Opinion
La Realpolitik
brouille la ligne rouge US sur la Syrie
Pepe Escobar
Vendredi 24 août 2012
Les armes de
destruction massive (ADM) sont de
retour. C’est comme si nous n’avions
jamais quitté les jours glorieux de
George « Dubya » Bush. Non, ils n’ont
pas trouvé l’inexistante planque de
Saddam sur eBay. Il s’agit bien de celle
de Bachar al-Assad. Et ce n’est pas que
les armes de destruction massive soient
un prétexte à une invasion et une
occupation, mais les ADM servent de
motif pour livrer ce que
l’administration Obama définit par le
doux euphémisme d' « activité militaire
cinétique* ».
Le tout est
d’autant plus suspect que Damas
avait signalé qu’il n’utilisera
jamais d’armes chimiques contre les
« rebelles». Voici ce que le
président Barack Obama a déclaré : «
cela constituerait une ligne rouge
pour nous [si] nous commencions à
voir des quantités d’armes chimiques
circuler ou être utilisées. » [1]
Alors maintenant, même quelques
containers de gaz moutarde en position
légèrement instable dans dépôt peuvent
constituer un casus belli. Mais est-ce
si clair ? Obama a a dit que c'était «
une » ligne rouge – ce qui implique
qu’il peut y en avoir d’autres (cachées)
non spécifiées.
Obama a également souligné les «
craintes » de Washington qu’en Syrie les
armes de destruction massive « tombent
entre les mains des mauvaises personnes.
» Etant donné que la CIA est dans la
manœuvre – aux côtés des piliers que
sont l’Arabie saoudite et le Qatar au
sein du Conseil de coopération du Golfe
(CCG) – afin de militariser la myriade
de gangs que constitue l’Armée Syrienne
Pas Exactement Libre (ASL), dont des
centaines de djihadistes salafistes -,
il s’agit d’une confession frappante
qu’en fait, ce sont les «mauvaises
personnes ». Ergo, les «bonnes personnes
» sont le régime Assad.
Était-ce un message codé d’Obama à la
Turquie – signifiant : si vous
envahissez le nord-ouest de la Syrie,
devenu pratiquement une zone autonome
kurde, vous devrez le faire tout seul,
sans l’OTAN et sans le Pentagone ?
Était-ce un message adressé aux «
mauvaises personnes », alias les «
rebelles », que, à part les manigances à
l’efficacité douteuse de la CIA, vous
devrez vous débrouiller seuls ?
Ces deux possibilités ont été
avancées sur le site web de Moon of
Alabama. [2]
Pourtant, l’administration Obama a
peut-être fini par comprendre que la
possibilité d’un après-Assad en Syrie
dirigée par les Frères Musulmans syriens
(FM) – infiniment plus cruels et
sectaires que la version égyptienne – ne
serait pas exactement un pari judicieux.
La Maison Blanche et le Département
d’Etat sont furibonds de la purge à la
tête du Conseil suprême des Forces
armées par le président égyptien
Mohammed Morsi et de
ses voyages diplomatiques à venir –
que le ciel nous en préserve – à Pékin
et au sommet du Mouvement des
Non-Alignés (MNA) à Téhéran. Si les
Frères Musulmans en Egypte peuvent
réussirce genre de prouesses, imaginez
en Syrie, qui n'était même pas dans la
sphère d’influence de Washington.
Alors pourquoi ne pas laisser le tout
traîner vers une
libanisation – ou plutôt une
somalisation – scénario qui abattrait
les quilles de l’armée syrienne et
affaiblirait le gouvernement central de
Damas, éclipsant ainsi sa « menace » au
cas où le duo belliciste Bibi-Barak en
Israël lançait une attaque sur l’Iran ?
Carlos
Latuff
Etoffez votre démocratie par des bombes
Voyons comment la situation se
présente. Les Trois (dis)Grâces –
Hillary Clinton, Susan Rice et Samantha
Power – et leur doctrine R2P («
responsabilité de protéger ») a été
appliquée « avec succès » en Libye, et a
lamentablement échoué en Syrie.
