Opinion
Chemins de Damas
Marie-Ange Patrizio

Photo:
Marie-Ange Patrizio
Vendredi 25
novembre 2011
Chers amis,
Je reviens (samedi
19 novembre 2011) d’un voyage de 6 jours
en Syrie, à l’invitation des Eglises
d’Orient [1],
autorisé par le gouvernement syrien, et,
pour ma part, à la demande de Mère Agnes-Mariam
de la Croix, dont j’ai fait la
connaissance à la fin du mois d’avril
2011
après qu’elle a lu, sur le site du
Réseau Voltaire, ma traduction du texte
de D. Losurdo ‘Que se passe-t-il en
Syrie ?’[2].
La logistique a été assurée en
coordination avec Thierry Meyssan et le
Réseau Voltaire.
Prévu pour une 50aine
de personnes au départ, et destiné
prioritairement à des journalistes de la
presse catholique, ce voyage n’a en
définitive regroupé que 15 personnes
arrivant de l’étranger : aucun français
parmi les journalistes professionnels de
la presse écrite ou radio-télévisée,
mais : 5 belges, une journaliste venant
de Madrid et un journaliste étasunien.
Aucun membre de la presse française
contactée n’a donc répondu favorablement
et saisi l’occasion d’aller voir sur le
terrain ce qui s’y passe. Paradoxe
surprenant, alors que nos media ne
manquent aucune occasion d’accuser la
décision du « dictateur » Assad et de
« son » régime d’empêcher les
journalistes indépendants d’aller en
Syrie. Nous pouvons donc témoigner
aujourd’hui non seulement que des
journalistes et contributeurs divers
peuvent entrer officiellement dans ce
pays, mais que certains de ceux qui se
plaignent de la censure de ce régime
sont aussi ceux qui refusent cette
occasion extraordinaire quand elle leur
est offerte : sous prétexte
d’indépendance de la presse, ne pouvant
pas entrer s’ils sont invités ?( !) La
liberté ne serait-elle garantie que par
la clandestinité dans un pays qu’on se
hâte maintenant de déclarer en « guerre
civile » ?
Les autres membres du groupe
étions des représentants d’associations
catholiques (Italie) ou des militants
actifs sur Internet, pas (très)
catholiques pour la plupart et avec - le
moins qu’on puisse dire- des positions
politiques hétérogènes.
Ce que je
vous adresse aujourd’hui, taraudée par
une urgence à rendre compte de ce
séjour, n’est pas un reportage de
journaliste, puisque je ne suis pas
journaliste mais psychologue et
traductrice, mais une lettre à des amis
et camarades. Un témoignage, pour le
moment partiel et non chronologique, de
ce qui m’a frappée dès les premières
heures passées dans ce très beau pays :
l’ampleur incroyable, révoltante du
mensonge que les media nous
assènent ici sur la situation en Syrie.
Mensonge en action et en omission, comme
on dit. Ces notes seront suivies,
ultérieurement, de récits détaillés de
plusieurs séquences du voyage,
représentatives de la situation
actuelle, démontant et démentant
l’intoxication époustouflante en cours
depuis 8 mois sur les événements qui
tentent de déstabiliser ce pays.
Avant tout, j’indique que les
organisateurs nous avaient certes
préparé un agenda chargé (et annoncé)
mais pas obligatoire, bien sûr : chacun
des membres de ce groupe a eu la
possibilité d’assister ou pas - à visage
découvert !- à tout ce qui était prévu,
ou/et de quitter le groupe pour aller où
il espérait aller, sans forcément avoir
à dire où. Je dirai aussi que je ne
connaissais pas la composition du groupe
avant d’être sur place. Je n’ai constaté
aucune entrave (à part des
embouteillages monstres, même en Syrie,
oui, même ces jours-ci) à une liberté de
déplacement, ni aucune surveillance : je
dirai même qu’à certains moments, je
l’aurais presque appréciée, cette
surveillance tant décrite et décriée
ici.
