Opinion
Mali : Le
tonitruant silence du «planqué de Dakar»
René
Naba
René Naba
Samedi 1er
septembre 2012
«Dès que
quelqu’un comprend qu’il est contraire à
sa dignité d’homme d’obéir à des lois
injustes, aucune tyrannie ne peut
l’asservir». Gandhi
Un an après la
chute de Kadhafi, la zone sahélienne
prend l’allure d’une zone de non droit
de 4 millions de km2, fief de
groupements salafistes, qui auront mis à
profit les chaos libyen et malien pour
sanctuariser durablement leurs bases
dans le Nord du Mali.
La talibanisation de la Libye sur le
modèle Afghan tant redoutée lors de
l’intervention atlantiste contre Tripoli
s’est ainsi réalisée, en fait, dans le
pays voisin, au Mali, un an plus tard.
Vers la
talibanisation du Nord Mali.
Au point que
l’Algérie a invité le Conseil de
Sécurité à mettre en œuvre une
intervention internationale, le Maroc a
réclamé une «internationalisation de la
crise malienne» et que Français et
Américains envisagent une intervention
conjointe sous couvert de leur pupille
africain, la CEDEAO, dans la foulée du
saccage des lieux saints de Tombouctou,
en juin 2012, qualifiée par le président
de la Cour Pénale Internationale de
«crime contre l’Humanité».
Ferme soutien de la
Libye tout comme la plupart des pays
africains, au nom du principe de
non-ingérence, le Mali apparaît comme la
victime collatérale d’un jeu de billards
à trois bandes entre le Qatar, le libyen
Mouammar Kadhafi et le français Nicolas
Sarkozy, à l’arrière-plan de
l’intervention de l’OTAN contre ce pays
africain, au printemps 2011, sous
couvert d’ingérence humanitaire.
La chute de Tripoli
aux mains des islamistes pro-Qatar, en
projetant dans l’espace malien les
soldats perdus de l’ancienne
populocratie (Jamahiryah), a accentué la
déstabilisation du Mali,
considérablement fragilisé auparavant
par trente ans d’une gestion calamiteuse
doublée d’une forme d’abdication de la
souveraineté nationale, dont le fait le
plus pervers aura été la cession à la
Libye de terres arables pour une durée
de cent ans, la forme insidieuse d’un
néocolonialisme économique.
Recrutés pour sécuriser le sud de la
Jamahiriya et soutenir la croissance
économique libyenne, en véritables
soldats laboureurs dans l’optique de
Kadhafi, le reflux massif des Touaregs
vers leur ancienne zone de déploiement
au Mali et au Niger, a provoqué une
modification de la donne régionale.
Anciens vigiles de l’empire islamique,
dont ils constituaient avant terme les
forces de déploiement rapide, les
Touaregs, littéralement en arabe, «Al-
Tawareq-Les urgences» caressent le
projet de détacher du Mali, le
territoire de l’Azawad, dans le nord du
pays.
Géographiquement, à des milliers de
kilomètres de la capitale malienne,
Bamako, en concurrence avec Al-Qaeda au
Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement
national de libération de l’Azawad
(MNLA) a développé à Ménaka, Gao et
Tombouctou, une action en vue de
réunifier, sous son égide, l’ensemble
des populations azawadies dans toutes
leur composantes: Songhay, Touareg,
Arabes, Peuhls, afin de réussir l’Unité
du Peuple de l’Azawad.
Jouant de l’effet de surprise, visant
tout à la fois à crédibiliser leurs
revendications et à impressionner la
population, «Ansar Eddine» (Les
partisans de la religion) supplanteront
au poteau les combattants de l’Azawad,
infligeant une série de revers
militaires aux troupes gouvernementales,
fragilisant considérablement le pouvoir
central, en révélant au grand jour son
impéritie.
En deux mois de combats, l’armée
malienne a perdu le contrôle de la plus
grande partie de l’Azawad, avec des
pertes de militaires tués, capturés ou
déserteurs estimées à un millier
d’hommes environ. Les deux tiers du
territoire malien échappent ainsi depuis
mars 2012 à l’autorité du pouvoir
central.
