Témoignage d'un religieux français
Le printemps syrien
Philippe Tournyol du Clos
Al-Qaïda
commet deux massacres dans la banlieue
de Homs
Dimanche 27 mai
2012
La paix en Syrie pourrait être sauvée si
chacun disait
la vérité. De retour à
Damas en ce mois de mai 2012, il me faut
bien constater qu’après une année de
conflit, la réalité du terrain ne cesse
de s’éloigner du tableau catastrophiste
qu’en imposent les mensonges et la
désinformation occidentale.
Le mois de février a marqué un coup
d’arrêt aux provocations des islamistes
radicaux. Les troubles, en majorité
circonscrits à
Hamma
et à
Homs,
auraient d’ailleurs été plus vite
résorbés si la pression internationale
n’avait freiné l’intervention de
l’Armée. Les zones frontalières de la
Turquie , de la Jordanie et du Liban –
par lesquelles s’infiltrent les
mercenaires – restent encore sensibles.
Dans la capitale, ce que l’on appréhende
le plus sont les voitures piégées et les
attentats à la bombe, la plupart du
temps, le fait de kamikazes alléchés par
l’appât du gain, le désir du paradis
d’Allah, ou bercés du rêve sunnite de la
fin des alaouites au terme de 40 ans de
règne et l’avènement de Jésus au haut du
minaret, accompagné du dernier prophète
Al
Mahadi
pour le Jugement
dernier.
Il faut dire et redire que
l’idéologie fanatique est d’importation
étrangère et que la Syrie n’a
jamais été confrontée à un cycle de
manifestations/répression, mais à
une
déstabilisation sanguinaire et
systématique par des aventuriers qui ne
sont pas syriens. Cette
information, qui va à l’encontre des
journaux et des reportages télévisés,
l’ex-ambassadeur de France, Éric
Chevallier, n’avait eu de cesse de la
faire entendre à Monsieur Juppé ; mais
le ministre français refusa toujours de
tenir compte de ses rapports et
falsifiait sans vergogne ses analyses
pour alimenter la guerre contre la
Syrie.
Nos lecteurs ont encore en mémoire
l’invitation du Patriarche maronite à
Paris, Sa Béatitude Bechara Raï, par
Nicolas Sarkozy qui, s’étant renseigné
sur le nombre des chrétiens au Liban et
en Syrie, lui proposa de les installer
en Europe. La réponse indignée et
courageuse du haut prélat qui prit la
défense de Bachar Al-Assad – et qui
devait, selon le protocole, être décoré
de la légion d’honneur – lui valut d’en
recevoir l’écrin de la main sèchement
tendue de l’ex-président français.
Arrivée à Damas
L’on respire à Damas un autre air qu’on
voudrait nous le faire croire partout
ailleurs.
Certes, depuis quatre mois, dans la
banlieue, les voitures piégées ont fait
de sanglants dégâts ; plusieurs
fanatiques suicidaires se sont fait
exploser dans la foule d’innocentes
victimes. L’on entend parfois, la nuit,
des échanges de coups de feu, c’est
l’armée qui veille à la protection des
habitants et parvient souvent à empêcher
les attentats meurtriers. Ces jours-ci,
deux minibus bourrés de TNT ont explosé
simultanément selon un schéma terroriste
désormais classique. Toujours disposée à
proximité d’une cible d’intérêt
stratégique, la première charge est
destinée à semer la panique et à attirer
le plus grand nombre d’intervenants pour
déclencher la seconde explosion. Cette
fois-ci, c’était le Quartier Général du
contre espionnage syrien, où avaient été
détenus les étrangers pris les armes à
la main et que les salafistes
projetaient de faire évader. Leur
tentative échoua mais se solda par un
bilan terrible : 130 morts (dont 34
chrétiens), 400 blessés et autant de
logements endommagés.
