Liban: L'Etat
tampon entre confessionnalisme,
désorientation et dissension sociale René
Naba
René Naba
Lundi 4 juin 2012
Propos introductif
de René Naba au colloque sur le Liban
organisé à l’Ecole Militaire de Paris le
25 Mai 2012, amphithéâtre Louis, avec
comme hôte d‘honneur Charbel Nahas,
ancien ministre des télécommunications
et du travail, sur les conditions de
réforme du Liban comme préalable à sa
relance (1).
«Lorsque le peuple
respire, le vent se lève. Lorsqu’il
frappe du pied, la terre tremble».
Paul Nizan Aden Arabie
J’ai accepté avec
empressement et reconnaissance de
prendre la parole à ce colloque pour
deux raisons, à fortes charges
symboliques:
Rendre hommage à un homme d’état,
une espèce en voie de disparition
dans le Monde arabe,
particulièrement au Liban.
Un hommage en ce jour glorieux de
l’histoire nationale libanaise pour
un fait d’armes rarissime, le
dégagement inconditionnel d’Israël
du territoire Libanais, sans
négociation ni traité de paix.
Que les organisateurs de ce colloque
soient donc remerciés pour leur
diligence, notre hôte, l’Ecole
Militaire, pour son obligeante
hospitalité. Que la génération de la
relève, enfin, en mon nom et au nom
des miens, accepte nos excuses pour
l’état dans lequel nous lui laissons
le Liban.
Notre hôte
d’honneur est un capé, Polytechnique,
Ponts et chaussées, Anthropologie, la
voie royale de la méritocratie
républicaine, enfin, dernier et non le
moindre de ses qualités, un honnête
homme, un défaut impardonnable qui lui
vaut l’inimitié d’une classe politique
libanaise veule, vile, volage et vénale.
De tous les titres
auxquels ses diplômes lui donnent droit,
Monsieur, est le titre qui lui convient
le mieux, le plus conforme à son
parcours et à son sens des
responsabilités, celui qui sied le plus
à sa morale de vie et à son exigence de
qualité.
Monsieur, un Sieur,
un Sire, un Grand seigneur.
Et s’il projetait
son regard sur l’auditoire, au-delà vers
le Liban, qu’il sondait âmes et
consciences, il observera que, pour
beaucoup d’entre eux, il est leur
Président de Cœur. Le Président de leur
premier choix, leur président affectif
mais non effectif.
C’est là notre tare
congénitale. Un défaut structurel. La
faille visible. Il y en a d’autres,
invisibles, pernicieuses, qui gangrènent
l’imaginaire libanais et pervertissent
son âme.
Les failles
visibles : Le confessionnalisme
Le
confessionnalisme, c’est-à-dire la
répartition des pouvoirs et des postes
d’autorité au sein de la haute
administration selon un critère
d’appartenance religieuse, constitue une
négation de la démocratie en ce que la
citoyenneté libanaise est conditionnée
et handicapée par la naissance.
Aux Etats-Unis, il
est possible de débarquer esclave, de le
demeurer pendant deux siècles pour finir
par devenir Président des Etats-Unis. Au
Liban pas. Mur de verre invisible et
infranchissable. Sur un point nommé,
dans des domaines précis, la naissance
confère un primat à une communauté au
détriment des autres communautés par le
Fait du Prince, l’arbitraire du pouvoir
colonial.
Elle prédétermine
les membres d’une communauté à des
fonctions indépendamment de leur
compétence. Elle conforte une communauté
dans un sentiment de supériorité ou de
frustration.
Les exemples sont
nombreux des dérives du
confessionnalisme. Le leadership
maronite a ainsi assumé, par une sorte
de Hold up, la direction des combats du
camp chrétien lors de la guerre civile
libanaise (1975-1990), à l’exclusion des
autres composantes de la chrétienté
libanaise, quand bien même elles en
subissaient les conséquences.