Le Qatar avec en
point de mire l’Algérie
Anticipant la perte
de ses deux alliés régionaux, le clan
Sarkozy en France et la dynastie Wade au
Sénégal, alors que sa bataille de Syrie
marquait le pas avec le revers de Bab
Amro, en février 2012, le Qatar a
entrepris de financer la guérilla dans
le Nord du Mali afin de disposer d’un
levier d’influence dans une zone
stratégique pour son protecteur
américain, aux confins des gisements
d’uranium du Niger et de la zone
pétrolifère de l’Algérie.
Premier de toute la presse à désigner du
doigt le Qatar, le journal Malien
«l’Indépendant» a annoncé le 6 avril
2012, au lendemain de l’enlèvement du
consul d’Algérie par «le Mouvement pour
l’unicité et le jihad en Afrique de
l’Ouest», une livraison d’armes du Qatar
par avion-cargo à l’aéroport de Gao, à
destination des rebelles. Un comité
d’accueil avait même été formé autour de
l’appareil sous la conduite d’Iyad Ag
Ghaly, le chef du mouvement islamiste
salafiste Ansar Eddine, nouveau maître
de Tombouctou et de Kidal en coopération
avec l’AQMI. L’ancien consul du Mali à
Djeddah (Arabie Saoudite), avait profité
de son statut de diplomate pour nouer
des relations avec des organisations
islamiques de la région.
Une deuxième
opération cargo a eu lieu après la prise
de Tessalit le 10 mars 2012, déversant
une importante quantité d’armes
sophistiquées, des munitions et des 4×4
pour le compte des assaillants,
probablement lorsque Ansar Eddine a
évincé le MNLA de la région.
Le «Canard
Enchaîné» a enfoncé le clou, le 6 juin
2012, précisant que le Qatar a livré une
aide financière aux mouvements armés qui
ont pris le contrôle du Nord du Mali,
notamment le groupe Mujao qui retient en
otage sept diplomates algériens depuis
le 5 avril 2012. Trois d’entre eux ont
été, depuis lors, libérés.
Dans cet article intitulé «Notre ami du
Qatar finance les islamistes du Mali»,
l’hebdomadaire satirique soutient que la
Direction du renseignement militaire
(DRM), qui relève du chef d’état-major
des armées françaises, a recueilli des
renseignements selon lesquels «les
insurgés du MNLA (indépendantistes et
laïcs), les mouvements Ansar Dine, Aqmi
(Al Qaïda au Maghreb islamique) et Mujao
(djihad en Afrique de l’Ouest) ont reçu
une aide en dollars du Qatar».
Un an après la
chute de Kadhafi, la zone sahélienne a
ainsi pris l’allure d’une zone de non
droit de 4 millions de km2, un
périmètre, sous surveillance
électronique de l’aviation américaine,
vers où convergent désormais les
islamistes du Sud du Niger, du Tchad et
du Nigeria (Boko Haram), plaçant
l’Algérie face à un redoutable dilemme
d’accepter le développement de
l’insurrection islamiste à sa frontière
sud, ou de tolérer une intervention
militaire de la Communauté économique
des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO),
sous forte tutelle des Etats-Unis et la
France.
On prête aux pays
occidentaux l’intention d’obtenir de la
future République Azawad ce qu’ils n’ont
pu obtenir du Mali, à savoir la base de
Tessalit hautement stratégique au plan
économique et militaire, ainsi que de la
fermeté dans la lutte contre
l’émigration «clandestine».
Une manœuvre destinée, en complément, à
prendre de revers l’Algérie, l’alliée de
la Russie, le protecteur de la Syrie, de
surcroît, le dernier état séculier arabe
à avoir échappé aux manœuvres de
déstabilisation des pétromonarchies du
Golfe que le Qatar avait menacé de
représailles pour s’être opposé à
l’exclusion du régime alaouite de la
Ligue arabe.
