Vendredi matin 18 mars
2011, mon radio réveil
s’enclencha et j'eu
directement droit à une
interview avec le ministre
des Affaires Etrangères
Vanackere. Il trépignait
d'impatience de pouvoir
partir en guerre contre la
Libye.
Et malgré
que les deux premiers points
de la résolution 1973 du
Conseil de Sécurité de l'ONU
appellent à une solution
diplomatique,
Vanackere ne parlait que du
point 3 selon lequel ‘toutes
les mesures’ sont permises.
Il était donc très clair à
quoi on pouvait s’attendre.
Cela m'a rendu malade et
j'ai juré.
La guerre
me rend malade
Je
ne sais pas ce que les gens
ressentent lorsque l’on bat
les tambours de guerre, mais
moi j’en suis littéralement
malade. Et quelques heures
plus tard, après le débat au
Parlement Belge, je ne me
sentais pas mieux. Personne,
je veux donc dire pas un
seul membre du parlement,
n’a voté contre ou s’est
abstenu lors du vote sur le
soutien de la Belgique à la
guerre. Et cela alors que
les membres de notre
parlement ont l'habitude de
palabrer durant des mois
avant de prendre une
décision et sont à ce jour
occupés depuis plus d’un an
à la formation d'un
gouvernement.
Mercredi matin 8 juin,
j’ai reçu un appel … me
demandant si je voulais
aller en Libye. Comme le
souligne Michel Collon :
“chaque guerre est précédée
par des média-mensonges”,
c’était donc une occasion
unique d'aller m’en rendre
compte sur place. Je n’ai
donc pas hésité très
longtemps, et vendredi 10
juin nous sommes partis avec
4 autres belges en direction
de Tunis, en Tunisie. De là,
nous avons continué le
samedi matin avec 9 autres
participants internationaux
en direction de Tripoli, un
voyage en car de 17 heures.
Pendant 3 jours nous avons
participé à une mission
d’observation et à une
conférence sur la guerre et
les droits de l’homme sur
invitation de l’
“Association des Avocats et
Juristes de la
Méditerranée”.
“Vas-tu
soutenir Kadhafi?”, ai-je
plusieurs fois entendu. J’ai
fait partie de ce voyage
afin de me rendre compte
moi-même des conséquences
des bombardements de l’OTAN
sur Tripoli. Contrairement à
Van Rompuy, Sarkozy,
Berlusconi, Obama ou
Verhofstadt, qui étaient
honorés de serrer la main à
Kadhafi lorsqu’il s'agissait
de signer des contrats, je
n’ai aucune affinité avec
Kadhafi. Cela ne veut pas
dire pour autant que je ne
vais pas m’opposer à une
guerre de l’OTAN qui défend
uniquement les intérêts
occidentaux. Surtout lorsque
nous examinons le palmarès
de l’OTAN. S’ils
bombardaient vraiment pour
défendre les droits de
l’homme – ce qui me semble
déjà une contradiction en
soi – on peut alors trouver
d’autres adresses comme
l’Arabie Saoudite par
exemple. Rappelons-nous
l’histoire
du 'bon' et 'mauvais' Arabe
vers laquelle renvoie
Mohamed Hassan lors de son
interview avec Michel Collon
concernant l’histoire de la
Libye. Un bon Arabe se
soumet aux intérêts
occidentaux, contrairement
au mauvais Arabe. Lorsque
Kadhafi était en France il y
a quelques mois, il faisait
encore partie de la première
catégorie, car il ne fut pas
arrêté à l’Elysée, à présent
il fait partie de la
deuxième.
Le calme
règne dans la zone de guerre
Alors que nous approchions
de la frontière
Tunisie/Libye, la tension
augmenta dans le car. L’un
des participants Tunisiens
de la délégation reçut un
appel. Al Jazeera annonça
qu’ il y avait des
affrontements à Zawiyah, une
ville située sur le chemin
vers Tripoli. Après quelques
minutes de discussion, il
fut décidé de continuer
notre chemin. Nous avons
appris par la suite qu’un
groupe de rebelles avait
essayé d’occuper la ville,
mais n’y était pas parvenu.