La consternation est générale, le
chagrin indescriptible et les nombreuses
funérailles déchirantes. Pourtant, en ce
mois de Marie les églises abondamment
fleuries se remplissent chaque soir et
j’ai vu les mosquées bondées le vendredi
à midi ; la concentration de la prière
aux Omeyyades évoquait pour moi celle
des coptes en Égypte ; tandis que les
espaces verts sont régulièrement envahis
par des familles heureuses de se
retrouver pour des piqueniques qui se
prolongent tard dans la nuit. Le peuple syrien est
un peuple simple et enjoué. Malgré
l’insécurité et les dramatiques
difficultés économiques engendrées par
les sanctions internationales
(l’inflation de la livre syrienne,
l’anéantissement total du tourisme, la
croissance du chômage et la cherté
grandissante des denrées de base),
la vie
continue normalement.
Les chrétiens vivent en paix
Bien que partageant avec leurs
congénères l’inquiétude générale, les
chrétiens avouent volontiers qu’ils ne
se sont jamais sentis aussi libres par
le passé. Ils attribuent ce sentiment à
la pleine reconnaissance de leurs droits
lors de l’accession à la présidence de
la famille
Assad. Certains
s’estiment même mieux traités
aujourd’hui qu’à l’époque où ils étaient
pris entre les deux feux des partisans
opposés de De Gaulle et de Vichy. Un ami
damasquin évoque pour moi le souvenir de
son grand-père qui, suivant une coutume
alors répandue, avait échangé le sang
d’une légère blessure faite à la main
avec celui d’un cheikh musulman pour
devenir
frères
de sang ; il me confie :
« Les
ennemis de la Syrie ont enrôlés les
Frères Musulmans dans le but de détruire
les relations fraternelles qui
existaient depuis toujours entre les
musulmans et les chrétiens. Pourtant, à
ce jour, ils n’y sont pas parvenus : ils
ont même provoqué une réaction contraire
et rapproché comme jamais auparavant
tant les communautés que les individus.
»
Petit rappel historique. La conquête de
la Syrie par les arabes (636) n’a jamais
été sanglante. À Damas, tandis que les
chrétiens byzantins tentaient de leur
résister, les chrétiens syriaques leur
ouvraient les portes de la ville et leur
offraient spontanément leurs services
pour construire des habitations. Sait-on
que pendant 70 ans,
chrétiens et musulmans prièrent ensemble
dans l’Église Saint Jean-Baptiste
? Quand celle-ci fut devenue trop
petite, sur la demande des musulmans,
elle devint la Mosquée des Omeyyades
(705) que l’on admire encore aujourd’hui
; et pour dédommager les chrétiens, les
musulmans leur construisirent les quatre
premières églises damascènes.
La première impression qui me frappe est
donc de retrouver Damas pareille à
elle-même, son charme désuet, ses souks
hauts en couleurs aux effluves d’épices,
l’animation égayée des ruelles de la
vieille ville et sa circulation qui n’a
rien à envier à celle du Caire ; dans
les quartiers verdoyants des bords du
Barada, les restaurants sont pleins. La
seconde, c’est la dignité et la modestie
du petit peuple de la rue : guère de
mendicité, d’apitoiement ou de plainte
de la part des pauvres qui fourmillent
pourtant et cachent bien leur misère
derrière leurs murs lézardés. On
n’imaginerait jamais ici personne
dormant dans la rue, comme à Paris.
Sur le terrain
L’Armée n’est intervenue que plusieurs
mois après le commencement des
événements. L’insurrection s’est
caractérisée par une cruauté d’une
sauvagerie oubliée en Syrie depuis les
massacres de 1860 où 11’000 chrétiens
furent assassinés par des fanatiques
mahométans encouragés par les ottomans.
Les turcs d’alors étaient pires que les
salafistes d’aujourd’hui. Petite
évocation historique. Qui se rappelle
qu’en 1859, la maladie du ver à soie
avait provoqué la disparition de sa
culture tant en Chine qu’en France ?
