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IRIS

Asif Ali Zardari, le pittoresque nouveau chef de l'Etat pakistanais:
le «manager de crise» idéal ?

Olivier Guillard


Olivier Guillard - Photo IRIS

9 septembre 2008

A l’issue d’un scrutin présidentiel sans grand suspense, Asif Ali Zardari, 53 ans, veuf de Benazir Bhutto (1) et co-président du Parti du Peuple du Pakistan (2), a été désigné samedi 6 septembre chef de l’Etat. Il succède à l’ancien général Pervaiz Musharraf, démissionnaire à la mi-août, alors en proie à une procédure de destitution. Personnage haut en couleurs jusqu’alors plus connu pour ses démêlés avec la justice -- de son pays, mais… pas seulement – (3), ses 11 longues années passées à l’ombre des geôles (1990-93 ; 1996-2004), son appétence proverbiale pour le confort et son mariage avec feue Benazir Bhutto, il s’est donc mué le week-end dernier en un improbable 13eme Président de la République islamique du Pakistan. De bon augure pour cet état nucléaire de 165 millions d’habitants s’enlisant dans une crise multidimensionnelle (politique, identitaire, sécuritaire, économique) ? Rien n’est moins sûr…

Après 9 années d’intermède militaire (1999 à 2008), un représentant des forces démocratiques revient aux commandes de la nation : s’agit-il selon vous d’un épisode heureux pour le Pakistan ?
Heureux, les temps à venir nous le diront... Je reste pour le moment sur un scepticisme de mise. A tout le moins, le souhait populaire a-t-il fini par prévaloir ; il s’agit d’un indiscutable acquis. L’organisation des élections générales (Assemblée nationale ; assemblées provinciales) en février 2008, la victoire des démocrates, la défaite consommée du clan Musharraf et son départ précipité de la Présidence le mois dernier sonnent comme autant de succès pour une population qui, lassée par une décennie d’administration militaire, n’en pouvait plus du discours et de la main mise des hommes en uniformes, fusse-t-elle, par la force des choses, rompue à cette situation (4). On peut également se féliciter que cette transition démocratique ait eu lieu sans véritable heurts ni résistance de la part des forces régaliennes (armée ; administration Musharraf). Il est vrai que le chaos et la violence criblant quotidiennement le pays des zones tribales à Karachi, de Peshawar à Rawalpindi, emplissent à eux seuls l’espace dédié à l’inhumanité. Il est également à noter qu’entre la 1ere tentative d’assassinat contre B. Bhutto (oct. 2007 ; Karachi ; 150 morts) et sa répétition malheureusement mortelle deux mois plus tard (27 décembre 2007 ; Rawalpindi), le pays, la démocratie et ses icônes ont déjà payé un prix exorbitant.

Quels sont les défis auxquels devra s’atteler sans retard la nouvelle administration ?
La nomination d’Asif Ali Zardari intervient dans un contexte général qui, même dans ce pays familier de l’instabilité et des périodes de crise diverses et variées, pousse les observateurs mesurés à la plus grande circonspection. On a beau prendre le tableau sous ses diverses coutures, rien ne va ; tout semble aller à vaux l’eau : multiplication des attentats, des zones de combats (cf. vallée de Swat, nord et sud-Waziristan, banlieue de Peshawar, Baloutchistan, etc.) et des zones grises où l’autorité de l’Etat est chaque jour plus apathique, montée en puissance et en détermination des courants islamistes radicaux de type talibans, dégradation avancée de l’économie (5) affligeant une population exsangue (6), tensions renaissantes avec l’Inde au sujet de l’épineux sort du Cachemire et d’une rivalité vis-à-vis de Kaboul, enlisement désespérant de la situation militaire en Afghanistan, etc. Un panorama des plus gris que l’on ne souhaiterait déjà pas à un gouvernement stable et fort, reconnu à l’intérieur de ses frontières et au-delà, et bénéficiant d’un fort crédit : une esquisse dans laquelle on ne reconnait nullement la nouvelle trame du pouvoir pakistanais et son inédit porte-drapeau, le Président Asif Ali Zardari.
Gagner la confiance d’une population sceptique, rallier la loyauté d’une armée échaudée par le départ peu glorieux de son ancien patron (P. Musharraf), trouver un modus operandi avec les redoutables services de renseignement (7) pour juguler l’extension de la gangrène islamiste radicale sur le territoire et en direction de l’Afghanistan, stimuler la confiance (très écornée…) de Washington et des grandes institutions financières internationales pour soutenir une économie aux portes de la banqueroute : autant de plans d’urgence à bâtir (parmi beaucoup d’autres), autant de défis délicats surchargeant, pour un Président fraichement élu et sans grande expérience, une bien dense « feuille de route ».

Voyez-vous quelques chances de succès dans cette redoutable entreprise ?
Accordons à la nouvelle équipe présidentielle le bénéfice du doute et un délai de grâce qui, en toutes hypothèses, sera des plus concis. Certes, en sa qualité de légataire désigné (8) du PPP après la tragique disparition de son épouse, Asif Ali Zardari a fait preuve d’une certaine habilité à maintenir les rangs du PPP (au sein duquel il ne compte pas que des admirateurs zélés), à mener ce dernier au succès électoral en février 2008, à maintenir à distance la formation rivale du PML-N de l’ancien 1er ministre Nawaz Sharif, et, in fine – mais au prix d’un laisser-aller terriblement coupable depuis un semestre sur les dossiers sécuritaires, terroristes et fondamentalistes – à pousser hors de ses fonctions (une authentique performance à souligner) l’ancien Président P. Musharraf, incarnation vivante de l’enracinement du militaire dans les affaires civiles.

Cela en fait-il pour autant le chef de l’Etat éclairé dont les 165 millions de Pakistanais, en ces temps difficiles, ont si cruellement besoin, celui qui, par ses qualités de médiateur, de fédérateur, de manager de crise, tirerait à petit pas, semaine après semaine, effort après effort, concession après discussion, le pays de la torpeur et du chaos vers lequel il semble irrésistiblement attiré ? Il est hélas permis d’en douter.

(1)
Ancien 1er ministre dans les années 80 et 90, assassinée le 27 décembre 2007 à Rawalpindi, Pakistan.

(2)
Le PPP, la 1ère formation politique en nombre de sièges à l’Assemblée nationale.

(3)
Des procédures pour corruption, abus de biens, prises illégales d’intérêt et blanchiment d’argent ont par le passé été engagées devant des tribunaux britanniques, suisses, américains. Et l’on en passe probablement.

(4)
Depuis l’indépendance du Pakistan en 1947, les militaires ont directement dirigé le pays plus de 32 années…

(5)
Ce jour, les réserves de change pakistanaises disposent d’à peine 6 milliards de dollars, couvrant tout juste deux mois d’importations ! L’inflation est pour sa part galopante : 24% en juillet 2008 !

(6)
Près d’un pakistanais sur 2 vit avec moins de 2 dollars par jour.

(7)
Accusés il y a encore peu par le veuf Zardari d’être impliqués dans le meurtre de son épouse.

8)
Même si le Président officiel du PPP est le jeune fils (20 ans la semaine prochaine…) de la défunte, Bilawal Bhutto, poursuivant ses études sur le campus britannique d’Oxford.



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


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