J'ai
rappelé plus haut (La
fécondation philosophique de la psychanalyse
- Freud et
l'avenir de l'inconscient,
23 mai 2010
) que, depuis 1781, l'Europe pensante est devenue unanimement
kantienne en ce qu'elle enseigne jusque dans les écoles
publiques qu'aucune preuve ne saurait se rendre physiquement
visible. C'est dire que l'examen des acteurs mentaux qu'on
appelle des démonstrations est du ressort de la psychanalyse du
principe dit "explicatif" de causalité. La postérité de
Freud est donc appelée à rendre compte du fonctionnement pseudo
démonstratif de la boîte osseuse d'une espèce dont nous ne
savons que depuis 1904 que son cogito se trouve installé depuis
des millénaires dans une logique faussement tridimensionnelle.
Les explorateurs modernes du "Connais-toi" socratique ont donc
vocation de sceller une alliance avec les trans-psychologues de
demain afin de détecter à leurs côtés les mécanismes psychiques
qui assurent la sécrétion du pseudo intelligible à
l'école des champs de course d'une matière en déplacement
perpétuel dans le vide. Mais alors, la philosophie et la
psychologie sont les peseurs associés de l'entendement trompé,
mais comblé du simianthrope.
2 - La
psychanalyse de la philosophie
Observons à ce prix ou sous ce joug le jeu des divers systèmes
de communication entre les deux lobes relativement stabilisés
d'un encéphale pourtant scindé ab origine entre des
mondes oniriques et des mondes visibles. Comment l'imaginaire
cérébralisé, donc le fabuleux conceptualisé du simianthrope
scelle-t-il alliance avec des territoires étroitement réservés à
l'usage des cinq sens de cet animal?
L'anthropologie critique est le Lilliputien chargé de calibrer
les ponts verbaux gigantesques que Gulliver jette inlassablement
entre le tangible et le fantastique. Or, ces ponts ne sont
observables qu'à la lumière de la postérité de la psychanalyse
encore nécessairement partielle de Freud. Comme je l'ai esquissé
le 23 mai à l'occasion d'un bref rappel de la teneur de l'
entretien que la princesse Marie Bonaparte a bien voulu accorder
au jeune homme que j'étais alors - elle est décédée quelques
mois après Jung, le 21 septembre 1962 - les songes cognitifs
sous-jacents à l'univers euclidien étaient un héritage aussi
flagrant qu'inconscient de la sous-théologie mondialisée qui
téléguidait la notion de "loi de la nature", cette sœur
jumelle d'un ordre divin censé régir le cosmos. Non seulement
les trois idoles qualifiées d'uniques s'accordaient à projeter
sur l'univers un régime politique stable et des signifiants
étroitement greffés sur la fermeté de leur gouvernance, mais
leur mésintelligence même des fondements psychiques de cette
confusion mentale était censée disposer d'un code d'explication
du monde d'un type juridique immuable. Comment cet emmêlement
sacré était-il réputé expliquer, donc comprendre
la masse des atomes et le vide qui les sépare?
3 - La
psychanalyse de la raison expérimentale
La
jonction entre le monde onirique et le monde physique s'opérait
par la médiation astucieusement truquée de signifiants censés
charriés par l'expérience. Il y fallait l'intercession d'un
appariteur universel qu'on appelait l'équation. Toute la
difficulté était de charger cette balance symbolique de placer
sur l'un de ses plateaux la régularité incontestable des
coutumes de la matière et sur l'autre la prétendue
intelligibilité en soi censée résulter de leur monotonie avérée.
Comment un équilibre artificiellement chargé de brancher les
deux univers sur l'entendement simiohumain concoctait-elle de
surcroît une mixture cérébrale extraordinaire, laquelle
enfantait à longueur de journée des liaisons de confection entre
le vieux code d'une légitimation juridico-théologique du "sens",
d'une part, et la "vérification" des signifiants
simiohumains abusivement allégués à l'appui des charrois
aveugles de la matière, d'autre part? La psychanalyse de la
connaissance semi animale observe l'inconscient projectif qui
charge les répétitions muettes et sourdes du cosmos de véhiculer
physiquement une intelligibilité impérieusement préconnectée sur
une raison d'origine ventrale.
C'est dire que l'anthropologie critique et la psychanalyse de la
"connaissance rationnelle" sont logiquement
conduites à observer le brouet cérébral qu'une espèce semi
animale est appelée à consommer; et, hors de cette méthode
d'examen, l'alliance de Freud avec la philosophie, donc avec la
pesée anthropologique de la subjectivité de la connaissance n'a
aucune chance de cerner la spécificité mentale d'une espèce
spéculaire, donc narcissique jusque dans ses représentations
théoriques du monde. Car les hommes et les animaux se partagent
une incapacité naturelle de porter une attention clairement
séparée aux faits muets et au verbe comprendre que les faits
sont censés porter sur leur dos sitôt qu'ils se laissent
chiffrer.