Le primat conféré
par la France à la communauté maronite
dans l’exercice des responsabilités
suprêmes au Liban aurait dû se vivre
comme une délégation de pouvoir au
bénéfice de l’ensemble des communautés
chrétiennes du Monde arabe
majoritairement musulman et non comme la
marque d’une supériorité immanente d’une
communauté spécifique au détriment des
autres, en ce que les Maronites
constituaient la plus importante
minorité des minorités chrétiennes du
Liban et non la communauté chrétienne
majoritaire d’un Monde arabe.
Pour n’avoir pas
observé cette règle non écrite de la
prudence politique, elle en paiera le
prix par le déclassement de ses
prérogatives constitutionnelles,
entraînant dans sa relégation les autres
composantes chrétiennes innocentes de
cet emballement.
Au point que la
guerre qui a fait rage au centre-ville
de Beyrouth, (1975-1976) pour le
contrôle des banques et des édifices en
surplomb, utiles pour les francs-tireurs
(Holiday Inn, Tour Murr), a pris
l’allure d’un Potlatch, une
manifestation d’autodestruction
caractéristique des sociétés primitives.
Une société de l’ostentation et de la
bravade avec des slogans aussi creux que
démagogiques: «Ammar Naha min dammerha.
Nous avons construit Beyrouth et nous
allons la détruire».
De nos jours, le
plus récent slogan «Istayqaza al Mared
As Sunni», le géant sunnite s’est
réveillé», proféré en plein printemps
arabe en 2011, obéit à cette fonction.
Une tartarinade qui
a couvert de dérision son auteur, le
responsable de la mobilisation du parti
du Futur, et plongé dans la
consternation ses alliés maronites dans
la mesure où celui qui se présentait à
l’époque comme le chef politique du clan
sunnite du Liban, Saad Hariri, avait
déserté le champ de bataille à deux
reprises, en 2006, lors de la guerre de
destruction israélienne du Liban, et en
2011-2012, lors des soulèvements arabes,
invoquant des raisons de sécurité,
glanant au passage le sobriquet de
«planqué de Beyrouth» alors que son
rival chiite, Hassan Nasrallah,
pourchassé par la totalité des services
de renseignements du Monde arabe et de
l’alliance atlantique, bravait sur place
ses ennemis.
Une enflure en ce
que toutes les monarchies sunnites du
Monde arabe sont sous lourde tutelle
américaine, matérialisée par la présence
de bases militaires sur l’ensemble des
pétromonarchies du Golfe.
Et que,
parallèlement, l’Arabie saoudite, chef
spirituel du sunnisme et auteur de deux
plans de paix du conflit israélo-arabe,
n’a jamais pu freiner la colonisation de
la Palestine, en dépit de toutes les
prosternations du meilleur allié des
Etats Unis dans le Monde arabe.
A ce titre, le
confessionnalisme est un poison mortel,
à l’instar d’un étang fermé dont l’eau
stagnante asphyxie ses poissons de mort
lente, faute de régénération, faute
d’oxygénation. Dans le cas de la société
libanaise, faute de mobilité sociale,
faute de prime au mérite.
Le
confessionnalisme devait faire office
d’instance de sécurisation des diverses
composantes de la mosaïque libanaise en
vue de son dépassement symbiotique. Il
constituera la force d’inertie majeure à
la modernisation de l’administration
libanaise, le meilleur tremplin à la
prédation de l’Etat libanais par la
féodalité clanique.
2ème faille
visible: Sa fonction d’état tampon.
Le Liban est un
état tampon, dont la fonction,
précisément, est de servir de tampon.
C’est-à-dire, un lieu d’évacuation et de
dérivation des conflits de puissance sur
un plan régional.
Plutôt que de tirer
profit de la position géographique du
Liban pour en faire un positionnement
géostratégique, les Libanais –facilité ?
fatalité ?- l’ont vécu comme une rente
de situation.
Plutôt que de
renforcer les services d’espionnage et
de contre-espionnage afin d’‘immuniser
leur pays contre les opérations de
déstabilisation dont il sera
immanquablement la cible, les Libanais
ont intégré la logique de vassalité,
érigeant l’espionnage pour le compte des
puissances étrangères en un instrument
de promotion sociale. L’espion libanais
sera ainsi l’objet de bien d’égards,
jamais traité comme un facteur de
nocivité pour la souveraineté et
l’indépendance du Liban.
