Tendances au Moyen-Orient - La Syrie
Des messages à la
Turquie et à ses maitres
Pierre Khalaf
Lundi 25 juin 2012
La destruction d'un chasseur turc
Phantom F-4 par la DCA syrienne,
vendredi 22 juin, constitue un
développement qualitatif qui montre que
la crise syrienne prend de plus en plus
une dimension régionale qui risque
d'avoir des répercussions incalculables
dans tout le Moyen-Orient.
La Turquie joue un rôle de premier plan
dans l'entrainement, le financement et
le recrutement des insurgés qui se
livrent à une véritable guerre contre la
Syrie. Des camps d'entrainement sont
supervisés par des instructeurs
militaires turcs et les services de
renseignements d'Ankara fournissent un
soutien inestimable aux rebelles qui
exécutent des ordres directement émis
par les autorités turques, comme
l'enlèvement des onze pèlerins libanais
dans la région d'Alep, il y a un mois.
Le quotidien américain New York Times
a par ailleurs indiqué, jeudi 21 juin,
que des responsables de la CIA
travaillent secrètement dans le sud de
la Turquie pour aider les alliés de
Washington à déterminer quels
combattants de l’opposition syrienne
recevront des armes pour combattre le
régime du président Bachar al-Assad.
Citant les responsables américains et
des agents de services de renseignements
arabes, le quotidien rapporte que les
armes comportent des fusils
automatiques, des lance-roquettes, des
munitions, des armes antichars,
introduites en majorité via la frontière
turque, avec l’aide d’un réseau
d’intermédiaires, dont des militants des
Frères musulmans. Cet armement est
financé par la Turquie, l’Arabie
saoudite et le Qatar, poursuit le
quotidien.
Dans le cadre du soutien apporté aux
insurgés syriens et aux "afghans arabes"
(faut-il les appeler mercenaires?), la
collecte d'informations tient une place
de première importance. Selon des
sources bien informées, l'aviation
turque et les satellites de l'Otan sont
impliqués depuis des mois à une intense
activité pour transmettre des
informations aux rebelles sur les
mouvements de l'armée syrienne, ses
effectifs engagés sur le champ de
bataille et ses points de ralliement et
de déploiement. C'est ce qui a permis,
par exemple, aux insurgés, d'occuper par
surprise la ville de Hiffé, et d'autre
localités, sans grandes difficultés, car
ils savaient à l'avance la taille et la
force de l'adversaire qu'ils ont en face
d'eux. Lorsque les renforts arrivent,
ils sont très vite délogés, essuyant de
lourdes pertes. Entre-temps, la machine
médiatique occidentale, qui tourne à
plein régime, aura fait tout le tapage
possible et imaginable autour des
"localités martyrs", dans l'espoir
d'exercer des pressions assez fortes
pour marquer des points au Conseil de
sécurité. Mais jusqu'à présent, la
Russie, la Chine et leurs alliés ne se
sont pas laissés déstabiliser par ces
stratagèmes politico-médiatiques qu'ils
ont déjà expérimentés en ex-Yougoslavie,
en Irak, et, plus récemment, en Libye.
En abattant l'appareil turc, la Syrie a
voulu transmettre des messages dans
plusieurs directions: d'abord, qu'elle
est au courant du rôle joué par la
Turquie; qu'elle n'hésitera pas à
défendre sa souveraineté quels qu'en
soient le prix et les conséquences; et
qu'elle dispose des armes, du
savoir-faire et de la volonté
nécessaires pour cela.
Selon des informations sûres, le F4 a
été abattu quelques secondes seulement
après avoir pénétré dans l'espace aérien
syrien. Il a été touché non pas par un
missile mais par des tirs d'une batterie
de DCA, reliée à un dispositif de radar.
Cela montre l'efficacité et la
performance de la défense anti-aérienne
syrienne. Cela devrait faire réfléchir
tous les va-t-en-guerre qui appellent à
une intervention militaire en Syrie en
pensant qu'il s'agirait d'une promenade,
comme en Libye.
Un porte-parole militaire syrien avait
déclaré que la DCA syrienne avaient tiré
sur un objectif aérien "non identifié"
survolant à basse altitude et à grande
vitesse les eaux territoriales
syriennes, à environ 1 Km de la terre
ferme, à partir des côtes, le touchant
de plein fouet. "L'objet en question
s'est avéré être un avion militaire
turc", a indiqué le porte-parole,
précisant que, touché, l'appareil a pris
feu et s'est abîmé en mer. "L'appareil
en question est tombé dans les eaux
territoriales syriennes à 10 kilomètres
du littoral syrien à l'ouest du village
d'Oum Touyour, dans la province de
Lattaquié", a précisé le porte-parole,
indiquant que les autorités ont agit
suivant les lois internationales en
vigueur.
Après avoir laissé entendre, par la
bouche du président Abdallah Gul, que le
F4 avait peut-être violé l'espace aérien
syrien, la Turquie a fait marche arrière
dimanche soir. "D'après nos conclusions,
notre avion a été abattu dans l'espace
aérien international, à 13 milles
nautiques de la Syrie", a dit Ahmet
Davutoglu.
Le belliqueux ministre des Affaires
étrangères, jadis auteur de la théorie
du "zéro problème avec les voisins",
avant de procéder à un virage de 180
degrés, a insisté sur le fait que le F-4
Phantom volait seul et n'avait "aucune
mission, y compris de collecte
d'informations, au dessus de la Syrie".
Ces deux sons de cloche montrent
l'existence de divergences au sein du
haut commandement turc, entre ceux qui
veulent éviter l'escalade qui risque de
provoquer un conflit armé régional, et
ceux qui n'hésitent pas à jouer avec le
feu, quelles qu'en soient les
conséquences.
La Turquie a donc réclamé dimanche une
réunion urgente de l'Otan, invoquant
l'article 4 du traité fondateur de
l’Alliance atlantique, qui prévoit que
les pays membres puissent porter une
question à l’attention du Conseil de
l'Alliance et en débattre avec les
alliés, a souligné une source
diplomatique turque sous couvert
d'anonymat. La réunion est prévue pour
mardi. Cet article stipule que "les
parties se consulteront chaque fois que,
de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité
territoriale, l’indépendance politique
ou la sécurité de l’une des parties sera
menacée".
Haussant le ton, Ankara a prévenu Damas
de ne pas défier militairement la
Turquie. "Personne ne peut se permettre
de mettre à l'épreuve les capacités
militaires de la Turquie", a affirmé
Ahmet Davutoglu, qui semble avoir troqué
son costume-cravate contre une treillis
militaire. "personne ne peut menacer la
sécurité de la Turquie", a-t-il ajouté,
ignorant le fait que c'est la Turquie
qui menace la Syrie en violant sa
souveraineté et en armant les insurgés
qui sont installé dans des camps sur son
territoire.
Mais si Ankara ne le sait pas, ou fait
semblant de ne pas le savoir, Washington
est parfaitement consciente que toutes
les actions menées par le commandement
militaire syrien interviennent avec la
bienveillante compréhension de la
Russie.
A bon entendeur salut...
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