C'est dire également que si la psychanalyse post freudienne et
l'examen critique de la généalogie du verbe comprendre ne
débarquaient pas de conserve dans une spectrographie générale de
l'inconscient simiohumain du savoir théorisé, jamais nous ne
découvririons comment une science physique naïvement portée sur
les fonts baptismaux supposés confusibles du ciel et du droit
romain légalisait effrontément la nature au banc d'essai de
l'expérience "parlante". En réalité, les animistes de
l'association du ciel et du répétitif étaient à la fête : leur
alliance mariait les deux lobes de l'encéphale biphasé du
simianthrope ensorcelé par ses propres oracles. L'esprit magique
qui faisait battre le cœur du verbe expliquer et respirer
l'expérience scientifique doublée par sa "parole"
trompait ensemble les hommes et les animaux - mais une seule de
ces deux espèces égarées dans le vide se trouve livrée à
l'affolement par ses escapades délirantes dans un sacré chargé
de la délivrer du joug de sa fausse raison.
4 - La
psychanalyse de la raison pratique
Pourquoi la psychanalyse du langage dont la science
expérimentale fait usage n'a-t-elle pas fait irruption dans
l'interprétation anthropologique de l'inconscient religieux qui
sous-tend la notion même de "preuve expérimentale" au
cœur de toutes les sciences exactes? Et pourtant, celles-ci se
révèlent subrepticement finalisées, donc "théologisées"
par le concept même de raison, ce qui signifie que l'explicatif
est vaticinant par définition. Mais si un attrape-nigaud de
cette taille a pu convaincre pendant des siècles les savants
antéeinsteiniens que la nature "parlait raison", donc se
rendait intelligible dans un univers à trois dimensions, c'est
que le sacré s'enracine à une bien plus grande profondeur dans
les gènes du simianthrope hyperlocuteur que Freud ne le croyait.
Il était évident, me disais-je maintenant, que le signifiant
central qui prédéfinissait la notion même de vérité
scientifique, donc le "sens rationnel" que la matière
était censée charrier sur son dos comme l'escargot sa coquille,
ce signifiant, dis-je, servait d'oracle au langage de la
physique d'hier, mais également à l'expérimentation de type
simiohumain qui rend proférateur tout ce qui bouge ou se répète.
Dès lors que la causalité logée dans la physique "causative"
de l'époque se révélait une construction mentale de type
schizoïde, le pouvoir explicatif gravé dans le plomb du verbe
comprendre était incontestablement de type téléologique,
donc parareligieux; et puisque le territoire de l'inconscient
cérébral qui s'étend sous la preuve expérimentale euclidienne se
révélait aisément accessible à une analyse du conditionnement
psychogénétique auquel l'encéphale projectif des descendants du
chimpanzé obéit, la psychanalyse anthropologique de
l'inconscient entrait de plein droit dans la descendance
philosophique commune à Freud, à Kant et à Hume; car l'auteur de
la Critique de la raison pure et celui de l'Essai
sur l'entendement humain avaient compris à quelques
années d'intervalle que la causalité, comme il est rappelé plus
haut, ne se manifeste nullement en tant que telle dans le monde
extérieur, mais téléguide seulement l'encéphale inconsciemment
fasciné par le répétitif d'une espèce vouée à cérébraliser ses
fourrages - ce qui la condamne à faire tenir un discours
explicatif à l'expérience profitable.
Quoiqu'il ne fût né qu'en 1856, trois ans seulement avant la
publication de L'évolution des espèces, Freud
s'est accoté sa vie durant à Darwin, parce que la découverte de
l'inconscient impliquait l' extension virtuelle du champ
d'investigation de la psychanalyse à la connaissance critique
des souterrains subjectifs, donc religieux à leur tour, qui
servent de terreau mental aux sciences tridimensionnelles
cérébralement dichotomisées par le mythe de la causalité.
C'est dire également que la phalange des psychanalystes
prospectifs qui sortira en force de la forteresse fissurée de la
preuve euclidienne observera le personnage branlant qu'on
continue d'appeler la vérité scientifique et qui
renvoie à l'autre moitié de l'encéphale bipolaire du
simianthrope. Mais les plongeurs de cette psychanalyse-là
disposeront des instruments d'exploration de l'inconscient que
le début du XXe siècle ne connaissait encore qu'à titre virtuel.