Lorsque vers 3 heures du
matin nous roulions à
travers la ville, tout était
très calme.
En chemin vers Tripoli,
notre car fut quelques fois
contrôlé par des policiers
en uniforme. Nous n'avons
apperçu ni char, ni matériel
militaire lourd. A Tripoli
également, tout était
remarquablement calme. Pas
de soldats ni de tanks dans
les rues. Les bazars étaient
agréablement animés. De
petits bus de transport
faisaient des allers-retours
et les gens étaient à la
plage. Pas tout à fait une
situation de guerre comme je
me l’étais imaginée. En tout
cas, pas une ville qui
pourrait tomber à chaque
moment, comme nous le fait
croire l’OTAN lorsqu’ils
parlent de
la période post-Kadhafi.
Pourtant, les habitants de
Tripoli avaient quand même
peur. La ville est
régulièrement bombardée et
ils peuvent donc en être
victime à chaque instant.
L’OTAN
part en guerre
Pendant
3 jours, nous sommes restés
à Tripoli et nous pouvions
nouer des contacts. Entre
les conférences et les
visites organisées, nous
nous sommes rendus seuls en
ville en reconnaissance. Les
réactions des gens avec
lesquels nous parlions
étaient toujours les mêmes.
Aussi bien le représentant
des clans en Libye, la
communauté africaine en
Libye, les propriétaires de
magasins, les étudiants et
l’homme de la rue nous ont
confirmé leur soutien au
gouvernement. Tous
condamnaient l’attaque de
l’OTAN qui n’est là que pour
« voler les richesses
libyennes ». Et malgré que
certains d’entre eux étaient
également critiques
vis-à-vis du gouvernement,
ils n’encensèrent pas pour
autant les rebelles qu’ils
qualifient unanimement comme
: “Al Qaeda, maffieux,
opportunistes, ...”. Depuis
le début, il s’agit d’une
rébellion armée qui a
commencé en Occident. Ils
n’ont aucune confiance dans
les leaders de la rébellion
qui ont combattu en
Afghanistan contre
l’occupation des Etats-Unis,
ou dans des opportunistes
qui se trouvaient auparavant
dans le gouvernement et qui
font tout à coup volte-face.
Au même moment, ils nous
mettent en garde - nous
Européens - du fait qu'en
cas de victoire des
rebelles, la Libye
deviendrait un pôle
d’attirance pour les
extrémistes religieux, du
Mali au Soudan. L’Europe ne
doit pas s’étonner que de
cette "nouvelle" Libye, des
attentats soient planifiés
contre l’Europe. La Libye va
être tiraillée entre des
guerres de clans, entre
Arabes et Africains. Le
développement du pays et de
toute l’Afrique du Nord sera
miné. La Libye s’oriente
plus vers l’Afrique que vers
le monde arabe et les
4.000.000 d'étrangers en
Libye ont génèré jusqu’au
début de la guerre, des
ressources pour les pays
voisins. Ils nous ont mis en
garde contre la "Somalisation"
de la Libye, ce qui
finalement déstabilisera
toute la région.
L’OTAN avait espéré que
le régime libyen
s’écroulerait de
l’intérieur. L’Occident
savait probablement que les
ministres de la Justice, des
Affaires Etrangères et
Intérieures, et d’autres
diplomates retourneraient
leurs vestes. Néanmoins, le
gouvernement tient toujours
bon et l’OTAN se retrouve
avec un fameux problème. A
Tripoli, les gens nous ont
confirmé que la population
avait été armée. On parle de
2.000.000 armes qui ont été
distribuées. Ce ne sera donc
pas évident pour l’OTAN de
contrôler Tripoli. Sûrement
pas s’ils ne comptent que
sur les rebelles, qui ne
font plus aucune avancée
depuis des semaines et ce
malgré l’aide des
bombardements de l’OTAN.
