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Opinion - El Watan

Pourquoi l'Algérie ne sera jamais la Tunisie
Mélanie Matarese


Photo: El Watan

Vendredi 28 janvier 2011

Une armée «prétorienne», une opposition décrédibilisée, une société civile atomisée et une rente pétrolière pour acheter la paix sociale : le modèle algérien semble réfractaire à la «contagion» de la révolution tunisienne. Décryptage.

L’armée algérienne est une armée «prétorienne»

«Alors que le modèle sécuritaire tunisien était vertical, inféodé au seul maintien du clan Ben Ali, structuré autour du ministère de l’Intérieur, de la police et des services secrets, en Algérie, le maillage sécuritaire est beaucoup plus horizontal, analyse un politologue algérien. La puissance est aussi bien distribuée entre armée, services de renseignements et Présidence.» Le pouvoir a développé avec l’armée (services de renseignements et armée de troupe) une relation beaucoup plus complexe que le régime tunisien, donnant naissance à une forme de pouvoir politique que Bassma Kodmani, directrice du think tank Arab Reform Initiativ, appelle «sécuritocratie». «Mais chez nous, la légitimité de l’armée n’est pas la même, nuance le politologue.

«L’Armée nationale populaire héritière de la glorieuse Armée de libération nationale tire toute sa puissance symbolique de la Révolution. C’est une armée politique construite selon un modèle dont la cohésion dépend, depuis 1962, d’un pôle civil et d’un pôle militaire forts. Mais c’est ce dernier qui reste le corps le plus uni, le plus structuré, donc le plus influent.» Une explication que réfute Mohammed Hachemaoui, politologue et professeur invité à l’université Paris VIII. «C’est vite oublier le bilan tragique de la répression manu militari d’octobre 1988. Plus de cinq cents morts, selon le bilan hospitalier ! C’est oublier l’usage impuni de la torture. Le capital symbolique de la libération nationale a été dilapidé par le régime. Octobre 1988 a marqué la fin symbolique de la ‘’légitimité révolutionnaire’’. La grande corruption a achevé le reste…»

Les enjeux sécuritaires – rôle pivot dans la sécurité de la région, relations conflictuelles avec le Maroc et lutte contre le terrorisme – que seule l’Algérie connaît, pourraient-ils aussi expliquer le rôle capital de l’armée ? «La domination prétorienne n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Il y a deux types d’armées prétoriennes : celle qui arbitre et celle qui gouverne. En Algérie, l’armée prétorienne domine le processus politique dès avant l’indépendance. C’est la force prétorienne qui a défait le GPRA lors du coup de force de l’été 1962, coopté Ben Bella avant de le démettre par un coup d’Etat, porté le colonel Boumedienne au sommet de l’Etat, coopté le colonel Chadli comme primus inter pares, forcé ce dernier à démissionner, orchestré le coup d’Etat de janvier 1992, restauré une politique prétorienne, coopté Bouteflika en 1999 et négocié ses plébiscites depuis. Bref, l’Armée prétorienne a préempté le jeu politique algérien. » Mohammed Hachemaoui poursuit. «Un régime constitutionnel peut parfaitement traiter les problèmes sécuritaires, qui sont au demeurant hautement politiques, sans tomber dans le diktat prétorien. Les contre-exemples sont nombreux. L’Inde fait face, depuis son indépendance, à des menaces militaires autrement plus sérieuses : le Pakistan à l’ouest, la Chine à l’est, pour ne rien dire des conflits confessionnels et des vagues d’assassinats politiques. La démocratie indienne n’a jamais cédé et l’Armée indienne est restée constitutionnelle. Il y a d’autres exemples : l’Espagne post-Franco avec le terrorisme de l’ETA ; la Corée du Sud post-Roh Tae Woo avec la menace nucléaire que fait peser sur elle le système totalitaire de la Corée du Nord.»  

