Mais si c'était de l'intelligence en personne, si je puis dire,
que le philosophe serait l'éducateur patenté, que vaudrait un
Socrate de la République privé de manuel d'enseignement de
l'intelligence? Dans ce cas, nous donnerions le titre de
Discours de la méthode au bréviaire de la philosophie
que nous lui mettrions entre les mains; et, du coup, la question
deviendrait ecclésiale à sa manière, parce qu'il faudrait
commencer par nous demander quel catéchète aura rédigé le missel
de la raison française et à quels examens nous aurons soumis
l'auteur des manuels scolaires d'apprentissage de l'intelligence
nationale. Puis, nous détecterions à la loupe le piège de
quelque dogme dont le diable aurait introduit en fraude la
crosse et la houlette dans le livre de prières de l'entendement
de la République.
On voit que l'écrivain qu'on aura plongé dans l'eau lustrale de
la vraie philosophie n'est pas près de quitter les fonts
baptismaux de la raison pure; et si nous retenons l'hypothèse
selon laquelle ce serait en tant que philosophe qu'Umberto Eco
écrirait des romans, nous devons nous demander maintenant de
quelle constellation la philosophie reçoit la lumière qui lui
permettra de rédiger un vademecum de la Raison. Mais
alors, le parallèle entre l'écrivain et le philosophe va
s'approfondir, parce que les Balzac, les Cervantès, les Swift ou
les Molière se révèleront des méthodologistes dont les torches
éclaireront les personnages.
Mais voici que l'évangile du bon usage de l'intelligence et
qu'on appelle un Discours de la méthode nous
conduit par la main vers une question plus ardue que toutes les
précédentes; car si les feux de la raison balzacienne illuminent
l'œuvre de Balzac, le soleil de la raison renacentiste l'œuvre
de Rabelais, le flambeau de la raison moliéresque l'œuvre de
Molière, les cierges de la raison dantesque l'œuvre de Dante,
l'astre de la raison cartésienne l'œuvre de Descartes, l'étoile
de la raison de Kant la raison kantienne, quelle sera la
différence entre la constellation des philosophes et les
mégasoleils propres à la littérature? Dira-t-on que le
personnage que nous appelons la Raison philosophique est
multiface, dirons-nous que sa silhouette se diversifie à
l'infini, dirons-nous que l'intelligence des philosophes est une
comédie aux cent actes divers, tandis que celle des écrivains se
fragmente entre mille acteurs dont la tête paraît bien vissée
sur les épaules?
Mais l'œuvre de
Balzac est un seul et même personnage; et cet acteur du monde se
présente d'une seule pièce sur la scène, comme l'œuvre de Platon
est un géant dont la carrure nous plonge dans la contemplation
d'un astre solitaire. Et puis, l'écrivain et le philosophe ne
font-ils pas monter sur les planches un seul et même régisseur
de la planète, qu'ils appellent tous deux la Raison? Vous
prétendez que le démiurge du premier a des bras et des jambes et
qu'il marche en long et en large sur la terre, tandis que le
second ne jouit que de l'ubiquité de son langage et qu'il se
pare du vêtement de l'univers lui-même. Mais tous deux ne
portent-ils pas la tiare et le sceptre de l'ubiquité, celle de
leur pesée du monde sur la balance de leur logique? Et puis, nos
magiciens sont des psychologues stellaires. L'un de leurs globes
oculaires est un microscope, l'autre un télescope et la
conjonction de ces deux instruments d'optique donne à cette
paire de sorciers l'ambition d'observer un personnage immense et
obstinément caché derrière le décor - l'humanité.
3 - La philosophie et les pontonniers de
l'abîme
Nous ne sommes
pas plus avancés si nous avons commencé de mettre en parallèle
la littérature et la philosophie sans nous dire, in petto, que
"comparaison n'est pas raison". Qu'est-ce qui différencie
l'univers des écrivains de celui des philosophes? Mais déjà
Socrate dresse l'oreille: "Si la comparaison n'était pas le
premier pas de la raison et de l'intelligence, dit-il, la
philosophie ne serait pas une ciguë et un remède confondus,
parce qu'on ne saurait tenter de comprendre le monde sans
découvrir le poison guérisseur des ressemblances suggestives, le
venin des similitudes frappantes et toute la pharmacie des
traits généraux et communs qui lient entre eux des thèmes fort
éloignés les uns des autres en apparence. Le génie jette des
ponts entre des territoires très éloignés aux yeux des hommes
ordinaires et qui ébranlent tout l'édifice de leurs savoirs et
de leurs sciences générales."