Seule la Syrie avait échappé au fléau.
(Le brocart, inventé par
la famille
Boulad
avait déjà conquis le monde).
Or tous les soyeux syriens étaient
chrétiens. Il n’en fallut pas plus pour
que le gouvernement français du Second
Empire «
suggère
» à l’occupant ottoman de provoquer –
par musulmans exaltés interposés – les
troubles sanglants que l’on sait et la
persécution contre les chrétiens qui se
solda par l’expatriation de tous les
soyeux vers la France et le rachat à bas
prix de leur production.
Un militaire, actuellement sous les
armes au sud du pays, me fait part de sa
stupéfaction quand il s’est trouvé
affronté à des
combattants qui n’étaient pas
syriens mais
étrangers, et me rapporte
quelques faits surprenants dont il a été
témoin : «
Quand
nous avons commencé à nous battre, nous
avons trouvé en face de nous des
Libyens, des Libanais (mercenaires
sunnites de Saad Hariri), des Qatari,
des Saoudiens et, bien sûr, des Al
Qaeda. Quand nous avons fait des
prisonniers, nous avons constaté que
beaucoup d’entre eux ne parlaient pas
l’arabe, c’étaient des Afghans, des
Français, des Turcs ». Chacun
s’attend, ici, à des révélations de
nature à mettre en porte-à-faux bien des
pays.
Parmi ces étrangers, me dit-il, «
bon nombre d’entre eux ne savent pas où
ils sont : on fait passer les Libyens
par le Golan à proximité de la frontière
israélienne pour leur montrer le drapeau
israélien et les convaincre qu’ils sont
bien sur la route de Gaza où ils vont
combattre avec leurs frères musulmans… À
Homs, a été arrêté un Libyen persuadé de
se trouver en Irak pour combattre les
Américains. »
Près de la frontière israélienne, de
nuit, des voitures télécommandées
bourrées d’explosifs ont pu être
interceptées, exemple parmi d’autres des
interventions sporadiques de commandos
qui traversent chaque jour les
frontières jordanienne, israélienne,
libanaise et turque.
Homs, ville martyre
À Homs, il est faux de dire que les
alaouites centralisent dans leurs mains
tous les pouvoirs ; au nombre de 24, les
notable comptent 18 sunnites, 4
chrétiens et 2 alaouites.
Homs a toujours été la ville du pays la
plus peuplée de chrétiens. Ceux-ci
occupaient à 98% deux quartiers,
Bustan
El Diwan et
Hamidieh (le Vieux Souk), où
se trouvent toutes les églises et les
évêchés. Le lacis de ses ruelles et les
nombreux passages souterrains rouverts
pour la circonstance ne permirent pas
aux mercenaires d’y pénétrer avant la
reprise de
Baba
Amro. Le spectacle qui
s’offre maintenant à nos yeux est celui
de la plus absolue désolation : l’église
de
Mar Élian est à demi détruite
et
Notre-Dame de la Paix
saccagée (près de laquelle on a trouvé
plusieurs personnes égorgées) est encore
occupée par les rebelles. Les maisons,
très endommagées par les combats de rue
sont entièrement vidées de leurs
habitants qui ont fui sans rien emporter
; le quartier d’Hamidieh
constitue encore aujourd’hui
le refuge inexpugnable de bandes armées
indépendantes les unes des autres,
fournies en armes lourdes et en subsides
par le
Qatar
et
l’Arabie Saoudite.
Tous les chrétiens (138’000) ont pris la
fuite jusqu’à Damas ou au Liban ; ceux
qui n’y avaient pas de parents se sont
réfugiés dans les campagnes
avoisinantes, chez des amis, dans des
couvents, jusqu’au Krak des Chevaliers.