Ne parlant pas arabe je me suis
contentée (sans être jamais déçue) de
rester dans le programme annoncé (et
sans cesse bouleversé sous la pression
des événements), y compris deux
demi-journées pour faire un peu de
tourisme. J’ai profité de ces moments
d’inoccupation dans un programme dense
et éprouvant, intellectuellement,
moralement et physiquement, pour
promener dans la ville de Damas, qui est
superbe. Nous n’avons pas eu le temps de
faire davantage d’escapades. A Saint
Jacques le Mutilé (Qâra), nous n’avons
eu que quelques heures (diurnes) pour
promener dans et autour du monastère :
j’y ai modestement participé à la fin de
la récolte des olives (2 tonnes 4).
Je dirai donc en introduction :
liberté, oui, de se déplacer et, en
dehors de mon expérience du poste de
frontière sur la route Beyrouth-Damas
(que je relaterai plus tard sur le thème
« que fait la police ? »),
personne ne nous a jamais interrogés, ce
qui s’appelle interroger, pas bavarder,
sur notre présence et nos intentions.
Les esprits supérieurs se gausseront :
bien sûr, nous étions embedded…
Je précise aussi à ce sujet que j’ai
payé mon voyage [3],
mais que je n’ai quasiment rien dépensé
là-bas [4] :
une amie syrienne, ici, m’avait dit
qu’il était de toutes façons impensable
de payer quoi que ce soit dans
l’hospitalité syrienne. Chrétienne ou
autre.
La liberté de déplacement, pour
la plupart d’entre nous y compris les
journalistes professionnels, pouvait par
contre se trouver limitée plutôt par un
élément central et banal dans toute
région du monde : parler ou pas la
langue du pays, en l’occurrence l’arabe.
Je pratique un anglais précaire, et les
Syriens parlent parfois le français.
Pour tous les déplacements et
rencontres, spontanés ou organisés, je
n’ai donc, de façon très intéressée,
quasiment pas quitté une documentariste
algérienne (résidant en France) qui a eu
la générosité de (se) faire notre
interprète, en plus de son travail
(filmer et enregistrer). L’autre
interprète inlassable était Agnes-Mariam
de la Croix. Le lecteur inlassablement
critique pourra dire qu’elles
traduisaient ce qu’elles voulaient :
évidemment. Les enregistrements (par les
journalistes et documentaristes du
groupe) faits en arabe avec traduction
simultanée permettront de vérifier la
fiabilité des traductions. Je dirai ici
ma surprise que les rédactions qui ont
envoyé leurs journalistes ne leur aient
pas aussi adjoint les services d’un
interprète, élément essentiel d’un
travail annoncé comme indépendant
(étant, nous, aliénés dans nos
idéologies) dès l’arrivée sur le
terrain.
Au monastère et dans certains
déplacements, les Sœurs Carmel et
Claire-Marie, et deux frères de la
communauté, tous quatre francophones,
ont rendu notre séjour beaucoup plus
confortable y compris matériellement,
logistiquement, et moralement. Merci à
vous tous de votre présence chaleureuse,
constante et courageuse qui a transformé
notre séjour. Et à notre patient
chauffeur, depuis Qâra, dans la province
de Homs et à Banyas.
La
vie, quotidienne, banale, qu’on perçoit
dans la rue c’est la vie d’une
population qui supporte un embargo et
des sanctions : rien moins quand même
qu’un « génocide lent » pour reprendre
l’expression de Webster Tarpley.
Sanctions qui, par des mécanismes
bancaires dont je n’expliquerai pas ici
la complexité des rouages, entraînent,
entre autres choses, l’augmentation des
prix des carburants nécessaires au
confort domestique : pour se chauffer,
notamment, et il fait très déjà froid,
et humide, en Syrie ces jours-ci. Sans
parler du reste des effets des
sanctions, sur quoi nos interlocuteurs
ne se sont pas attardés. Les gens
continuent à vaquer à leurs occupations
avec suffisamment de tranquillité (je
parle de la rue, des souks, des marchés
etc. à Damas mais aussi sur les routes,
dans les campagnes) pour qu’on se sente
à l’aise aussi bien dans des ruelles
désertes à la nuit tombée, qu’aux souks,
ou dans les fabuleux monuments désertés
par les touristes, ou au restaurant.
