Le pétrole est le « trophée » des guerres menées par les
États-Unis et l’OTAN
Une invasion de la Libye sous mandat
humanitaire servirait les mêmes intérêts privés que l’invasion
et l’occupation de l’Irak en 2003. L’objectif sous-jacent est de
prendre possession des réserves de pétrole de la Libye, de
déstabiliser la CPN et, en dernier lieu, de privatiser
l’industrie pétrolière du pays, soit transférer le contrôle et
la propriété de la richesse pétrolière libyenne dans des mains
étrangères.
La CPN est au 25e rang des 100
compagnies pétrolières les plus importantes du monde. (The
Energy Intelligence ranks NOC 25 among the world’s Top 100
companies. - Libyaonline.com)
L’invasion planifiée de la Libye, déjà en
cours, fait partie d’une bataille plus vaste, la « bataille du
pétrole ». Près de 80 % des réserves pétrolières de la Libye se
trouvent dans le bassin du golfe de Syrte à l’est de la Libye.
(Voir la carte ci-dessous)
La Libye a une économie remarquable (Prize
Economy). « La guerre est bonne pour les affaires ». Le
pétrole est le trophée des guerres menées par les États-Unis et
l’OTAN.
Wall Street, les géants anglo-américains du
pétrole et les producteurs d’armes étasuniens et européens
seraient les bénéficiaires cachés d’une campagne militaire
contre la Libye menée par les États-Unis et l’OTAN.
Le pétrole libyen constitue une aubaine pour
les géants du pétrole anglo-américains. Alors que la valeur
marchande du pétrole brut est actuellement bien au-delà des
100 dollars le baril, le coût du pétrole libyen est extrêmement
bas, aussi bas que 1 dollar le baril (selon une estimation). Un
expert du marché pétrolier l’a fait remarquer de manière plutôt
cryptique :
« À 110 dollars [le baril] sur le marché
mondial, un simple calcul mathématique donne à la Libye une
marge de profit de 109 $ [le baril]. »
(Libya
Oil,
Libya Oil One Country's $109 Profit on $110 Oil,
EnergyandCapital.com, 12 mars 2008)
Intérêts pétroliers étrangers en Libye
Les compagnies pétrolières étrangères en
activité en Libye avant l’insurrection comprenaient Total de
France, ENI d’Italie, China National Petroleum Corp (CNPC),
British Petroleum (BP), le consortium espagnol REPSOL,
ExxonMobil, Chevron, Occidental Petroleum, Hess et Conoco
Phillips.
Le fait que la Chine joue un rôle central
dans l’industrie libyenne est significatif. La CNPC avait un
effectif de quelque 400 employés. Les effectifs chinois totaux
en Libye étaient de l’ordre de 30 000.
Onze pour cent (11 %) des exportations de pétrole de la Libye
sont acheminées par la Chine. Alors qu’il n’existe pas de
chiffres sur la taille et l’importance de la production et des
activités d’exploration de la CNPC, certaines indications
laissent croire qu’elles sont importantes.
De manière plus générale, Washington
considère la présence de la Chine en Afrique du Nord comme une
intrusion. D’un point de vue géopolitique, la Chine est un
empiètement. La campagne militaire dirigée contre la Libye est
destinée à exclure la Chine de l’Afrique du Nord.
Le rôle de l’Italie est également important.
ENI, le consortium pétrolier italien, produit 244 000 barils de
gaz et de pétrole, ce qui représente presque 25 % des
exportations totales de la Libye. ( Sky
News: Foreign oil firms halt Libyan operations, 23
février 2011).
Parmi les compagnies étasuniennes en Libye,
Chevron et Occidental Petroleum (Oxy) ont décidé il y a à peine
six mois (octobre 2010) de ne pas renouveler leurs permis
d’exploration de pétrole et de gaz en Libye. (Why
are Chevron and Oxy leaving Libya?: Voice of Russia,
6 octobre 2010). En revanche, en novembre 2010, la compagnie
pétrolière allemande R.W. DIA E a signé un accord de grande
envergure avec la CPN libyenne, comprenant l’exploration et le
partage de la production. (AfricaNews
- Libya: German oil firm signs prospecting deal - The Africa
News)
Les enjeux financiers et les « butins » sont
extrêmement importants. L’opération militaire a pour but de
démanteler les institutions financières de la Libye ainsi que de
confisquer des milliards de dollars d’actifs financiers déposés
dans des banques occidentales.
Il faut par ailleurs souligner que les
capacités militaires de la Libye, y compris son système de
défense antiaérienne, sont faibles.