Un prêtre y a été tué ; un autre, blessé
de trois balles dans l’abdomen, y vit
encore ainsi qu’un ou deux autres, mais
ses cinq évêques se sont prudemment
réfugiés à Damas ou au Liban. On dit que
les chrétiens amorcent un timide
mouvement de retour.
Aujourd’hui, mis à part quelques coups
de feu nocturnes, la ville a retrouvé le
calme. C’est le cas d’Arman,
quartier où les alaouite sont aussi
proportionnellement plus nombreux que
dans les autres villes, où l’on peut
circuler en voiture. Quant au quartier
sunnite, on peut y pénétrer (même un
étranger, s’il est accompagné d’un
sunnite), mais c’est à ses risques et
périls car les tireurs isolés ne sont
pas rares. Les magasins sont fermés et
les destructions impressionnantes. Je
trouve étrange de n’apercevoir dans
toute la ville aucune présence
militaire, aucun soldat en armes.
Ceux-ci se contentent d’en contrôler les
accès et d’occuper des casernes, à
l’extérieur.
Les villages chrétiens de la campagne
d’Homs
Puisqu’on n’est pas éloigné de la
frontière du Liban, les points de
contrôle et les barrages sont nombreux,
ainsi que le mouvement des véhicules de
l’armée loyaliste. Du haut de ses sept
ans, Jacques s’époumone auprès de moi :
«
Dieu protège l’armée ! » ; je
le verrai ce soir prier pour elle comme
il le fait chaque jour avec ses frères
et sœurs. Dans le village chrétien où je
passe les nuits, les grand-mères se font
un devoir de porter de la nourriture aux
soldats. Un habitant me confie : «
Si
l’armée quitte notre village, nous
risquons d’être égorgés.
Si la répression sauvage dont
l’accusent vos médias était réelle,
pourquoi les militaires seraient-ils les
bienvenus dans nos villages ?
». Ils sont, j’ai pu le constater de
mes yeux, sous la protection attentive
des troupes fidèles au Président Bachar.
Pourtant, le jour de l’Ascension, une
roquette est arrivée dans le jardin,
heureusement sans faire de dégâts, mais
l’explosion a terrifié les enfants. Le
village, pour la première fois, a été la
cible de trois RPG dont l’un a provoqué
la mort d’un grand-père
et de ses deux
petits enfants (14
et 13
ans).
La campagne jouit donc d’un calme très
relatif. On entend des échanges de tirs,
la nuit : c’est que nous ne sommes qu’à
une quinzaine de kilomètres de la
frontière libanaise. Douze personnes qui
se rendaient à
Kafr
Nam en minibus ont été
kidnappées contre rançon. Un autobus a
été mitraillé sur
la route. Au
village, un cousin a été enlevé quelques
heures, le temps de lui voler son taxi
(habilité à passer la frontière
libanaise). Tout cela relève d’actions
isolées des bandes armées.
Rappel des faits récents…
On se souvient que pendant huit longs
mois, les
Homsiotes avaient réclamé
l’intervention de l’Armée, qui se
refusait à prendre le risque d’atteindre
la population civile.
Après avoir essayé sans succès de
s’établir à
Daraa,
(près de la frontière jordanienne), puis
à
Idleb (près de la frontière
turque) dont ils furent également
délogés, les opposants au régime avaient
choisi
Homs
pour sa proximité avec le
Liban, comme Quartier Général. Dès lors,
on ne compta plus les exactions et les
crimes d’une férocité tout-à-fait
étrangère au comportement syrien. Pour
exemple, l’enlèvement de 200 alaouites,
en août de l’an dernier, à fin de les
égorger pour la fête de l’Aid
al-Adha. En provenance du
Liban, un armement sophistiqué
considérable, suffisant pour
approvisionner toute la rébellion, avait
été stocké dans le quartier de
Baba
Amro autoproclamé
Émirat
Islamique Indépendant. De
nombreux
combattants y avaient
d’ailleurs été enrôlés de force, sous
menace d’éliminer leur famille. Parmi
des atrocités sans nom, on a retrouvé
les corps de 48 jeunes hommes égorgés
parce qu’ils voulaient rendre les armes
; c’est ce que m’a personnellement
raconté un survivant qui avait perdu
dans cette circonstance son père et ses
deux frères. Il faut savoir que, pour le
fanatique sunnite
extrémiste, égorger son
ennemi manifeste sa fierté d’être en
Guerre
Sainte ;
et c’est un acte de vertu qu’il offre
aux yeux d’Allah.