"Exemple: si, se disent maintenant nos
généticiens, nous rapprochions le système immunitaire du sexe
faible de son contraire, qui lui fait garder précieusement le
corps étranger qu'on appelle le fœtus, ne serions-nous pas
engagés sur une piste féconde de la connaissance des secrets de
la fécondation? Si je comparais la force qui fait tomber les
pommes des arbres de celle, toute opposée, qui empêche les
planètes de tomber sur le soleil, se dit Newton, peut-être
mettrais-je la main sur la clé de la relation entre la vitesse
de leur giration et la distance de la terre où leur masse les
maintient."
Mais si Socrate
se permet de nous rappeler à l'ordre de la sorte, sans doute
n'avons-nous pas conduit jusqu'à son terme l'examen critique de
la relation qui s'établit entre la course de la philosophie d'un
côté et celle de la littérature, de la psychanalyse, de la
raison, de la folie et de la spéléologie des mythes sacrés, de
l'autre. Par bonheur, Platon prétend que la philosophie est à la
fois une plongée dans la caverne du monde et une observation des
moyens d'en sortir par le haut. Quel est le trait commun à
toutes les activités cérébrales qui caractérisent à la fois la
littérature et la philosophie ? Serait-ce la question de la
nature du recul de la Raison propre à ces deux exercices? Dans
ce cas, il nous faudrait tenter de comparer entre elles les
diverses distanciations dont notre regard se révèle capable.
Qu'est-ce qui fait basculer le regard de Pascal de l'arène de la
littérature dans celle de la philosophie ? Est-il un écrivain ou
un philosophe quand il décrit l'humanité pelotonnée sur une île
déserte et perdue dans le vide de l'immensité où son Dieu se
voit qualifié de "boucher obscur"?
Il est singulier que Voltaire tente de
ramener ce tableau à la peinture littéraire de notre espèce et
que Valéry lui-même y admire seulement de belles cadences sous
prétexte que la scène se situe je ne sais où dans l'espace qui
sépare la littérature de la philosophie ; car si vous admirez
les résonances de cette écriture, vous quittez le spectacle et
les tonalités du théâtre tragique. La philosophie serait-elle
donc l'apprentissage du tragique ? Dans ce cas, si comparaison
est raison, vous verrez la pensée jeter un pont vers la
psychologie et grommeler sur son monticule: "Voyez-vous ces
animalcules ! Le silence de l'éternité les fait trembler de
peur. Ils courent dans tous les sens, ils se hâtent de trouver
une cachette. Leurs toits de chaume les mettent à l'abri de la
lumière de l'intelligence."
4 - Le
recul littéraire et le recul philosophique
Mais alors, nous retrouvons la question de la vaillance propre à
la raison. Le courage serait-il le Sésame de la philosophie?
Mais nous ne sommes pas sortis de l'auberge, du fait que Platon
demeure tout ensemble le plus grand écrivain et le plus grand
philosophe de la Grèce et que Pascal se présente à la fois en
Icare du ciel des chrétiens et en laboureur sans pareil de la
langue française. Quel est l'héroïsme propre à la pensée, voilà
la question à poser si nos deux rois de l'écriture volètent dans
la même caverne et si l'un et l'autre observent les prisonniers
ficelés à leur banc derrière un petit mur qui leur cache le
soleil. Et d'abord, est-il acquis que le génie philosophique
prenne davantage de hauteur et de recul que le génie littéraire?
Cervantès et Platon ne se partagent-ils pas à égalité entre les
deux royaumes du regard? Dans cette hypothèse, observons à la
loupe les relations que les deux disciplines entretiennent avec
les distanciations auxquelles s'exerce la Raison. On dit
que l'oiseau de Minerve prend son vol le soir, ce qui signifie
que la philosophie est un volatile tardif et que, de surcroît il
assure le vol de nuit du genre humain. Est-ce à dire que la
littérature serait seulement un oiseau de l'aube et que sa
consœur serait mieux lotie?
