leur
principal bailleur de fonds, Rafic
Hariri pour constituer le «Club Welch»,
du nom du sous secrétaire d’état
américain David Welch qui téléguidait
leurs activités.
A l’instigation de leur tuteur
américain, le trio avait parié
implicitement sur une défaite du
Hezbollah durant la guerre de
destruction israélienne du Liban, en
juillet 2006. Au-delà de toute décence,
il se lancera, dès la fin des
hostilités, dans le procès de la milice
chiite aux cris «Al-Haqiqa» (la vérité),
plutôt que de rechercher la condamnation
d’Israël pour sa violation des lois de
la guerre et la destruction des
infrastructures libanaises. Enfant chéri
de l’Internationale Socialiste, la
courroie diplomatique sur le plan
international du parti travailliste
israélien, Walid Joumblatt interrompra
brutalement sa lévitation à la suite de
deux revers qui retentiront comme un
camouflet, le faisant douter de la
pertinence de sa démarche.
Le retour sur terre sera douloureux:
la capitulation en rase campagne devant
le Hezbollah lors de l’épreuve de force
que son adjoint mal avisé, Marwane
Hamadé, son âme damné, avait engagée en
Mai 2008 contre l’organisation chiite,
ainsi que la libération par ce même
Hezbollah un mois plus tard du druze pro
palestinien Samir Kantar, le doyen des
prisonniers arabes en Israël. Ces deux
faits résonneront comme une trahison de
ses idéaux antérieurs au point d’en
faire la risée de l’opinion militante du
tiers monde.
5- Le
rétropédalage
Prenant acte de cet état des choses,
il amorcera alors un lent processus de
rétropédalage. A coups de réajustements
successifs et de valses hésitations, il
cherchera à se recentrer, c’est à dire à
se démarquer de ses nouveaux amis, pour
reprendre ses marques auprès de ses
anciens amis, en un mot d’opérer une
nouvelle trahison en douceur.
Sa plus récente saillie constitue,
dans sa formulation tortueuse, ses dits
et ses non dits, un modèle du genre.
Elle se fera, sans surprise, contre ses
plus récents alliés, les chrétiens
maronites et ce nouveau retournement
figurera dans les annales politiques
libanaises comme un cas d’école des
alliances rotatives propres au système
Joumblatt. Elle achèvera néanmoins de
désorienter ses plus fidèles
thuriféraires occidentaux, notamment la
presse française.
Se parant de la qualité de novice
qu’il n’est plus depuis belle lurette,
celui qui passe pour être l’un des plus
coriaces crocodiles du marigot politique
libanais a accusé sans crainte du
ridicule ses nouveaux alliés maronites,
qu’il avait farouchement combattu
pendant vingt ans, d’appartenir à «un
genre vicié» et d’avoir cherché à
l’entraîner dans un conflit avec la
communauté chiite, par allusion à
«l’affaire du réseau des transmissions
autonome» du Hezbollah. Dans la
satisfaction de ses objectifs, l’homme,
il est vrai, ne s’embarrasse guère de
rigueur. L’accusation, lancée au cours
d’un meeting électoral tenu dans son
fief de la montagne druze du Chouf, a
été portée à la connaissance de
l’opinion publique, d’une manière
oblique, par une fuite opportune, dans
une bande vidéo diffusée par une chaîne
satellitaire le 20 avril 2009.
Dans le cas d’espèce, M. Joumblatt
n’hésitera pas à prendre quelques
libertés avec la vérité historique dès
lors que son récit sert la cause de son
rapprochement avec le Hezbollah et
constitue une justification a posteriori
de son retournement. Son humiliante
déroute militaire face à la milice
chiite avait dejà donné le coup de grâce
à sa flamboyance.
6- Rare cas
de sabordage politique en direct pour le
sauvetage de la chefferie familiale
L’Histoire retiendra de sa carrière
mouvementée un parfait exemple de
sabordage politique en direct à
l’annonce, le 2 Août 2009, de sa
répudiation de son alliance avec ses
anciens partenaires de la coalition
occidentale, et son retournement
spectaculaire en faveur de la Syrie,
qu’il s’était juré de faire traduire son
président, Bachar al Assad, en justice
devant une Cour pénale internationale.
S’adressant au congrès général du
parti socialiste progressiste, celui qui
passe pour avoir été pendant cinq ans
l’homme clé de la coalition
anti-syrienne au Liban, a crée la
surprise se livrant à une autocritique
en règle de sa politique antérieure,
confessant que son voyage à Washington
en 2006 précédant de peu la mise sur
pied d’un Tribunal Pénal Spécial sur le
Liban (Tribunal Hariri) avait constitué
un «point noir» de son parcours
politique, de même que sa convergence
avec les néoconservateurs américains,
qui ont «semé le désordre dans la région
et détruit l’Irak et la Palestine».