Lorsque des terroristes veulent vérifier
l’identité religieuse d’un suspect, s’il
se dit
chrétien, ils lui font
réciter le
Je
crois en Dieu et le laissent
partir (les chouans l’exigeaient
en
latin). S’il se dit
ismaélite, il lui est demandé
de donner les généalogies qui remontent
à Moïse. S’il se dit
sunnite,
ils exigent qu’il récite une prière dont
les alaouites, eux, ont retiré un
passage. Les
alaouites n’ont aucune chance
de s’en tirer vivant. Nombre d’entre eux
ont été kidnappés sur simple
présentation de leur carte d’identité ;
quand des chrétiens l’ont été, c’était
par erreur. Depuis les temps
immémoriaux, en effet, les chrétiens
vivent en paix dans les quartiers
sunnites et alaouites, heureux de leur
présence.
Toujours au contact avec la population,
Bachar Al-Assad (dont on sait que la
mère a été l’élève d’un collège de
Latakieh tenu par des religieuses) s’est
rendu personnellement sur place après
les événements et a promis de
reconstruire les quartiers martyrs.
Le dessous des événements
Que l’on nous permette de revenir
quelque peu sur les événements d’Homs
présentés par la presse française et
internationale à la honte du « barbare »
Bachar El-Assad.
9 février 2012.
Après
épuisement de toutes les tentatives de
médiation,
l’Armée loyaliste syrienne
donne l’assaut à «
l’Armée
syrienne libre » qui s’était
emparé du quartier de
Baba
Amro et avait pris ses
habitants en otage. Lorsqu’au terme de
batailles qualifiées de «
répression sanguinaire » par
la presse internationale, les Forces
gouvernementales vinrent à bout des
rebelles, une partie d’entre eux trouva
refuge dans le labyrinthe du quartier
chrétien, tandis que les derniers
éléments armés de l’Émirat
prenaient la fuite, en
massacrant les chrétiens des deux
villages qu’ils traversèrent avant de
trouver refuge au Liban. Mais
qu’advint-il des
journalistes-combattants de l’émirat
islamique autoproclamé ?
Deux y trouvèrent la mort,
Marie
Colvin et
Rémi
Ochlik qui furent identifiés
sur des vidéos par les ambassadeurs de
France et de Pologne,
en
tenue de combat. Le «
photographe »
Paul
Conroi appartenait à une
agence de renseignement britannique ;
Édith
Bouvier était entrée
clandestinement en Syrie aux côtés des
rebelles. Elle, qui aurait dû tomber
sous le délit d’immigration illégale,
osa à l’époque manipuler la compassion
des téléspectateurs français en
réclamant la création d’un «
couloir
humanitaire », se faisant la
porte-parole d’Alain Juppé qui cherchait
par là à exfiltrer les mercenaires de
l’Armée
Syrienne Libre et leurs
instructeurs occidentaux. D’autres
éléments laissent à imaginer que
l’envoyée du
Figaro
Magazine travaillait pour la
DGSE.