Restaurants sans aucun doute beaucoup
moins fréquentés qu’en période
touristique ou dans le train-train
damascène traditionnel (mondain ou non).
Il n’y a pas de visiteurs étrangers
actuellement en Syrie et le commerce
doit s’en ressentir considérablement. En
dehors d’un déplacement dans Damas, en
cortège de 5 limousines noires qui se
voulait sans doute une courtoisie de la
part du gouvernement (seule intervention
logistique des services du régime), nous
n’avons jamais été escortés, sécurisés,
surveillés etc. Je l’affirme ici malgré
les allusions que j’ai déjà lues dans
d’autres commentaires, sans que leurs
auteurs ne donnent de détails.
Je reviendrai plus tard sur ce
convoi protocolaire pittoresque et
cocasse dans le paragraphe « Que fait la
police ? ».
On s’est même perdu
plusieurs fois… Comme surveillance (et
protection), j’imaginais (et aurais
-bêtement ?!-
espéré à quelques reprises) autre
chose.
L’atmosphère de guerre civile que
nous décrivent lourdement nos media,
stipendiés par les nôtres de régimes, je
ne l’ai pas trouvée (tant mieux) ; et je
peux dire que certains membres de notre
groupe l’ont vraiment cherchée,
librement. Librement pouvant inclure le
service recommandé par leurs directions
éditoriales. Dire et écrire autre chose
que cette simple phrase : « il n’y a pas
de guerre civile en Syrie », relève du
mensonge. Dire qu’il s’agit d’un début
de guerre civile impliquerait que nous
eussions assisté (de près ou de loin, ou
par des témoignages) à des affrontements
armés et singificativement massifs entre
des factions de la population, entre
elles ou/et avec les forces de sécurité
(armée, police etc.) ; la guerre civile
n'oppose pas des groupes armés venus de
l'extérieur à des soldats de
l'intérieur. Dans ce cas cela s'appelle
une agression militaire.
Nous aurons l’occasion de revenir
sur l’équipement des « insurgés ». Les
collègues journalistes qui ont déjà
documenté ce voyage ont eux-mêmes
reconnus la réalité, terrorisante,
atroce dans ses méthodes, de ces
incursions depuis l’étranger de bandes
de tueurs. Et c’est après chaque
témoignage sur cette terreur que
j’aurais, pour ma part, bien aimée être
parfois plus escortée et surveillée. Et
protégée. Le fait que j’écrive
aujourd’hui alors que notre voyage était
évidemment connu et surveillé par les
donneurs d’ordre, étrangers, des
escadrons de la mort, est la preuve que,
justement, pour le moment au moins, nous
pouvions encore circuler en sécurité et
sans escorte.

Photo:
Marie-Ange Patrizio
Les Syriens que j’ai rencontrés
sont d’une extrême hospitalité : et
c’est un pays où il est agréable de se
promener même en ce moment, du moins
dans Damas. Ailleurs, l’atmosphère que
nous avons vécue n’était pas celle d’une
tension palpable, mais c’est nous, de là
où nous venions, qui étions parfois très
tendus (à Homs, à Banyas) : sous l’effet
soit de ce que nous venions d’entendre
de la part de certains interlocuteurs,
victimes des escadrons de la mort, soit
sous l’effet de la propagande à laquelle
il est difficile d’échapper en France,
Italie, Espagne, USA, Belgique ; même
quand on est critique par rapport à ces
media. Et dans les villes de Homs et
Banyas, où nous avons vu et entendu ces
victimes et/ou leurs proches, civils ou
militaires tués, il est évident qu’il
valait mieux être prudent. Le groupe de
quelques uns des envoyés spéciaux qui
est retourné une deuxième fois à Homs,
avec Agnes-Mariam, est même tombé en
panne à la sortie (« 10 Kms ») de la
ville, à la nuit tombée, et nous a
raconté ça le soir, sans drame. Ils
sortaient pourtant d’une visite à la
famille d’un homme qui avait été enlevé
et massacré par les terroristes.