Raymond Queneau disait qu'il existait une
littérature matinale et qu'elle s'exerçait principalement à
l'épopée dont Homère a inauguré le genre sous les murs de la
cité de Priam, tandis que la littérature de midi et du soir met
en scène l'individu, dont le même poète raconte le retour en
Ithaque. Mais il y a belle lurette que la littérature, elle
aussi, est un oiseau de Minerve. Car pour prendre le recul du
grand écrivain, il faut disposer du vaste paysage qu'on appelle
le passé. Sophocle, Eschyle, Corneille, Racine, Shakespeare et
même Voltaire ont puisé dans l'histoire toute la thématique de
leur théâtre ; et si nos cités n'étaient alourdies de siècles,
on ne voit pas à quelle distance l'écrivain se placerait pour
les peindre.
Balzac observait de haut les hiérarchies sociales de son temps.
On ne voit que de loin Vautrin, cette estampe de Vidocq, passer
du rang de chef de la maffia à celui de chef de la police de la
Restauration. Comment Zola observerait-il la classe ouvrière ou
les paysans, Hugo les Misérables, Proust les
salons si l'écrivain ne s'installait au balcon d'un vieux
théâtre? Décidément la littérature n'accède à son rang véritable
qu'à prendre un recul de vieillard à l'égard des sociétés
fatiguées. Il en résulte que l'enseignement décérébré de
l'histoire de la littérature dans nos démocraties prend les
allures du naufrage philosophique de la France et que ce
désastre découle de l'acéphalie des pédagogues privés de regard
sur la condition humaine en tant que telle. Nos enseignants ne
lisent pas la Colonie pénitentiaire de Kafka avec
les yeux de Platon, mais qui lit Swift, Cervantès ou Shakespeare
avec les yeux accablés de siècles des visionnaires de la folie?
Et comment, de Cervantès à Swift et de Platon à Freud,
l'écrivain et le philosophe, eux, ont-ils appris à contempler la
folie jusque dans ses agenouillements et ses prières?
5 -
L'anthropologie de la folie religieuse
René Pommier cite ce passage de la vie de sainte Thérèse
d'Avila: "J'étais dans un oratoire, où j'achevais la
récitation d'un nocturne. Je disais quelques prières fort
pieuses qui se trouvent à la fin de notre livre d'office,
lorsque le démon vint se placer sur le livre pour m'empêcher de
l'achever. Je fis le signe de croix et il s'en alla. Comme je
recommençais, il revint, je m'y repris jusqu'à trois fois, je
crois, et ne pus terminer qu'après avoir jeté de l'eau bénite.
Au même moment, je vis sortir du purgatoire quelques âmes
auxquelles, sans doute, il restait peu à expier. Je me demandais
si le démon ne se proposait pas de retarder leur délivrance."
Heureusement que René Pommier est agrégé de Lettres et qu'à ce
titre, il tente de donner à la critique littéraire contemporaine
un regard de philosophe sur la folie. Mais je ne suis pas sûr
que les jésuites de génie et les psychanalystes avertis
d'aujourd'hui disposent d'ores et déjà d'un regard surplombant
sur leur Eglise respective et sur la folie du genre humain en
tant que tel ; et je ne suis pas sûr qu'ils iraient jusqu'à
enfermer Thérèse d'Avila "dans une maison de repos pour
ecclésiastiques" (p.13), comme il est rappelé plus haut.
Et pourtant, l'essai joyeusement sacrilège de René Pommier nous
conduit à une pesée philosophique et rieuse de l'histoire
d'hier, d'aujourd'hui et de demain de la folie publique que
cimente la foi ; car ce profanateur amusé des rites et des
liturgies se demande quelles sont les relations comiques que les
croyances religieuses et les chapelets entretiennent avec le
succès politique, donc quels rapports esbaudissants lient la
démence propre à notre espèce ou aux triomphes des prières dans
l'arène du temps. "Loin de prouver, écrit notre
hérétique, que Thérèse d'Avila n'est pas folle, les succès
qu'elle a remportés sont étroitement liés à la folie dont ils
ont constitué le salaire. Bien souvent d'ailleurs, elle n'a même
pas eu à prendre l'initiative de fonder un monastère à tel ou
tel endroit ; elle n'a eu qu'à répondre aux sollicitations,
voire aux injonctions qui lui étaient faites ou qu'à saisir les
occasions qu'on lui offrait notamment par la donation d'une
maison. " (p. 116-117)
De plus, courant avec courage sur sa lancée, M. René Pommier
soulève la question philosophique de la relativité des
définitions de la raison et de la folie au gré des époques et
des lieux: "On oublie que, si Thérèse d'Avila avait vécu en
France sous la IIIe République, au lieu de l'Espagne de Philippe
II, non seulement elle n'aurait jamais pu fonder des couvents,
mais qu'elle aurait risqué de finir ses jours dans un asile
psychiatrique. Quoi qu'il en soit, gardons-nous de conclure que,
si elle avait été folle , elle n'aurait pas fondé de couvents.