La veille de l’assaut final, s’échappant
nuitamment les dits
journalistes gagnèrent le
Liban où ils furent récupérés à un point
de passage illégal par l’ambassadeur de
France à Beyrouth, Denis Pietton, le
même qui avait insolemment pris position
contre Sa Béatitude Bchara Raï, trop
bacharisé à son goût. Sous le
faux prétexte de visiter les alentours
de Baalbek, à l’est du Liban, le
diplomate avait rejoint le nord de la
Bekaa , (région frontalière limitrophe
de la province de Homs) avec une équipe
sécuritaire française. Là, il récupérait
les exfiltrés français ; comme, en vertu
de la Convention de Vienne, les voitures
diplomatiques ne peuvent être
perquisitionnées, le convoi ramena les
agents français à l’ambassade, au nez et
à la barbe de la police.
La frontière évanescente du Liban
L’Armée Nationale syrienne renforce son
dispositif pour empêcher les
infiltrations. Mais des combattants
étrangers se regroupent toujours aux
frontières turque et jordanienne ; après
avoir transité par Amman, des centaines
de Libyens d’Al-Qaïda
takfiristes (ex-groupe
islamique agressif en Libye) continuent
d’affluer, tandis que plusieurs milliers
d’autres sont rassemblés à
Hattay
(en Turquie) et encadrés par
l’Armée turque ; ces jours-ci, sont
arrivés en renfort plus de 5’000
Libyens.
Les incidents se multipliant, on dit que
l’Armée libanaise aurait démantelé un
camp de regroupement et une base de
communication sur son territoire.
Pourtant les preuves prolifèrent sur la
responsabilité
de
certains milieux libanais
dans la transformation du Liban en base
arrière pour frapper la Syrie et y
commettre des actes de violences. En
collaboration avec des ambassades
occidentales, un vaste trafic d’armes a
été mis en place via Tripoli (où
arrivent par cargos des milliers de
tonnes d’armement lourd) grâce à
l’installation de bases logistiques et
médiatiques notamment animées par le
Courant
du futur de Saad Hariri et
les
Forces libanaises de Samir
Geagea. La tâche de ces cellules est de
former et d’entraîner les groupes
terroristes syriens. Tout se passe comme
si, sur décision américaine, le Liban
était devenu une plateforme pour
agresser la Syrie.
Damas, une écharde dans la chair
Alors que la Syrie semblait trouver sa
place dans le concert des nations, voici
qu’un nombre inattendu de protagonistes
s’intéresse à elle, pas toujours de
façon cordiale ou désintéressée. L’homme
de la rue se demande si une nouvelle
guerre mondiale
n’a pas commencé dans son
pays. Et les conjectures vont bon train.
La Russie
n’a-t-elle pas besoin de la région comme
débouché indispensable vers les mers
libres ? Comment
l’Amérique
pourrait-elle
supporter l’idée de son émergence au
rang des puissances mondiales ?
La
Chine elle-même ne
nourrit-elle pas le projet d’une ligne
de chemin de fer en direction du Golfe
et de l’Afrique ? L’acheminement du
pétrole et du gaz iraniens à destination
de Banyias se fait à travers l’Irak,
mais les hydrocarbures du Qatar à
destination d’Haïfa ne seraient-ils pas
programmés pour transiter par la Syrie ?
Poursuivant le plan sioniste ourdi de
longue date de découpage confessionnel
du Moyen-Orient,
Israël
considère que sa sécurité
exige à n’importe quel prix la chute de
Bachar, dont la force est devenue une
menace. Nul n’ignore que lorsqu’il
devint premier ministre, le sunnite
Saad
Hariri (dont la fortune doit
beaucoup aux fonds américain, saoudiens
et qataris) n’était libanais que depuis
huit ans. Son alliance avec l’Arabie
Saoudite s’explique aisément par le fait
qu’il est le fils de l’épouse que son
père, Rafic, a offert en présent au roi
Abdallâh. Saoudiens et
Qataris
sont alliés des
USA
qui les soutiennent à cause
du pétrole mais leur tiennent la bride
courte, en menaçant – par des troubles
populaires qui ont déjà commencés – la
stabilité de leurs trônes. On peut noter
qu’il y a aussi du pétrole dans la
région de
Deir
Ezzor, à l’est de la Syrie
(où vient d’exploser un véhicule
contenant
1000 kg
de TNT), et beaucoup de gaz dans la
région de
Qara
et au large des côtes de
Latakieh. En fait, tout ce
beau monde ne s’est-il fédéré contre la
Syrie que lorsqu’elle a commencé
d’émerger au niveau des grandes
puissances et
Washington ne provoquerait-il
les changements de régime du monde arabe
que pour réaliser ses objectifs
géopolitiques concernant la maîtrise de
l’énergie ?