Dans nos déplacements, il était
facile de se faire repérer comme
étrangers, que les passants soient ou
non de ces agents des services de
sécurité dont on nous parle tant ici, et
qui doivent être très discrets et
parfaitement formés car, s’il y en
avait, on ne les a jamais vus, ni
entendus. Ou bien sommes-nous, nous, de
gros benêts endoctrinés (au sabre et au
goupillon, n’est-ce pas) et aveugles.
Nous
n’avons vu aucun touriste étranger de
tout notre séjour. Donc, ma foi, nous
avons eu quelque succès …D’autant plus
qu’on se baladait avec appareils photos,
caméras, carnets de notes etc. Les
gosses demandaient (plus ou moins
discrètement !) qu’on les prenne en
photo ; et ceux qui n’étaient plus des
gosses assumaient qu’on les enregistre,
à l’improviste, et à visage découvert
(eux et nous), donnant (et nous aussi)
les noms, adresses etc.
A l’opposé exactement de ce que
nous a par exemple montré le reportage,
diffusé par Arte, de Madame Sofia
Amara (dont je vous recommande, pour
avoir une idée de sa fiabilité, d’aller
voir sur Internet quelles frasques elle
a faites avant de se reconvertir avec un
grand sens de l’opportunisme dans le
prétendu reportage de vraie guerre
humanitaire) [5] .
Nous avons été le premier groupe
de presse entré officiellement en Syrie
depuis le début de l’ « insurrection » :
je dis officiellement pour signifier que
les autres journalistes, ou prétendus
tels, sont entrés (si on les croit, car
on n’a quand même pas trop de preuves
avérées de leur séjour dans le pays)
clandestinement [6]
: on est en droit, donc, de se demander
quelle indépendance ils ont par rapport
aux escadrons de la mort qui sévissent
dans certaines villes et régions proches
des frontières -c’est plus facile pour
le moment- où sont établies leurs bases
arrières.
Les véritables opposants au
régime se déclarent, afin de faire
connaître leurs revendications : parmi
lesquelles l’ouverture, officielle,
assumée, à la presse étrangère.
Depuis qu’a commencé la tentative
de déstabilisation du pays, il me semble
évident que le « régime » a intérêt à
contrôler ceux qui entrent : il y a
assez de bandes de tueurs qui
s’infiltrent sans, en plus, avoir la
stupidité de laisser venir n’importe
qui, sous prétexte de prouver -à des
gens qui ne veulent de toutes façons
rien en savoir- qu’on ne serait pas un
régime dictatorial.
Le mot qui revient toujours quand
les gens vous abordent c’est « Welcome » ;
il paraît que c’est une tradition en
Syrie. Mais cette tradition a en ce
moment une tonalité particulière pour le
visiteur, avec tout ce que les Syriens
entendent venant de nos pays : car, eux,
ils ne regardent pas que les chaînes de
nos media dominant la
désinformation. Ils regardent et savent
ce que nous on entend mais ils regardent
aussi d’autres chaînes, indépendantes :
celles n’appartenant pas aux monarchies
(libres…) du Golfe. Et ils ont des
moyens d’information pour se faire leur
propre idée ; d’autant plus, évidemment,
que eux sont sur place, à la différence
des journalistes ici qui répètent, sans
se déranger sur le terrain, ce que leurs
rédactions leur commandent.
Dans la rue donc, après vous
avoir dit Welcome les passants
vous disent souvent We love Assad et,
si vous vous présentez comme français,
Sarkozy (et parfois Joupé)
bad, bad en faisant le geste
(sans équivoque), de celui qui écrase
quelque chose sous son talon : et ils
appuient bien fort, bien franchement.
Propagande ? Alors ils sont une
majorité, chez les jeunes surtout, à
être complètement intoxiqués et aveuglés
par le régime : à ce degré de masse, ça
deviendrait une dictature populaire…
Question à propos du niveau
d’information des passants dans les rues
de la « dictature » syrienne et chez
nous où règne la liberté de la presse et
d’opinion etc. : qui, ici, pas dans la
rue mais même chez les gens informés,
connaît le nom du ministre syrien des
affaires étrangères ?