La société civile algérienne a été pulvérisée

«En Tunisie, le mouvement de protestation a été très suivi et appuyé par les syndicats des travailleurs, les avocats, les journalistes, les ligues des droits de l’homme… En Algérie, la situation est très différente : les revendications de la population ne sont pas portées par la société civile», analyse Ratiba Hadj Moussa, professeur au département de sociologie de l’université York à Toronto et organisatrice d’un atelier sur les émeutes en Méditerranée du 6 au 9 avril à Florence (Italie). Accusée d’inertie, la société civile algérienne se défend en accusant le pouvoir d’avoir «cassé toute structure organisée» et «fermé tous les espaces d’expression publics». Un argument qui peut se défendre, pour la sociologue Nassera Merah. «Les Tunisiens, face à une adversité visible, un ennemi bien identifié, ont été obligés de s’organiser, d’entrer dans une clandestinité où ils étaient obligés de se serrer les coudes.» Faux problème, répond un politologue algérien. «Le problème vient de la perception que la société civile a du changement : quand les émeutes d’Octobre 1988 ont éclaté, personne ne s’attendait à ce que la protestation parte de la jeunesse, car dans l’acception du pouvoir et de l’élite, la force du changement se trouve dans le mouvement ouvrier.

Depuis, rien n’a vraiment changé et la société civile, restée dans de vieux schémas, a du mal à concevoir toute idée de changement.» La Coordination nationale pour le changement et la démocratie en Algérie marque-t-elle le début d’une nouvelle étape ? Selon Ihsane El Kadi, directeur de Maghreb Emergent, l’Algérie connaît sans doute un début de cycle, similaire à celui des années 1985/86. «La création de la Ligue des droits de l’homme, du Mouvement des journalistes algériens ou du Rassemblement des artistes, intellectuels et scientifiques, remonte à cette époque, se souvient-il, enthousiaste. En 1985, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella lançaient, depuis Londres, un appel au peuple algérien pour l’instauration de la démocratie et le respect des droits de l’homme ! Un an plus tard, des émeutes ont éclaté à Sétif et Constantine avant de se généraliser deux ans après. Aujourd’hui, la différence, c’est que nous ne partons pas de rien.» La donne tunisienne, qui montre que c’est possible, la relative liberté de la presse, Internet… représentent pour le journaliste autant de leviers pour agréger plus vite un mouvement. Mais pas pour Mohammed Hachemaoui qui assure que «l’histoire ne se répète jamais. La clandestinité a paradoxalement favorisé la formation et la structuration de mouvements d’opposition, de noyaux de société civile. La politique prétorienne instaurée à l’ombre du ‘’multipartisme’’ a laminé ces mouvements. Aucun groupe n’a réussi à échapper au rouleau compresseur prétorien.

La privatisation de la violence dans les années 1990 a brisé la société politique qui était en éclosion.» Résultat : «Nous ne nous faisons plus confiance, les jeunes nous reprochent d’avoir cessé le combat et laissé les partis s’installer, relève Nassera Merah. Alors on se maintient dans un état d’infériorité parce que finalement, on n’a jamais laissé l’Etat algérien se gérer seul.» Convaincu que la décennie noire a laminé, physiquement et intellectuellement les 30-50 ans, Ihsane El Kadi croit malgré tout au changement par le renouvellement des générations. «On voit bien les 18-25 ans qui sont en train de se structurer, à l’exemple du Mouvement pour la reconquête citoyenne. Le noyau de la révolte antirévolutionnaire, ce sont eux. Pour l’instant, ils ne sont pas en contact avec les émeutiers, l’autre partie de la jeunesse déclassée. Mais si l’Etat maintient son carcan, à la prochaine salve d’émeutes, les réseaux seront mis en place et la jonction entre les deux se fera plus vite.»

