TLAXCALA
Cessez-le
feu, ou cheval de Troie ?
Mike
Whitney
on
PalestineChronicle.com, 17 août 2006
http://www.palestinechronicle.com/story-08170673816.htm
« La stratégie d’Israël consiste à
établir des positions situées le plus au Nord possible, en vue
de contraindre à un retour accompagné de combats. Ceci signifie
que les Israéliens vont essayer de gagner le plus de terrain
possible sur le Hizbullah, au cours de leur blitz en direction du
Sud. » [Edito du Ha’aretz, 17 août 2006]
« Tant
qu’il y aura un déploiement armé israélien, une agression
israélienne sur le terrain et des soldats israéliens occupant
notre territoire, il est de notre droit naturel de les combattre
et de défendre nos terres, nos maisons, et nous-mêmes. » [Shaïkh
Hasan Nasrallah, chef de la Résistance armée libanaise –
Hizbullah]
La soudaine
incursion d’Israël en direction de la rivière Litani est un
acte patent de désespoir politique, dans le but escompté de
dissimuler la défaite humiliante infligée par le Hizbullah à
l’armée israélienne. Elle se produit à la veille même de la
conclusion d’un accord de cessez-le-feu de l’Onu concocté par
les amis d’Israël au sein de l’administration Bush qui
attendaient [avec l’insoutenable patience que l’on sait] une
opportunité diplomatique susceptible de permettre à Olmert de se
tirer honorablement de la plus grande débâcle essuyée par Israël
depuis la guerre d’Octobre 1973.
Ce soi-disant
cessez-le-feu est taillé sur mesure pour empêcher la victime de
l’agression israélienne de se défendre, en donnant au
contraire à l’armée israélienne le sauf-conduit lui
permettant de poursuivre ses dévastations. Telle est la logique
kafkaïenne de [ce théâtre de marionnettes qu’est devenue]
l’Organisation des Nations [dites] Unies et de ses tireurs de
ficelles, à Tel Aviv.
Il n’existe désormais
plus aucune expectative raisonnable qu’Israël réalise l’un
quelconque de ses objectifs proclamés. La puissante armée israélienne
a reçu une torgnole magistrale de la part d’une poignée de guérilleros
fortement motivés, qui ont maintenu « Tsahal » clouée
au sol dans un rayon de cinq minuscules kilomètres au nord de sa
frontière, durant un bon mois. C’est assurément là un des
plus grands triomphes de toute l’histoire des conflits asymétriques.
Non, le Hizbullah
ne sera pas « désarmé » comme le claironnait Olmert,
voici encore seulement quelques semaines. Bien au contraire :
ses fortunes semble ne cesser de se renforcer tandis qu’Israël
continue à se débattre [avec sa « conscience »] après
avoir bombarder aveuglément, en totale impunité, des
infrastructures civiles vitales au Liban. Le conflit n’a fait
que confirmer le soupçon très largement partagé [dans le monde
entier] que l’Etat juif n’est qu’un tireur fou, prêt à
sulfater dans le tas à la moindre provocation.
Le Premier ministre
Olmert, le ministre de la Défense Péretz et le chef d’état-major
Dan Halutz sont les cibles de critiques incandescentes dans la
presse israélienne, à très juste titre. Il s’agit là, sans
appel, de la pire collection de bousille-tout de toute
l’histoire israélienne ; ce sont les équivalents des
Pieds Nickelés. Sharon était certes un criminel de guerre, mais
c’était aussi un stratège rusé. Olmert et Halutz le délinquant
sont totalement dans le coaltar. Dès lors qu’il fut certain que
la guerre ne pourrait pas être remportée militairement, Halutz
lança l’assaut jusqu’au Litani, soutenu par des milliers
d’hommes de troupes redoutant que ses chances de conquérir la
gloire s’amenuisaient à la vitesse grand V. Résultat : 31
hommes de plus furent tués au cours d’une campagne qui n’a
pas encore d’objectifs clairement définis. Et Shaul Mofaz, le
seul général israélien à avoir été susceptible de
transformer – on ne sait jamais ; on peut toujours essayer
– la Berezina en cours en quelque chose qui ressemblât plus ou
moins à un « retrait » en bon ordre, se retrouve sur
la touche.
Quel fiasco !