Quels instruments? Ceux qui permettront de faire la synthèse
entre le fondement mythologique de la physique classique d'un
côté et, de l'autre, des trois théologies monothéistes.
5 - Freud et la psychanalyse de Dieu
Un
territoire nouveau s'ouvre à la psychanalyse du meurtre rémunéré
de l'autel, celui d'une connaissance anthropologique de
l'inconscient cultuel qui sous-tend la notion profitable
d'expérience "parlante", puisque toute théorie physique
se veut légitimante des pouvoirs établis, donc consubstantielle
à un ordre public fondé sur le culte du sang payant, puisque
récompensé par le ciel. Mais si le signifiant central appelé à
trôner au cœur du pacte sacrificiel que les sciences exactes, la
religion et l'histoire concluent sur leurs propitiatoires
respectifs n'est autre que la légitimation de la "vérité
" immolée au profitable sur les autels de la raison collective,
on comprend la fécondité, mais aussi les limites de la
psychanalyse du sacrificateur public de l'univers explicitée
dans L'avenir d'une illusion. Car en grec
mageiros signifiait originellement le boucher, puis le
sacrificateur et enfin le cuisinier, tellement la viande et le
ciel se sont tout de suite accordés.
Puis, le mageiros signifiera à la fois le maître
queux et le magicien officiel, c'est-à-dire l'apprêteur patenté
de la nourriture présentée à la table des dieux et qu'on appelle
un offertoire. Quand l'humanité aura déserté la chasse,
donc la bête et le sang, pour produire le blé et la vigne, donc
le pain et le vin, cette rupture dans le mode de production des
aliments, donc également de la mangeoire des idoles, les
conduira à un nouveau type de repas; et le mageiros,
devenu le prêtre, remplacera la victime saignante autrefois
humaine, par un animal de boucherie, puis dans le christianisme,
par une métamorphose du blé et de la vigne en chair et en sang,
tellement on ne saurait servir seulement des végétaux cuisinés
au banquet du créateur. De plus, la victime charnelle
subrepticement redevenue humaine sera tenue pour le fils même de
Zeus, afin de signifier que le croyant offrira désormais son
propre sang et sa propre chair sur l'autel d'un sacrifice
continuel à son souverain politique. Enfin, Jupiter ne saurait
consommer sa propre progéniture à pleines dents et toute crue:
le sacrificateur des chrétiens se contentera de humer la bonne
odeur du plat que ses bouchers lui présenteront sur ses autels.
On voit, à ce résumé succinct, qu'une anthropologie critique qui
ne descendrait pas à cette profondeur-là dans l'alliance que
notre espèce scelle entre le culinaire et le sacré ne serait pas
une science, mais un amusement d'enfant et que seule la
psychanalyse est appelée à explorer l'encéphale et les
entrailles de l'animalité propre à notre espèce.
Mais il se trouve
qu'au lieu d'étendre résolument sur le divan l'immolateur et le
tortionnaire en chef du cosmos et de le faire accoucher de son
inconscient de génocidaire sacré, le grand Viennois a passé sous
silence l'hypertrophie cosmologique des modestes apanages du
père de famille occidental. Qu'en est-il de la métamorphose des
maigres prérogatives culinaires d'un géniteur en chambre en
celles du père fabuleux d'un univers de bouchers, de
sacrificateurs et de magiciens? Ne passerions-nous pas au large
d'une psychanalyse anthropologique des grands Etats, des empires
et de la guerre si nous ne faisions sortir de l'alcôve le maître
et régisseur des tortures éternelles?
Car les dieux anciens et nouveaux ne sont pas tous et
exclusivement des pères de famille gigantifiés. En revanche, ils
représentent l'autorité à la fois collective et infernale que
les sociétés exercent unanimement sur leur propre surmoi
national, social, judiciaire et militaire. Si Lacan avait
disposé à la fois des instruments d'une anthropologie critique
de l'inconscient des sciences expérimentales et d'une
psychanalyse de la généalogie des idoles cérébralisées qui
pilotent la politique et l'histoire, ce théoricien du principe
d'autorité aurait radiographié les alliances diverses et
changeantes que les peuples concluent avec leurs idoles
punitives. Faute d'avoir accédé à un scannage des idéalités,
donc des idoles des modernes, le radiographe des "belles âmes"
ne nous a pas fait progresser sur le chemin de la fécondation
philosophique de Freud - il aurait fallu mettre la main sur
l'animal rendu spéculaire par les verbes-clés expliquer,
comprendre, savoir. Quel miroir du ciel que le narcissisme
auto-angélisé, matamoresque et patriotique que l'humanité forge
sur l'enclume de ses idéalités séraphiques et tueuses!