Pour le lecteur perplexe, je
précise que je parle ici non pas
seulement des gens rencontrés dans les
rendez-vous organisés (embedded,
n’est-ce pas) mais dans la limite de 6
journées : dans les rues de Damas, avec
des passants qui faisaient leurs
courses ; sur les routes, lors des
haltes imprévues ; dans les rues de
Homs, où nous avons débarqué après avoir
été reçus par le gouverneur avec des
représentants des hiérarchies
chrétiennes et deux membres de
l’opposition présente dans le pays. Tous
donnant leurs noms et téléphones et
acceptant d’être filmés et enregistrés :
pour eux, tous, aussi, mise en scène du
régime ? C’est possible mais alors la
comédie était déjà assez critique contre
le régime : digne de passer chez nous
dans certaines émissions un peu plus
indépendantes que la majorité des
autres.
Et dans tous les cas, et même
pour les deux personnes de l’opposition
rencontrées à Homs, il y avait une
distinction entre la critique du régime,
dont ils pensent qu’il doit être
largement et profondément réformé -avec
leur participation- et celle du
président Bachar al Assad : tous les
gens que nous avons rencontrés,
spontanément, pseudo-spontanément si la
Syrie est totalement contrôlée par les
services de sécurité, ou de façon
partisane (par exemple certains membres
du Parti Baas, dont il était inutile
qu’ils nous disent qu’ils étaient
membres du parti : c’était évident),
tous ont fait cette distinction :
apparemment, dans tous les avis que j’ai
entendus
(y compris avec ma voisine
syrienne dans l’avion, installée à Paris
depuis plusieurs années, à qui j’envoie
ce texte),
le président Bachar Al Assad est à
l’écart, personnellement, de la masse
des critiques. Exceptionnalité d’un
régime dictatorial qui serait assez
soudé et généreux pour laisser le chef à
l’abri et prendrait sur lui toutes les
critiques ? Ceci est une des composantes
les plus surprenantes pour moi du
mensonge époustouflant et grossier des
media ici, qui désignent Bachar
Al Assad comme un dictateur haï par la
population.
Dans ce que j’ai entendu
-toujours dans les deux sortes de
rencontres : programmées et imprévues-
de la critique contre le régime, ce qui
revient le plus souvent et avec force
est : la bureaucratie, la corruption,
l’absence de liberté de parole :
critiques, toutes, que nos
interlocuteurs attribuent au régime
instauré par le père de Bachar mais
qu’ils sont prêts à ajourner face à la
seule urgence : défendre leur pays, la
nation, contre l’agression étrangère.
Défendre leur société, leur
civilisation, dont ils ne cessent de
dire avec fierté qu’elle est plurielle
depuis longtemps et que c’est ce qui
fait sa solidité. Nous avons rencontré
(de façon organisée, oui, annoncée et
assumée comme telle) pas mal de
chrétiens, mais pas seulement : tout le
monde est d’accord sur ce point : ils
parlent avant tout en tant que citoyens
syriens, pas comme membres de telle ou
telle religion, ou association ou
parti : même s’ils ont l’honnêteté
d’annoncer la couleur -et dans le clergé
des églises orientales, souvent
éclatante, la couleur !
Ce qui revient toujours aussi
c’est la désignation précise de leurs
agresseurs véritables, hors du pays :
monarchies du Golfe, Qatar,
fondamentalistes et capitalistes au
service des USA et Israël. Désignés
nommément et dans une analyse politique
sans faille. Tous témoignages et
déclarations (à quelques rares
exceptions près) à visage découvert.
Nous y reviendrons.

Photo:
Marie-Ange Patrizio
Le dimanche matin (13
novembre 2011) nous avons assisté à la
fin d’une manifestation gigantesque :
déclenchée par la décision, samedi 12
novembre [7] ,
de la Ligue Arabe (disons plus
clairement : Ligue des Arabes du Golfe [8] )
de suspendre la Syrie de sa qualité de
membre : les citoyens syriens que nous
avons rencontrés étaient partagés entre
la consternation et la révolte.