A cet égard, le bar
de l’hôtel Saint Georges constituait du
temps de sa splendeur le nec plus ultra
de l’espionnage mondial, un motif de
fierté pour la vanité libanaise et non
un motif de consternation. Lieu
d’implosion de Rafic Hariri, son plus
célèbre pensionnaire n’était autre que
Kim Philby, le célèbre double espion
anglo-russe du groupe d’Oxford «Burgess
Mac Lean», exfiltré d’ailleurs au nez et
à la barbe de l’Intelligence service
depuis la marina de l’hôtel par un
sous-marin russe.
En 1943 à
l’indépendance, le Liban se trouvait à
l’avant-garde de la modernisation du
Monde arabe. Il comptait 180
publications alors que l’analphabétisme
était le lot d’une large fraction de
l’ensemble arabe. Il bénéficiait d’une
prime à la compétence. Soixante- dix ans
après, ce qui faisait la force du
libanais, «l’avantage comparatif» par
rapport aux citoyens des autres états
arabes, s’est dissipé, dans beaucoup de
domaine, du fait du contorsionnement
mercantile des opérateurs.
Plutôt que de doter
leur pays des attributs de la puissance
pour préserver son avantage
géostratégique de passerelle entre
Orient et Occident, les libanais ont
intégré et reproduit à l’extrême le rôle
qui leur était dévolu par leurs divers
tuteurs. Vivant leur état en rente de
situation, oubliant que leur pays a été
créé afin de répondre à la fonction de
point d’intermédiation culturelle entre
Islam et Chrétienté à une époque où la
Méditerranée (la mer médiane)
constituait le flux majeur des échanges
entre l’Europe, premier continent au XX
me siècle et son marché captif, le flanc
sud de l’Europe, le Monde
arabo-africain.
A l’heure de la
mondialisation et de la financiarisation
de la vie publique internationale, du
déclassement de l’Europe au profit des
Etats-Unis, le rôle du Liban a été
dévalué au profit d’Israël, qui assume
désormais pour le compte du monde
atlantiste le rôle prescripteur de la
scène internationale par solidarité
expiatoire du génocide hitlérien.
Les failles
invisibles : La Dissension sociale
Le Liban a été le
banc d’essai de la théorie de la
dissension sociale connue sur le plan
journalistique par la «théorie du combat
des chiens», mise en œuvre par
l’universitaire américain Peter
Galbraith, fils de l’économiste
américain John Kenneth Galbraith et
interface de l’ancien premier ministre
pakistanais Benazir Bhutto pour le
compte de la CIA.
La théorie vise à
exacerber les antagonismes
ethnico-religieux en vue d’imploser les
pays constitués d’un tissu démographique
pluraliste de mosaïque humaine. Ce plan
a été ultérieurement appliqué en Bosnie,
puis en Afghanistan enfin Irak.
Véritable
expérimentation à grande échelle en 1975
au Liban, elle a longtemps été présentée
par des Libanais en guise d’excuse
absolutoire à leur turpitude comme étant
«la guerre des autres» au Liban. Si tel
a été le cas, elle l’aura été avec la
complicité et l’avidité des Libanais.
Il n’est pire
aveugle que celui qui ne voir. Pire
sourd que celui qui ne veut entendre. Le
décor était bien planté.
Point n’était
besoin d‘être stratège pour déduire que
la chute de Saigon et de Phnom Penh, les
15 avril et 30 avril 1975, les deux
bastions américains en Asie, coïncidant
avec la révolution des œillets au
Portugal et l’indépendance des colonies
portugaises en Afrique déviaient
immanquablement le champ de la
confrontation soviéto-américain vers le
Moyen Orient, particulièrement son
maillon faible, Le Liban.