Quand – à l’appui de la Russie et de la
Chine, au soutien de l’Iran et celui du
Hezbollah libanais (qui menace
directement Israël) –
la
Syrie ajoute sa puissance de
feu et l’efficacité de la protection de
son territoire (par des moyens
électroniques capables d’intercepter
toutes communications ou de mettre en
panne tout appareillage électronique),
Bachar devient une écharde insupportable
dans la réalisation du plan sioniste de
dépècement du Moyen-Orient destiné à
assurer la survie d’Israël.
Les chrétiens ne sont pas persécutés
comme en Égypte
Mon hôte me dit : «
Avant
le commencement des événements, nul
n’aurait jamais eu l’idée de revendiquer
son appartenance religieuse. On vivait
tous ensemble, sans toujours savoir
quelle religion l’autre pratiquait. On
était syrien, et cela nous définissait.
C’est en 2011 que tout a commencé de
changer et que nous y avons prêté
attention. »
On pourrait presque dire que les
malheurs des chrétiens relèvent des
dommages collatéraux. En effet, les
incidents dont ils ont été victimes ne
se sont produits que dans la région
d’Homs, (précédés des affrontements
entre sunnites et alaouites), mais l’on
n’en déplore à ce jour aucun dans les
autres provinces.
Ils sont inquiets, bien sûr, mais leur
peur n’a vu le jour qu’avec le
Printemps arabe et la crainte
de la prise du pouvoir par les
Frères
musulmans. Avec l’immense
majorité des Syriens, ils aiment leur
Président dont on sait aujourd’hui qu’il
ne tient plus au pouvoir mais, ne
voulant pas céder à la pression
actuelle, attend les élections de 2014
sans intention de se porter candidat.
Ils jugent enfin les bandes armées
fanatisées pour ce qu’elles sont, la
plupart du temps, composées de jeunes
délinquants entre 18 et 26 ans à peine
sortis de prison. Avec tous les Syriens
et
comme le Président lui-même,
ils désirent des réformes. Mais pas sa
chute qui entraînerait immédiatement
l’irakisation
de la Syrie (qui a accueilli,
faut-il le rappeler, plus de trois
millions de réfugiés irakiens).
Il a fallu attendre cette guerre pour
que les chrétiens soient personnellement
menacés par des combattants
salafistes encouragés et
excités chaque soir à la télévision par
le «
cheikh
» Al
Araour. Ancien officier de
l’Armée syrienne, ce personnage peu
recommandable a été jugé et condamné aux
geôles syriennes pour ses mœurs dépravés
; mais il a pris la fuite et s’est
réfugié au Qatar d’où il ne cesse
d’inciter ses troupes à massacrer
alaouites et chrétiens.
Il y a, pour l’observateur, une
évolution évidente des «
révolutions ». Les troubles
avaient commencé en Tunisie, puis ce fut
le tour du Yémen, de l’Égypte et de la
Libye, avec le «
succès
» que l’on sait. Il restait
la Syrie. Pourtant il
faut reconnaître ceci : si
les
chrétiens ne sont pas directement
persécutés dans leur pays, c’est leur
existence même qui est menacée de
l’extérieur par les alliés du Golfe et
les prises de position iniques de
nations comme la France, à la
remorque des États-Unis, eux-mêmes
assujettis à Israël.