Tout indique, au contraire, qu'elle n'aurait pas fondé de
couvents si elle n'avait pas été folle." (p.117)
Et de signaler que, dans son Panégyrique de sainte Thérèse,
Bossuet tenait les extases de la sainte pour des illusions du
siècle précédent: "Elle paraît détachée du corps pour vivre
avec les anges" (p. 385) "Chaste Epoux qui l'avez
blessée, que tardez-vous à la mettre au ciel où elle s'élève par
de saints désirs et où elle semble déjà transportée par la
meilleure partie d'elle-même?" (Bossuet , Œuvres
oratoires, t.II, p.368-392)
6 -
Quelle est la nature de la folie propre à l'homme ?
Sommes-nous sur le chemin qui nous conduirait à préciser en quoi
l'axe central du genre humain n'est autre que la folie et de
quelle folie il s'agit pour que les traits spécifiques de cette
maladie la rendent triomphale à ce point? Car enfin, la folie
religieuse a enflammé notre espèce depuis les origines, car
enfin, le jour où cette pathologie a paru s'éteindre, elle n'a
fait que transporter ses quartiers dans les utopies politiques
les plus délirantes, car enfin cette nosologie fait retour
aujourd'hui sur toute la surface du globe, car enfin, nous
assistons à la seconde manche du combat des encyclopédistes du
XVIIIe siècle entre la science et les croyances sacrées - et
Bossuet se révèle un anthropologue avant la lettre quand il
souligne, comme le rappelle René Pommier que c'est l'espérance
chrétienne qui fait "croire à la sainte qu'elle connaît déjà
ce qu'elle ne pourra connaître qu'une fois au ciel et après sa
mort".
N'est-il pas vrai
qu'une voie appienne s'ouvre à l'anthropologie critique si la
folie proprement humaine enfante souverainement des mondes
imaginaires dans les têtes et si l'espérance de quitter un monde
pour en trouver un autre est le trait commun à toutes les
variantes de ce type de délire?
Si le chat, le chien, le cheval, le tigre,
le lion, l'éléphant et tous les animaux du monde portaient un
regard sur leur condition, ne serait-ce pas à ce rêve d'évasion
dans la folie que la nature porterait leur encéphale, et notre
époque n'illustre-t-elle pas un tournant mémorable de l'histoire
multimillénaire de la folie, puisque, pour la première fois dans
son histoire, notre espèce s'indigne de son sort misérable sans
se ruer dans une utopie compensatoire? N'est-ce pas une grande
chance que les portes du rêve se soient fermées et qu'il nous
faille changer le monde sans nous précipiter dans un autre où
les anges et les séraphins nous portaient un bien pâle secours?
7 -
Suite de l'histoire de l'écrivain et du philosophe
C'est dire que
nous nous sommes peut-être quelque peu rapprochés de la question
que nous poserait une discipline nouvelle, que nous appellerions
la "littérature et la philosophie comparées".Certes, les deux
disciplines puisent leur inspiration dans l'immense réservoir
des millénaires de l'histoire et de la politique auxquelles
notre espèce se trouve livrée. Mais il est à remarquer que le
temps écoulé, nous ne le connaissons jamais que par la médiation
hasardeuse des images et des écrits dont nous avons hérités,
donc de documents mémorisés par miracle ou par chance.
Aussi n'interprétons-nous la folie de notre
siècle qu'à la lumière des documents les plus saisissants que le
passé a bien voulu nous jeter à la tête; et ils ne sont tombés
entre nos mains que par les soins de nos ancêtres les plus
attentifs à nous armer d'une mémoire, de sorte que la démence
qui s'étend présentement sous nos yeux fait l'objet de deux
interprétations complémentaires, celle de nos écrivains, d'une
part, ces peintres inimitables d'un théâtre sans cesse
recommencé et celle de nos philosophes, d'autre part, qui vont
fouiner derrière les décors de la "représentation", comme nous
disons, et qui s'intéressent bien davantage aux machinistes de
la pièce qu'aux acteurs de passage sur les planches.