Il n’est d’ailleurs
pas indifférent de noter à ce propos que
la Ligue anti-communiste mondiale,
nullement un effet du hasard, ait tenu,
cette année-là, à Beyrouth son forum
annuel, doublé d’une exposition de
matériel répressif anti émeutes. Plus
exactement en février-mars 1975, soit un
mois avant le déclenchement des
hostilités.
Si le mitraillage
d’un car palestinien dans la banlieue de
Beyrouth, le 13 avril 1975, en a été le
prétexte, l’assassinat trois semaines
plus tôt du Roi Faysal d’Arabie, le 25
Mars 1975, avait levé le principal
garde-fou arabe aux turbulences
régionales, le principal obstacle à la
normalisation égypto-israélienne.
L’assassinat de celui qui avait fait le
vœu d’aller prier à la Mosquée d’Al Aqsa
libérée de l’occupaiton israélienne
avant sa mort a déblayé la voie au
déchainement des violences, qui
transformeront le Liban en polygone de
tir permanent de l’après Vietnam. Dans
l’allégresse, les Libanais s’y sont
appliqués à le maintenir en cet état
pendant quinze ans.
La
désinformation et la désorientation.
2me faille
invisible: La surcharge d’information
aboutit à la désinformation. Dès la
décennie 1970, le Liban assurait
l’édition et la distribution de près de
trois mille publications toutes
périodicités confondues, alors que
cinquante stations radio opéraient dès
le début de la guerre civile sur le
champ de bataille médiatique libanais,
tandis que, parallèlement, le reste du
monde arabe était engourdi par le
journalisme institutionnel des
fonctionnaires poussifs d’organismes
bureaucratiques.
La désorientation
est propice aux rumeurs, à
l’intoxication, et, faute d’éducation
civique, à une perte de repères. L’une
des rumeurs les plus célèbres de la
guerre du Liban a été celle relative au
débarquement de «Somaliens aux queues
vertes» en renfort de la coalition
palestino-progressiste. Rumeur qui a
témoigné du désarroi des Chrétiens à
l’époque, le printemps 1976, à la suite
de la perte de leur place forte dans le
secteur hôtelier de Beyrouth et de la
volonté de leur tuteur de maintenir la
mobilisation face au danger extérieur.
Le média au Liban
n’est nullement un instrument de combat
pour la démocratisation de la vie
publique et sa moralisation, mais un
générateur de recettes, un instrument de
combat dévoyé pour la cause d’autrui. Il
n’est que de songer au parcours d’Al
Watan al Arabi, le chantre de l’Irak
bassiste durant la guerre irako
iranienne, hyper royaliste dès le début
de la tempête du désert, en 1990 contre
l’Irak, son propriétaire glanant au
passage pour prix de son revirement la
coquette somme de cinq millions de
dollars agrémentés de d‘avantages
matériels annexes, sonnantes,
trébuchantes et consistantes.
Songer aux
alliances rotatives du groupe An Nahar
avec le milliardaire Michel el Murr, un
des principaux bailleurs de fonds des
milices chrétiennes, puis avec le
général Michel Aoun, le dirigeant de la
plus importante formation chrétienne
qu’il désertera pour se donner, après
une brève idylle pour cause
d’impécuniosité au milliardaire libano
saoudien Rafic Hariri, avant de se jeter
dans le giron du Prince Walid Ben Talal,
un deuxième milliardaire libano
saoudien, son actuel actionnaire,
Les dommages
collatéraux de la désorientation
Les poncifs ou les
justificatifs idéologiques à la logique
de vassalité.
1 –La Baie de
Jounieh est la plus belle du Monde.
Outre le fait que la baie est désormais
obturée par les bétonneurs cupides, le
chauvinisme compense ainsi une crasse
ignorance des réalités du Monde et la
méconnaissance du chapelet des belles
baies qui enchantent les regards des
amoureux de la nature: baie de Naples,
baie de Cannes, Porto Fino et surtout
Porto Venere, en Italie.
2-Le Liban est la
Suisse d’Orient….. Un slogan destiné à
occulter le fait qu’il est tout autant
également la passoire du Moyen Orient.