Nous arrivons dans une des
grandes artères de la ville quand la
manifestation est terminée ou presque :
nous allons rester sur le terre-plein
séparant les deux voies environ deux
heures durant, pendant qu’une partie des
manifestants quitte le cortège (par une
des trois voies d’évacuation possible) :
pendant ces deux heures de retour de
manif, nous voyons passer des gens
souvent souriants, en famille
majoritairement, ou par groupes de
jeunes qui viennent parler avec nous :
toujours les mêmes mots (voir plus haut)
et slogans scandés ici gaiement (voire
en dansant). Les filles qui se donnent
le bras en léchant leurs chupa chups :
allures de kermesse, parfois.
Même sans comprendre l’arabe, on
identifie assez rapidement un phonème :
repérable car il revient sans cesse
marteler les interventions des passants
ou des orateurs encore au micro, dans ou
hors des restes de cortège : Syria
(prononcer : Souria). Et je suis frappée
aussi par la gravité des jeunes quand
ils s’immobilisent pour chanter l’hymne
national. Pas parce qu’ils ont gagné un
match de foot ; pour défendre leur
nation. Embrigadés ? Mais alors, quelle
est la proportion dans la population
globale, de ces gens qui descendent dans
la rue, pas pour écouter en rangs un
discours de propagande bien formaté,
mais vivants : dansant, chantant, riant,
posant pour la photo ? Sous la
contrainte ?

Photo:
Marie-Ange Patrizio
Ce dimanche-là, à Damas, alors
que la Syrie venait d’être mise au ban
de la Ligue Arabe, j’ai reçu une leçon
sur les termes : patrie, patriotes.
Qu’ils revendiquent (très
majoritairement apparemment) ou pas leur
admiration pour Bachar Al Assad, tous
ceux qui sont là, dans les rues de Damas
(et ce sera constant dans toutes nos
rencontres spontanées ou organisées)
sont avant tout des patriotes, c’est
leur nation qu’ils défendent.
Ces salves de slogans (dont ceux
« pro Assad »), quelle que soit la
réalité de ce pouvoir que je ne connais
pas (encore), ont été un des moments
impressionnants de ce voyage. Elles
avaient une force et une beauté qu’on
n’entend pas (plus ?) dans nos pays
gavés de libertés d’expression, de
droits de parole etc. : celles de
l’unité d’un peuple qui est debout,
conscient de ce qu’il risque de perdre.
Ces premières
impressions seront complétées par des
comptes-rendus plus circonstanciés et
précis, sur ce que j’ai vu et entendu :
impressions, observations non
impartiales ? Qui prétend l’être ? Le
ministre français des Affaires
étrangères qui veut « sauver par des
couloirs humanitaires des populations
civiles », ingérences qui le conduiront
peut-être un jour devant la CPI, avec
ses chefs de bande de l’Elysée et
Matignon, pour complicité de crime de
guerre (assassinat de prisonniers de
guerre : Kadhafi, entre autres) et crime
contre l’humanité (embargo génocidaire)
? Bernard-Henri Lévy ? Je me limite dans
cette lettre à la dénonciation du
mensonge, pas à celle de l’obscénité.
« Nous [Syriens, de tous bords]
sommes dans un ghetto médiatique, blocus
médiatique et nous supplions ceux qui
ont la justice, l’équité [au cœur] et
qui oeuvrent dans les media de montrer
la vérité. Nous ne voulons rien d’autre
que montrer la vérité », nous a dit un
des représentants de l’opposition à Homs [9] .
J’ai lu, vu et
entendu depuis mon retour, quelques
reportages de nos collègues envoyés
spéciaux, présents avec nous en Syrie.
« Une part de vérité » [10]
annonce l’un d’eux, ménageant
l’éventualité de ne pas avoir « tout »
vu dans ce « voyage bien balisé par le
régime en place mais malgré tout
utile ». Ne peut-on entendre aussi dans
ces quatre mots un effet du retour
d’autres parts de vérité, perçues mais
refoulées ? Les auteurs auront leurs
raisons, multiples. Mais, fut-ce dans
l’équivoque d’un titre, cette autre part
peut resurgir, et, à l’insu de l’auteur,
produire des effets. On a des précédents
fameux dans la région : tel ce
fonctionnaire de police zélé au service
des occupants impérialistes de l’époque,
terrassé
(par quoi ?) sur le chemin de Damas.
