L'ŒIL VIF
La guerre de
l'ombre en Syrie
Pepe
Escobar
Dimanche 4 décembre
2011
Pepe Escobar* est
un éditorialiste connu du journal en
ligne ASIA TIMES ON LINE. Il a publié
plusieurs ouvrages de géopolitique.
De retour
d’un voyage en Syrie il fait le point
sur les enjeux internationaux
où les
civils syriens sont au cœur de ce qui
n’est pas , quoi qu’en dise Hillary
Clinton, une guerre civile mais un
conflit international de grande ampleur
où pour la première fois le clan de la
contre révolution préventive
Etats-Unis-Otan-Israël-Pétromonarchies,
élargi récemment à la Turquie, est face
au groupe émergent du BRICS.
L’écoute attentive
des médias français dominants ne laisse
aucun doute sur l’intégration
totale du
groupe au pouvoir
dans le
quartier général de la
contre-révolution.
Traduction Comaguer
Cible : la Syrie – objectif
stratégique
qui dépasse la Libye. Le décor est
planté. Les enjeux ne pouvaient pas être
plus élevés. la Syrie vaut elle deux
fois la Libye? C'est plus comme la Libye
en remix. Avec la même justification de
« responsabilité de protéger » mettant
en vedette des civils bombardés dans la
« démocratie ». Mais sans résolution du
Conseil de sécurité des Nations Unies
(la Russie et la Chine y mettront leur
veto). A la place, la Turquie est en
vedette, attisant les flammes de la
guerre civile.
La Secrétaire d'État US
Hillary Clinton:
'' Nous sommes venus, nous
avons
vu, il est mort '' a défini le scénario
à
la télévision indonésienne quelques
semaines auparavant, quand elle a
prophétisé qu’il y aurait '' une guerre
civile '' en Syrie, avec une
opposition
bien financée et '' bien armée ''
remplie de déserteurs de l'armée.
Maintenant c'est à l’OTAN- CCG (Conseil
de
Coopération du Golfe) d’y arriver.
OTAN-CCG est bien entendu maintenant la
symbiose pleinement accomplie des
sélectionnés pour l’opération
Les membres de l'organisation du traité
Atlantique Nord tels que la
Grande-Bretagne et la France et les
pétromonarchies sélectionnées du Conseil
de coopération du Golfe, c'est-à-dire
le
Club contre-révolutionnaire du
golfe, tels que le Qatar et les
Émirats arabes Unis (EAU).
Alors n'hésitez pas à vous
prélasser
dans la lumière d'un autre paradis
mercenaire.
La
guerre
de
l'OTAN-CCG
Les Libyens anciennement connus comme
rebelles, avec le consentement explicite
de Mustafa Abdul (aussi appelé Jalil)
président OTAN du Conseil National
transitoire (CNT), ont déjà expédié en
Syrie - via la Turquie - 600 troupes
fraîches hautement motivées par le
renversement
du régime de Kadhafi, pour combattre aux
côtés de l'Armée de Syrie Libre (ASL).
C’est la suite
d’une
réunion secrète à Istanbul entre le CNT
et les '' rebelles '' syriens, renommés
Conseil National syrien (CNS)
Les Libyens à la gâchette heureuse ont
accès à une foule d'armes pillées dans
les dépôts
militaires du régime de Kadhafi, ou ''
données '' généreusement
par l'OTAN et le
Qatar.
Un délicieux parallèle peut déjà être
retracé avec la maison Saud dans les
années 1980 - qui a donné le feu vert
pour que les islamistes durs aillent
combattre
en Afghanistan, au lieu de mettre le feu
à la maison.
Pour le CNT, il est préférable de tenir
au loin dans le Moyen-Orient ces
guerriers lourds de testostérone en
chômage, plutôt que de les laisser
mettre le feu en Afrique du Nord. Et
pour la
Turquie, membre de l'OTAN, en l'absence
de guerre (la faute à ces fichus russes
et chinois), la meilleure option est de
s'appuyer sur des mercenaires pour faire
le travail.