6 -
L'avenir de la psychanalyse et la réécriture de l'histoire de la
philosophie européenne
Mais il existe un autre chemin pour tenter
d'examiner la face cachée de l'inconscient cérébral du
simianthrope schizoïde et auto sacrificateur; car un animal
réfléchi dans le miroir de son entendement dichotomisé de
cuisinier et de magicien subira nécessairement des métamorphoses
accélérées du destin, bipolarisé à son tour, qu'il va s'accorder
à titre posthume. En tout premier lieu, il se produira une
mutation de toute la philosophie occidentale en une psychanalyse
de la condition biphasée de la pensée oblative - ce qui nous
reconduira à la réflexion anthropologique précédemment esquissée
sur l'inconscient cultuel et immolatoire de la politique et de
l'histoire.
Car si la boîte osseuse du simianthrope est
le moteur caché de ses représentations magiques d'un univers de
la matière à prétentions locutrices et si, par conséquent, le
véritable empire de l'inconscient théologique de cette espèce
est celui de ses agapes psychiques et politiques confondues dans
le ciel de son esprit, il faudra remonter à Aristoclès, plus
connu sous le nom de Platon pour charger ses larges épaules de
l'évidence que le véritable statut de la philosophie ironique a
toujours été celui d'une anthropologie critique de la cuisine de
l'inconscient qui sous-tend les connaissances soi-disant
assurées des mangeurs et que l'ambition naturelle de
l'intelligence sommitale du simianthrope le pousse à observer de
l'extérieur le fonctionnement auto-trompeur de sa conque osseuse
de consommateur affamé de savoirs pseudo parlants.
Tous les dialogues du biographe transcendantal de Socrate
mettent en scène des personnages cérébralement dédoublés et dont
l'inconscient épistémologique illustre la scission mentale que
leurs dieux ont opérée en eux. Aussi toute la pédagogie
platonicienne vise-t-elle à forger les cerveaux dans lesquels
des concepts bifides seront hissés à l'universel et serviront de
gouvernails au savoir généralisateur dont se nourrira la
philosophie des idées. La raison profératrice changera des
vocables universels en hosties et en oracles du sens,
donc en voix de l'univers de l'intelligible nouveau à consommer
- celui qui fournira des idéalités à manger à la table des dieux
de la parole. On voit que le mécanisme originel de la production
du sens n'a pas changé de logiciel au sein de la cuisine de la "raison
expérimentale": elle donne désormais la chose même pour
prélude comestible au signifiant central baptisé la "vérité"
et qui fait du cosmos de la matière tout entier le nouvel
offertoire.
La
philosophie des radiographes de l'intelligence du simianthrope
et de ses cuisiniers-sacrificateurs sera donc nécessairement la
continuatrice de l'analyse freudienne de la nourriture de
l'inconscient fournie à la table des dieux. L'humanité est
devenue consommatrice des déités magiques que sécrète maintenant
le langage abstrait, puisque, depuis Hegel, c'est la
réinterprétation sans cesse renouvelée du sens idéaliste
de l'histoire de la philosophie d'hier qui alimente la pensée
philosophique idéaliste de demain - et cela en régénérant sans
cesse le sens même de la question du sens, donc la
connaissance anthropologique de l'inconscient idéaliste des
verbes expliquer et comprendre; et si la vérité
est un signifiant cuisiné par l'expérience et que gouvernent
inconsciemment ses magiciens - ce que Lacan avait pressenti -
quelle est la nature de ce totem verbal en tant qu'objet odorant
du sacrifice et comment change-t-il le sujet de conscience
lui-même en une offrande de chair et de sang parfumée sur la
potence ensanglantée qu'on appelle l'Histoire?
7 - Le
parapluie de Charcot
Pour tenter de comprendre la fonction
immolatrice de la boucherie sacrificielle qu'exercent les autels
du sang et de la mort dans les civilisations converties en
apparence à la consommation du blé et de la vigne de la
communion, il faut mettre la main sur la clé de la
rationalisation profitable de l'univers. On sait que Freud a été
l'élève de Charcot à l'hôpital de la Salpêtrière. Nous devons à
ce visionnaire méconnu d'avoir mis en évidence une forme de
l'inconscient raisonneur, donc falsificateur, articulée d'avance
avec le langage du symbolique auto-légitimant. Mais, aux yeux de
Charcot, l'instrument d'expérimentation de l'inconscient était
encore l'hypnose : c'était sous hypnose qu'il demandait au
spécimen qui lui servait de cobaye d'ouvrir un parapluie dans la
pièce sitôt qu'il se serait réveillé.
