Selon une classification classique chez les géostratéges,
le conflit israélo-palestinien pourrait être considéré comme
un conflit dit de " basse intensité ". En effet, il
ne concerne pas un vaste territoire (à peine l'équivalent de
deux départements français) et, pour violent qu'il soit, il
fait nettement moins de victimes que ceux du Darfour ou de la
Tchétchènie. Il est pourtant devenu un conflit majeur,
symbolique des relations entre le monde occidental et le monde
arabo-musulman. Il a une importance stratégique majeure,
capitale pour l'évaluation de la sécurité internationale.
La non-résolution de ce conflit est attribuée dans le monde
arabe au refus d'Israël d'appliquer les résolutions des
Nations-Unies, notamment la 242 adoptée en 1967 lui demandant
de se retirer des territoires qu'il venait de conquérir. Seul
un appui américain, jugé par les pays arabes comme étant
inconditionnel, permet à Israël de ne pas céder et de
continuer d'occuper ces territoires. C'est pour eux le symbole
du " deux poids deux mesures " ; on exige de leur part
un strict respect du droit international, alors qu'on ferme les
yeux devant les violations d'Israël, parce que c'est un pays
allié des Occidentaux.
L'émergence des chaînes satellitaires arabes qui montrent
chaque jour des images de l'occupation israélienne et de la répression
militaire des Palestiniens, et l'ancienneté de ce conflit, se
conjuguent pour en faire une cause mobilisatrice non seulement
dans le monde arabe, mais au-delà, musulman.
Ce conflit lointain a une importance très forte en France où
vivent à la fois la plus forte communauté juive et la plus
forte communauté musulmane d'Europe. Si l'appartenance
communautaire ne détermine pas les choix politiques
individuels, il est certain qu'elle crée des solidarités et
des phénomènes d'identification. Par ailleurs, la France veut
avoir une politique active dans la région, ce qui n'est pas
toujours bien perçu. Sa diplomatie est jugée trop pro-arabe
pour les amis d'Israël, insuffisamment volontaire ou efficace
pour le pro-palestiniens. Depuis l'échec du sommet du camp
David, la mort du processus d'Oslo et le renouvellement de
l'affrontement entre Israéliens et Palestiniens, à partir de
septembre 2000, ce conflit est venu enflammer la société française.
C'est le sujet qui crée des passions incendiaires, des clivages
bien plus forts que les clivages politiques ou sociaux
traditionnels. Evoquer le sujet assure parfois la certitude de
se brouiller avec certains amis, voire avec des membres de sa
propre famille. Bref, cela est devenu un sujet tabou de peur des
ennuis que peut susciter le fait de l'évoquer.
Mais l'absence de débats fait naître des rumeurs malsaines.
Les médias sont ainsi accusés d'être, soit aux mains des amis
d'Israël, soit sous influence des milieux arabes. Le fossé et
l'incompréhension se creusent.
Si nous avons voulu écrire ce livre ensemble, avec Elisabeth
Schemla (ndlr ; " Halte aux feux ", Ed. Flammarion),
c'est justement parce que nous sommes en désaccord sur de
nombreux points concernant ce conflit et ses répercussions en
France. Mais nous voulions prouver que ces désaccords ne nous
empêchaient pas, bien au contraire, de débattre librement et
que l'on pouvait avoir des convictions sans considérer que le
point de vue de l'autre était illégitime. Le but est bien de
montrer qu'il est nécessaire de préserver un espace de débat
en France sur ces sujets, en évitant les monologues concordants
de ceux qui sont d'accord entre eux et où les convaincus prêchent
les convertis, mais en évitant également les diabolisations et
parfois même les excommunications de ceux qui ne pensent pas
comme vous. Le débat est indispensable et dans nos divergences
nous avons réuni dans le même livre tous les arguments sur des
sujets hautement sensibles. Cela, nous l'espérons, permettra au
lecteur d'avoir tous les éléments d'un dossier extrêmement
complexe et de se faire sa propre opinion.
Pascal Boniface et Elisabeth Schemla, " Halte aux
feux ", Flammarion, septembre 2006 - 338p - 19 euros
Pascal Boniface /
Sud Ouest / 1er octobre 2006