L’Algérie s’est
opposée à l’intervention de l’Otan en
Libye pour dégager Kadhafi et à la
déstabilisation de la Syrie. Elle est
hostile à un débarquement de troupes
étrangères sur le sol malien. Un
engagement militaire de sa part est
d’autant plus aléatoire que sept
diplomates algériens sont détenus depuis
le 5 avril 2012 par le Mujao qui
réclamerait quinze millions d’euros
contre leur libération. ((Trois d’entre
eux ont été libérés le 13 juillet
2012)).
L’Algérie, qui
partage plus de 1 300 km de frontières
avec le Mali, conditionnerait son
éventuelle intervention à l’acquisition
de drones américains de surveillance,
mais se heurte sur ce point au refus des
Américains de céder ce matériel
sophistiqué à un pays proche de la
Russie et de la Syrie.
Selon le Washington Post, en date du 14
juin 2912, un programme de surveillance
et d’intelligence dénommé Sand Creek,
opère à partir d’une petite base
aérienne installée sur le côté militaire
de l’aéroport international
d’Ouagadougou (Burkina Fasso). Une
vingtaine de ces petits avions espions
survolent déjà le Mali, la Mauritanie,
le Niger et le Tchad.
La démarche
occidentale est toutefois frappée
d’incohérence en ce que la France et les
Etats-Unis pressent l’Algérie d’agir
sans jamais songer à envisager des
sanctions contre le grand perturbateur
de la zone, le Qatar, le bailleur de
fonds d’Ansar Eddine, l’un des meilleurs
alliés du bloc atlantiste.
Demander à l’Algérie de faire «le sale
boulot» sans lui en donner les moyens,
au prétexte de son alliance avec la
Russie et la Syrie, sans songer à brider
le Qatar, sans exiger des comptes du
Qatar pour le gâchis architectural
provoqué par leur poulain, relèverait
sinon de la chimère en tout cas de la
désinvolture, certainement du plus grand
mépris pour les peuples du quart-monde.
Mettre sur pied un
tribunal ad hoc pour juger les assassins
de l’ancien premier ministre sunnite
libanais Rafic Hariri, en y consacrant
plusieurs centaines de millions de
dollars, et laisser vaquer en toute
impunité les bailleurs de fonds des
brigands et des pilleurs du patrimoine
de l’humanité, relève de l’imposture
politique et de la forfaiture morale, en
tout cas une insulte à l’intelligence
humaine.
Le réalisme commanderait, parallèlement
à la comparution des dirigeants du Qatar
devant la Justice internationale, la
mise sur pied d’une force interafricaine
constituée d’unités de pays
politiquement crédibles tels l’Algérie
et l’Afrique du Sud, et non de pays
appendices de la stratégie franco
israélienne, notamment le Burkina Fasso
et la Côte d’Ivoire, voire même le
Sénégal, hébergeur du président déchu
Ahmad Amani Touré. A défaut, lancer une
guerre de libération nationale afin que
les Maliens lavent leur honneur et
retrouvent leur dignité, en redonnant au
combat de libération ses lettres de
noblesse.
L’enjeu sous-jacent
du conflit saharo sahélien
C’est que l’enjeu
essentiel de la question
saharo-sahélienne ne se joue pas à
l’échelle locale. Il concerne l’économie
mondiale et le redécoupage des zones
d’influence entre les puissances
internationales avec l’entrée en scène
de nouveaux acteurs (américains,
chinois, indiens) qui bousculent
l’ancien paysage colonial.
L’accès convoité aux richesses minières
(pétrole, gaz, uranium, or, phosphates)
dont regorgent le Niger, la Libye,
l’Algérie, et le Mali d’après des
prospections plus récentes, est au
centre de la bataille invisible qui se
déroule dans le désert.
Sous couvert de lutte contre le
terrorisme et de sigles abscons, African
command ou Eufor (la force de
déploiement rapide de l’Union
européenne), le groupe atlantiste
s’applique, en fait, à contrecarrer
l’influence grandissante de la Chine sur
le marché africain, au point d’avoir
évincé en une décennie les puissances
coloniales historiques sur le continent
noir, Le Royaume Uni et la France.