Il n’y aura pas de « zone d'exclusion
aérienne » – dans les faits une
déclaration de guerre. Il n’y aura pas
de bombardement « humanitaire », il a
été bloqué au Conseil de sécurité de
l’ONU pas moins de trois fois par la
Russie et la Chine.
De plus, l’hystérique « guerre contre
les terro » vieille de dix ans s’est
avérée être une escroquerie
intergalactique; la CIA, aux côtés de la
Maison des Saoud et du Qatar, est de
nouveau côte-à-côte avec une palette de
djihadistes salafistes du genre Al-Qaïda
qui combattent allègrement une
république arabe laïque.
La question clé de la Syrie est
comment la Russie et la Chine perçoivent
la ligne rouge d’Obama.
Voici la réponse russe [3]. Sa ligne
directrice est que les USA doivent
respecter les « règles du droit
international », et non pas celles de «
la démocratie par les bombes », et que
seul le Conseil de sécurité a le pouvoir
d’autoriser une attaque contre la Syrie.
Une fois de plus, la Russie et la Chine,
trois fois déjà, ont dit non à la
guerre.
Voici la réponse chinoise [4]. Une
réponse qui n’est pas parvenue par la
voie diplomatique, comme le ministre
russe des Affaires étrangères Sergueï
Lavrov, mais par un éditorial de
l’agence de presse Xinhua, qui dans le
contexte chinois signifie la version
officielle de Pékin. Le titre est plutôt
explicite : «Par sa mise en garde sur le
« ligne rouge », Obama cherche un
nouveau prétexte pour une intervention
en Syrie. »
Et l'agence écrit textuellement –
résumant la politique étrangère US selon
Pékin : « Il n’est pas difficile de
constater que, sous le couvert de
l’humanitaire, les USA ont toujours
essayé d'écraser les gouvernements
qu’ils considèrent comme une menace pour
leurs soi-disant intérêts nationaux et
afin de les remplacer par des
sympathisants de Washington. »
Tous les acteurs clés ici –USA,
Russie et Chine – savent que Damas ne
commettra pas la folie d’utiliser (ou de
faire « circuler») des armes chimiques.
Donc, pas étonnant que Moscou et Pékin
suspectent fortement que cette astuce de
« ligne rouge » ne soit qu'une nouvelle
manœuvre de diversion d’Obama, du genre
« Leading from behind » ("diriger en
coulisses") en Libye (une foutaise : en
fait, l’attaque sur la Libye a été
démarrée par AfriCom, puis a été
transférée à l’OTAN).
Comme l’Asia
Times Online n’a cessé de le
rapporter depuis plus d’un an, une fois
de plus la situation dans son ensemble
est claire : il s’agit d’un combat
titanesque entre l’OTAN-CCG d'une part
et les membres des BRICS , la Russie et
la Chine, d'autre part. L’enjeu n’est
rien de moins que la primauté du droit
international, qui n’a cessé d’être
violé depuis au moins la pulvérisation
de l’agent Orange sur tout le Vietnam,
en passant par l’invasion de l’Irak par
« Dubya » Bush en 2003, pour toucher le
fond du gouffre avec le « bombardement
humanitaire » de la Libye. Sans parler
d’Israël qui menace tous les jours de
bombarder l’Iran – comme s’il s’agissait
d’une visite à un traiteur casher.
Bon, on peut toujours rêver du jour
où un monde multipolaire donnera un
carton rose (avis de licenciement) aux
traceurs de lignes rouges.
Notes
1.
Obama Threatens Force Against Syria, New
York Times, 20 août 2012
2.
http://www.moonofalabama.org/2012/08/obama-to-assad-do-whatever-you-need-to-do.html,
Moon of Alabama, 21 août 2012.
3.
Russia warns West on Syria after Obama
threats, Reuters, 21 août 2012.
4.
Obama’s “red line” warnings
merely
aimed
to seek new
pretext for
Syria
intervention, 22 août 2012.
Traduit par
MecanoBlog
Edité par
Fausto Giudice فاوستو جيوديشي
Le
dossier Syrie
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