3-La force du Liban
réside dans sa faiblesse. Une sentence
qui retentit rétrospectivement comme la
plus grosse escroquerie intellectuelle
du Liban post indépendant. En vertu de
quelle alchimie un faible devient fort
en se désarmant, sauf à modifier les
rapports de force et de tirer argument
de sa faiblesse pour imaginer une
riposte oblique. La bourgeoisie
compradore libanaise s’est opposée à
l’institution du service militaire
obligatoire, voire à un simple service
civique, creuset de la conscience
nationale, pour des raisons d’économie
budgétaire. Un simplisme criminel en ce
que l’absence d’une matrice formatrice
de la conscience nationale a générée
deux guerres civiles libanaises (1958,
1975-1990).
4-La violence
étrangère aux mœurs libanaises. Quinze
ans de guerre intestine n‘ont pas eu
raison de ce moto. Les témoignages de
l‘époque en font foi. Par une
mystérieuse alchimie, les cessez le feu
durant les 18 premiers mois de la guerre
du Liban intervenaient, curieusement, le
26 me jour de chaque mois afin de
permettre à la Banque Centrale du Liban
d’injecter des liquidités aux
administrations publiques en vue de
rétribuer leurs fonctionnaires, dont la
plupart assuraient leur permanence sur
les barricades des divers lignes de
front de la capitale et ailleurs,
faisant le coup de feu contre des
adversaires réels ou imaginaires.
Le Liban a été
ainsi le principal bailleur de fonds de
sa guerre d’autodestruction, qu’il a
financée en superposition aux transferts
mercenaires de ses parrains régionaux.
Revendiquant le triste privilège d’être
passée à l’histoire comme la première
guerre civile urbaine de l’époque
contemporaine, une préfiguration des
guerres d’épuration ethnique, une guerre
statique par transfert en ville de
l’artillerie de campagne est à ce titre
enseignée dans les académies militaires.
Triste privilège.
Avec pour chaque
camp son artilleur vedette: Le colonel
Antoine Barakat (originaire du Nord du
Liban), pour le camp chrétien sous
l’autorité du président Soleimane
Frangieh, qui pilonnait Beyrouth depuis
la colline de Baabda, le lieutenant
Ahmad al Khatib, chef de «l‘armée du
Liban arabe», pour le camp palestino
progressiste libanais, depuis la plaine
de Khaldé en direction du réduit
Chrétien de l’agglomération de Beyrouth.
L’artilleur en chef du camp progressiste
pointe désormais pour sa pitance auprès
de Saad Hariri, chef du clan saoudo
américain au Liban. Par alignement
confessionnel.
5- Autre leitmotiv
trompeur: Les Palestiniens, la source
des problèmes du Liban. Vraiment? Et non
la création d’Israël qui a rompu la
continuité stratégique entre les deux
versants du Monde arabe (la rive
asiatique et la rive africaine)? Et non
La politique hégémonique occidentale qui
se préoccupe peu de la souveraineté du
Liban, mais exclusivement de la sécurité
d’Israël. Qui conditionne le système
défensif libanais au maintien de la
supériorité absolue israélienne sur
l’espace national arabe?
Conclusion
Le Liban est un
vaste tout à l’égout de la banalisation.
Au propre comme au figuré un dépotoir
des déchets toxiques. Tout y passe,
trépasse, sans traces. Sans traces autre
que des stigmates. Le nombre d’officiers
supérieurs de l’armée et de la
gendarmerie libanaise, toutes
confessions confondues, impliqué par un
réseau de renseignements pro israélien,
démasqué à l’occasion du scandale du
réseau de Télécommunications gangrénés
par les taupes israéliennes (été 2010),
en témoigne.
Singulière
conception de l’honneur que ces
officiers formés, nourris, blanchis par
le budget de la nation, c’est à dire le
contribuable, qui plutôt que de se
préoccuper de la défense de la nation,
se sont souciés en priorité de
ponctionner le domaine public national
en le fragilisant au bénéfice de
l’ennemi majeur du Liban.
