Syrie
Syrie : Les
coulisses parisiennes du conclave de
Doha !
Nasser
Charara
Lundi 10 décembre
2012 La Conférence de
Doha sur la Syrie, courant Novembre
2012, a comporté un versant obscur qui a
consisté en l’élaboration d’un plan
destiné à modifier la réalité militaire
et politique sur le terrain, Paris
poussant à l’escalade et incitant à
« bruler les étapes ». Il en est sorti
un « protocole confidentiel »
définissant la fonction opérationnelle
de la toute nouvelle « Coalition de
l’opposition syrienne », une fois les
rebelles réorganisés et concentrés sur
cinq fronts, face aux principales villes
syriennes.
D’après une source haut placée dans la
hiérarchie des autorités syriennes,
nombre de détails des plans secrets
concoctés en marge de la Conférence de
Doha auraient pris le chemin de Damas,
révélant que le but poursuivi par les
congressistes ne consistait pas
uniquement à trouver des solutions à la
crise manifeste d’une opposition
fragmentée et d’essence fondamentaliste
islamiste, mais aussi et surtout à
élaborer un plan qui pourrait changer la
réalité militaire et politique de la
donne syrienne ; la récente « Bataille
de Damas » faisant partie des décisions
secrètes prises lors de cette même
conférence.
Plus précisément, la France aurait tenté
de manœuvrer en coulisses pour plusieurs
raisons. Parmi celles-ci, le
couronnement de ses efforts pour
convaincre l'Union européenne de lever
son interdiction de fournir des armes à
l'opposition syrienne qui, selon Paris,
serait en passe de remporter une
victoire décisive. Dès lors, la
communauté internationale n’aurait plus
eu qu’à suivre son exemple en
reconnaissant
la Coalition [1]
comme la seule représentante du peuple
syrien
et, du même coup, comme l’unique
interlocuteur de l’ensemble des
oppositions.
Ainsi, les débats
rapportés par certains participants à
cette fameuse conférence témoigneraient
de l’insistance de la
France
à renverser le gouvernement syrien, au
plus vite, en incitant à « bruler les
étapes », à promouvoir l'escalade
militaire et politique, et à travailler
à résoudre le problème de la crainte
engendrée en Occident par une opposition
armée manifestement dominée par des
cellules d’Al-qaïda et d’éléments soumis
à des agendas salafistes extrémistes.
Le plan des cinq
fronts
Partant de ce qui a
filtré de cette conférence de Doha, de
sa relation avec la situation militaire
générale en Syrie, de l’organigramme de
l’opposition syrienne soi-disant enfin
coalisée, et de la bataille de Damas
qui lui a succédé, des sources bien
informées ont révélé à Al-Akhbar
que les prises de position des prétendus
« Amis du peuple syrien » n’ont pas
baigné dans une totale harmonie. Alors
que Paris se serait distinguée par son
désir d’escalade et par son insistance à
bruler les étapes dans la confrontation
avec les autorités syriennes, Washington
et, dans une moindre mesure, Londres
auraient estimé qu’à ce stade il valait
mieux se contenter de durcir les
sanctions économiques et s’atteler à
réorganiser l'opposition sous l’égide de
la nouvelle coalition débarrassée
« partiellement » de ses extrémistes ;
partiellement, parce qu’ils pourraient
« encore servir » pour affaiblir l’État
syrien ! En conséquence, un document de
travail frappé du sceau de la
confidentialité aurait circulé dans les
coulisses, pour préparer aux discussions
sur le thème de la nécessaire prudence
en matière d’armement de l'opposition.
Les points essentiels
de ce document confidentiel porteraient
sur deux axes principaux concernant la
fonction opérationnelle et les
obligations de la Coalition prétendument
nationale, qui devra « faire ses preuves
en relevant plusieurs défis »,
notamment :
1.
Unifier l'aide humanitaire destinée
aussi bien aux personnes déplacées qu’à
l’intérieur des frontières syriennes, de
sorte qu’elle puisse parvenir à tous les
Syriens à travers les « canaux
exclusifs des Frères Musulmans ».
2.
Revoir l’organisation des rebelles
armés inféodés aux opposants coalisés -
lesquels représenteraient les deux tiers
d’après les statistiques des services de
renseignements étrangers - selon un plan
qui les rassemblerait sur cinq fronts
disposés face aux principales villes
syriennes. Ceci, dans le but de se
débarrasser du dernier tiers composé de
combattants salafistes qui ne seraient
loyaux qu’à eux-mêmes.