Exclue du Traité de
Partenariat trans-pacifique en voie de
constitution sous l’égide des
Etats-Unis, la Chine est en outre en
butte à une offensive visant à
contrecarrer son expansion, dont le
signe le plus manifeste aura été le gel
du financement des importants projets
miniers chinois par la Banque Mondiale,
doublé d’une manœuvre de contournement
visant à accentuer la présence des
firmes américaines en République
Démocratique du Congo, considéré comme
le plus riche en matières premières
stratégiques du continent africain.
Le Coltàn
Dans un livre blanc de 2010, «Stratégie
pour les minéraux indispensables aux
Etats-Unis», Washington plaidait,
conjointement avec l’Union européenne,
pour l’urgente nécessité de constituer
des réserves de cobalt, du niobium, du
tungstène et naturellement le Coltàn,
indispensables pour la composition de
matières de haute technologie. 80 pour
cent des réserves mondiales du Coltàn se
trouvent en République Démocratique du
Congo (RDC-Kinshasa). Ressource
stratégique essentielle au développement
des nouvelles technologies, le Coltàn
(par fusion des termes Columbio et
Tantalio) entre dans la production des
écrans plasma, des téléphones portables,
des GPS, des missiles, des fusées
spéciales, des appareils photos et des
jeux Nintendo), dont les principaux
bénéficiaires sont les grandes firmes
électroniques et informatiques (Appel,
Nokia, Siemens, Samsung).
La Chine est depuis
2009 le premier partenaire commercial de
l’Afrique avec des échanges de l’ordre
de 166,3 milliards de dollars, en
augmentation de 83% par rapport à 2009.
Les Chinois viennent d’annoncer un
doublement à 20 milliards de dollars
leurs crédits à l’Afrique, qui fait
partie de la réserve stratégique des
multinationales.
Soixante ans après l’indépendance de
l’Afrique, Américains et les Européens,
sur fond de lourd contentieux post
colonial non purgé, continuent de gérer
l’Afrique à travers leurs réseaux
politico-affairistes et les institutions
multilatérales (FMI et Banque mondiale).
Le Mali a été ainsi contraint de se
spécialiser dans la production de coton
par la Banque mondiale, se plaçant en
concurrence avec les producteurs de
coton nord-américains qui bénéficient de
subventions de la première puissance
libérale.
En contrechamp, la Chine, nullement
philanthrope, mais infiniment plus
perspicace, se présente aux Africains
sans passif colonial, sans les pratiques
craintes de la corruption des Djembés et
des Mallettes, la marque de fabrique de
la Françafrique.
La déliquescence de
l’Etat Malien.
Près de 195.OOO
personnes ont fui la zone des combats
dans le septentrion malien.
Jamais pays n’a connu pareille
décélération, où, en moins d’un
semestre, le Mali s’est vu projeter dans
une vertigineuse phase de fragmentation
accélérée par la déliquescence de l’Etat
et la régression de la société.
Tous les grands secteurs de l’Etat sont
en panne, alors que la classe politique
se délecte, en toute inconscience de ses
querelles byzantines, que la famine
menace, que le Pouvoir est déconnecté
des réalités du pays, l’armée démotivée
par le formidable étalage de sa
cupidité, la population plongée dans la
désespérance. Avec en prime, une fois le
forfait accompli, le sauf conduit vers
l’exil et le pardon du mutique ATT,
principal responsable de ce chaos, en
retraite tranquille à Dakar.
Classé parmi les
pays les moins avancés de la planète, le
Mali est en outre affligé d’un
parlementarisme hérité des pratiques
corrosives de la défunte IIIème
République française, où près de
quarante partis politiques se disputent
les faveurs des électeurs maliens, sur
fond d’accusation de népotisme, de
corruption et de gabegie.
Un procès aurait
sans doute démontré l’incurie
administrative et l’impéritie politique;
que le dispositif militaire déployé dans
le Nord du Mali était factice de crainte
d’un coup d’état contre le pouvoir à
Bamako.