Redessiner la carte de l’Afrique
La Libye détient les plus grandes réserves
pétrolières de l’Afrique. Le but de l’interférence des
États-Unis et de l’OTAN est stratégique : il consiste à voler
purement et simplement la richesse pétrolière du pays sous le
couvert d’une intervention humanitaire.
Cette opération militaire vise à établir
l’hégémonie étasunienne en Afrique du Nord, une région dominée
historiquement par la France et, dans une moindre mesure, par
l’Italie et l’Espagne.
En ce qui concerne la Tunisie, le Maroc et
l’Algérie, le plan de Washington consiste à affaiblir les liens
politiques de ces pays avec la France et à faire pression pour
l’installation de nouveaux régimes politiques ayant des rapports
étroits avec les États-Unis. Affaiblir la France fait partie des
ambitions impériales étasuniennes. Il s’agit d’un processus
historique remontant aux guerres d’Indochine.
L’intervention des États-Unis et de l’OTAN,
qui mènera tôt ou tard à la formation d’un régime fantoche
étasunien, a également pour but d’exclure la Chine de la région
et d’évincer la CNPC. Les géants du pétrole anglo-américains
ayant signé un contrat d’exploration en 2007 avec le
gouvernement Kadhafi, dont BP, font partie des potentiels
« bénéficiaires » de la proposition d’opération militaire des
États-Unis et de l’OTAN.
De manière plus générale, c’est le dessin
d’une nouvelle carte de l’Afrique qui est en jeu : un autre
processus de division néocoloniale, la réforme des démarcations
de la Conférence de Berlin de 1884 et la conquête de l’Afrique
par les États-Unis, alliés à la Grande-Bretagne, dans une
opération menée par les États-Unis et l’OTAN.
Libye : une porte d’entrée stratégique du Sahara vers l’Afrique
centrale
La Libye a des frontières avec plusieurs pays
dans la sphère d’influence de la France, dont le Tchad, le
Niger, l’Algérie et la Tunisie.
Le Tchad représente potentiellement une riche
économie pétrolière. ExxonMobil et Chevron ont des intérêts au
sud du Tchad, y compris un projet de pipeline. Le sud du Tchad
est une porte ouverte sur la région du Darfour au Soudan, lui
aussi stratégique, vu sa richesse pétrolière.
La Chine a pour sa part des intérêts pétroliers à la fois au
Tchad et au Soudan. La CNPC a signé un accord d’envergure avec
le gouvernement tchadien en 2007.
En raison de ses vastes réserves d’uranium, le Niger est
également stratégique pour les États-Unis. En ce moment, la
France domine l’industrie de l’uranium par le biais de son
conglomérat nucléaire Areva, autrefois connu sous le nom de
Cogema. La Chine a également un intérêt dans l’industrie de
l’uranium nigérien.
De façon plus générale, la frontière sud de
la Libye est stratégique pour les États-Unis dans leur quête
d’une plus grande sphère d’influence en Afrique francophone, un
vaste territoire couvrant le nord, le centre et l’ouest du
continent. Historiquement, cette région appartenait aux empires
coloniaux de la France et de la Belgique et ses frontières ont
été dessinées à la Conférence de Berlin en 1884.
Les États-Unis ont joué un rôle passif à la
Conférence de Berlin en 1884. Cette nouvelle division du
continent africain au 21e siècle, fondée sur le
contrôle du pétrole, du gaz naturel et de minéraux stratégiques
(cobalt, uranium, chrome, manganèse, platine et uranium),
favorise principalement les intérêts privés anglo-américains
dominants.
L’interférence des États-Unis en Afrique du
Nord redéfinit la géopolitique d’une région entière. Elle
ébranle la Chine et fait ombrage à l’influence de l’Union
européenne.
Ce nouveau découpage du continent réduit non
seulement le rôle des anciens pouvoirs coloniaux en Afrique du
Nord (incluant la France et l’Italie), il fait aussi partie d’un
processus élargi visant à supplanter et affaiblir la France (et
la Belgique) sur une vaste étendue du continent africain.
Les régimes fantoches étasuniens ont été
installés dans plusieurs pays africains autrefois dans la sphère
d’influence de la France (et de la Belgique), dont la République
démocratique du Congo et le Rwanda. Il est planifié que
plusieurs pays d’Afrique occidentale (incluant la Côte d’Ivoire)
deviennent des États mandataires des États-Unis.