Un troisième axe de
discussion aurait porté sur l'armement
de l'opposition syrienne ainsi coalisée.
Des membres éminents de la Coalition
auraient soumis l'idée lumineuse de la
levée de l'interdiction et de la
codification de l'armement destiné aux
soi-disant rebelles, pendant que les
représentants du gouvernement français
auraient fait savoir qu’en ce qui les
concerne, toute implication dans ce sens
devait passer par une décision de
l’Union européenne nécessitant un
consensus entre les 27 pays partenaires,
avec lesquels ils étaient d’ailleurs en
cours de pourparlers. Ils auraient
ajouté que le problème pour le
gouvernement français était
inextricablement lié à « éloigner le
danger des djihadistes
infiltrés
au sein de l’opposition syrienne »,
l’Occident étant par ailleurs, et
dans
sa grande majorité, disposé à armer
l'opposition ainsi réorganisée. Ce à
quoi les éminents opposants auraient
rétorqué que c’est justement cette
abstention occidentale qui a conduit à
ce que les forces salafistes soient les
plus lourdement armées, puisqu’elles
avaient la chance de ne dépendre que des
réseaux de financement privés, quoique
parrainés par les pays du Golfe. Paris
aurait alors promis d’en débattre au
cours des délibérations du Conseil
européen des Affaires étrangères, qui
ont eu lieu dans la seconde moitié du
mois dernier. Mais les réponses
apportées à cette dernière question sont
restées secrètes !
Quoi qu’il en soit,
les observateurs de la Conférence de
Doha ont noté que Paris, dépassant
la prudence américaine, a paru
très pressée de se
mobiliser pour la prise de
décision relative à l’armement de ceux
qu’elle qualifie d’ « opposants
démocratiques syriens », ne serait-ce
que par son engagement à obtenir
l'approbation de ses partenaires
dans l’Union européenne. Il n’empêche
que depuis, le cours des événements
a
montré que Paris a échoué dans sa quête
de se poser en chef de file de la
« communauté internationale » à la
faveur de crise syrienne, et qu’il lui
faudra bien se ranger derrière le camp
présidé par Washington. Mais entretemps,
les événements de Gaza sont venus
accaparer les efforts diplomatiques
internationaux consacrés à la situation
syrienne…
Échec de l’option
française
Suite à la Conférence de Doha, il y a eu
des critiques, et même au sein de
l'Elysée, sur l’opportunité de
l’initiative prématurée du président
français, François Hollande, qui a
déclaré reconnaitre
la Coalition « comme la seule
représentante du peuple syrien et donc
comme le futur gouvernement provisoire
de la Syrie démocratique permettant d'en
terminer avec le régime de Bachar al-Assad » !
[2].
De sources diplomatiques, M. Hollande
aurait donné trois raisons qui l’ont
poussé à ainsi se distinguer, alors que
Londres et Washington s’étaient abstenus
de reconnaitre la Coalition en ces
termes. La première en conséquence d'un
engagement personnel qu’il s’était
promis de respecter, sitôt l’annonce
faite. La deuxième du fait de sa
conviction personnelle qu’il fallait
accélérer le mouvement militaire et
diplomatique pour ne pas couper l’élan
d’un accord d’unification réussi à Doha,
au prix de maintes difficultés. La
troisième en rapport avec son désir de
voir Paris, à l’avant-garde sur la scène
internationale, répétant en Syrie le
rôle joué en Libye.
Tout comme M. Sarkozy
s’était distingué à recevoir
officiellement le Conseil National de
Transition [CNT] libyen, accélérant
ainsi l’intervention occidentale qui a
fait pencher la situation en faveur des
rebelles en Libye, M. Hollande a jugé
bon de se précipiter à nommer
un
ambassadeur de cette Coalition à Paris
en la personne du Syrien dissident et en
exil depuis des années,
Mounzer Makhous,
juste après avoir reçu
le cheikh Ahmad Moaz al-Khatib promu
président de la toute nouvelle Coalition
des opposants unifiés.