Réaffirmant son ancrage à gauche, le
chef druze a avoué avoir traversé une
«période d’égarement» se laissant
emporter par des considérations
contraires aux usages du combat
politique mais qu’il lui incombait
d’établir «de nouvelles relations avec
la Syrie qui servent d’axe à sa nouvelle
politique arabe». Il déplorera sa
«participation à la célébration de la
fête du parti phalangiste et accepter
sans broncher la projection d’un film
insultant sur Nasser», le président
égyptien Gamal Abdel Nasser, chef du
nationalisme arabe de la décennie
1950-1960, artisan de la première
nationalisation réussie du tiers monde,
la nationalisation du Canal de Suez.
M. Joumblatt, dont le leadership
repose sur le communautarisme, a indiqué
avoir fait alliance avec les forces de
droite en raison des circonstances qui
avaient prévalu à la suite de
l’assassinat de l’ancien premier
ministre Rafic Hariri, mais que cette
alliance de circonstance n’avait plus sa
raison d’être.
Son nouveau retournement, s’il a
replacé Walid Joumblatt dans le giron
traditionnel de sa dynastie familiale,
le camp progressiste et
anti-impérialiste, pourrait avoir signé
le glas de sa carrière politique, un
acte de sabordage volontaire au bénéfice
de son fils Taymour, pour la pérennité
de sa communauté, les Druzes, sanction
inéluctable d‘un parcours erratique qui
a failli discréditer à jamais le legs
politique dont il est l’héritier, de
même que la communauté dont il est le
chef, sur laquelle pèse déjà la
suspicion récurrente de connivence avec
Israël, en raison de la participation
des druzes dans le corps des gardes
frontières israéliens.
Comptant près d’un million
d’individus, répartis principalement à
l’intersection de quatre pays (Liban,
Syrie, principalement sur le plateau du
Golan occupé par les Israéliens, Israël,
dans la région du Mont Carmel, et
Jordanie), Walid Joumblatt devra faire
appel au mouvement chiite libanais pour
renouer le lien avec les diverses
composantes de sa communauté et
préserver le rôle du Liban en tant que
la référence historique et religieuse
des Druzes.
«Les sunnites ont pour grand
protecteur l’Arabie saoudite, les
chiites, l’Iran, les druzes n’ont le
choix qu’entre Israël ou la mer ou alors
la Syrie, qui nous garantira, elle,
l’arrimage arabe des Druzes», dira-t-il
en guise de justification. Une vérité
d’évidence qu’il a eu pourtant tendance
à négliger au risque de se carboniser et
de caraméliser sa communauté.
Celui qui a longtemps fait figure de
parrain des forces socialistes du Monde
arabe a dû payer un lourd tribut au
rétablissement de sa crédibilité, afin
de s’assurer de l’ancrage durable de sa
succession filiale, se plaçant sous la
tutelle de fait du Hezbollah, son garant
sur son chemin de Damas, signe
indiscutable de la fin d’une
invraisemblable période de lévitation
surréaliste, qui aura coûté la vie à
deux de ses anciens compagnons de route,
Gébrane Tuéni et son collègue transfuge
Samir Kassir.
L’homme dont les jongleries
comblaient d’aise ses thuriféraires
empressés est désormais prévisible.
Définitivement. Brebis égarée dans le
marécage politique libanais, Walid
Joumblatt est revenu au bercail sur le
chemin de Damas, sous les auspices du
Chef du Hezbollah, son garant auprès du
pouvoir syrien.
Preuve irréfutable de son ancrage
irréversible dans son giron naturel, le
conseil que cet ancien artisan de la
révolte anti syrienne au Liban, a donné,
le 24 juillet 2010, à son ancien
compagnon de route, Saad Hariri, de
lever le pied sur le Tribunal Spécial
international sur le Liban, qu’il
considère comme un élément de division
du pays, incitateur d‘une nouvelle
guerre civile. Le chef druze du parti
socialiste progressiste libanais, a cité
en exemple son propre cas, arguant que
l’assassinat de son propre père, Kamal
Joumblatt, en 1977, n’avait pas donné
lieu à la mise sur pied d’une
juridiction pénale internationale.
Conscient sans doute de la lourde
responsabilité dans la mise en route du
Tribunal Spécial sur le Liban, au mépris
de la légalité libanaise, et de
l’orientation de son enquête par ses
propres accusations, Joumblatt avouera
avoir été abusé par la déposition de
faux témoins, en lançant ses accusations
contre la Syrie. Il soutiendra
publiquement que le vote de la
résolution du Conseil de sécurité
N°1559, en 2004, enjoignant à la Syrie
de retirer ses troupes du Liban, a été
une «résolution maléfique en ce qu’elle
sous tendait le désenclavement du Liban
de son environnement arabe».