La pression est implacable. Des
diplomates à Bruxelles ont
confirmé à Asia Times Online que les
opérations OTAN-CCG ont mis en place un
centre de commandement à Iskenderun,
dans la province de Hatay en Turquie. La
ville cruciale d’Alep, en Syrie du
Nord-Ouest, est très proche de la
frontière turco-syrienne. le motif
officiel
de ce centre de commandement
est de créer des
« couloirs humanitaires '' vers
la Syrie.
Bien que ces '' humanitaires ''
proviennent de membres de l'OTAN :
États-Unis, Canada et France et des
membres de la GCC : Arabie saoudite,
Qatar et Émirats arabes Unis, le
prétexte est que ce sont seulement
d’ « innocents
instructeurs » et qu’ils ne font
pas partie de l'OTAN. Inutile de dire
que ces philanthropes se composent de
troupes des armées de terre, de mer et
de l’air, et de spécialistes de
l'armement. Leur mission : s'infiltrer
dans le nord de la Syrie, notamment à
Idlib, à Rastan, et à Homs mais surtout,
objectif principal, Alep, la plus grande
ville de Syrie, avec au moins 2,5
millions d’habitants, où la majorité
sont des sunnites et des Kurdes.
Même avant cette nouvelle de Bruxelles,
l’hebdomadaire français satirique « Le
Canard enchaîné » - ainsi que le
quotidien turc « Milliyet » - avaient
déjà révélé que les commandos des
services spéciaux français et le MI6
Britannique assuraient la
formation de l’ASL aux
techniques de guérilla urbaine,
en Hatay dans le sud de la Turquie et à
Tripoli, dans le nord du Liban. Les
Armes - de fusils de chasse aux
mitrailleuses Israéliennes et aux
lance-roquettes - ont été fournies
clandestinement en masse.
Ce n’est un secret pour personne qu’en
Syrie les bandes armées - des salafistes
aux
petits voyous - ont attaqué les
soldats réguliers, la police et même les
civils depuis le début du mouvement de
protestation. Environ 3 500 personnes
ont été tuées depuis sept mois, un grand
nombre de civils et plus de 1100 soldats
ont été tués par ces gangs.
Et puis, il y a les déserteurs. Lorsque
le régime Assad insiste sur le fait que
la tragédie syrienne actuelle est en
grande partie provoquée par des éléments
bien rémunérés et bien armés - sans
parler des mercenaires - au service des
puissances étrangères, il est donc
essentiellement dans le vrai.
A
Homs, une source locale raconte à
Asia Times On Line qu'en ce qui
concerne l’ALS, '' il est clair qu'ils
sont juste une gentille couverture
médiatique pour les criminels. Ils
avaient une vidéo d'eux-mêmes à Baba Amr
dans lequel ils apparaissent comme de
complets
idiots.
Mais quels que soient ces enfants ou ces
hommes, ils ont beaucoup de soutien
parmi la population sunnite. En outre,
ils ont des relais au sein de la
communauté chez les
riches comme chez les
pauvres. Une femme chrétienne qui
enseigne dans une école privée, juste à
l'extérieur de Homs, qui a des élèves en
majorité sunnites
a
eu sa
voiture arrêtée et volée
par
un gang quelconque.
Lorsqu'elle est venue à Homs, elle a
fait quelques appels téléphoniques et sa
voiture a été rendue. Celui qui a volé
sa voiture à l'extérieur des limites de
la ville avait des connexions dans les
classes moyenne et
haute
de la ville et ils ont pu retrouver la
voiture. Cela m'indique l'infiltration
du dogme de la révolution à Homs. Le «
concept » d’ASL est probablement assez
soutenu, et la population
des
zones
pauvres comme Baba Amr, Bayada et
Khalidiyya peut soutenir d’elle-même
l’ASL.