Sitôt revenu à la
conscience, l'égrégoré s'empressait d'ouvrir un parapluie que
l'expérimentateur avait mis à sa disposition dans un coin de la
salle; mais ce geste spontané s'appuyait sur une argumentation
aussi serrée à sa manière que celle les théologiens
scolastiques, qui rendaient irénique le tribut du sang au roi de
la mort que le mythe de la transsubstantiation eucharistique
réclamait impérieusement du croyant, de sorte que la difficulté,
pour le malade, n'était nullement d'expliquer la présence
incongrue d'un parapluie qui n'avait aucune raison de se trouver
là, mais d'expliquer une absurdité de bien plus forte taille et
non moins innocente en apparence, celle de traiter des motifs
rationnels de l'ouvrir dans un lieu couvert.
Charcot est le premier observateur du masque protecteur qu'on
appelle le langage démonstratif et que profère un menteur
inconscient de mentir - donc d'une parfaite bonne foi. Pourquoi
le tétanisé à son insu expliquait-il candidement son geste aux
assistants? Pourquoi la lanterne de sa motivation rayonnait-elle
d'une lumière aussi évidente que spontanée et sincère ? Pourquoi
légitimait-il la bouche en cœur et naïvement un comportement
dont il ignorait le ridicule ? Pour mettre en évidence le sens
anthropologique d'une candeur commandée sous hypnose, il faut se
demander pourquoi il aurait pensé à mal pour "rationaliser"
son acte.
Je
me retrouvais devant le même fossé entre la vérité adaptative et
"guérisseuse", d'une part et la vérité anxiogène, d'autre
part, dont j'avais découvert l'étrangeté au cours de mon
entretien avec Marie Bonaparte, puis avec Carl Gustav Jung; car
ni Freud, ni Fromm, ni Jung, ni Charcot lui-même ne théorisaient
le moins du monde une expérience existentielle et mortifère,
celle dont témoignait l'alliance native de la conscience claire
du simianthrope avec l'angélisme et le tartufisme raisonneurs.
Mais pourquoi la méthode psychanalytique a-t-elle si rapidement
abandonné la piste prometteuse de l'hypnose? Parce que
l'interprétation scientifique de l'inconscient masqué attend le
dangereux secours d'une anthropologie critique dont la médiation
naturelle élargirait le champ de l'observation du fonctionnement
sécurisant et autolégitimant de l'encéphale argumenteur de notre
espèce, ce qui exige l'émergence d'un regard soupçonneux sur la
finalité psychobiologique universelle qu'un parapluie se
chargera de symboliser.
8 - Quel est le statut anthropologique du
symbolique ?
La
raison semi-animale serait-elle placée de naissance sous
l'hypnose de ses savoirs? S'agirait-il d'une cuirasse mentale
naturelle ? Si les psychanalystes post-freudiens avaient observé
que, dans une pièce qu'on appelle le cosmos, la physique
mathématique traditionnelle et la théologie des trois idoles du
monothéisme ouvrent un seul et même parapluie psychique, celui
d'un langage de cuisinier, de boucher sacrificateur et de
magicien confondus, ils auraient remarqué que l'encéphale semi
animal est béatifique, angélique et auto-bénédictionnel . La
parole serait-elle dont un autel benoîtement oblatif et
auto-sanctificateur? Voilà un pont de taille à jeter entre la
psychanalyse anté-symbolique de Charcot et la politique du
mageiros primitif - entre l'histoire sanglante du monde et une
histoire de parapluie bénisseur - mais à condition que nous
soyons un peu plus avancés dans notre patient apprentissage du
statut anthropologique du symbolique en général et de celui du
sacrificateur en chef dont la langue grecque nous enseigne les
attaches avec l'art de la boucherie. Car le pieux Pascal
lui-même évoque un certain "boucher obscur" du cosmos, un
roi masqué des carnages.
Les mystiques du haut Moyen Age avaient progressivement oublié
l'antique alliance du Dieu à la fois immolateur et prometteur
des chrétiens avec le glaive du droit romain. Les volutes du
ciel vaporisé au-dessus de l'empire des tortures éternelles ne
se redonneront qu'avec le rationalisme cartésien la méthode
expérimentale et la logique euclidienne pour sceptre, cuirasse
et goupillon confondus au service de l'intelligibilité du monde.