L’opposition politique n’est pas crédible comme force alternative

«En Algérie, l’opposition est piégée entre deux logiques. Soit elle a refusé de négocier avec le pouvoir, s’est heurtée à l’absence d’espaces d’expression et n’a pas pu exister. Soit en acceptant d’être représentée au Parlement, elle s’est décrédibilisée aux yeux de l’opinion publique», analyse un ancien journaliste politique. Une théorie qui expliquerait en partie l’échec de la marche du 22 janvier dernier à l’appel du Rassemblement pour la culture et la démocratie. «Il est tout de même incroyable qu’un parti se plaigne qu’on lui interdise une marche, surtout dans un Etat comme le nôtre ! s’étonne la sociologue Nassera Merah. Les partis attendent que la société vienne à eux alors qu’on les attendait auprès des jeunes, à les encadrer. C’est tout de même leur rôle d’infiltrer les mouvements ! Ceux qui doivent canaliser la colère ont failli. Ce sont eux qui ont le plus trahi, aux yeux de la population.» Peut-on alors parler d’opposition ? «Le passage en 1989 du ‘’parti unique’’ au ‘’multipartisme’’ ne s’est pas accompagné du démantèlement de la police politique, souligne Mohammed Hachemaoui. ‘’Tous les partis politiques, à l’exception du FFS, sont une création des décideurs. Même une partie du FIS relevait du pouvoir’’  Ce n’est pas moi qui le dis mais Sid Ahmed Ghozali, l’ancien chef de gouvernement qu’on ne peut pas taxer d’opposant…» Dans ce contexte, Nassera Merah conclut : «Aujourd’hui, ils sont tellement bien installés, ils ont tellement d’avantages à perdre qu’ils n’ont pas intérêt à ce que le système change… Et même s’ils le voulaient, ils n’ont pas de projet politique.» «Car même s’ils prétendent représenter la population, les partis ont comme obsession le pouvoir et non la société...», conclut Ratiba Hadj Moussa.

Grâce à sa politique sociale, l’Etat algérien est en mesure de négocier

«Si l’argent public est mal géré (redistribution clientéliste, corruption, absorption de 40% de la masse monétaire par le marché informel…), la rente pétrolière est redistribuée», note un chercheur en anthropologie politique. «L’Etat algérien est un Etat social.» Les transferts sociaux – argent injecté pour l’attribution de logements sociaux, aux subventions des denrées alimentaires, à l’emploi précaire ou à l’assurance chômage…– représentent chaque année 15 milliards de dollars. «Ces transferts sont parmi les plus importants du monde arabe. Et cela laisse au pouvoir une marge de manœuvre importante pour négocier.» D’autant que la désorganisation de la société civile et de la division de l’opposition «finissent toujours – pour l’instant – à profiter à l’Etat, ajoute Ratiba Hadj Moussa. En l’absence d’alternative, c’est toujours lui qui finit par récupérer les mouvements de protestation et apparaît comme celui qui ‘’intervient’’. Soit par un remaniement ministériel, soit par un programme national de lutte contre le chômage, par la distribution de logements… D’un côté, le pouvoir réprime. De l’autre, il discute. En faisant cela, il affaiblit les protestations, lesquelles, si elles sont nombreuses, se retrouvent isolées.» Des 9700 mouvements de protestation enregistrés en 2010, tous se sont éteints comme ils ont commencé.

En recevant des habitants de Diar Echems, la cité qui s’était soulevée en 2010 pour réclamer des logements décents, le wali a par exemple étouffé la colère. «Le face-à-face entre le pouvoir et les émeutiers rend la question personnelle et non plus politique. Contrairement à la Tunisie, cela prouve bien que les émeutes en Algérie ne sont pas des émeutes pour la démocratie : la transformation des institutions n’est pas à l’ordre du jour.» Mais la récurrence des émeutes montre d’un autre côté que si l’Etat arrive à éteindre les incendies avec l’argent du pétrole, ce dernier ne suffit pas à acheter la paix sociale. «La corruption généralisée génère le mal-développement et accroît les inégalités sociales. La corruption a colonisé l’Etat. Elle a aussi pulvérisé le corps social. Les tycoons, ces symboles de l’argent facile, exercent, rappelez-vous Khalifa, une grande fascination sur les groupes sociaux. La corruption s’est tellement banalisée que la contestation ne porte plus sur le fléau en tant que tel, mais sur la répartition des bénéfices qu’engendre celui-ci.

C’est là une différence centrale entre la Tunisie et l’Algérie.», analyse Mohammed Hachemaoui. Pour autant, Ihsane El Kadi, directeur du site Maghreb Emergent, croit à une possibilité d’ouverture «pilotée par le pouvoir». «Le pouvoir sait que fermer conduira à la révolte générale. Les Algériens savent aussi, parce que ce sont eux qui ont le plus donné dans la région, qu’une confrontation entraînera de nouveaux sacrifices et ils ne veulent pas de cela…» L’espoir ? Les élections législatives de 2012, peut-être. «Le hasard fait bien les choses : faisons de cette échéance une occasion d’agréer de nouvelles formations politiques, d’ouvrir l’audiovisuel, de rétablir la pratique politique.»

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Source : El Watan
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