Tournée habituelle des votes
Tout comme en Libye, la Ligue arabe a
aussi dûment rempli son rôle de barrière
de protection pour l’OTAN-CCG, en votant
des sanctions sévères qui incluent un
gel des actifs du gouvernement syrien,
aucune relation commerciale avec
la
Banque centrale et plus d'investissement
arabes. En bref : guerre économique. Le
journal libanais
« L'Orient, Le Jour » a poliment
appelé cela '' un euphémisme politique
''. Sur Les 22 membres de Ligue, 19 ont
voté
– la Syrie était déjà suspendue. L’Irak
- où le gouvernement est à majorité
Shiite et le Liban - où le Hezbollah
fait partie du gouvernement - ont été
les seuls à se
''
dissocier '' eux-mêmes du
vote
Pendant ce temps, le sale jeu
opportuniste de chaises musicales -
version syrienne - est également en
cours. Le Conseil National syrien et ses
cohortes islamistes rejettent totalement
tout dialogue avec le régime de Bachar
al-Assad. Le Secrétaire général des
Frères musulmans
syriens, Riad Chakfi, promu '' rebelle
libyen '', a imploré l'armée turque
d’envahir le nord de la Syrie et
d’établir une zone tampon. Les exilés
douteux tels que l'ancien vice-président
Abdelhalim Khaddam - exilé à Paris - et
un autre vice-président, Rifaat al-Assad
- exilé en Espagne - ont l'illusion
de
croire que les Frères Musulmans (qui
seront le
groupe dominant
dans
la «
nouvelle » Syrie) leur permettraient de
s'asseoir sur le trône.
C'est carrément idiot - parce que le nom
du jeu dans la
« nouvelle
» Syrie sera « Maison des Saud ». La
Maison des Saud est le lien crucial
entre les Frères Musulmans en Égypte
(qui sont
de
plus en
plus proches de la prise
du pouvoir) ; le parti de l'AKP
en Turquie (qui est essentiellement une
confrérie musulmane). et les Frères
Musulmans en Syrie. Les Saoudiens sont
des investisseurs cruciaux en Turquie.
Ils se positionnent comme principaux
investisseurs en Égypte. Et ils sont en
train de mourir d’envie de devenir des
grands investisseurs dans la Syrie «
nouvelle ».
Puis,
il y a la question clé du jeu de la
Turquie. Dans le dossier syrien, elle
n’est plus du tout un médiateur elle est
devenue l’avocat effronté du changement
de régime.
Oubliez l'entente de
Téhéran-Damas-Ankara, qui était une
réalité il n’y a pas si longtemps, en
2010. Oubliez le pouvoir d'influence et
la politique étrangère annoncée du ''
zéro problème avec nos voisins '',
inventée
par le ministre des affaires
étrangères, Ahmet Davutoglu.
Davutoglu lui-même a annoncé des
sanctions de la Turquie sur la Syrie -
une copie de celles de la Ligue arabe,
avec le gel des avoirs financiers du
gouvernement et aucune transaction avec
la Banque centrale. Davutoglu insiste
pour dire qu’une zone tampon militaire à
l'intérieur de la Syrie, le long de la
frontière avec la Turquie, n’est '' pas
sur l'agenda '' - mais c'est exactement
ce que ces obscurs
instructeurs
humanitaires NATO-GCC sont là
pour faire. Depuis la mi-novembre les
médias turcs ont
été
très actifs détaillant des plans pour
une zone de non survol dans le nord de
la Syrie et sur la zone tampon
susmentionnée, qui s'étend jusqu’à Alep.
Le mobile ? Demandez
au
'' prophète '' Hillary Clinton :
« fomenter la guerre civile ».
Déballage, style Club Med
Dans
sa folle précipitation à vendre le
modèle politique turc pour les parties
du monde arabe à
majorité
sunnite (les pays du CCG eux n’achètent
pas), la Turquie peut mettre
sévèrement en danger ses relations
cruciales avec la Russie et l'Iran.
Environ 70 % de l'énergie de la Turquie
est importée de Russie et d'Iran. Sans
oublier de mentionner que la Russie et
l'Iran sont furieux contre la Turquie
qui cède à la pression de l'OTAN pour
accueillir une station radar dans le
cadre de la défense antimissile.