Mais si la future psychanalyse du parapluie symbolique de
Charcot avait conduit les Christophe Colomb de l'inconscient à
interpréter une histoire du simianthrope dédoublé entre le sang
du ciel et celui d'ici bas, quel laboratoire du "Connais-toi"
que la parole trucidatoire et béatifiante de l'autel et quelle
école du politique que celle d'une histoire anthropologique de
l'inconscient, tellement les contorsions dialectico-théologiques
du langage simiohumain sont chargées de rationaliser un univers
désespérément muet et sourd ! Le symbolique nous aiderait-il à
comprendre l'empressement du sujet "en bonne santé" à
ouvrir un parapluie au sortir de l'hypnose?
Dans ce cas l'exploration de la postérité anthropologique de
l'inconscient freudien ne cesserait de reculer les frontières du
darwinisme, dans ce cas, la psychanalyse du sacré en viendrait à
monopoliser l'interprétation de l'évolution masquée du cerveau
d'une espèce placée sous hypnose par ses autels; dans ce cas, la
science de l'inconscient du meurtre religieux se révèlerait en
mesure de nous éclairer sur l'avenir de l'interprétation du
transformisme, dans ce cas observer de l'extérieur les
alliances et les renversements d'alliance entre l'expérience
scientifique de la nature, cette héritière de la table des
dieux, et les songes sacrés qui ont jalonné le devenir idéalisé
et auto-rédempteur de la boîte osseuse du singe verbifique, ce
serait se servir de la caméra dont la pellicule enregistrera le
pacte sanglant que le ciel du sacrificateur conclut avec le
visible et le tangible. Car l'histoire est à elle-même son
propre sacrificateur dans le miroir des hypnoses collectives.
9 -
L'homme d'un symbole
L'avenir philosophique de Freud sera anthropologique. C'est dire
que le reproche d'avoir réduit le champ d'interprétation de la
psychanalyse à la guérison des névroses d'origine sexuelle est
aussi vain que de reprocher à la physique d'Aristote de s'en
être tenue à la logique d'Euclide . C'est dire également que les
apories méthodologiques qui embarrassent la science actuelle de
l'inconscient simiohumain sont nécessairement d'ordre
philosophique, puisque la science médicale fait passer la raison
adaptative avant la vérité scientifique. Comment tirer cette
discipline du guet-apens dans lequel elle est tombée, celui
d'avoir cédé aux attraits d'un gagne-pain médical dont les
tentations la scindent depuis les origines entre le Freud
anthropologue de Totem et tabou et le
psycho-thérapeute du "divan sauveur"?
Le
Christophe Colomb de l'inconscient, lui, a toujours refusé de
sacrifier la vérité nue sur l'autel d'une "guérison" dont
les divers clergés de la rédemption cérébrale de l'humanité font
leur proie naturelle depuis le paléolithique. Par bonheur, la
dichotomie intellectuelle dont la théorie psychanalytique
souffre désormais à son tour est appelée à prendre, elle aussi,
un sens anthropologique central du seul fait que si le réel se
révèle d'un tragique sans remède, donc intolérable par
définition, le véritable destin d'un défrichage et d'un
décryptage à la fois mortifère et heuristique de l'inconscient
sera d'aller au terme de sa logique.
Le privilège ultime de la psychanalyse est
le même que celui de la philosophie : à l'instar de la
discipline de la raison, l'exploration du continent de
l'inconscient est condamnée à se rendre à son terme ou à faire
naufrage dans l'erreur pseudo guérisseuse. La radicalité de sa
logique interne lui interdit de s'arrêter en chemin; et c'est la
dialectique qui en pilote les exigences qui la contraint,
toujours à l'instar de la philosophie, à étendre sans cesse le
territoire de la pensée qui l'inspire. C'est pourquoi le XXIe
siècle ne peut plus interdire aux défricheurs de la conscience
d'inspecter les souterrains de la pensée scientifique,
c'est-à-dire le territoire dont le kantisme avait fait sa chasse
gardée.
Mais alors,
l'avenir philosophique de Freud est dans la relève de la pesée
de la condition humaine par les défricheurs de l'inconscient; et
cette pesée est celle des dieux et des masques qu'on croyait aux
mains des seuls Platon, Descartes, Hume ou Voltaire. Mais que
dit d'ores et déjà la psychanalyse de l'entendement simiohumain?
Que si Dieu existait, ce personnage se saurait suicidaire.