Bilan des victimes, la torsion des
chiffres
Au début du mois, la presse officielle
faisait état d’un Rapport de la Syrie à
l’ONU daté du 21 mars qui recensait les
victimes du conflit depuis le début des
affrontements.
Le nombre des
victimes des rebelles
s’élevait à 6’000 et se décomposait
ainsi : 3’000 soldats de l’Armée
régulière et 3’000 civils, (500
policiers abattus, 1’500 enlèvements et
1’000 disparus). Dans le même temps, l’Observatoire
Syrien des Droits de l’Homme
évaluait le nombre de Syriens tués à
11’000. Les rebelles – rebaptisés «
déserteurs » par l’OSDH – ne
comptabilisaient que 600 pertes et ne
mentionnaient évidemment pas les
nombreux combattants étrangers tombés en
martyrs du
djihad.
Même compte tenu de la difficulté de
l’exactitude en la matière, la marge
entre les deux chiffres était démesurée.
Mais la manipulation ne s’arrêtait pas
là puisque la responsabilité des 11’000
morts devait incomber à la
répression gouvernementale,
les médias de masse occidentaux se
faisant immédiatement l’écho indigné des
chiffres de l’OSDH.
Printemps syrien
Il plane dans le petit peuple chrétien
le sentiment qu’une renaissance doive
suivre les événements actuels, leurs
ennemis conjugués n’ayant obtenu
d’autres résultats que des destructions
partielles et celui de souder les
Syriens autour de leur président ; les
attentats des derniers kamikazes sont
même perçus comme des combats
d’arrière-garde.
C’est sous les murs de Damas que saint
Paul, futur Apôtre des Nations, a été
saisi
par le Christ Jésus, Lumière
du Monde. Ni à Jérusalem, ni autre part.
Et le terme singulier d’orientalité
(proche d’authenticité)
n’exprimerait-il pas la qualité de
convivialité historique qui a toujours
existé entre chrétiens et musulmans ? On
sait que la Mosquée des Omeyyades abrite
le crane de saint Jean-Baptiste, que
vénèrent côte-à-côte chrétiens et
musulmans. Mais sait-on que beaucoup de
musulmans cultivés prient le Christ ?
Pèse-t-on à leur juste mesure les
visites régulières du président Bachar
au monastère de Notre-Dame de Sayidnaya,
comme à l’humble Sanctuaire de Saint
Ananie où il a lui-même demandé de
l’huile bénite ? ; et sait-on que
l’image miraculeuse de la Vierge de
Soufanieh – devant laquelle
viennent se recueillir des cheikhs
musulmans – fut rapportée du
Kazanska, où musulmans et
chrétiens honorent depuis toujours
l’icône prodigieuse de Notre-Dame de
Kazan ?
Enfin, ne faudrait-il détruire la Syrie
que parce qu’elle apparaît comme
le cœur
d’un Islam modéré ? Pour
justifier sa politique de domination,
l’Occident ne veut avoir affaire qu’à
l’Islam pur et dur qu’il suscite,
alimente et bouffit. En opposant au
monde occidental (soi-disant chrétien)
un monde de barbus fanatiques, il peut
justifier sa guerre pour le pétrole.
Les politiciens font des plans. L’ultime
raison d’espérer des chrétiens de Syrie
– comme de tout le Proche-Orient –
repose sur leur foi dans le plan du
Seigneur. La terre d’Orient est gorgée
d’Espérance. N’a-t-elle pas engendré au
cours des siècles passés des victoires
aussi fulgurantes que mystérieuses :
David face à Goliath, Cirrus face à
Nabuchodonosor, Gédéon face aux
Madianites ? N’oublions pas que le sort
du monde se joue autour du mont
Moriah,
à portée de canon de Damas.
Mgr Philippe Tournyol du Clos
Archimandrite Grec-Catholique Melkite
Damas, le 20 mai 2012
Le
dossier Syrie
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