Qu’un descendant
d’un des pères de l’indépendance
libanaise, de surcroît ancien officier
supérieur en charge du
contre-espionnage, se révèle un espion à
la solde de l’ennemi, démontre
l’aliénation mentale des élites. Que ce
même officier, convaincu du crime
d’espionnage soit remis en liberté sans
faire l’objet d’un châtiment exemplaire
au double titre de sa filiation et de
ses fonctions, révèle l’état de
désagrégation civique du pays.
Il suffit pour s’en
convaincre de comparaitre son cas avec
celui de Jonathan Pollard, l officier de
marine de nationalité américaine, de
confession juive, accusé d’avoir
transmis à Israël des informations
sensibles. Convaincu d’intelligence avec
l’ennemi, Pollard a été condamné à une
peine à perpétuité en 1985 et croupi
depuis lors en prison malgré le haut
degré du partenariat entre Israël et les
Etats-Unis, malgré les requêtes
répétitives des Israéliens.
Qu’un journaliste,
ancien compagnon de route du parti
communiste, syro palestinien de
naissance, se mue en relai médiatique du
chef du clan saoudo américain, opérant
par là même un invraisemblable transfert
amoureux, épousant pour ce faire la
journaliste vedette des fossoyeurs de
son propre camp, donne la mesure la
déliquescence morale de l’élite de la
nation.
Que de surcroît un
journaliste entretienne des rapports
d’affaires avec un chef de la Mafia,
sans susciter la moindre protestation,
et se trouve néanmoins propulsé en
symbole du «Martyr de la presse», en
dépit de cette grave entorse à la
déontologie de sa profession et des
alliances rotatives qu’il a nouées tout
au long de sa carrière, donne la mesure
du naufrage du pays.
La banalisation est
un classique de l’étouffoir politique.
La démission spectaculaire de Charbel
Nahas, plutôt que de servir
d’électrochoc à une prise de conscience
salutaire, par la démonstration du
courage de ses convictions, a été
traitée par la dérision. Ses détracteurs
avancent comme arguement que le Liban
était un exportateur de matière grise et
que les diplômés de Paris encombrent les
poubelles de Beyrouth.
Le cas Charbel
Nahas n’est pas unique.
Hamahou Llah en est
un autre, qui a fait du Liban le curseur
diplomatique régional, en brisant la
fable de «la force du Liban réside dans
sa faiblesse» pour le concevoir en de
termes nouveaux par une réplique
balistique asymétrique victorieuse.
En initiant un
conflit mobile dans un espace fermé,
Hamahou a opéré une novation
stratégique, une contribution militaire
majeure à l’histoire peu glorieuse du
monde arabe contemporain qui compte à
son actif trois faits glorieux, (guerre
de libération du sud Yémen du
protectorat britannique, guerre de
libération de l’Algérie et la
destruction de la ligne Bar Lev sur le
Canal de Suez) en sus des deux faits
d’armes libanais.
Curieusement, cette
victoire a été saluée par les cris «Al
Haqiqa» (la vérité) d’une veuve de
président assassiné, Oum Yaarob, plus
préoccupée de connaitre l’identité des
assassins d’un premier ministre sans le
moindre lien de parenté avec elle, que
l’identité des meurtriers de son propre
mari.
Le libanais survit
par amnésie. Sa lutte ne s’inscrit pas
dans la continuité de la mémoire
historique de son combat national. Cela
vaut également pour les Arabes, ignorant
le rpécpete de Socrate selon lequel «une
âme sans mémoire est condamnée à
répétition».
N’en déplaise aux
esprits chagrins, la neutralisation
d’une vedette israélienne, l’été 2006,
par l‘artillerie du Hezbollah, a
constitué l’unique exploit naval arabe
depuis la bataille de Sawari en 655
après JC, qui marque la victoire de la
flotte égyptienne contre les Byzantins.
Sawari suggère désormais dans le langage
courant un contrat d’armement avec
rétro-commissions entre l’Arabie
saoudite et la France…. A l’image des
Arabes dans les stéréotypes occidentaux.