Quelle lumière que celle de la psychanalyse de la vérité si elle
nous offrait le spectacle d'un animal que son rêve d'éternité a
rendu l'otage de sa folie; quelle lumière que celle qui
connaîtrait les bouchers, les sacrificateurs et les cuisiniers
de l'humanité ; quelle lumière que celle de la révolution
héroïque de sortir de l'hypnose et quel triomphe de la
connaissance de se rendre spectateur d'un vivant jeté dans le
vide par la mort. Par bonheur, les Eschyle, les Cervantès, les
Rabelais, les Swift, les Shakespeare, tous les grands laboureurs
du tragique se sont rangés d'avance du côté de l'ironiste, du
psychanalyse et du philosophe de la folie et qui en a fait
l'éloge
voir -
Gaza, coeur
de la folie du monde,
18 janvier 2010
10 - La
mania des Grecs
Qui est allé le
plus loin dans la connaissance anthropologique de l'alliance du
symbolique avec la folie, Freud ou Jung?
On sait que le grand Viennois a pris soin de
ménager la susceptibilité et le clientélisme du corps médical de
son temps: il ne soignerait jamais que les névroses, disait-il,
et encore fallait-il que le malade eût dûment vérifié au
préalable que la médecine officielle avait échoué à le guérir.
C'est pourquoi, dans un premier temps, la dette de Freud à
l'égard de Jung a été immense, parce que le Zürichois était
psychiatre à l'hôpital de Bâle et qu'à ce titre, il a apporté à
la psychanalyse naissante sa première caution institutionnelle.
Mais on oublie que Jung avait fait une découverte
révolutionnaire "en laboratoire", si je puis dire et qui
n'a pas été suffisamment exploitée par la médecine officielle du
seul fait que le traitement en milieu hospitalier des fous "de
bécarre et de bémol ", comme disait Rabelais, n'est pas
rentable et que leur pathologie ne fournit pas à la recherche
des cas suffisamment nombreux et payants pour mobiliser une
thérapeutique pharmaceutique massifiée. Et pourtant, la névrose
et la démence inguérissable sont reliées par une gestuelle
symbolique. A ce titre, le scaphandre le plus audacieux de la
psychanalyse en eau profonde fut le mystique zürichois, parce
que lui seul est parvenu à démontrer que les comportements
obsessionnels et répétitifs d'un naufragé total de la conscience
symbolisent un traumatisme psychique qui aurait pu aussi bien
demeurer à l'état d'une névrose bénigne.
C'est ce diagnostic, extraordinaire pour l'époque, qui a scellé
la première alliance entre Jung et Freud. Que serait-il advenu
de la psychanalyse si nos deux explorateurs de la vie et de la
mort psychiques avaient décrypté en commun les ultimes secrets
anthropologiques d'une symbolique de la folie que la médecine
officielle élimine d'un haussement d'épaules, la manie,
ce dérangement anodin du comportement si fréquent dans les
névroses? Mais la folie inguérissable et profonde, les Grecs et
les Romains l'appelaient la mania. Jung a suivi la mania
à la trace et elle l'a conduit dans les ténèbres de la démence.
11 -
Qu'est-ce que le génie ?
Mais alors, qu'aura-t-il manqué depuis soixante-dix ans aux
praticiens de la cure psychanalytique et aux historiens de la
science de l'inconscient pour interpréter la postérité
anthropologique, donc philosophique de Freud et de Jung et pour
féconder une découverte aussi révolutionnaire que celle de la
schizoïdie cérébrale d'une espèce livrée à une symbolique de sa
folie aussi bien dans sa "santé psychique" que dans la
névrose et la psychose ? Rien d'autre que le courage de tenter
de comprendre l'arracheur des masques de la "bonne santé"
qu'on appelle le génie.
Par chance, s'il fallait du génie pour flairer l'odeur de mort
que répand le génie, il n'y aurait ni connaisseurs, ni
admirateurs de Mozart, alors que cet aimant attire de siècle en
siècle la limaille de fer des simples mélomanes. Le propre du
génie n'est pas visible au premier regard, parce qu'il
bouleverse la problématique de la fausse connaissance qui permet
à l'animal caché sous le parapluie du langage quotidien de
tisser l'étoffe de ses masques hypnotiques, donc protecteurs et
en "bonne santé". Mais quel scandale permanent de placer
la question à résoudre sur un autre territoire! Exemple : depuis
des siècles, on se demandait pourquoi l'eau ne montait qu'à une
hauteur déterminée dans les puits, alors qu'elle était censée se
trouver "aspirée" par une pompe qui n'avait pas de
raison, semble-t-il, de cesser subitement de remplir la fonction
de suçoir qu'on lui attribuait faussement.
Mais on avait beau fixer tour à tour les yeux sur les puits et
sur les pompes récalcitrantes, parce que ce phénomène de la
physique se situait dans un tout autre espace de la logique de
la nature, celui qui exigeait la pesée de la masse atmosphérique
qui écrase la terre. L'eau ne vient que s'infiltrer dans le
réceptacle auquel la pression de l'air l'empêchait d'accéder.
