RIA Novosti
Les Libanais sont
les seuls à pouvoir empêcher que le Liban ne devienne un second
Irak
Marianna Belenkaïa
La coalition libanaise au pouvoir a accusé la Syrie de vouloir
transformer la Liban en second Irak et exigé de la communauté
internationale qu'elle prenne des sanctions contre Damas. C'est en
quelque sorte un remake d'un scénario vieux de deux ans, mais
ceux qui l'ont concocté ne sont toujours pas connus.
Pour l'instant, rien ne prouve que les attentats commis au
Liban la veille du deuxième anniversaire de l'assassinat de
l'ancien premier ministre, Rafic Hariri, sont d'origine syrienne.
Tout comme il n'y a toujours pas de preuves que la Syrie est
l'organisatrice de l'assassinat de Hariri, ce que prétend
pourtant la coalition au pouvoir au Liban. Rappelons également
qu'il y a deux ans les Libanais indignés par la mort de Hariri
avaient réussi à obtenir le retrait des troupes syriennes du
territoire libanais. Maintenant ce sont des sanctions contre Damas
qui sont réclamées.
Cependant, en deux ans la situation a évolué au Liban.
L'assassinat de Hariri et le départ des Syriens n'ont pas uni les
Libanais, au contraire, la société s'est scindée. Et tout
nouvel attentat accentue les contradictions et le déferlement
d'accusations réciproques. Finalement, les divergences politiques
ont paralysé l'activité du gouvernement libanais. Quant au
dernier attentat, il a empêché la reprise des négociations sur
un compromis entre l'opposition et la majorité au pouvoir, qui
aurait dû avoir lieu sous l'égide de la Ligue arabe.
Il est peu probable que les nouvelles accusations lancées par
la coalition au pouvoir à l'adresse de la Syrie puissent
contribuer à la recherche d'un compromis. C'est qu'il ne faut pas
oublier que Damas est un participant invisible à tous les
pourparlers interlibanais. Et puis les événements de ces dernières
années ont bien montré qu'il s'agissait de l'avenir autant du
Liban que de la Syrie.
Ce qu'il faut savoir, c'est que les différends politiques
interlibanais ne seront pas levés tant que des relations normales
n'auront pas été établies entre Damas et Washington. Rappelons
que si la Syrie et l'Iran soutiennent l'opposition libanaise, les
Etats-Unis et la France, eux, appuient le gouvernement. Ce n'est
pas un hasard si les griefs formulés à l'égard de la Syrie
rappellent beaucoup la rhétorique américaine.
Cette situation ainsi que la structure mosaïque
(confessionnelle et ethnique) du Liban incitent naturellement à
établir une analogie avec ce qui se passe en Irak. Qui plus est,
les Libanais qui sont déjà passés par quinze années de guerre
civile vivent constamment dans la hantise d'en voir une autre
commencer. Aussi la responsabilité de la communauté
internationale et des Libanais eux-mêmes consiste-t-elle à tout
faire pour empêcher une effusion de sang.
Nous voudrions ici nous arrêter sur deux aspects.
Le premier. La déclaration du Vatican à propos des conséquences
des derniers attentats au Liban. Le secrétaire d'Etat du Vatican,
le cardinal Tarcisio Bertone, a déclaré que les explosions dans
des cars non loin de Beyrouth avaient un caractère antichrétien.
Cette affirmation ne repose sur rien d'autre que le fait que
l'attentat a été perpétré dans un quartier habité
traditionnellement par des Libanais chrétiens. Il est possible
que les explosions aient eu pour objectif d'exacerber les différends
inter-confessionnaux au Liban, en particulier de provoquer une
brouille entre les leaders de l'opposition, elle-même composée
du mouvement chiite Hezbollah et du Courant patriotique libre chrétien
du général Michel Aoun. Cependant, quoi qu'il en soit, il serait
dangereux de privilégier la thèse des dessous confessionnaux des
attentats. Il suffit de regarder les conséquences que cela a eu
en Irak. Des différends politiques, cela peut toujours se
surmonter, même si cela est malaisé parfois. Par contre, il est
infiniment plus difficile d'arrêter les conflits interreligieux.
Les Libanais eux-mêmes s'emploient à exclure l'aspect
religieux du champ conflictuel. Ce n'est pas un hasard si après
les explosions dans les cars les chefs des communautés
religieuses du Liban se sont rencontrés en signe de protestation
contre la terreur. Le grand mufti de la République libanaise,
cheik Mohamed Rachid Kabbani, a fait remarquer que "ce nouvel
acte abject ayant causé la mort de civils est dirigé non pas
contre les chrétiens, mais contre le Liban tout entier, contre la
paix civile et l'unité nationale".
Aussi les forces extérieures ne doivent-elles pas exacerber la
situation avec des remarques émotionnelles et briser la concorde
fragile au sein de la communauté libanaise. Voilà pour le
premier aspect. Passons au second.
Indépendammant des déclarations des dirigeants occidentaux ou
orientaux, bien que les forces extérieures exercent un impact
notable sur les événements au Liban, personne, pas même Damas,
Washington ou une autre capitale, ne pourra plonger ce pays dans
une guerre civile si les Libanais ne le veulent pas. Il ne faut
surtout pas incomber aux autres la responsabilité de tous les
problèmes, même si il y a ici une part de vérité. C'est dans
cela que réside une des tragédies de l'Irak d'aujourd'hui, et
les Libanais ne doivent pas s'engager dans cette voie. Ceux qui
sont derrière les attentats au Liban prendront conscience de la
vanité de leurs actions s'ils voient qu'ils ne sont pas en mesure
d'ébranler l'unité des Libanais, qu'ils ne peuvent pas les
manipuler.
Cependant, pour le moment c'est le contraire qui se produit.
Les organisateurs des attentats au Liban orchestrent savamment les
événements qui se déroulent dans ce pays et dans la région.
Mais qui est celui qui dirige et est-il seul? Nul ne le sait.
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