Opinion
L'Israélien tueur
et le Turc maboul
Pepe Escobar
Mercredi 15 août 2012
Les fous dirigent –
ou pensent qu’ils dirigent – l’asile.
Comme Asia Times Online l’a déjà signalé
(Voir
Bomb Iran fever, du 8 août 2012),
Tel-Aviv est peut-être à deux doigts de
passer de la guerre économique déjà
déclarée contre l’Iran, à une guerre
ouverte.
Jetez un coup d’oeil à cette folie :
[1] Le duo de va-t-en-guerre Bibi-Barak
(le Premier ministre Benyamin Netanyahou
et le ministre de la Défense Ehud Barak)
est peut-être sur le point de tenter le
tout pour le tout en faveur d’une
attaque de l’Iran – et ce malgré l’avis
du gratin de la Défense et des experts
du renseignement israélien.
Barak pourrait même avoir eu accès à
des dossiers confidentiels du
renseignement US. Il a déclaré [à la
radio israélienne], « Il existe
probablement, vraiment un tel rapport du
renseignement US – je ne sais pas si
c’est un NIE [National Intelligence
Estimate] – qui tourne dans les bureaux
des hauts fonctionnaires [à Washington].
»
« Probablement ? » «
Vraiment ? » « Je ne sais pas ?
» Et cette forêt d’hypothèses devrait
être une justification pour une guerre
ouverte ?
Puis Barak a ajouté, « Pour
autant que nous le sachions, il [le NIE]
rapporte que l’évaluation US est
sensiblement proche de la nôtre. »
Pas vraiment. Voici la réponse d’un
porte-parole du Conseil de sécurité
nationale de la Maison Blanche : la
conclusion de l’évaluation du
renseignement US demeure la même. L’Iran
ne poursuit pas un programme d’armement
nucléaire.
Et si une confirmation supplémentaire
était nécessaire, Washington semble
avoir une idée assez claire des progrès
nucléaires de l’Iran. [2]
Selon le porte-parole de la Maison
Blanche Jay Carney, « Nous saurions
si et à quel moment l’Iran aurait fait
ce que l’on appelle un pas décisif vers
l’acquisition d’une arme. »
Pour Bibi le tueur, ce n’est
évidemment pas suffisant. Cela n’a pas
d’importance que – techniquement et
logistiquement – Israël n’ait tout
simplement pas ce qu’il faut pour mener
une attaque réussie contre les
installations nucléaires de l’Iran.
Jetez un œil à cette infographie
concise.
Pour commencer, Israël n’a pas la
dernière génération de bombe anti-bunker
à charge pénétrante MOP GBU-57A afin de
frapper les installations souterraines
iraniennes. Il n’a pas les bombardiers
furtifs Grumman Northrop B-2 pour les
larguer. Et il n’a pas assez
d’avions-ravitailleurs Lockheed Martin
KC-130 (seulement 5; les USA en
possèdent 80) pour ses chasseurs F-15 et
F-16.
Rien ne prouve que l’administration
Obama autorisera le Pentagone à fournir
la liste ci-dessus pour le duo
Bibi-Barak de sitôt.
Et nous allons introduire un peu de
raison dans cette folie – par courtoisie
pour un bon vieux « cold warrior
» (expression courante désignant les
hommes et femmes qui ont été impliqués
durant la Guerre Froide, ndlr) : Evgueni
Primakov , ancien supremo du KGB et
ministre des Affaires étrangères russe.
Primakov dit les choses comme elles
sont, allez-y, attaquez l’Iran, et
alors, inévitablement, ils voudront
avoir une bombe. [3]
Pendant ce temps, à Ankara…
La Turquie est-elle sur le point
d’entrer dans le
neuvième cercle de l’enfer (kurde) ?
La secrétaire d’Etat US Hillary
Clinton tout juste revenue de Turquie et
de très libyenne humeur - « Nous
sommes venus, nous l’avons vu, il est
mort » -, comme si elle nous
rejouait son rôle de l’Ange de la Mort,
augurant de la disparition imminente du
président syrien Bachar Al-Assad.
Un instant. La même chose s’applique
au Département d’Etat afin d’influencer
la décision du shakespearien Premier
ministre turc Recep Tayyip Erdogan, à
savoir « envahir » ou « ne
pas envahir » l’ouest syrien du
Kurdistan.
Le fait est que le parti AKP à Ankara
ne demandera pas le feu vert au
Parlement turc. Il serait si simple
d’envahir le Kurdistan syrien – même
avec une bande de généraux turcs qui
croupissent en prison, accusés d’avoir
fomenté un coup d’Etat. Trois brigades
turques, des chars d’assaut et de
l’artillerie sont déjà à seulement deux
kilomètres de la frontière syrienne.