Cibles
civiles et infrastructure
Sur
ces 3 jours, nous avons pû
visiter l’ancien centre de
la ville, l’Académie, La
Place Verte, le Bab Al
Azizia et la maison
bombardée du fils de
Kadhafi. Chacune de ces
places est une cible ou peut
en devenir une, pour
l’OTAN. Dans le centre
ville, nous avons visité
tous les jours le souk et
avons discuté avec les
commerçants. Quelques jours
plus tard un autre souk fut
bombardé. Nous avons
également visité l’Académie.
Des étudiants y suivent une
formation afin d’obtenir un
master ou un doctorat en
langues ou en sciences. Le
même jour, l’OTAN bombarda
l’université de Al Fatah à
Tripoli. Lors du
bombardement du 30 avril sur
la maison de Saif Al-Arab,
le fils de Kadhafi ainsi que
trois de ses enfants sont
morts. En 1986, les
Etats-Unis ont bombardé Bab
Al Azizia, la résidence de
Kadhafi. Aujourd’hui c’est
une place centrale où les
Libyens viennent montrer
leur soutien au
gouvernement. On y trouve de
nombreuses familles et des
étrangers venus de toute
l’Afrique. Depuis le début
de la guerre, le 19 mars,
cette place a été déjà
bombardée à trois reprises.
Il apparaît que l’OTAN
bombarde des cibles civiles
et des infrastructures à
Tripoli, ce qui est illégal,
même selon la résolution
1973. Les Tripolitains n’en
sont pas pour autant
découragés et s’opposent
encore plus fort contre
l’OTAN. Sur la Place Verte
centrale, peu après notre
départ - le 17 juin (4 mois
après le début de la
rébellion) - des centaines
de milliers de Libyens se
retrouvèrent pour exprimer
leur soutien au
gouvernement. Ce qui fit
dire au journaliste de la
chaîne CNN “...
this crisis in Libya isn't
ending any time soon”.
Le
Hold-up du siècle
Avec les participants à la
conférence nous avons eu le
temps d’analyser les enjeux
de la guerre et d’échanger
nos opinions. L’indépendance
de la Libye, qui n'a pas
d'emprunt auprès de la
Banque Mondiale ou du FMI,
exaspère l'Occident. Ce que
je ne savais pas c’est que
la Libye possède plus de 143
tonnes d’or (valeur de +/-
4,8 milliards d’euro). Une
quantité non négligeable
dans des temps de crise
financière. Cette attaque de
l’OTAN s'avère ainsi être le
hold-up du siècle. La Libye
est également la force
motrice pour l’établissement
d’une banque africaine de
développement et à plus long
terme, elle pense aussi à
une monnaie unitaire
africaine. Ce n’est pas pour
rien que la Libye est
appelée la mère de
l’Afrique. La guerre devient
donc une nouvelle guerre
coloniale qui menace
l’indépendance des pays
nord-africains et menace par
extension toute l’Afrique.
N’oublions pas que l’Afrique
est un continent très riche.
Étant donné que les
relations entre la Libye et
le reste de l’Afrique sont
très solides, il est logique
que la Libye reçoive à ce
titre l’aide des pays
voisins. C'est ainsi qu'il y
a des allers-retours de
camions entre la Tunisie et
la Libye. Il en est de même
avec l’Algérie et le Niger.
Tout
le monde était d’accord pour
dire que l’Occident convoite
aussi le pétrole (9e au
monde sur le plan des
réserves avérées), le gaz
(23e) et l'uranium. Dans le
même temps, l’intervention
militaire menace aussi les
révoltes populaires en
Tunisie et en Egypte. Il
était clair pour tout le
monde que la rébellion en
Libye n’est pas comparable
avec ces révoltes et veut
obtenir exactement le
contraire. L’Occident veut à
tout prix éviter un front
indépendant
« Tunisie-Libye-Egypte ».