Que d’anciens diplomates en poste dans
le Golfe se soient transformés en chef
rebelles, tels Abder Raham Galla, ancien
ambassadeur du Mali en Arabie saoudite,
ou Yat Agali, ancien consul général à
Djeddah, chef du mouvement «Ansar Eddine
(les partisans de la religion) donnent
la mesure du délitement moral de l’élite
de la nation. Les prébendes et les
sinécures ont pour fonction de calmer
les appétits. Elles n’ont pas vocation à
forger une conscience nationale.
Kadhafi, certes, a été depuis lors
expédié ad patres dans des conditions
ignominieuses, tant il est vrai qu’il
n’est jamais sain de piétiner un homme à
terre, mais Sarkozy et son satrape
régional Wade n’ont pas été épargnés par
le mauvais sort, projetés sans
ménagement dans les trappes de
l’histoire, au même titre que les
compères islamistes du volet médiatique
de l‘expédition de Libye, notamment
Waddah Khanfar, directeur d’Al Jazira.
Quant au Qatar, 3eme larron de cette
mascarade sanglante, il essuie camouflet
sur camouflet avec le refus de visa
infligé par la France à son prédicateur
de service, Youssef Qaradawi, et le
dégagement des chouchous français de
l’opposition syrienne, Bourhane
Ghalioune et Basma Kodmani, au profit
d’un kurde, membre de cette communauté
supplétive qui a déblayé la voie à une
invasion américaine de l’Irak.
La talibanisation de la Libye sur le
modèle Afghan tant redoutée lors de
l’intervention atlantiste s’est en fait
réalisée au Mali, un an plus tard.
Tombouctou, « la cité des 333 saints »,
« la perle du désert », inscrite au
patrimoine mondial par l’Unesco depuis
1988, a été la cible d’une opération de
vandalisme dans la pure tradition
talibane.
Douze ans après la destruction des
Bouddhas de Bamyan, en Afghanistan, en
mars 2001, leurs émules maliens d’Ansar
Eddine se sont acharnés à coups de
pioches sur neuf mausolées notamment
Sidi Mahmoud, Sidi Moctar, Alpha Moya et
celui de Cheikh el-Kébir, ainsi que deux
mausolées de la grande Mosquée de
Djingareyber (sud) et de Tombouctou.
Fondée entre le XIe et le XIIe siècle,
la cité abrite en outre près de 30 000
manuscrits datant du XII me siècle.
L’insupportable
mutisme d’ATT
Si le coup de force
des jeunes officiers maliens, à quarante
jours des élections présidentielles, a
plongé le pays dans une zone de forte
turbulence, la gangrène qui ravage ses
élites a précipité le Mali dans la
décomposition, dans le silence
tonitruant d’un des plus éminents
responsables de ce gâchis.
Six mois après son éviction, Amadou
Toumani Touré demeure taiseux, réfugié
au Sénégal, à l’abri des regards de même
que sa fortune. Six mois après le coup
d’état qui a précipité le Mali dans une
impasse tragique, le débat ne s’en
impose pas moins, tant sur les
responsabilités des divers protagonistes
du drame malien que sur les conditions
de transfert du pouvoir, que sur les
voies et moyens à mettre en œuvre pour
une sortie de crise.
Le transfert du pouvoir au Mali, en
avril 2012, dans la foulée du putsch du
22 mars, s’est déroulé d’une manière
incontestablement contraire à la
constitution, particulièrement son
article 36 en ce que la «démission» du
président destitué, drôle d’oxymore, n’a
pas été remise à une autorité nationale
constitutionnellement qualifiée, mais à
une instance extra nationale nullement
habilitée.
Il constitue de ce fait un déni de
droit, un signe manifeste de mépris à
l’égard de l’ensemble des Maliens, qui
déshonore son auteur en ce que ce
transfert est apparu comme une
abdication devant un comité ministériel
d’une instance africaine sous forte
tutelle américano française. Une parodie
chargée d’une lourde signification
symbolique. Un mauvais signal donné aux
nouvelles générations maliennes et
africaines pour leur édification
civique.