Ankara a pénétré des dizaines de fois
au Kurdistan irakien à la poursuite de
guérilleros du PKK (Parti des
Travailleurs Kurdes). L’intrigue
s’épaissit, car dans le même temps
Ankara a des échanges/relations
diplomatiques assez proches avec le
gouvernement régional du Kurdistan
(KRG); en fait Ankara est maintenant
opposé au gouvernement de Nouri al-Maliki
à Bagdad, depuis qu’il a commencé à
directement importer du pétrole kurde,
en contournant le gouvernement central
irakien.
Le ministre turc des Affaires
étrangères, Ahmet Davutoglu, s’est rendu
en personne à Kirkouk et Erbil pour
conclure l’affaire avec Massoud Barzani,
le président du gouvernement régional du
Kurdistan.
En termes Pipelinestan, c’est énorme
: les grandes majors occidentales sont
très pressées de rafler autant d'or noir
qu’il est humainement possible, de
l’énergie du Kurdistan irakien (ainsi
que de l’Azerbaïdjan) – court-circuitant
ainsi l’Iran et la Russie.
Une « invasion » turque du
Kurdistan syrien ne serait pas un
problème en terme de relations pour la
Turquie avec ces parangons de la
démocratie du Conseil de coopération du
Golfe; après tout le Qatar et la Maison
des Saoud travaillent de concert avec la
Turquie à la déstabilisation totale de
la Syrie.
Mais le régime d’Assad verrait cela
comme un acte de guerre envers la Syrie
– et pas seulement du Kurdistan syrien;
après tout la Turquie accueille non
seulement le Conseil National Syrien
(CNS), mais aussi des milliers de gangs
de « l’Armée Syrienne Pas Exactement
Libre » (ASL), djihadistes
salafistes inclus. La Turquie est leur
base logistique.
Et que se passera-t-il s’il y a une
affluence de sacs à macchabée, expédiés
à Ankara et Istanbul ?
Le jeu de puissance qu’exerce «
le Turc Maboul» Erdogan
pourrait échouer. L’armée turque, la
bourgeoisie commerçante et la
bureaucratie laïque en ont plus que
marre de ses rêveries napoléoniennes :
l’hébergement de l’ASL, bourrée de
djihadistes; la contrebande d’armes en
Syrie aux côtés du Qatar et des
Saoudiens, le déploiement de batteries
anti-aériennes et même de missiles à la
frontière; les menaces d’envahir le
Kurdistan syrien : c’en est trop.
Mais, peut-être pas. Dans une optique
élargie, l’ambition d’Ankara –
d’inspiration néo-ottomane – serait
certainement d’inclure une sorte
d’annexion économique du nord de l’Irak
et du nord-est de la Syrie; les deux
régions sont riches en ressources
énergétiques – et la Turquie a vraiment
besoin d’énergie. Le problème est que
ces deux régions sont toutes deux
habitées principalement par des Kurdes.
Même les Kurdes iraniens se sont
remis à s’activer. [4] Que se
passerait-il si 17 millions de Kurdes de
Turquie décidaient également d’entrer en
action ? Erdogan pourrait alors faire
face au cauchemar suprême de la Turquie
: l’émergence d’un Grand Kurdistan.
La Turquie partage ses frontières
avec l’Irak, la Syrie et l’Iran. Les
Kurdes commencent à pressentir le
tournant historique. Rick Rozoff pour
Global Research [5] affirme avec
justesse que « la Turquie fournit à
l’OTAN – et l’OTAN au Pentagone – un
accès direct à ces trois nations. »
Mais cela peut aller bien au-delà d’«
un nouveau morcellement du Levant
sur le modèle des accords anglo-français
Sykes-Picot en 1916. »
La Turquie néo-ottomane, l’OTAN et le
Pentagone peuvent être sur la même
longueur d’onde, du moins pour le
moment. Mais une balkanisation du Levant
pourrait favoriser l’émergence d’un
Grand Kurdistan. Cela peut faire
progresser les intérêts stratégiques de
Washington. Mais lorsque Erdogan prendra
conscience de la nouvelle réalité – à
laquelle sa propre politique aura
contribué – il pourrait être trop tard.
Notes
[1]
Decision by Netanyahu, Barak to strike
Iran is almost final – Israel TV,
Times of Israel, Aug 13, 2012
[2]
We would know if Iran had made ‘a
breakout’ to the bomb, White House says,
Times of Israel, Aug 13, 2012
[3]
Iran to Make own WMD if Israel Delivers
Airstrike – expert, RIANOVOSTI, Aug
08, 2012
[4]
Kurds’ have the right to demand federal
areas: Kurdish Iranian MP, Al
Arabiya News, August 12, 2012
[5]
Turkey: NATO’s Neo-Ottoman Spearhead in
the Middle East, Global Research,
August 8, 2012
Traduit par
E.d.R.
Edité par
Fausto Giudice فاوستو جيوديشي
Source:
http://www.atimes.com/atimes/Middle_East/NH14Ak02.html
Le
dossier Iran
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