Philosophe et chroniqueur,
Mohamed Bouhamidi revient sur la
tempête médiatique autour du
"printemps algérien".
La question de
la singularité algérienne à
l’endroit du « printemps arabe »
nous renseigne, derrière sa
« naïveté », sur la capillarité
et la porosité entre des
secteurs et des acteurs de la
vie politique qui, en apparence
et en bonne déontologie,
auraient dû rester séparés. Elle
nous a révélé qu’en toute bonne
conscience un changement en
Algérie était programmé dans
l’esprit d’experts,
d’universitaires, de politiques
et de journalistes. Pas dans
celui du peuple algérien. Mais
comment donc des représentants
de disciplines autrefois
autonomes en viennent-ils à
réagir de façon pavlovienne ?
Les vieilles frontières et les
critères de validation qui
assuraient leur indépendance et,
partant, l’honnêteté et la
sincérité de leur travail
semblent bien avoir disparu.
Comment éloigner l’impression
qu’un ordre de mobilisation
générale a ameuté des
historiens, sociologues,
économistes au secours des
politiques et des chroniqueurs
au chevet d’une société qui n’a
pas réagi comme ils attendaient
qu’elle réagisse ?
Dans cet empressement
généralisé autour de cette
« urgence historique », nous
pouvons nous demander qui est au
service de l’autre. La presse
porte-t-elle, simplement et
sincèrement, la parole des
experts et des « savants » sur
une « anomalie algérienne » ?
Mais alors, qui a décidé, et au
nom de quelle qualification,
qu’il s’agissait là d’une
anormalité, si énorme qu’elle
retienne l’attention de tant de
médias ? Qui a décidé que
désormais, pour la presse, la
non-actualité, la non-survenue
d’un événement devient
l’événement ? La mémoire fournit
la bonne réponse : le
« printemps algérien » est
attendu depuis 1962, comme
retour de bâton de l’audace
indépendantiste, avec un point
culminant pendant
la période du FIS et du
terrorisme.
Les mesures de « patriotisme
économique » de 2009 ont
exacerbé cette attente et
provoqué la colère de l’empire
de voir la proie Algérie lui
échapper alors que
la crise économique lui rend
vital le retour du pillage
colonial le plus brutal et le
plus barbare.
Une espèce d’intoxication,
d’obsession a saisi ces milieux,
différents dans leurs formes et
tellement soudés dans leur but.
La norme pour l’Algérie, c’est
l’explosion sociale. La norme,
c’est qu’Alger explose (ce que
la capitale fait régulièrement,
mais comme le veulent les
Algérois, pas comme le rêvent
des historiens reconvertis en
oracles).
Prédication
La prédication, pour revêtir
cependant les allures de la
vraisemblance, a besoin du
minimum de validation que les
experts s’empressent d’apporter,
pour préparer les opinions à
l’idée de la fatalité de la
catastrophe. Ils trouveront dans
une partie des élites
algériennes la confirmation
indigène de leurs pronostics.
L’intoxication deviendra alors
générale, les Cassandre
indigènes et étrangers
s’appuyant les uns les autres.
En réalité, ces élites
représentent les avant-gardes
visibles chargées de l’habillage
idéologique d’une offensive
contre les États nés des
révolutions nationales. Elles
cherchent à saper l’État encore
national en maquillant en
« mesures techniques » les
injonctions politiques
ultralibérales qui visent à le
dessaisir de sa souveraineté, à
générer les frustrations qui
serviront de carburant à la
« révolte » et à accélérer
celle-ci en diabolisant quelques
figures pour toute conscience et
pour toutes cibles politiques.
Les Abdeljalil algériens
devraient, dans la sombre et
pitoyable galerie des laquais,
fantoches et autres présidents
potiches du Tiers Monde,
remplacer les Bao Daï et les
Tshombe, et les figures usées
des
Ben Ali et des
Moubarak.
L’agression contre l’Algérie
n’est pourtant pas mûre. Il
reste encore une grande part des
élites du pays à convertir à la
haine de l’État national. C’est
la phase actuelle du travail de
la presse : convaincre de
nouveaux pans des élites
algériennes qu’il est anormal de
laisser passer le « printemps »
et qu’elles mériteraient, en
passant à l’acte, un certificat
d’assimilé de la mondialisation
capitaliste.
Nous passerons alors à la
phase active de la grande
propagande à la
libyenne, le moment venu. Il
reste à ces experts et à cette
presse à trouver des Abdeljalil
locaux capables d’organiser une
marche du samedi.
Publié sur
Jeune Afrique