La Russie a des idées très claires sur
le scénario syrien. Le ministère russe
des affaires étrangères a été plus
qu’explicite depuis maintenant des
semaines : « Nous n'acceptons absolument
pas un scénario d'intervention militaire
en Syrie. »
La réunion des ministres des affaires
étrangères adjoint du groupe émergent du
BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et
Afrique du Sud), la semaine dernière à
Moscou, a été sans ambigüité.
les pays du BRICS ont pour l’essentiel
tracé les lignes rouges. Aucune excuse
que ce soit pour une intervention
étrangère en Syrie, et '' toute
interférence extérieure dans les
affaires de la Syrie, non conforme à la
Charte de l'ONU, doit être exclue. » Pas
de '' bombes sur l’Iran » ; au lieu de
cela, dialogue et négociations. Et
aucune sanction supplémentaire jugée ''
contre-productive''. Les pays BRICS
voient clairement comment le scénario
libyen s’est lentement transformé
en une
guerre
modifiée OTAN-CCG.
Pour ajouter la sauce supplémentaire, le
porte-avions Amiral Kuznetsov -
équipé de missiles nucléaires - a déjà
quitté Mourmansk vers la Méditerranée
orientale, aux côtés du destroyer amiral
Chabanenko et la frégate Ladny. Ils
arriveront à la base navale de Tartous,
en Syrie, à la mi-janvier et seront
rejoints
par d’autres navires de la
flotte russe de la mer Noire.
Tartous, qui héberge
environ
600 militaires et des techniciens du
ministère de la défense russe, est un
centre de maintenance et de
ravitaillement en carburant de la flotte
russe de la mer Noire. Ce
sera
excitant
de voir si les Russes inviteront
les
membres du groupe de combat naval
du
porte-avions George H.W. Bush -
maintenant également en Méditerranée
orientale - pour un match de volleyball.
Il est juste de dire que des masses de
Syriens veulent quelque chose d’autre
que le régime Assad - mais certainement
pas une variante du bombardement
humanitaire, sans parler d’une guerre
civile. Ils ont vu l'héritage de l'OTAN
en Libye : pratiquement toute
l'infrastructure du pays détruite, les
villes bombardées réduites en
poussière,
des dizaines de milliers de morts et de
blessés, des fanatiques liés à Al-Qaïda
détenant le pouvoir à Tripoli, la haine
ethnique généralisée. Ils ne veulent pas
un nouveau massacre. Mais l'OTAN-CCG le
veut.
Quelques compléments Comaguer
. L’enjeu militaire pour la Russie
de la guerre de Syrie est celui
du maintien de la base navale de
Tartous. Déjà privée de la possibilité
de ravitaillement dans les ports libyens
la flotte russe n’aurait plus aucun port
d’accueil en Méditerranée. Or, à l’image
du porte-avions Amiral Kuznetsov, les
navires de guerre russes, tous
construits avant 1991, ne sont pas, à
l’exception des sous-marins, à
propulsion nucléaire et ont donc besoin
de carburant …
. les résultats des élections
législatives partielles en Egypte
confirment la prochaine arrivée au
pouvoir des Frères Musulmans, un pouvoir
qu’ils devront partager avec une armée
puissante mais avec laquelle ils n’ont
pas de désaccord sur la ligne
globalement contre-révolutionnaire.
. Rifaat El Assad est l’oncle de Bachar
El Assad. Il a
d’abord tenté de succéder à son
frère Hafez el Assad qui l’a
progressivement éliminé et a retenté sa
chance sans succès au moment de
l’arrivée au pouvoir de Bachar El Assad.
Il a vécu en France et en Espagne et
habiterait maintenant Londres. Il
bénéficie du soutien
de la monarchie saoudienne. Il a
fondé la chaine satellitaire : Arab news
network que dirige son fils.
*Pepe
Escobar (pepeasia@yahoo.com)
est l’auteur de “Globalistan :How
the Globalized World is Dissolving into
Liquid War” (Nimble Books, 2007)
et “Red Zone Blues : a snapshot
of Baghdad during the surge”.
Son dernier livre s’appelle :
« Obama does Globalistan » (Nimble
Books, 2009). Aucune traduction
française à notre connaissance. Ses
traductions d’article en français sont
souvent publiées par le site canadien
http://www.mondialisation.ca
Le
dossier Syrie
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