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Le web de l'Humanité
A Téhéran, la
justice passe, la vérité trépasse
Pierre Barbancey
Clotilde Reiss
Lundi 10 août 2009
Iran . Parmi les prévenus, plusieurs étrangers, dont la
Française Clotilde Reiss. Également jugée, une employée de
l’ambassade de France, Nazak Afshar.
Tel un
rouleau compresseur, comme si de rien n’était, le pouvoir
iranien fait donner sa « justice ». Dans un style que n’aurait
pas renié l’Inquisition catholique - précurseur en la matière -,
les tribunaux se réunissent et jugent comme les mauvais bouchers
coupent la viande : sans respect et sans retenue, alors que dans
les antichambres on extorque les aveux aux prévenus. Iraniens ou
étrangers, inconnus ou personnalités en vue, les juges de
Téhéran pèsent bon poids et ne font pas dans le détail. On ne
juge plus des émeutiers mais des conspirateurs. Et comme si cela
ne suffisait pas, les collaborateurs zélés du pouvoir en
rajoutent. Un haut responsable des gardiens de la révolution a
ainsi appelé, hier, à « juger et à punir, pour éteindre les feux
de ce complot », l’ancien président réformateur Mohammad Khatami
et les deux candidats de l’opposition, Mir Hossein Moussavi et
Mehdi Karoubi.
« J’espère être graciée »
La
presse conservatrice iranienne, de son côté, fustige le rôle des
pays étrangers dans le mouvement de contestation postélectoral,
au lendemain de la comparution à Téhéran d’une Française,
Clotilde Reiss, et de deux employés des ambassades de France et
de Grande-Bretagne. Les journaux publient d’ailleurs des photos
de la Française de vingt-quatre ans, qui a comparu samedi pour
la première fois, depuis son arrestation le 1er juillet, au côté
d’une dizaine de personnes. Elle est accusée d’avoir « rassemblé
des informations (sur les manifestations) et encouragé les
émeutiers ».
« J’ai
écrit un rapport d’une page et l’ai remis au patron de
l’Institut français de recherche en Iran, qui dépend du service
culturel de l’ambassade de France », aurait-elle déclaré, selon
l’agence de presse iranienne IRNA. Détenue depuis le 1er
juillet, l’universitaire a également dit avoir fait un rapport,
il y a deux ans, sur le nucléaire iranien. « Dans le cadre d’un
stage au CEA (Commissariat français de l’énergie atomique -
NDLR), où mon père travaille comme expert, j’ai rédigé un
rapport sur les politiques en Iran en lien avec l’énergie
nucléaire », a-t-elle dit, toujours selon l’agence IRNA. « J’ai
utilisé des articles et des informations qu’on trouve sur
Internet et il n’y avait rien de secret », a-t-elle précisé. Ne
cachant pas s’être rendue aux manifestations le 15 et le 17
juin, elle a expliqué : « Je voulais voir ce qui se passait (…),
mes amis et ma famille étaient inquiets, je leur envoyais des
e-mails pour leur dire que les rassemblements étaient calmes. »
Elle a ajouté : « Je demande pardon au pays, au peuple et au
tribunal d’Iran, et j’espère que je serai graciée. »
« Prise en otage par une justice injuste »
« Après la comparution de Clotilde Reiss devant un tribunal de
Téhéran, la France renouvelle sa demande de libération immédiate
de la jeune universitaire, les accusations portées contre elle
étant dénuées de tout fondement », a fait savoir le ministère
français des Affaires étrangères, à l’issue d’une réunion à
laquelle participait le père de la jeune femme. Qui a ajouté :
« Nous avons aussi appris l’arrestation et l’audience, lors de
cette même séance collective, de Mme Nazak Afshar, employée de
notre ambassade à Téhéran. Nous demandons également sa
libération immédiate, les charges retenues contre elle étant
inexistantes. » Reçu au Quai d’Orsay, le père de Clotilde Reiss
s’est montré confiant. « Je vois une issue dans les semaines qui
viennent », a-t-il dit, déclarant que sa fille était en bonne
santé d’après un dernier contact remontant à une semaine. Arash
Naïmian, fils de Nazak Afshar, a, de son côté, dénoncé
l’arrestation de sa mère. Fustigeant des « aveux absurdes »
prononcés lors du procès, il en a appelé à Nicolas Sarkozy et il
a dit : « Ma mère est une Française innocente et prise en otage
par une justice injuste. »
© Journal L'Humanité
Publié le 11 août 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
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