Un Président de la République, ancien
officier supérieur de l’armée malienne,
de surcroit es-qualité, commandant en
chef de l’armée, ne saurait bénéficier
d’un sauf conduit l’exonérant de ce qui
constitue sans nulle doute une «
forfaiture » dans l’exercice de ses
responsabilités constitutionnelles
particulièrement à une période charnière
de l’histoire de son pays, en phase de
déstructuration.
Ne pas tenter de mater la rébellion à
ses frontières, ne pas tenter de mater
la sédition de son armée, démissionner
devant une délégation de puissances
étrangères –et non devant les autorités
constitutionnelles de son pays–, se
planquer avec son magot dans une
ambassade étrangère en attendant son
dégagement, sans la moindre explication
sur son comportement, sans la moindre
prise de parole publique sur le coup
d’état qui l’a éjecté, sans la moindre
excuse à son peuple qui lui a, par deux
fois, fait confiance fondent la
forfaiture, passible de poursuite pour
haute trahison.
Un président digne
de ce nom doit répondre de ses actes. La
restitution des biens mal acquis
accumulés au cours de ses 12 ans de
mandat à la tête d’un pays qu’il n’a su
défendre, ni en tant que citoyen, ni en
tant qu’homme, ni en tant que commandant
en chef, ni en tant que Président de la
république est un impératif politique,
une exigence morale, une mesure de
salubrité publique.
Dommage collatéral de la déstabilisation
de la Libye par l’alliance atlantique,
le Mali est aussi victime des propres
turpitudes de sa classe
politico-militaire, qui aura été, dans
une belle inconscience, le meilleur
terreau au prosélytisme dogmatique de la
branche la plus obscurantiste de l’Islam
pétro monarchique, par ricochet, le
meilleur propagateur de l’islamophobie à
travers le monde.
Le président destitué du Mali, Amadou
Toumani Touré, doit parler. Pas de
paroles vaseuses, mais des propos d’un
chef. ATT doit s’expliquer pour son
honneur, pour la dignité de sa fonction,
pour le respect dû à ses concitoyens et
à son pays. Pour l’honneur du Mali et la
dignité de l’Afrique. Sauf à demeurer à
jamais «le planqué du Sénégal», une
marque indélébile d’infamie. Pour
l’éternité. Et la communauté
internationale exiger sans retard des
comptes du Qatar, le génie malfaisant du
djihadisme erratique.
Pour aller plus
loin : Putsch au Mali, réponse au
porte-parole de la junte en Europe.
Ainsi que
«L’Afrique en procès d’elle-même» par
Koro Traoré Golias été 2012. Ancien
chargé de mission à la présidence de la
République malienne en tant qu’assistant
du Secrétaire Général (2002-2008), puis
au Cabinet du Premier ministre
(2008-2009), Koro Traoré est titulaire
d’un diplôme de l’ENA de Paris
(Promotion Mahatma Gandhi, Strasbourg,
2011).
Extraits
«L’indépendance des pays africains dans
la décennie 1960 avait été saluée comme
la fin d’une longue nuit d’oppression,
fondatrice d’un comportement
d’exemplarité, la sanction de l’échec du
système des valeurs occidentales et de
l’humanisme blanc. Au regard de sa
propre histoire, le continent ayant fait
l’objet de la plus forte dépossession
avec l’Amérique latine et l’Océanie,
l’Afrique se devait de forger ses
propres repères, faire prévaloir son
authenticité et sa spécificité, de
s’immuniser des dérives mortifères, en
guise d’antidote à cinq siècles
d’esclavage, de traite négrière,
d’exploitation. Ce livre ne se propose
pas de faire le procès du colonialisme,
un exercice fastidieux au regard de la
considérable production en ce domaine,
mais le procès de l’Afrique par
elle-même. Les repentances répétitives
sont de peu de valeurs face à une
thérapie qui fasse œuvre de prophylaxie
sociale. Les blessures de l’Afrique
doivent être pansées par elle-même.
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
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