Maintenant, le
cessez-le-feu ayant été avalisé, les hommes politiques et les généraux
se livrent à une foire d’empoigne dans l’espoir de recoller
les morceaux d’une improbable victoire qui leur échappe des
mains inéluctablement depuis quatre semaines. Olmert & Co.
savent que dès que la poussière sera retombée, ils seront
confrontés à une opinion publique israélienne qui puisse lui
servir de bouc émissaire pour cette débâcle. L’éditorialiste
Ari Shavit, du quotidien Ha’aretz, a résumé ainsi l’état
d’esprit de la population israélienne :
« Une chose
devrait être très claire : si Olmert déserte maintenant la
guerre qu’il a déclenchée, il ne pourra pas rester Premier
ministre un jour de plus. Même la chuzpah [légendaire culot à
la mode israélienne - inutile de se méfier des imitations, la
chuzpah est insurpassable, ndt] a des limites. On ne peut conduire
toute une nation à la guerre en lui promettant la victoire,
causer une défaite humiliante et rester au pouvoir. On ne peut
pas enterrer cent vingt Israéliens dans les cimetières, confiner
un million d’Israéliens dans les abris un mois durant, porter
atteinte à ‘notre’ puissance de dissuasion, rapprocher la
prochaine guerre considérablement, et puis dire : « Oups,
désolé, j’ai fait une bourde ! ». Impossible… »
L’éditorialiste
Moshe Arens a apporté de l’eau au moulin de Shavit :
« La tâche à laquelle Israël est désormais confronté,
c’est de restaurer sa puissance de dissuasion et se préparer en
vue des attaques qui ne vont pas manquer de se produire. Mais pas
avec ces dirigeants-là ! Ils ont épuisé le peu de crédit
qui leur était concédé quand on les a élus. »
On constatera que
la colère en train d’enfler en Israël est purement narcissique
et égoïste, pour ainsi dire autiste : il n’est jamais
question des énormes destructions causées par les bombardements
de l’aviation israélienne dans un Liban littéralement assommé
de bombes.
Le Liban est en
ruines. Les principaux ponts, les principales routes, usines, les
ports, les canaux, les centraux téléphoniques, les dépôts
d’essence, les stations de pompage ont été enterrées par un
feu de barrage ininterrompu de bombes israéliennes [pourtant] [« intelligentes »]
et guidées par des systèmes de précision. On peut attribuer à
George Bush le plus gros de ces destructions. Il a accéléré la
livraison de bombes high-tech à ses amis de Tel Aviv, veillant à
ce que le massacre ne connaisse aucune interruption. Il a, parallèlement,
bloqué toutes les résolutions de cessez-le-feu à l’Onu, ce
qui a permis à Israël de poursuivre ses bombardements
apocalyptiques au Liban.
L’accord de
cessez-le-feu a été manifestement rédigé en étroite
kollaboration avec Israël. Il autorise l’armée israélienne à
poursuivre ses « opérations défensives », alors
qu’il est exigé du Hizbullah qu’il cesse le combat. Israël
interprète ceci comme un feu vert pour poursuivre le Hizbullah de
manière offensive.
D’après le
journal israélien Ha’aretz, «L’armée arrêtera son
offensive dès que l’échelon politique lui en donnera
l’ordre, après quoi elle commencera à retourner sur ses pas
afin de débusquer toutes les poches de résistances qui
pourraient rester dans la zone. » Avec les troupes israéliennes
aujourd’hui stationnées au bord du Litani, cela pourrait
impliquer des opérations militaires dans la totalité du Sud
Liban, ce qui signifie que les hostilités pourraient se
poursuivre durant plusieurs mois.
C’est avec lui-même
qu’Israël est en guerre. Il s’échine à exhiber une
victoire, là où aucune victoire n’est possible. Moins de
vingt-quatre heures avant l’entrée en effet du cessez-le-feu,
les Israéliens ont lancé une vague de bombardements massifs sur
plus de cinquante villes et villages situés au Nord et au Sud de
la rivière Litani. Cette vague de bombardements a immédiatement
fait réagir Kofi Annan, qui a déclaré que cette attaque
« ne s’harmonisait pas » [bien] avec l’ « esprit
du cessez-le-feu » [on a déjà connu condamnation plus énergique…
ndt].
En vain. Les Israéliens
continueront à tirer, ravageant le peu qui reste debout de
l’infrastructure bousillée du Liban, dans le vain espoir de
rapiécer les guenilles de quelque chose qui puisse ressembler de
très loin à un succès. Mais cela servira-t-il à quoi que ce
soit ? Le Hizbullah est peut-être salement amoché, ses
lignes de ravitaillement sont sans doute rompues, mais il n’a
pratiquement même pas à lever le petit doigt pour générer un
afflux suffisant de nouvelles recrues et pour s’attirer les
vivats du monde entier, pour avoir tenu tête à l’ « invincible »
« Tsahal ».