Par ailleurs, l’Union européenne dépend
grandement du flux de pétrole libyen : 85 % de celui-ci est
vendu à des pays européens. En cas de guerre avec la Libye,
l’approvisionnement de pétrole en Europe de l’Ouest pourrait
être perturbé davantage et affecter sérieusement l’Italie, la
France et l’Allemagne. Trente pour cent du pétrole italien et
10 % de son gaz sont importés de la Libye. L’alimentation en gaz
libyen se fait par le gazoduc Greenstream en Méditerranée
Conclusions
Par une désinformation intensive, les médias
dominants sont complices dans la justification d’un programme
militaire, lequel, s’il est mis en oeuvre, n’aurait pas
seulement des conséquences dévastatrices pour les Libyens : le
monde entier en ressentirait les effets sociaux et économiques.
À l’heure actuelle, il existe trois théâtres
de guerre distincts dans le grand Moyen-Orient et en Asie
centrale : la Palestine, l’Afghanistan et l’Irak. En cas
d’attaque contre la Libye, un quatrième théâtre de guerre
prendrait naissance en Afrique du Nord, comportant le risque
d’une escalade militaire.
L’opinion publique doit prendre connaissance
des intentions cachées derrière cette présumée entreprise
humanitaire que les chefs d’États et de gouvernements des pays
de l’OTAN proclament comme une « guerre juste ». La théorie de
la guerre juste, autant dans sa version classique que
contemporaine, soutient que la guerre est une « opération
humanitaire ». Elle appelle à l’intervention militaire sur des
bases éthiques et morales contre des « États voyous » et des
« terroristes islamiques ». Cette théorie de la guerre juste
diabolise le régime de Kadhafi tout en fournissant un mandat
humanitaire à l’intervention militaire des États-Unis et de
l’OTAN.
Les chefs d’États et de gouvernements des
pays de l’OTAN sont les artisans de la guerre et de la
destruction en Irak et en Afghanistan. Dans une logique
complètement tordue, ils sont présentés comme les voix de la
raison, comme les représentants de la « communauté
internationale ».
La réalité est sens dessus dessous. Une
intervention humanitaire est lancée par des criminels de guerre
en haut lieu, lesquels sont les gardiens incontestés de la
théorie de la guerre juste.
Abou Ghraib, Guantanamo, les pertes civiles
dans des villes et des villages pakistanais dues aux attaques de
drones ordonnées par le président Obama ne font pas la une des
journaux, pas plus que les 2 millions de civils morts en Irak.
Il n’existe rien de tel qu’une « guerre juste ». Il faut
comprendre l’histoire de l’impérialisme étasunien. Le rapport de
2000
Project for the New American Century
intitulé (PNAC) « Rebuilding Americas' Defenses »
réclame la mise en œuvre d’une longue guerre, d’une guerre de
conquête. L’une des composantes importantes de ce programme
militaire consiste à « [s]e battre et gagner de manière décisive
de multiples guerres de théâtre simultanées ».
L’« Opération Libye » fait partie de ce
processus. Il s’agit d’un autre théâtre dans la logique de
« guerres de théâtre simultanées » du Pentagone.
Le document PNAC reflète fidèlement
l’évolution de la doctrine militaire des États-Unis depuis 2001.
Les États-Unis prévoient être impliqués simultanément dans
plusieurs théâtres de guerre dans différentes régions du monde.
Tout en confirmant que l’objectif est la
protection du pays, la « sécurité nationale » des États-Unis, le
rapport PNAC explique clairement pourquoi ces multiples guerres
de théâtre sont nécessaires. La justification humanitaire n’est
pas mentionnée.
Quel est le but de la feuille de route
militaire des États-Unis?
La Libye est ciblée parce qu’elle est l’un
des quelques pays à se maintenir en dehors de la sphère
d’influence des États-Unis et qu’elle ne s’est pas conformée aux
demandes étasuniennes. La Libye est un pays sélectionné dans le
cadre d’une « feuille de route » militaire, laquelle comporte
« de multiples guerres de théâtre simultanées ». Pour reprendre
l’ancien commandant en chef de l’OTAN Wesley Clark :
[A]u Pentagone en
novembre 2001, un officier d’état-major de haut rang avait du
temps pour discuter. Oui, nous nous dirigions toujours vers une
confrontation avec l’Irak, a-t-il affirmé. Mais il y avait plus.
Cela faisait l’objet de discussions dans la planification d’une
campagne de cinq ans, disait-il, où l’on trouvait en tout sept
pays, en commençant par l’Irak, ensuite la Syrie, le Liban, le
Lybie l’Iran, la Somalie et le Soudan.
(Wesley Clark, Winning Modern Wars, p.130).
Article
original en anglais : «
Operation Libya" and the Battle for Oil: Redrawing the Map of
Africa », publié le 9 mars 2011.
Traduit par Julie Lévesque pour
Mondialisation.ca