7- Le tournis
de la tourmente arabe.
L’ancien feu follet de la vie
politique libanaise est désormais «Under
control». En quarante ans de carrière
politique, Walid Joumblatt a
considérablement grossi son capital
financier et dilapidé d’autant son
crédit moral. L’ancien chef de file de
la coalition palestino progressiste de
dimension internationale est désormais
perçu comme un roitelet druze à
l’envergure d’un politicien local,
réduit au rôle peu glorieux du chef
féodal d’une communauté ultra
minoritaire, l’ancien volant régulateur
d’une coalition occidentale à bout de
souffle, recyclé dans un rôle d’appoint
au Hezbollah.
La tourmente arabe a donné le tournis
à la girouette, suscitant une nouvelle
envie incompressible de repositionnement
et non une moins irrépressible envie de
dégagement. Empêtre dans ses
contradictions, l’homme a opté pour la
fuite en avant. Fidèle en lui-même, tel
qu’en lui-même l’éternité ne le changera
pas, le lieu de repli qu’il s’est choisi
a été, non l’île d’Elbe ou Sainte
Hélène, mais l’île Saint Louis, sur les
bords de la Seine à Paris, confirmation
d’un goût irrésistible pour le luxe, la
marque de fabrique de ce chef féodal,
qui se déclare néanmoins socialiste et
progressiste.
Son dernier exercice contorsionniste
sur la chaine de télévision «Al Manar»,
le 14 octobre 2011, une ode aux
monarchies arabes, la Jordanie et le
Maroc, les alliés souterrains d’Israël,
l’Arabie saoudite, le foyer de
l’intégrisme mondial et de la régression
sociale, et non à la Tunisie et à
l’Egypte, les tombeurs de dictature,
aura constitué l’ultime pirouette d’une
vie de girouette, une singulière façon
de tirer sa révérence au regard de
l’Histoire.
L’homme qui dénonçait régulièrement
la patrimonialisation du pouvoir d’état
par les dirigeants arabes feint
d’ignorer qu’il a lui-même reçu en
héritage, à 28 ans, la succession
familiale, le leadership de la
communauté druze, qu’il s’apprête
d’ailleurs à léguer en toute incohérence
à son fils Taymour.
Celui qui fut longtemps l’homme
central du jeu politique libanais est
désormais un homme décentré, dont les
dérives idéologiques et l’opportunisme
indécent en ont fait un personnage
excentrique. En son for intérieur,
l’homme, d’une intelligence certaine, a
dû certainement regretter, à n’en pas
douter, ce parcours curviligne, qui
pèsera lourd dans le jugement que
l’histoire portera sur son bilan.
Maigre consolation à ce gâchis serait
que le sabordage de Walid Joumblatt
serve d’exemple à tous ses compères qui
ont pollué la vie politique libanaise et
sinistré le pays depuis son
indépendance, en 1943. Tel est du moins
le vœu formulé par le Patriarche
maronite Béchara Ar Rai, d’un
renouvellement de l’engagement
politique, en écho au vœu secret des
larges couches de la population
libanaise qui souhaite le dégagement
d’un personnel politique dont il en a
lourdement pâti de ses frasques, au-delà
de toute décence.
Notes
1- La communauté druze compte
aujourd’hui près d’un million
d’individus, répartis principalement
à l’intersection de quatre pays: Le
Liban (350.000), la Syrie (450.000
personnes, principalement sur le
plateau du Golan occupé par les
Israéliens et au Jabal al Arab),
Israël (75.000, dans la région du
Mont Carmel) et la Jordanie
(20.000). Née de la croyance en la
nature divine du Sixième Calife
fatimide, Al Hakim bi Amri-Illah
(996-1021), le Liban constitue la
référence historique et religieuse
de la communauté. Le haut lieu de la
spiritualité druze est situé au sud
du Liban dans la ville de Hasbaya,
dans la région frontalière
syro-libano-israélienne.
Avec en rappel
HARIRI DE PÈRE EN FILS : Hommes
d’affaires et premiers ministres
René Naba
Dix ans après le raid
apocalyptique contre les symboles de
l’hyper puissance américaine, les
principaux vecteurs d’influence
occidentale en terre d’Orient ont
été pulvérisés, du commandant
Massoud Shah à Benazir Bhutto en
passant par Rafic Hariri. Chef du
clan américano-saoudien au Liban,
l’ancien Premier ministre a été un
exécutant majeur de la pantomime du
Moyen-Orient et, à ce titre, victime
majeure du discours disjonctif
occidental. Pur produit de la
financiarisation de la vie politique
nationale, Rafic Hariri aura, à
l’instar d’une bulle financière,
implosé.
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=33521
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
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