Opinion
Syrie : les USA
auraient-ils pris conscience de leurs
erreurs ?
Mikhaïl Rostovski
© RIA
Novosti. Valery Melnikov
Vendredi 25 octobre 2013
Source:
RIA Novosti
Le secrétaire d'Etat américain John
Kerry a trouvé une solution
incroyablement simple pour en finir avec
la guerre civile en Syrie. Il pense que
tout s'arrangerait comme par magie si le
dirigeant syrien Bachar al-Assad
renonçait à ses ambitions pour la
prochaine élection présidentielle.
Les Américains ont-ils encore fait
preuve de leur aptitude unique, qui
consiste à simplifier des problèmes
internationaux complexes ? Pas vraiment.
La rhétorique habituelle de John Kerry
cache cette fois quelque chose de bien
plus intéressant. Washington semble
insatisfait par son ancienne stratégie
au Moyen-Orient. Aujourd'hui, en
appliquant la méthode "essais-erreurs",
l'administration Obama cherche à tâtons
une nouvelle ligne stratégique dans la
région.
Charles de Gaulle disait du style
diplomatique américain : "Vous pouvez en
être certains - les Américains
commettront toutes les bêtises
imaginables et inimaginables". Je
rejoins à moitié l'avis du général.
L'habitude de commettre des stupidités
incroyables est propre à toutes les
grandes puissances que ce soit le
Royaume-Uni, la France, la Russie ou
encore la Chine.
Mais il faut le reconnaître : la
politique syrienne des USA s’est
inscrite jusqu'à présent dans la logique
du général de Gaulle. Barack Obama s'est
retrouvé dans un piège en désignant
Assad comme unique source des problèmes
syriens. Un piège auquel l'Amérique a
réussi à échapper au dernier moment,
grâce à une initiative du président
russe tant critiqué à Washington.
Il faut aussi noter la détermination
de l'administration américaine à vouloir
réparer ses erreurs. "Quand on se
retrouve dans un trou, il faut arrêter
de creuser", a récemment lancé
l'ex-ministre des Finances britannique,
Denis Healey. Il semble que l'équipe
d'Obama ait suivi son conseil sur le
dossier syrien.
Au moment où John Kerry s’exprimait à
l'issue de son entretien avec le
ministre qatari des Affaires étrangères
à Paris, un personnage culte de la
politique américaine a fait une autre
annonce, bien plus importante. Quel
personnage culte ? Le prince Bandar,
chef des renseignements saoudiens.
Non, l'auteur ne s'est pas trompé en
qualifiant le prince saoudien de
"personnage culte de la politique
américaine". Le prince Bandar a joué -
et continue de le faire - un rôle unique
à Washington.
Entre 1983 et 2005, le petit-fils du
roi Abdelaziz, fondateur de l'Arabie
saoudite, a été ambassadeur de son pays
aux Etats-Unis. Le diplomate soviétique
Anatoli Dobrynine a été ambassadeur aux
USA pendant une période encore plus
longue – de 1962 à 1986 - mais en dépit
du grand respect de la diplomatie
américaine pour Dobrynine, il était tout
de même perçu par Washington comme un
ennemi. Tandis que le prince Bandar a
réussi à se faire accepter aux USA.
Nancy Reagan transmettait notamment
des messages délicats aux membres du
gouvernement de son propre époux par le
biais de l'ambassadeur saoudien. Les
membres de la dynastie politique des
Bush considéraient le prince comme un
proche : le président George W. Bush
avait même surnommé son ami saoudien
"Bandar Bush".
Voici donc ce qu'a déclaré le prince
Bandar, cité par l'agence Reuters :
"L'Arabie saoudite compte se distancer
des USA en signe de protestation contre
l'inaction de Washington à l'égard de la
Syrie et à cause de son rapprochement
avec l'Iran". Selon la source qui a
rapporté ces propos, le prince Bandar a
déclaré lors d’une réunion avec des
diplomates européens que les USA avaient
été inefficaces dans le règlement de la
crise syrienne et du
conflit israélo-palestinien. Sans
compter le fait que les USA se
rapprochent prudemment de l'Iran.
L'Arabie saoudite fait partie des
principaux partenaires étrangers des USA
et la déclaration du prince Bandar
poursuivait clairement un but précis. Il
a clairement mis en garde les Américains
: s’ils changent de politique, les
choses vont mal se passer. Washington a
effectivement toutes les raisons de
prendre les menaces saoudiennes au
sérieux. Grâce à ses ressources
financières et pétrolières l'Arabie
saoudite est l'une des puissances les
plus influentes de notre époque.
Mais Riyad prend aussi des risques.
Les autorités saoudiennes et l'Amérique
sont très liées et la maison royale
saoudienne pourrait être menacée de
perdre le pouvoir dans le pays si elle
se fâchait définitivement avec
Washington.
Alors pourquoi les Saoudiens n'ont
pas eu peur d'aller vers la
confrontation ? Parce que les enjeux
sont trop importants du point de vue de
Riyad. En simplifiant les choses, la
superpuissance chiite qu'est l'Iran et
la superpuissance sunnite qu'est
l'Arabie saoudite sont les deux
principaux centres politiques
concurrents parmi les Etats islamiques
du Moyen-Orient. La guerre civile en
Syrie a toujours été et demeure dans une
certaine mesure un affrontement entre
ces deux forces concurrentes. Le
président Bachar al-Assad représente la
communauté religieuse chiite des
alaouites et c'est un allié de l'Iran.
Il est donc logique que Riyad souhaite
son renversement. Si le pouvoir à Damas
se retrouvait entre les mains de
dirigeants amis avec les Saoudiens,
l'équilibre des forces dans la région en
serait radicalement changé.
Les Etats-Unis ont leurs propres
comptes à régler avec l'Iran et il ne
faut donc pas s'étonner de la
concordance des approches américaine et
saoudienne sur la Syrie. Mais
aujourd'hui les Américains ont compris
que 2+2 ne faisaient pas forcément 4
dans la politique moyen-orientale. Qu’on
ne pouvait pas se fixer pour seul
objectif le renversement d'Assad car
cela pourrait jouer en faveur
d'Al-Qaïda.
La dynastie royale saoudienne ne
semble pas non plus vouloir le
renforcement d'Al-Qaïda. Mais l'Iran
semble plus dangereux aux yeux de Riyad
que cette organisation terroriste. D'où
l'appel saoudien adressé à l'Amérique :
Ne sortez pas du rang ! Ne changez pas
de position ! Une bonne action ne reste
jamais impunie !
Mais la stratégie prônée par les
Saoudiens n'a rien d'une bonne action.
Au contraire, c'est le meilleur moyen de
transformer une situation extrêmement
difficile au Moyen-Orient en situation
critique. Pour cette raison, le fait que
la diplomatie américaine soit passée de
la préparation active du renversement d'Assad
aux menaces rhétorique ne peut qu'être
salué.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 26 octobre 2013
Le
dossier Syrie
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