D'un côté,
l'écrivain fait couler le pactole ou le ruisselet de nos
renseignements. Sans lui, le philosophe se verrait privé
d'approvisionnement et réduit à la famine. De l'autre si, de
Sophocle à Kafka, la littérature n'était qu'un Crésus qui
déverserait sur nous ses richesses et si celles-ci n'étaient pas
apprêtées et présentées sous un jour propice à l'interprétation
du philosophe, l'embarras de Kant et de Descartes, de Hume ou de
Hegel serait bien grand - car le génie littéraire met le
philosophe sur la piste, lui suggère des sentiers et des
chemins, lui signale des carrefours et des croisements, alerte
le flair du topographe de l'humaine condition et surtout lui
donne à visiter le grenier où les évadés partiels de la zoologie
entreposent leurs récoltes. Et comme l'entrepôt de l'humanité
n'est autre que sa boîte osseuse, c'est ce premier magasinage
que le philosophe a le souci de visiter afin d'y procéder à un
inventaire et à un tri originels.
8 - Le Petit Hippias de Platon
Prenez un texte mal lu et qu'il est temps de décrypter davantage
le Petit Hippias de Platon. Socrate demande à un
quidam ce qu'est la beauté, et l'Athénien de la rue lui donne un
exemple de la beauté parfaite à ses yeux: une belle vierge, un
beau vieillard et même une belle marmite. Socrate s'épuise en
vain à tenter de lui faire comprendre la différence qui sépare
le concept de beauté et telle ou telle illustration matérielle
de l' "idée de beauté".
Or, vous aurez beau décrire les acteurs de la Ve République,
vous aurez beau dépeindre un chef d'Etat en ses carences et ses
frasques, vous aurez beau vous esbaudir de tels ou tels faux-pas
d'un acteur étranger au rôle qu'on lui a demandé de jouer sur la
scène du monde, si vous ne capturez pas le concept de folie dont
l'enceinte enferme le personnage et le cadenasse, vous ne
passerez pas de la description littéraire à la connaissance
philosophique, de l'anecdotique à l'universel, de l'amuseur
public au tragédien, de Commynes à Sophocle. Mais voyez comme le
génie littéraire a rendez-vous avec la philosophie : le lecteur
qui demeurera cantonné dans le récit et qui n'aura pas été
intronisé dans la caverne de Platon où règne le regard plongeant
du philosophe ne comprendra goutte ni aux Voyages de
Gulliver, ni à la croisière de la flotte pantagruéline,
ni même aux fresques de Zola ou de Hugo, tellement il faut
apercevoir le tragique et le comique en tant que tels et
inextricablement mêlés sur la scène pour saisir la vérité
commune aux écrivains et aux philosophes.
Mais Socrate entre seul dans la boîte osseuse du Petit
Hippias, seul il se promène dans cette cage, seul il en
observe l'ameublement, seul il dit au propriétaire: "Jamais tu
n'entreras pas dans le temple de Minerve si tu ne vois les
hommes dans le miroir de la parole qui leur sert de masque et
d'armure."
9 - L'imaginaire humain et le tartuffisme
Mais si l'enseignant patenté et le philosophe ne lisent pas la
même histoire de la philosophie et si le pédagogue d'un côté et
Socrate de l'autre portent deux regards inconciliables sur le
personnage herculéen qu'on appelle la Raison, il faut
nous demander pourquoi, dans la littérature comme dans la
philosophie, l'un écrit le roman rose de la pensée, l'autre
décrit le tragique d'une espèce qui métamorphose sans relâche
les fruits de son intelligence naturelle en instrument universel
et viscéral d'une langage masqué.
Voici le philosophe face à face avec le personnage mondial qui
s'appelle Tartuffe et qui cache sa vanité sous le masque
planétaire des piétés d'usage: "L'orgueil que tire Thérèse
d'Avila de l'influence qu'elle exerce apparaît tout
particulièrement dans le récit qu'elle nous fait de son premier
séjour chez Dona Louise de la Cerda, récit qui constitue, comme
le dit Leuba, 'un excellent exemple de contentement de soi,
aggravé par d'extravagantes protestations d'humilité et de
malice.'( …) Dans ce récit, en effet, les continuelles
protestations d'humilité, bien loin de dissiper l'impression de
contentement de soi, ne cessent de la renforcer singulièrement."