Mais si les pompes n'ont jamais aspiré une seule goutte d'eau et
si elles se contentent de libérer une cavité dans laquelle une
matière va se précipiter, on s'expliquera que l'eau montât à des
hauteurs différentes selon l'altitude où se trouvait
l'expérimentateur, puisque la pesanteur de l'atmosphère varie
nécessairement selon que le puits se trouve ou non au niveau de
la mer. Il en est de même de la physique d'Einstein, qui a brisé
le masque qui assurait la relation ancienne entre l'espace et le
temps, ce qui a rendu caduques les paramètres mêmes de la
physique mathématique classique. C'est pourquoi l'homme qui a
arraché à la nature le masque sous lequel Euclide l'avait caché
était fort médiocre mathématicien : des physiciens ordinaires,
il disait qu'ils comprenaient la physique à merveille, mais
qu'ils ne comprenaient goutte au génie, parce que la vocation de
ce type de cerveau est de changer la vision du monde de ses
congénères, non d'exceller dans le maniement du masque des
équations. C'est ce que tous les grands physiciens, et eux seuls
ont compris. "En fait, la relativité a bouleversé sans
retour nos conceptions du monde, aussi bien celles du philosophe
que celles du savant", écrivait Louis de Broglie
(1892-1987).
Et si
l'inconscient faisait changer d'équation à la condition humaine
comme Einstein a fait changer de respiration au cosmos?
12 - Freud
et le génie
Le
génie de Freud répond au modèle du dénudement du singe pensant
qu'illustrent les Pascal et les Einstein en ce qu'il observe les
relations que la conscience des coiffeurs entretient avec les
décoiffeurs de l'inconscient, ce qui, pour la première fois, a
unifié la problématique même qui régissait précédemment les
belles chevelures du "Connais-toi". Alors qu'Einstein associe le
décompte des heures tout ensemble à l'espace et à la matière, ce
qui sera censé permettre au calcul de la vitesse de quantifier
l'énergie dont la matière paraîtra se révéler un concentré d'une
puissance supposée chiffrable, Freud change l'inconscient en une
énergie à laquelle l'échiquier mental de la conscience
quotidienne sera réputée se ramener, mais dont les déflagrations
demeureront incontrôlées.
Où
est passé le symbolique? L'espace et le temps classiques
seraient-ils les poumons symboliques d'un cosmos que sa
respiration compressée conduisait à l'asphyxie? Autrement dit,
Monsieur, votre parapluie de Charcot est-il un objet ou un
signe? Mais pourquoi croyez-vous que, dans l'équation e=mc², "m"
soit davantage qu'un signal? Une matière privée de volume et de
densité demeure-t-elle quantifiable? Croyez-vous qu'une vitesse
soit capturable en tant que telle? Vous aurez beau multiplier
des kilomètres par des distances et des heures par des vitesses,
jamais cette signalétique ne vous mettra en main la substance
mystérieuse qu'on appelle le temps. Le Professeur André
Lichnerowicz avait été élu au Collège de France afin qu'il
élevât du moins l'équation d'Einstein à une logique mathématique
acceptable. Il y a passé sa vie en vain, parce qu'il appartient
à la psychanalyse d'unifier une science du symbolique
simiohumain à laquelle cette équation sert seulement de masque.
Sachez, Monsieur, que l'équation e=mc² est une formule aussi
symbolique que l'énigme de l'inconscient, sachez que l'énergie
de la matière ne se laisse pas chiffrer, mais seulement
symboliser à l'école d'un calcul qui en fournit les signes. Mais
peut-être les grands hommes accouchent-ils du symbole en marche
dont on jurerait qu'ils l'incarnent. Diogène incarne sa
lanterne, Socrate sa ciguë, le chrétien sa croix, Einstein la
quatrième dimension de l'univers et Freud l'inconscient. Mais si
le monde entier est devenu freudien, comme Elisabeth Roudinesco
le rappelle si pertinemment, l'inconscient de l'inconscient
appelle de nouveaux forages.
Que les psychanalystes désertent l'univers des pompes dites "aspirantes
et foulantes" de la psychologie classique pour observer à
quel niveau du puits Freud a fait monter les verbes expliquer
et comprendre! Alors ils verront le langage forger les
idéalités spéculaires qui permettent à la politique et à la
religion de masquer la véritable nature d'une humanité
inconsciemment cachée sous le parapluie de la métamorphose du
meurtre rituel en offrande sacrée sur l'offertoire sanglant
qu'on appelle l'Histoire universelle.