Avec vingt siècles d’effets, en tous
genres.
Pendant qu’il en est encore
temps, nos directeurs de
rédaction occidentaux -européens,
étasuniens, israéliens, impérialistes,
détenteurs d’armes de distraction de
masse [11] -
ne perdraient rien à faire un peu
d’histoire : la Syrie est un livre rare,
à cet égard, et je crois que ses
habitants défendent davantage cette
richesse là que leurs puits de pétrole.
Les
photos impliquant des personnes vues
de face ont toutes été faites avec
l'accord (voire à la demande) des
sujets qui y figurent.
Le salut romain est traditionnel en
Syrie, il antécède la "dictature" du
parti Baas et n'est pas une
allégeance à l'idéologie du
Troisième Reich (elle-même puisant
par contre largement chez les
idéologues fondamentalistes
étasuniens du début du 20ème siècle
: cf. Le langage de l'Empire, de D.
Losurdo, traduction en cours).
m-a patrizio,
Damas 19
novembre - Marseille, 24 novembre 2011

Photo:
Marie-Ange Patrizio
Post scriptum :
site du monastère de Saint Jacques l’Intercis :
http://www.maryakub.org/medias.html
et
deirmaryakub@gmail.com
Voir aussi la
revue de presse transmise le 22 novembre
par le Réseau Voltaire :
Cette revue de presse ne comprend pas
les émissions sur les télé libanaises
(OTV, Al-Manar, NBN) et syriennes.
LA LIBRE BELGIQUE (Christophe
Lamfalussy )
« Nous apportons une part de vérité
»
http://www.lalibre.be/actu/international/article/701436/envoye-special-en-syrie-nous-apportons-une-part-de-verite.html
« Des corps mutilés à Homs »
http://www.lalibre.be/actu/international/article/700974/reportage-des-corps-mutiles-a-homs.html
21 novembre
« Même les éboueurs sont liquidés
»
http://www.lalibre.be/actu/international/article/701555/syrie-meme-les-eboueurs-sont-liquides.html
22 novembre
RTBF
http://www.rtbf.be/info/media/video_jt-19h30?id=1412873&mediaset=rtbfinfo--les-derniers-jts&type=video
Journal de 20h de la RTBF, 21 novembre
FRANCE INTER
http://www.franceinter.fr/emission-journal-de-8h-journal-08h00-221111
Journal de 8h France Inter 22 novembre
Reportage de la correspondante RTBF à
partir 7mn55s.
IRIB
(service français)
Entretiens TM
http://french.irib.ir/analyses/interview/item/154346-thierry-meyssan-journaliste-fran%C3%A7ais
http://french.irib.ir/analyses/interview/item/154416-thierry-meyssan-journaliste-fran%C3%A7ais
Table ronde : « Syrie vers la guerre
civile ? »http://french.irib.ir/programmes/table-ronde/item/154577-table-ronde-syrie-vers-la-guerre-civile?
RUSSIA TODAY
«
Mossad vs Assad? 'CIA death squads
behind Syria bloodbath'
» with Webster Tarpley
http://www.youtube.com/watch?v=5L49L6iZSSg&feature=channel_video_title
[1]
Lettre d’invitation fournie sur
demande.
[3]
389 euros
avec Syrian airlines,
plus 150 dollars de taxi privé
et non collectif, de la banlieue
éloignée de Beyrouth à la porte
de l’aéroport de Damas, minuit-5
h du matin. Pas une vraie
ballade.
[4]
En dehors des achats de
souvenirs et quelques taxis pris
à l’improviste, et de mes
visas : arrivée en Syrie puis
retour du Liban = 23 euros puis
12 dollars, cash : avec
l’embargo les cartes de crédit
ne fonctionnent plus.
[8]
Tous grands démocrates et
champions de la liberté pour
tout ce que vous voulez : la
presse, la pluralité des partis,
les femmes bien sûr -au volant
et ailleurs-, contre la
corruption etc.
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour

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