(p.95)
Mais tout le Rouge et le Noir de Stendhal n'est-il
pas une description de tartuffisme, non seulement religieux et
dont les études de Jules Sorel au séminaire de Dijon nous
présentent un tableau saisissant, mais du tartuffisme social,
qui se divisait alors entre celui de la classe industrielle
ascendante et celui du clergé. Mais qu'est-ce que le génie
littéraire depuis les origines, sinon la démonstration de
l'hypocrisie sociale ? Est-il un seul grand écrivain qui nous
peigne un personnage vertueux des pieds à la tête, est-il un
seul mauvais écrivain qui ne nous présente des Paul et
Virginie et des madones en carton pâte ? Est-il un seul
philosophe qui ne sache que la profondeur est tragique et que le
bréviaire du tragique est le Candide ou l'optimisme
de Voltaire?
René Pommier traque le tartuffisme spirituel en ces termes: "Quand
elle prétend que les grandes marques d'affection et d'estime
dont on l'entoure sont pour elle un véritable supplice, parce
qu'elle s'en juge profondément indigne, on se dit qu'en tout
cas, cela lui permet de revenir sur le sujet et de s'assurer que
le lecteur, même le plus distrait ne pourra ignorer ce qu'elle
tient tant à lui faire savoir. (…) Molière n'avait probablement
pas lu Thérèse d'Avila ; mais s'il l'avait lu, il aurait
certainement pensé à elle en écrivant son Tartuffe." (p.98)
Quelle est donc l'origine et la nature de
l'autre intelligence, celle qui se rend visionnaire des âmes et
des cerveaux et dont la haute et fière solitude fait écrire à
Musset parlant de Molière?
J'admirais quel amour pour
l'âpre vérité
Eut cet homme si fier en sa naïveté
Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde
Quelle mâle gaîté si triste et si profonde
Que lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer.
(Alfred de Musset, Une soirée perdue)
N'est-il pas singulier que le génie
littéraire et le génie philosophique saluent ensemble le courage
de l'intelligence, la loyauté de l'intelligence, l'éthique
supérieure de l'intelligence?
10 -
L'avenir de la philosophie
Le grand mérite de René Pommier demeurera d'être monté à
l'assaut du mur de séparation qui interdit à nos professeurs de
Lettres d'introduire la réflexion philosophique dans la
littérature et à nos professeurs d'histoire de la philosophie de
donner à lire Cervantès ou Sophocle à nos apprentis philosophes.
Cette scission malheureuse est demeurée étrangère à la culture
allemande: Goethe et Schiller s'entretenaient de la
Critique de la raison pure de Kant, parce que des
écrivains qui ne s'occuperaient pas du fonctionnement du cerveau
de l'humanité ignoreraient comment leur plume se trouve pilotée.
C'est ainsi que les historiens contemporains de la littérature
allemande soulignent, par exemple, les carences philosophiques
de Thomas Mann, ce qui est impensable en France. Quand l'heure
aura sonné où l'enseignant français se verra contraint d'imposer
au sein de l'éducation nationale un dialogue constant, vivant et
dangereux, donc fécond entre la littérature et la philosophie,
quelle révolution de la méthode en résultera-t-elle dans
l'enseignement officiel de l'histoire de la pensée française et
mondiale?
Premièrement, la définition même de la
philosophie que caressent nos lycées et nos universités en sera
entièrement bouleversée, parce qu'on redécouvrira que, si Platon
et Nietzsche sont de grands écrivains, ce n'est pas seulement
parce qu'ils observent le genre humain sur la scène, mais parce
qu'ils savent que la philosophie est la science qui fait monter
le personnage qu'on appelle l'encéphale du genre humain sur les
planches de l'histoire et de la politique à long terme et que
notre espèce dispose de deux gigantesques spectrographes du
cerveau demeuré embryonnaire et sans cesse à reformer de cet
animal: ses théologies et ses chefs-d'œuvre littéraires.