Le Premier ministre
Olmert s’emmêle les crayons quand il tente de justifier la
soudaine escalade militaire de la vingt-cinquième heure, juste
avant le cessez-le-feu. Clairement, c’est la guerre qui contrôle
Olmert ; ce n’est pas Olmert qui contrôle la guerre. Le
tollé, dans les médias, le laisse groggy et hésitant ; il
recherche d’autres solutions qu’un prompt retrait. Il
ressemble à une poule devant deux pailles en croix, dans
l’espoir que quelque événement décisif apporte la preuve que
le Hizbullah est en train de faiblir. Pendant ce temps-là, les
pertes de l’armée israélienne continuent à s’accumuler, et
l’angoisse de l’opinion publique israélienne devient de plus
en plus palpable.
Quant au Shaikh
Nasrallah, il a résisté à la tentation de la traditionnelle rhétorique
enflammée, et il a apporté la démonstration de l’efficacité
mortelle du Hizbullah sur le champ de bataille, où et quand il le
fallait. Les guérilleros ont remporté le combat d’homme à
homme contre « Tsahal », et ils ont cloué au sol la
quatrième armée du monde.
Aux premiers jours
du conflit, Nasrallah a présenté les capacités du Hizbullah en
des termes pondérés :
« Nous ne
sommes pas une armée classique, qui s’étendrait de la Méditerranée
jusqu’au Mont Hermon. Nous sommes un mouvement de résistance,
populaire et sérieux, présent dans beaucoup de régions, et sur
de nombreux axes. Notre équation et nos principes sont ceux-ci :
quand les Israéliens font une incursion sur notre territoire, il
doivent le payer chèrement, en termes de tanks, d’officiers et
de simples soldats. C’est ce à quoi nous nous engageons, et
nous honoreront notre engagement, avec l’aide de Dieu. »
Olmert devrait étudier
ce passage, et l’apprendre par cœur ! Nasrallah y a exposé
ses objectifs de guerre très circonscrits en une langue lucide,
mais ô combien puissante. Ce sont là des objectifs réalistes,
et réalisables, contrairement à ceux d’Israël. C’est
probablement la raison pour laquelle il l’emportera, s’il persévère.
Nasrallah ne nourrit absolument pas la folle idée de défaire
l’armée israélienne ou d’envahir Israël. Non. Simplement,
il projette de mordre, jour après jour, heure après heure, les
mollets de l’armée d’occupation, la contraignant en fin de
compte à se retirer. Nasrallah est un chercheur avisé en matière
de guerre asymétrique, et il sait bien exploiter les vulnérabilités
d’une armée régulière, et aussi les vulnérabilités de
l’opinion publique israélienne (qui est déjà en train de
tourner au vinaigre au sujet du conflit).
Nasrallah a dit
qu’il respectera les termes du cessez-le-feu, mais qu’il ne désarmera
pas [le Hizbullah] tant que l’armée libanaise et les forces de
l’Onu ne seront pas positionnées, et tant que l’armée israélienne
ne se sera pas retirée du territoire libanais. Dans son esprit,
il est incohérent de parler dès maintenant de désarmement, dès
lors que le Hizbullah est la seule force capable de défendre le
Liban contre une invasion étrangère.
Une fois Israël
parti, le Hizbullah va-t-il déposer les armes ?
C’est ce qui préoccupe
Israël, mais c’est une fausse question. La vraie question est
celle-ci : quelle est la probabilité qu’Israël ré-envahisse
le Liban, à l’avenir, comme il l’a déjà fait à quatre
reprises ? Et qui fournira les armes susceptibles de
dissuader de manière crédible une agression israélienne, afin
que le Liban puisse vivre en paix ?
Les promesses
faites par Nasrallah de désarmer ne veulent rien dire. Sa première
responsabilité est envers son peuple, c’est celle de garantir
le droit de son peuple à vivre à l’abri de la violence et de
l’occupation des Israéliens.
Si le Shaïkh
Nasrallah décide de désarmer, en apportant foi aux objurgations
de non-agression d’Israël, libre à lui.
Mais il devrait y réfléchir à deux fois, et
longuement méditer le traitement réservé aux Palestiniens de
Gaza, avant de déposer son arme à ses pieds.
Traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de
traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft.
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