Hassan Nasrallah
l’antithèse d’Oussama Ben Laden
Quoiqu’on dise,
quoiqu’on fasse, il n’en demeure pas
mpoins que Sayyed Hassan Nasrallah se
présente comme l’antithèse d’Oussama Ben
Laden. Dignitaire religieux d’extraction
modeste et chef de guerre impérieux,
face à un millionnaire téléguidé par de
parrains hégémoniques, l’Arabie saoudite
et les Etats-Unis, un véritable dindon
de la farce reconverti dans le
terrorisme erratique.
Au nom de la guerre
contre l’athéisme, à l’aide de cinquante
mille (50.000) Arabes afghans et un
budget de vingt milliards de dollars, le
sunnite aura contribué à imploser le
principal fournisseur d’armes aux pays
arabes du champ de bataille, l’Union
soviétique, tandis que le chiite (deux
mille combattants, huit cents tués), au
nom de la sécurisation de l’espace
national arabe, développant une
stratégie de dissuasion, contraignait à
la défensive «au-delà de Haifa»
l’usurpateur de la Palestine et
l’instrument de domination occidentale
sur l’ensemble de la sphère arabe.
La réactivation de
l’antagonisme chiite sunnite constitue à
cet égard une opération de diversion
médiatique visant à occulter les
responsabilités du wahhabisme dans la
régression arabe et à détourner les
Arabes de leur principal champ de
bataille, la Palestine, opération
analogue dans ses fonctions stratégiques
à la guerre anti soviétique
d’Afghanistan menée par le djihadisme
erratique wahhabite.
Dernier et non le
moindre des points de réflexion qu’il
importe, au terme de cet exposé, de
purger est la question centrale qui
agite le microcosme libanais. A savoir
si le peuple palestinien est vraiment le
peuple de trop au Moyen orient comme l’a
suggéré un chef de guerre du Liban? Ou
la principale victime de la
délocalisation de l’antisémitisme
récurrent de la société européenne en
terre arabe?
De la réponse à
cette question dépendra largement le
réarmement moral du Liban, en gardant à
l’arrière-plan de la mémoire la crainte
que les Libanais, particulièrement les
chrétiens arabes, ne soient perçus un
jour, comme le peuple de trop du
Moyen-Orient.
Une hypothèse qui
n’a d’ailleurs même pas effleuré
l’artisan de ce constat, un homme à la
pensée sommaire et aux méthodes
expéditives, alors que la France,
«protectrice des chrétiens d’Orient et
la tendre mère des Libanais», selon un
pensum éculé, a déjà brisé un tabou en
aménageant la mise en quarantaine de
l’unique président chrétien du Monde
arabo-musulman, Emile Lahoud, sans doute
au titre d’une rétribution anticipée de
l’hôte posthume Jacques Chirac à son ami
assassiné Rafic Hariri, du fait de la
politique erratique du Français.
Le Liban est
redevable de son essor à la Palestine,
le port de Beyrouth à la fermeture du
port de Haifa au trafic vers
l’hinterland arabe, et l’économie
libanaise à la main d’œuvre précaire et
bon marché, sans charges sociales, des
réfugiés palestiniens, lointains
précurseurs des travailleurs syriens et
des ouvriers agricoles saisonniers
égyptiens.
Rétrospectivement,
le massacre des Palestiniens à Sabra et
Chatila, en représailles à l’assassinat
d’un chef de guerre vassal d’Israël,
l’ennemi officiel du Monde arabe, loin
de régler le problème par leur
éradication physique, en a amplifié le
martyr.
La victime d’une
injustice ne s’assassine pas. Malsain de
surajouter une injustice à une injustice
originelle. Courage des lâches, tache
indélébile d’un châtiment qui rejaillit
sur son bourreau en malédiction
éternelle. L’œil est dans la tombe et
fixe Bachir.
Son successeur à la
tête des milices chrétiennes libanaises,
le fossoyeur du leadership chrétien a
été promu grand défenseur de la
démocratie pour les besoins de la
stratégie occidentale, en guise de
caution à son alliance avec l’Islam
pétrolier, atlantiste et wahhabite. Il
n’empêche l’œil sera dans la tombe et
fixera Samir.
