Opinion
La Libye après
l'intervention impérialiste
Mohamed Belaali
Mardi 10 juillet
2012
Dans
«l'impérialisme est l'ennemi des
peuples: le cas de la Libye»,
nous avons écrit : «Profitant
de la révolte du peuple libyen contre le
régime de Kadhafi devenu despotique et
anachronique, l’impérialisme américain
et son caniche européen tentent par tous
les moyens d’intervenir en Libye pour
installer un régime qui servira leurs
intérêts (…) Le peuple libyen serait
alors privé de sa révolution, de sa
richesse et connaîtrait une situation
aussi tragique que celle que subit
actuellement le peuple irakien ou afghan
par exemple» (1).
Aujourd'hui cette tragédie est
de plus en plus évidente. Règlements de
comptes, torture, violence ethnique,
corruption généralisée, milices
surarmées formées d'anciens «rebelles»
se retournant les unes contre les
autres, tribus réclamant leur autonomie,
pouvoir central impuissant et compagnies
pétrolières étrangères pompant
allègrement le pétrole du peuple libyen,
voilà à quoi ressemble la Libye après
l'intervention impérialiste.
Du 27
juin au 1er juillet 2012, des
affrontements entre tribus rivales ont
fait 47 morts et plus d'une centaine de
blessés dans le sud-est libyen (2). Dans
le sud-ouest et plus précisément dans
les villes
de Mizdah
et Al-Chakika
des
combats entre les tribus de
Zentan et d’Al-Machachiya ont fait 105
victimes et des centaines de blessés. En
avril 2012, des groupes armés
s'affrontaient près de Zouara à 80 km de
Tripoli (3). Les différentes milices
(plus de 100 rien qu'à Tripoli!) non
contentes de s'entretuer, font régner
une véritable terreur sur l'ensemble du
territoire libyen. Leurs trafics
notamment d'armes et d'alcool dégénèrent
en règlements de comptes violents : «Chaque
milice a son quartier et une véritable
économie de la violence s’est mise en
place. Il y a de l’alcool, des armes,
des trafics des luttes d’influence. Tout
cela dégénère très vite en règlements de
comptes; on a tous les ingrédients d’une
guerre civile larvée...»disait
Patrick Haimzadeh ancien diplomate
français (4). Dans son dernier rapport
sur la Libye, Amnesty
International constate que «un an
après le soulèvement, des milices au
comportement "anarchique" commettent des
violations massives».
Les
milices de Misratah et de Zintan
«ont ainsi chassé de chez eux tous
les habitants de Tawargha, soit environ
30 000 personnes, et ont pillé et
incendié leurs logements en représailles
contre des crimes que des Tawarghas sont
accusés d’avoir commis pendant le
conflit. Des milliers de membres de la
tribu des Mashashyas ont eux aussi été
forcés à quitter leur village par des
miliciens de Zintan»
(5).Il
ne s'agit là que de quelques exemples de
ces crimes, de ces affrontements entre
tribus, milices et autres seigneurs de
guerre. Malgré cette «guerre de tous
contre tous», la production de pétrole
assurée par des compagnies étrangères,
quant à elle, coule à flots. Elle a même
retrouvé son niveau d'avant
l'intervention impérialiste !
La
violence, l'arbitraire et l'anarchie, au
mauvais sens du terme, font partie
intégrante du quotidien des libyens
auxquels l'OTAN avait pourtant promis
démocratie, liberté, respect des droits
de l'Homme et tutti quanti. Non
seulement le Conseil National de
Transition (CNT) tolère ces crimes, mais
il les encourage. Ainsi le 2 mai 2012,
le CNT a voté une loi(loi 38) protégeant
les responsables de ces exactions
si
elles ont pour but de «
promouvoir ou protéger la révolution»
(6).
L'intervention impérialiste a brisé
également l'unité du peuple libyen.
En mars 2012, la Cyrénaïque, un tiers du
territoire, où se trouve l'essentiel des
ressources pétrolières et gazières a
proclamé son autonomie. Son Conseil
intérimaire est dirigé par le prince
Ahmed Al Zoubaïr al Senoussi petit neveu
du roi Idriss Al Sanoussi.
A
quelques jours des élections de
l'assemblée constituante du 7 juillet
2012, des incidents violents se sont
produits dans cette région de l'est
libyen.
Le 1er
juillet 2012, des hommes armés ont
saccagé les bureaux de la commission
électorale de Benghazi pour protester
contre la répartition des sièges dans la
future assemblée constituante qui
devrait être élue le 7 juillet. Ils
réclament pour la Cyrénaïque un nombre
de sièges égal à celui des des deux
autres régions, la Tripolitaine (ouest)
et le Fezzane (sud). Le 5 juillet, c'est
le dépôt contenant le matériel électoral
qui a été incendié à Ajdabiya. Le 6
juillet, un fonctionnaire de la
commission électorale a été abattu. Son
hélicoptère, qui transportait des urnes,
a été la cible des tirs d'armes légères
(7). Le 7 juillet, un homme hostile aux
élections a été tué dans un échange de
tirs à Ajdabiya.
La
Cyrénaïque comme d'ailleurs les Toubous
(ethnie du sud d'origine africaine)
appellent au boycott du scrutin du 7
juillet 2012.