Mais Paris a été bien
obligée de constater que sa démarche n’a
en rien modifié les réserves de Londres
et de Washington, ni n’a pratiquement
fait évoluer la position internationale
sur le dossier syrien, comme il en a été
du dossier libyen. Même la Ligue arabe,
sur laquelle Paris compte beaucoup en
tant que levier de l'opposition
syrienne, ne s’est pas exprimée aussi
clairement qu’attendu puisqu’elle a
reconnu la coalition comme
interlocuteur, non comme seul
représentant du peuple syrien.
Paris n’a pu que se
rendre compte que sa hâte à renverser le
gouvernement syrien par mimétisme du cas
libyen posait problème, d’autant plus
qu’elle s’était autorisée à nommer un
Ambassadeur issu d’une coalition
d’opposants ; ce qui a soulevé des
questions d’ordre juridique étant donné
qu’aucun gouvernement d’opposition n’a
été constitué ni en Syrie, ni à
l’étranger ! Paris a en effet procédé à
cette nomination pendant que la
Grande-Bretagne et les États-Unis
prétendaient devoir encore discuter des
modalités de cette reconnaissance… [3].
Du coup, Paris a tenté de déployer ses
arguments pour convaincre ses
partenaires et surtout Washington du
bien fondé de sa politique. Toujours de
sources diplomatiques, l’argument choc
dans ce cas se résume à dire que Paris
aurait reconnu la Coalition « parce
qu’elle chercherait
à faire pencher la balance du
côté des Musulmans modérés aux dépens
des salafistes infiltrés parmi les
combattants armés et les différents
groupes politiques ! ».
Mais il semble que
Londres et Washington en seraient
restées à leurs exigences premières :
unifier l'aide humanitaire et
rassembler, sur cinq fronts, des
combattants qui leur seraient dévoués et
non inféodés aux groupes extrémistes [4].
Si bien que ceux qui ont suivi ces
discussions à Doha s’attendent au
déclenchement d’une guerre entre
salafistes et musulmans qualifiés de
modérés. Autrement dit, ils s’attendent
à une deuxième guerre superposée à celle
qui est en cours, et qui se déroulerait
sur le sol syrien !
Échec du scénario
adopté pour assassiner Al- Assad
Toujours dans
l’objectif de « bruler les étapes »
poursuivi par Paris avec la sympathie
« sous conditions » de la
Grande-Bretagne, a émergé une
information qui reste à prouver. Elle
met l’accent sur le fait que la
« Bataille de Damas » a couvert une
tentative avortée d’assassinat du
Président syrien par un escadron
jordanien censé foncer sur l’Aéroport
international de Damas, avant de
poursuivre son raid contre un lieu
supposé être son lieu de résidence.
Ceci, pour faire croire que l’attentat a
été commis par des opposants de
l’intérieur et éviter l’implication
des États-Unis devant la Russie.
À ce propos, il n’est pas inutile de
rappeler l'ouverture d’un bureau de
renseignement britannique dans la
capitale jordanienne, chargé d'exercer
un rôle logistique direct à l'intérieur
du territoire syrien.
Nasser Charara
07/12/2012
Article original : Al-Akhbar [Liban]
http://www.al-akhbar.com/node/173177
Article traduit de l’arabe par Mouna
Alno-Nakhal
Notes :
[1]
Syrie-Opposition : « Protocole de Doha »
Une «opposition» hétéroclite, divisée,
sans programme et sans perspective mise
en place par le Qatar et adoubée par
François Hollande !
http://www.afrique-asie.fr/menu/actualite/4388-syrie-opposition-protocole-de-doha-fin-de-l-etat-syrien.html
[2] François
Hollande reconnaît la coalition
nationale syrienne
http://www.france24.com/fr/20121113-paris-syrie-hollande-nouvelle-coalition-opposition-bachar-al-assad-livraisons-armes-asl
[3] Le droit
international permet-il de soutenir
ouvertement l’opposition armée en Syrie
?
http://www.mondialisation.ca/le-droit-international-permet-il-de-soutenir-ouvertement-lopposition-armee-en-syrie/5314447
[4] The US Finally Admits To Sending
Heavy Weapons From Libya To Syrian
Rebels
http://www.businessinsider.com/obama-admin-admits-to-covertly-sending-heavy-weapons-to-syrian-rebels-2012-12
“Both of these stipulations, recognition
of a unified opposition and creation of
distance from extremist groups,
are required in order for the Obama
administration to openly acknowledge
supporting Syrian rebels with weapons
and supplies”.
Nasser
Charara
est un
journaliste libanais
Le
dossier Syrie
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