Qaradâwi a-t-il
une responsabilité morale
dans l'assassinat de Ramadan Al-Bouti ? Nassim
Dembri
Lundi 8 avril 2013
Depuis son soutien sans faille à
la politique étrangère du Qatar, le
cheikh Al-Qaradâwî essuie désormais des
attaques virulentes de la part de
religieux issus du coeur même du
sunnisme (…)
Le cheikh YûsufAl-Qaradâwî,
au nom de l’Union Mondiale des
Savants Musulmans qu’il préside, a
certes
condamné fermement sur son site
internet , le 23 mars 2013,
l’assassinat du cheikh syrien
Ramadan Al-Bouti, victime d’un
attentat dans une mosquée de Damas.
Cependant, on peut
légitimement s’interroger sur
l’ambiguïté de cette
condamnation. En effet, trois
mois auparavant, soit en
décembre 2012 , au cours de
l’émission phare d’Al-Jazîra («
La charia et la vie ») dont il
est l’invité vedette (voir vidéo
ci-dessous), le théologien
qatari, devant des millions de
personnes, à une question d’un
téléspectateur arabophone
l’interrogeant sur la licéité ou
permission de prendre pour cible
les soutiens du régime de Bachar
Al-Assad, au premier rang
desquels « les oulémas
du pouvoir », eut une
réponse hallucinante et d’une
violence inouïe, dont voici
certains traits : « (…) Ceux
qui agissent avec le pouvoir, il
nous est obligatoire de tous les
tuer: militaires,
civils, oulémas, ignorants
(…) ceux qui sont du
côté de ce pouvoir (régime
syrien) injuste (…) qui a tué
les gens sans raison, ils sont
injustes comme lui (…) ceux qui
tuent pour lui, que ceux-là
soient tués à leur tour « .
De quels « Oulamas
» parlait Al-Qaradâwî ?
The Peninsula, qui est un des
quotidiens qataris les plus importants
en langue anglaise avait écrit un
article le 26 février 2012, dans
lequel il citait les propos d’un prêche
que le cheikh Al-Qaradâwî avait donné à
la mosquée Omar ibn al-Khattâb à Doha.
Yûsuf Al-Qaradhâwî interpellait
clairement le cheikh Al Bouti: «
Comment pouvez-vous soutenir un régime
qui réprime quotidiennement son peuple
et tue autant de personnes innocentes ».
Yûsuf Al-Qaradhâwî allant jusqu’ à
affirmer dans ce prêche qu’Al Bouti
« dénaturait l’islam » ( accusation
grave dans la religion musulmane ) par
sonsoutien apporté à »ce
rat d’Assad « .
Pour la presse
tunisienne,
algérienne, syrienne et
iranienne, il ne fait aucun doute
également que Qaradâwî faisait allusion
au cheikh Mohammed Saïd Ramadan al-Bouti,
figure religieuse très respectée dans le
monde arabe, qui avait apporté sans
hésiter son soutien au régime de Bachar
Al-Assad. Lors des funérailles d’Al-Bouti
qui ont eu lieu à la Grande Mosquée des
Omeyyades, des images prises avec un
portable montrent une foule en colère
désignant clairement Al-Qaradâwî comme
le responsable de sa mort. ( voir
ci-dessous).
Ces appels au meurtre de la part d’un
dignitaire religieux se prévalant d’une
autorité morale à l’échelle du monde
musulman, ont énormément choqué une
partie de la presse arabe. Mais le
théologien qatari qui n’en n’est pas à
son premier fait d’armes, s’était déjà
distingué sur cette même chaîne, en
février 2011, par une fatwa autorisant
l’assassinat de feu Muammar Khadafi (
voir vidéo ci-dessous).
Le cheikh Al-Qaradâwî de
plus en plus critiqué dans le monde
musulman
La critique publique du Yûsuf Al-Qaradâwî
émanait jusqu’à présent des
intellectuels musulmans qui se
réclamaient de la modernité, ou encore
des milieux de la gauche laïque du monde
arabe. Depuis son soutien sans faille à
la politique étrangère du Qatar, le
cheikh Al-Qaradâwî essuie désormais des
attaques virulentes de la part de
religieux issus du coeur même du
sunnisme, et notamment en provenance
d’une ville sainte de l’Islam: Jérusalem
( voir vidéo à la fin de l’article).
Ces critiques contre le cheikh Al-Qaradâwî
sont souvent assimilées à une fitna
(divisions parmi les musulmans) dans
certains milieux de l’islam politique.
La paix et l’éthique, dont le bon
conseil et la fraternité humaine, sont
la quintessence du message de cette
religion: le prophète de l’islam ( SAWS)
rappelait à ce sujet: « La religion,
c’est le conseil ou la sincérité ». «
Répandez la paix ». « J’ai été
envoyé pour parfaire les plus nobles
vertus ». Omar, deuxième calife de
l’islam, surnommé « al-farûq » (celui
qui distingue le bien du mal) affirmait
: « Soyez les vicaires de Dieu en
étant silencieux », et comment lui
demanda-t-on: « Par votre éthique ».
« Que Dieu soit clément à l’égard de
quiconque me montre mes faiblesses ».
Enfin le Coran précise que : « L
»homme a été crée faible »(Sourate
Les Femmes) et ailleurs, dans la sourate
XVII verset 85: « Il ne vous a été
donné que peu de science ». La
faillibilité et la finitude de la raison
sont donc le lot congénital de
l’humanité: si l’homme est faible ou
faillible, alors les « oulémas » qui
sont des hommes, le sont également en
bon syllogisme.