Berbères, Toubous et autres Touaregs
revendiquent, eux, leur spécificité
culturelle et linguistique (8) et les
tensions avec les tribus arabes
dominantes se règlent souvent les armes
à la main faisant plusieurs dizaines de
morts. L'éclatement de la nation
libyenne, construction récente et
fragile, en entités plus ou moins
indépendantes du pouvoir central et
dominées par des tribuss'entretuant
mutuellement est un risque réel,
conséquence directe de l'intervention
impérialiste.
L'autre conséquence directe de
l'intervention militaire occidentale en
Libye est le morcellement du Mali.
Car si l'OTAN n'avait pas envahi la
Libye et imposé un CNT à sa solde,
jamais le Nord du Mali n'aurait pu être
occupé par le Mouvement National de
Libération de l’Azawad (MNLA) et ses
alliés islamistes. L'occupation de
vastes territoires maliens est rendu
possible grâce à la complicité des
États-Unis, de la France et de leurs
serviteurs locaux regroupés dans la
Communauté Économique des États de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les armes
qui ont permis aux assaillants de
s'emparer des deux tiers du territoire
malien provenaient des arsenaux libyens.
Le Qatar qui a participé à la guerre en
Libye et qui finance avec l'Arabie
Saoudite l'opposition syrienne, apporte
son soutien financier, sous couvert
d'aide humanitaire, aux mouvements armés
qui agissent au nord du Mali. «Le
gouvernement français sait qui soutient
les terroristes. Il y a le Qatar par
exemple qui envoie soi-disant des aides,
des vivres tous les jours sur les
aéroports de Gao, Tombouctou etc.»disaitSadou
Diallo maire de Gao (9). Mais ce que le
maire n'a pas compris, c'est que la
France dont il demande l'intervention
militaire, travaille main dans la main
avec le Qatar sous la houlette des
États-Unis qui, eux, agissent bien sûr à
travers l'OTAN mais aussi à travers
l'AFRICOM (Commandement militaire
des États-Unis pour l'Afrique ). Ce
commandement leur permet non seulement
de contrer la présence chinoise en
Afrique, mais aussi et surtout de
s'approprier les immenses richesses
minières et pétrolières du continent.
C'est dans ce cadre général qu'il
convient de situer l'intervention
impérialiste en Libye et ses
prolongements au Mali.
L'intervention impérialiste en Libye a
fait des dizaines de milliers de
victimes innocentes. Elle a détruit
l'essentiel de l'infrastructure
économique du pays. Elle a brisé l'unité
de la nation libyenne. L'impérialisme
américain et son supplétif européen ont
imposé au peuple libyen par la violence
un pouvoir sans légitimité aucune, mais
qui leur est totalement soumis. Les
bourgeoisies occidentales, à travers
leurs compagnies, peuvent désormais
pomper, tels des vampires, le pétrole
libyen en toute quiétude. Mais ces
rapaces sont insatiables. Leurs visées
impérialistes portent maintenant sur le
sous sol de tout le Sahel africain en
exploitant les mécontentements des
populations marginalisées par les
régimes en place. La destruction de la
Libye rappelle étrangement la
destruction de l'ex-Yougoslavie, de
l'Irak, de l'Afghanistan, de la Côte
d'Ivoire et bien d'autres États encore.
Aujourd'hui, l'impérialisme américain et
européen avec l'aide de leurs alliés
locaux (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie
etc.) sont en train de détruire la Syrie
pour imposer, là encore, un pouvoir à
leurs bottes. Toutes les nations qui
n'ont pas les moyens militaires pour se
défendre sont des cibles potentielles de
l'impérialisme. Cette violence exercée
sur des peuples sans défense est
intimement liée aux fondements même du
système capitaliste dont le seul et
unique but est la maximisation du profit
par tous les moyens. Rien n'arrêtera
cette minorité d'exploiteurs d'exercer
sur l'immense majorité d'exploités, à
travers le monde, une répression et une
cruauté sans limite pour atteindre leur
objectif. La résistance et le combat
pour la destruction du capitalisme
doivent être planétaires.
Mohamed Belaali
(1)
http://www.belaali.com/article-l-imperialisme-est-l-ennemi-des-peuples-le-cas-de-la-libye-68565735.html
(2)
http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20120701101410/
(3)http://www.rfi.fr/afrique/20120404-libye-reprise-affrontements-entre-groupes-armes-zouara-ouest-tripoli
(4)
http://www.bbc.co.uk/afrique/nos_emissions/2012/02/120215_invite.shtml
(5)
http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Crises/Afrique-du-Nord-Moyen-Orient/Actualites/Libye-un-apres-le-soulevement-des-milices-commettent-des-violations-massives-4673
(6)
http://allafrica.com/stories/201205110309.html
(7)
http://www.humanite.fr/monde/libye-premieres-elections-sous-tension-500391
(8)
http://www.irinnews.org/fr/Report/95542/LIBYE-Les-minorit%C3%A9s-libyennes-revendiquent-leurs-droits
(9)
http://www.rtl.fr/actualites/culture-loisirs/international/article/sadou-diallo-maire-de-gao-au-mali-le-gouvernement-francais-sait-qui-soutient-les-terroristes-il-y-a-le-qatar-775034
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