Cela menacerait leurs
intérêts géostratégiques
dans la région. Le canal de
Suez doit rester accessible
et Israël ne peut être
menacé.
Et enfin encore ceci :
n’oublions pas que la Libye
est un des nombreux pays qui
coopère actuellement avec la
Chine, l’Inde, le
Brésil,.... Le monde
unipolaire, dans lequel les
Etats-Unis déterminent ce
qui se passe dans le monde,
est en train de changer vers
un monde multi-polaire. La
crise économique touche
surtout l’Occident et la
force économique des
Etat-Unis s’en trouve
défiée. Obama fait donc tout
ce qu’il peut pour ne pas
perdre la position dominante
des Etats-Unis. Néanmoins,
il apparaît qu’il y a à
présent un vent contraire.
Aux Etats-Unis, une dizaine
de membres du Congrès
contestent la légalité de
cette guerre. A l’intérieur
de l’OTAN, les oppositions
augmentent du fait que la
guerre se prolonge plus que
prévu et que l'addition,
surtout pour la France,
augmente considérablement.
Pour la Belgique, le
problème n’est apparemment
pas le même. De Crem vient
d’annoncer que la Belgique
pourra honorer son
engagement en Libye pendant
une durée indéterminée, même
si la facture s'élève déjà à
5.000.000 euro par mois.
Alors
« diplomatie » quand-même?
Il
apparaît que ce que notre
ministre Vanackere et nos
parlementaires n’ont jamais
voulu, est quand même en
train d'arriver. Comme les
articles 1 & 2 de la
résolution 1973 du Conseil
de Sécurité de l'ONU le
demandent, des initiatives
diplomatiques émergent de
partout afin de mettre un
terme à la guerre.
Il y a déjà des contacts
entres les autorités
libyennes et les rebelles.
La Russie demande depuis
longtemps de laisser faire
le travail diplomatique ;
Amr Mousa de la Ligue Arabe
appelle à un cessez-le-feu
et à une solution politique.
« Last but not least »,
Groen! demande
un-cessez-le-feu temporaire.
Ils s’inspirent peut-être
des déclarations de Robert
Gates, ministre de la
Défense des Etats-Unis, sur
la guerre en Afghanistan:
“Cette sorte de guerre se
termine généralement par des
pourparlers”. On peut douter
du fait que l’Occident et
les rebelles vont s’inscrire
dans ces propositions. Les
propositions venant du
Venezuela, de la Turquie et
de l’Union Africaine avaient
déjà été rejetées
auparavant. De plus, la
proposition du gouvernement
libyen d’organiser des
élections a peu de chance
d’aboutir. Tout comme en
Palestine, ce ne seront
probablement pas "nos"
hommes qui gagneront.
A la
recherche d’informations
De
retour en Belgique, un tel
voyage vous poursuit. Je me
suis donc mis immédiatement
à la recherche de plus
d’informations sur la Libye.
Ce n’est pas évident de
trouver des informations qui
n’émanent pas des médias
occidentaux, d’Al Jazeera,
ou des médias libyens (oui,
ils existent). Je suis ainsi
tombé sur ce rapport récent:
“Libye:
Un avenir incertain -
Compte-rendu de mission
d’évaluation auprès des
belligérants libyens”,
d’une mission d’observation
française indépendante. Pour
être honnête, j’étais assez
déçu après l’avoir lu. Non
pas à cause du contenu, mais
soudainement je n’avais plus
rien à raconter de mon
voyage. Le rapport, écrit
par des experts
indépendants, compte 44
pages et traite de toutes
les facettes de la guerre en
Libye. Un « must » pour tout
un chacun qui veut juger de
la situation en étant bien
informé.
Et avant d’oublier :
cette guerre n’a rien à voir
avec les droits de l’homme.
Vous vous en doutiez déjà,
non ?