En septembre 2012, ce comité d’imams
de Jérusalem, emmené par Salahuddin Ben
Ibrahim, imam de la mosquée d’Al Aqsa
(troisième lieu saint de l’islam), très
populaire en Palestine et dans la
galaxie musulmane, a organisé une
conférence de presse pour lancer une
sérieuse mise en garde contre le cheikh
Al-Qaradâwî . Cet avertissement assumé
publiquement est révélateur du discrédit
qui frappe le prédicateur égyptien, dont
la réputation a sérieusement été
entachée. Son audience dans le monde
musulman ne semble plus tenir qu’à
l’immense tribune offerte par Al Jazeera,
un espace d’expression dont ses
détracteurs affirment, qu’il s’est bien
gardé d’utiliser pour dénoncer la
présence d’une base américaine au Qatar.
De plus en plus de voix s’élèvent
dans l’islam pour fustiger la
compromission du cheikh Al-Qaradâwî avec
la richissime dictature du Qatar.
Considéré comme l’un des hommes
religieux les plus riches au monde(1),
pour la plupart des commentateurs, ce
dernier est devenu un Oulama de cour,
n’hésitant pas à apporter une caution
religieuse à des expéditions guerrières
menées contre des pays musulmans, comme
ce fut le cas pour la Libye. En dépit de
ce soutien de poids, le président
Sarkozy ( grand ami de la monarchie du
Qatar) humiliera publiquement ce pays et
Al-Qaradâwî en
refusant au cheikh, pourtant
détenteur d’un passeport diplomatique,
l’accès au territoire français pour
venir assister au 29ème Rassemblement
Annuel des Musulmans de France du
Bourget du 6 au 9 Avril 2012.
A l’instar du cheikh saoudien, Ibn
Baz, qui avait émis une fatwa en 1990
permettant à l’armée américaine de
partir à l’assaut d’un pays musulman, en
l’occurrence l’Irak, et ce depuis
l’Arabie saoudite, Al-Qaradâwî risque
fort de rester dans l’histoire comme le
Oulama qui aura usé de son autorité
religieuse pour délivrer une caution
jurisprudentielle à une intervention
occidentale en Libye, contribuant ainsi
à la destruction d’un autre pays
musulman. C’est le sens du message
transmis par cet aréopage d’imams, mais
dont l’initiative a été totalement
passée sous silence par la chaîne Al
Jazeera, où officie le cheikh Al-Qaradhâwî
.
Les partisans du cheikh Al-Qaradâwî
ne manqueront de voir dans cette
initiative la main d’ officines syrano-iraniennes
en vue de disqualifier le prédicateur
Qaradawi. Or, ce comité d’imams de
Jérusalem brille par son indépendance,
puisque sa déclaration s’adresse à tous
les dirigeants arabes, au président Al
Assad compris.
Soucieux de l’unité des musulmans et
du règlement pacifique de la crise
syrienne, dans un discours empreint
d’une grande sagesse, l’imam Salahuddin
Ben Ibrahim a fixé le cadre de son
intervention. Il est clairement dans une
démarche diplomatique visant à ménager
les différents groupes qui s’affrontent
dans ce pays, afin de les réunir autour
d’une table de négociation. A partir de
2’00′, il précise l’objectif de cette
conférence de presse: « Si nous
sommes ici, c’est pour dire ce qui doit
être dit devant Dieu, sans craindre
quiconque. Si nous sommes ici, c’est
pour nous détacher devant Dieu des
fetwas qui ont été déversés (ndlr: il
fait notamment ici à
la fatwa du cheikh invitant à
tuer le Président libyen Khadafi) et des
intrigues et des tromperies qui ont
rendu le sang enivrant et le haram
autorisé. Qu’Allah fasse miséricorde à
tout opprimé et à tout blessé, et à tout
naïf qui a rejoint par avidité et
crédulité «
Il interpelle ensuite le chef d’Etat
syrien Al Assad (à partir de 9’00), en
lui rappelant que le peuple syrien est
sous sa responsabilité: « Ces jeunes
sont tes jeunes, ces aînés sont tes
aînés, et ces proches sont tes frères.
Redoute Allah et traite-les avec bonté.
Et sache qu’Allah est bienveillant et
aime la bonté … Et sache qu’Allah est
au-dessus de toi, comme tu es au-dessus
d’eux. Alors demande lui pour toi et ton
peuple, le bon jugement et l’issue
favorable. Quant aux nobles gens en
Syrie, savants et peuple syrien, nous
leur demandons au nom d’Allah, le
Sécurisant, le Salut, de cesser
l’effusion de sang, de renoncer et de se
tourner vers l’entente et la
réconciliation, là est la satisfaction
de leur Seigneur et la déchéance de leur
ennemi. Voilà pour notre peuple et les
musulmans. »
Puis à partir de 27’20, l’imam
Salahuddin Ben Ibrahim désigne sans
détour les responsables du chaos dans
certains pays arabes: « J’ai dès le
début parler avec franchise, et
ouvertement. Il y a trois pieux, tous
mauvais: un média menteur, un dignitaire
menteur, et un clan menteur. Le clan
menteur est une base militaire dans les
pays musulmans, le média menteur est Al
Jazeera, et le savant menteur (ndlr : il
s’agit de Qaradâwi), vous le connaissez.
Il a fait des petits qui mentent comme
lui. Celui qui s’écarte de ces trois
préserve son honneur et sa foi. Ai-je
transmis le message ?Allah sois témoin.
»
(1) Voir le livre de Naoufel Brahimi
El Mili, « Le printemps arabe ; une
manipulation ?
Appel des Imams de Jérusalem
– Mise en garde contre Al-Qaradâwî
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