Autre baliverne: La
Syrie a été le prédateur du Liban.
Certes, mais avec la complicité
agissante des parangons de la démocratie
libanaise, le tandem Rafic Hariri et
Walid Joumblatt les plus virulents
procureurs du pouvoir baasiste.
Le salut proviendra
de la radicalité, qui n’est pas synonyme
d’extrémisme. Le radical n’est pas un
extrémiste. C’est quelqu’un prend les
problèmes à la racine et qui leur trouve
des solutions de fond. Radicales. Le
salut proviendra de la radicalité …..Et
de la reconquête de notre mémoire
nationale, qui passe par la lutte contre
l’amnésie et l’amnistie de nos propres
turpitudes.
Encore un mot:
Chiites versus sunnites, Culture de la
mort versus Culture de la vie. Ne vous
laissez pas abuser par ces slogans en
trompe l’œil, une opération de
manipulation qui relève de l’enfumage
médiatique car tout simplement le plus
répressif et le plus régressif n’est pas
celui que l’on croit. De toures les
composantes de la société libanaise, la
communauté chiite aura, la plus méprisée
dans les premiers temps de
l’indépendance, été celle qui aura opéré
le plus grand bond qualitatif en terme
de crédibilité et d’audience depuis la
fin de la guerre civile libanaise et
ceci pourrait expliquer cela, alors que
les Maronites sont divisés et les
sunnites dévalué par leur placement sous
l’autorité d’un chef furtif et fugitif.
Un bobard
d’intellectuels en somme. Un truc à la
BHL, Bernard Henry Lévy, le chef de file
de la stratégie médiatique israélo
américaine sur le théâtre européen et
chantre de cette dichotomie.
La vraie
démarcation est celle qui distingue les
reptiles et les vertébrés. Tout le reste
n’est que pipeau tant il est vrai que
«Les lignes de fuite sont les plus
belles, mais elles comportent le plus
grand danger, celui de tourner en ligne
de mort» (Gilles Deleuze).
Références:
1 – L’intervention
de M. Charbel Nahas, ancien ministre
libanais des télécommunications
(2009-2011) et du travail (2011-2012), a
porté sur le thème suivant: «La réforme
du système économique libanais est-elle
possible ou impossible?»
Le colloque en webcam:
http://www.ustream.tv/recorded/22842780
Le colloque sur youtube :
Le colloque a été organisé à
l’initiative de l’Association
Panthéon-Finance-association des anciens
du Magistère Banque Finance de
l’Université Paris II, présidée par M.
Stanislas Bernard (Président de Twenty
First Finance) et un groupe
d‘universitaires libanais de Paris
constitué des membres suivants: Mohammad
Charaf (Paris X Nanterre-Doctorant en
Droit, Avocat), Antoine Saab (Ecole
Centrale, Ingénieur-Chef de Projets
ergonomie médico-hospitalier), Rana
Charara, parachutisme ascensionnel
(Ecole Normale Supérieure, Docteure en
Géophysique de la Terre), Amer el Debek
(Doctorant Sciences Politiques Paris) et
Malek Abou Hamdan (Panthéon Assas –
Doctorant en Finance, Vice-président de
l’Association).
Pour aller plus loin cf. Lynne
Franjié: «La traduction comme moyen de
communication orientée pendant la guerre
du Liban de 2006, exemple d’illustration
«Le Courrier International».
Maître de conférences à l’université
Stendhal-Grenoble 3, Lynne Franjié est
spécialiste d’analyse du discours
politique et des médias multilingue,
vice-présidente de l’ONG Médiateurs
internationaux multilingues (MIM).
Vice-présidente du Conseil des études
et de la vie universitaire (CEVU),
Ancienne Directrice du Département
d’études orientales (arabe, chinois,
japonais), spécialiste de veille médias,
elle est en outre auteure de plusieurs
livres sur la langue et la culture
arabes, dont Atlas des pays arabes
(Autrement-2012).
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