Opinion
Le Sinaï : Base
américaine ?
Nasser Kandil
Jeudi 15 août 2013
Les discussions vont bon train dans les
centres d'études US, les séminaires et
ateliers sur le Sinaï et son importance
stratégique. Certains chercheurs en
arrivent à deux équations possibles qui
se résumeraient à dire que la sécurité
d’Israël dépend du Sinaï non du Golan
syrien, et que la sécurité des gazoducs
et oléoducs dépend du SinaÏ non de Homs
en Syrie. D’autres planchent sur
l’importance stratégique comparée entre
Al-Qusayr en Syrie et le Sinaï en Égypte
et, tenant compte des frontières
terrestres et maritimes des deux pays,
en arrivent à dire que le Sinaï est
stratégiquement plus important que la
Syrie.
Habituellement, une telle focalisation
des centres de recherche sur un sujet
donné n’est pas sans finalité et ne
consiste pas à se contenter d’échanger
les points de vue, réagir, ou exagérer
un événement sécuritaire ou politique ;
d’autant plus que les organisateurs de
ces workshops sont aussi les décideurs
en la matière.
Les diverses études ainsi menées donnent
pléthore d’informations importantes sur
le Sinaï, l’accent étant
particulièrement porté sur sa géographie
offrant à la fois des zones côtières,
des zones montagneuses, et de vastes
zones désertiques vides de population
répondant, par conséquent, aux
conditions requises par le Pentagone
pour l’établissement de bases militaires
fixes.
En effet, un demi-million d’habitants
répartis sur 60 000 kilomètres font que
la superficie de cette région est trente
fois supérieure à celle de Gaza alors
que son peuplement est quatre fois
inférieur. Autrement dit, le Sinaï est
cent vingt fois moins densément peuplé
que Gaza alors que sa superficie est
égale à trois fois celle de toute la
Palestine, à six fois celle du Liban ou
des territoires occupés en 1967 et en
1948.
Par ailleurs, le Sinaï est traversé de
gazoducs, actuellement en service,
transportant le gaz égyptien vers la
Jordanie via la Palestine et pourrait
recevoir les gazoducs partant des Pays
du Golfe vers la Méditerranée.
Géographiquement, le Sinaï tient les
deux rives du golfe d'Aqaba faisant face
au tiers de la côte saoudienne sur la
mer Rouge et au détroit de Bab el Mandeb,
débouché maritime des pays du Golfe vers
les côtes du Yémen, de la Somalie, du
Soudan, de l'Érythrée et de l'Éthiopie.
Adjacent à l’une des deux rives du Canal
de Suez, il tient aussi la Méditerranée,
s’ouvre en profondeur sur l'Egypte par
terre et par mer, et côtoie la Jordanie,
Gaza et le Néguev. Autant d’atouts pour
servir de base à des porte-avions, des
missiles de croisière Cruise, des
antimissiles Patriot, des stations de
radars géants, des stations d’écoute et
de communications par satellites, et
aussi de base pour des forces terrestres
états-uniennes qui pourraient atteindre
les cent milles soldats avec la garantie
de toujours rester complètement à
l’écart de la population locale.
D’autres études se sont concentrées sur
l’Histoire en remontant jusqu’à Abraham
pour dire que le Sinaï est le berceau
des civilisations et des religions.
S’appuyant, entre autres, sur l’ouvrage
de Kamal Salibi, elles rappellent que la
Torah est née de la péninsule arabique
et que les premiers fidèles du judaïsme,
du christianisme et de l’islam y ont
évolué, sans oublier la dynastie
monothéiste des Hyxos qui les a précédés
et a gouverné l’Égypte et les Bilad
al-Cham [les Pays du Levant].
Il est improbable que ces études soient
l’objet d’un tel regain d’intérêt
fortuitement, au moment même où les
équations régionales calculées et
imposées par les États-Unis risquent de
s’inverser vu la très rapide évolution
de la situation égyptienne et le non
effondrement de M. Bachar al-Assad et
des piliers des institutions syriennes.
Non, ces études remises à l’ordre du
jour ne peuvent être fortuites, d’autant
plus que les États-Unis sont sur le
point d’adopter une nouvelle équation
fondée sur moins de dispersion de leurs
forces et un repli stratégique vers une
nouvelle base plus lourde axée sur
l’Asie et l’Afrique, avant de
s’aventurer par un redéploiement sur les
mers et océans.
En revanche il est plus que probable que
les Services de sécurité et la politique
des USA vont désormais concentrer leurs
efforts sur le Sinaï. Cela pourra
prendre des mois et même des années au
cours desquelles ils testeront plusieurs
options. Parmi ces options, transformer
cette zone en refuge pour les différents
réseaux d’Al-Qaïda sur lesquels les
drones US pourraient continuer leur
besogne, ou la transformer en refuge
pour les Frères Musulmans ; lesquels,
forts de leur continuité géographique
avec leurs autres Frères à Gaza leur
permettraient de lancer une guerre
ouverte contre le chaos dans toute
l’Égypte. Une autre option plus
facilement réalisable serait d’exploiter
toutes ces entrées ouvertes au chaos
dont des opérations fabriquées
prétendument menaçantes pour Israël,
notamment pour Eilat si proche, pour
justifier leur mainmise directe sur le
Sinaï au moyen de bases militaires
gigantesques qui deviendraient le plus
important porte avion US du monde.
Cette mainmise des États-Unis sur le
Sinaï semble être devenue l’objectif
stratégique du moment. À partir de là,
il sera possible de compenser la perte
des richesses pétrolières et gazières
due à leur échec en Syrie. À partir de
là, la sécurité d’Israël sera sous leur
garde directe ainsi que celle de l'Asie,
de l'Afrique et des pays du Golfe qui ne
pourra pas échapper à leur vigilance.
Ainsi, les États-Unis pourront dire
qu’ils sont redéployés mais non
vaincus !
Les yeux US sont braqués sur le Sinaï.
Faisons-en autant, surtout les Égyptiens
et leur Armée, maintenant que la
mainmise sur le Sinaï risque de menacer
la souveraineté de L’Égypte, laquelle
souveraineté exige de se libérer des
contraintes unilatérales imposées par
« les accords de Camp David ».
Nasser Kandil
13/08/2013
Article traduit de l’arabe par Mouna
Alno-Nakhal
Article original : Top News
http://www.topnews-nasserkandil.com/topnews/share.php?art_id=2106
Monsieur Nasser Kandil
est libanais, ancien député et directeur
de Top News-nasser-kandil
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