Secondement, on demandera aux philosophes de
passer trente ans de leur bref séjour sur la terre pour
seulement braquer leur télescope sur les mythes sacrés et sur
les littératures en diverses langues, afin d'en acquérir une
connaissance anthropologique raisonnée. Pour cela, il faut que
les scolastiques et les sophistiques se révèlent des
germinations naturelles de la raison collective. Celle
d'aujourd'hui enserre la raison scolarisée et banalisée dans un
réseau de contradictions tirées non plus des écoles de
théologie, mais de l'école de l'expérience elle-même, puisque la
"raison expérimentale" ne se demande pas encore comment la
notion d'intelligibilité est préconstruite dans la géométrie
euclidienne pour qu'elle soit censée constater et vérifier tout
ensemble des faits et des significations dites rationnelles,
alors que notre bon sens et nos "lumières naturelles" ont fait
naufrage en 1904 dans un univers multidimensionnel. La
théologie, elle aussi, croit "vérifier" des signifiants
théologiques réputés gravés à la fois dans la nature, dans
l'encéphale d'une divinité et dans le nôtre.
Faute de psychologie de la "raison"
elle-même, nos écoles ne rapportent jamais qu'un récit mythifié
de l'aventure cérébrale de l'humanité. La grande leçon que les
philosophes de demain recevront en premier lieu des grands
écrivains sera de renoncer à lire une sorte de roman rose de
l'histoire officielle de leur discipline. De même que Descartes,
Hume, Kant, ont expulsé de la philosophie socratique tout ce qui
ressortissait au fatras d'une histoire sentimentale de la raison
elle-même, les vrais écrivains chassent les livres pour enfants
de la République des Lettres.
Troisièmement, comme il est suggéré plus haut, le philosophe
rivalisera avec les Cervantès ou les Swift dans la spéléologie
des hypocrisies de la raison. Car les deux disciplines explorent
la même caverne. Mais si l'homme est un signal énigmatique et
dont la vocation spécifique est de faire signe en
direction du monde et de lui-même, le philosophe donnera une
signification entièrement nouvelle au mythe de l'incarnation des
signifiants que la théologie chrétienne s'est si vainement et si
maladroitement appliquée à malmener, parce qu'elle ignorait
l'enjeu anthropologique de la mise en scène des idoles locales
ou telluriques.
11 - Une signalétique de la condition
humaine
Souvenons-nous de
ce que les cosmologues et les mythologues chrétiens se
demandaient ardemment et en tout premier lieu si notre
malheureuse espèce serait un porte-signe naturel de son Jupiter
et si, par conséquent, le souverain céleste de ce bipède divisé
entre la glèbe et les nues se serait incarné sur cette terre au
titre d'emblème physique d'un créateur de l'univers. Dans ce
cas, Adam serait-il seulement le transporteur passif de son
propre symbole ou bien un Zarathoustra confusible des pieds à la
tête avec les agissements de son "père céleste"? Mais alors,
l'humilité à la fois feinte et divine de Thérèse d'Avila
collaborerait modestement à la conduite du cosmos aux côtés du
capitaine fabuleux de l'univers que notre espèce s'est donné,
tandis que si le Christ n'est pas un simple porte-drapeau, il
devient l'égal de son ascenseur astral et nous devons nos
demander quel sera le statut de son corps demeuré sur la terre
et s'il est devenu confusible avec son signe dans l'éternité.
On voit le sens existentiel de la raison que le
philosophe d'aujourd'hui est appelé à mettre en lumière au cœur
de la politique mondiale: les semi-évadés actuels de la zoologie
font-ils corps avec leur signalétique idéologique ou se
trouvent-ils réduits à la condition de bagagistes du signe dont
ils brandissent ridiculement les pancartes? Question politique
s'il en est ; car, dit Diogène, si je ne suis que le porte-faix
de ma lanterne, personne ne dira de moi que je me confondrais à
ma signalétique générale. Mais si Socrate, lui, est le testateur
à la fois incarné et assermenté de la boîte osseuse dont il a
allumé la mèche, la question de la définition plate ou
ascensionnelle de la philosophie s'attachera plus que jamais aux
basques de l'échec dramatique du christianisme, tellement il n'y
a aucune chance que les fonctionnaires patentés de l'histoire de
la philosophie dans nos écoles allument jamais dans la tête des
enfants, la lanterne des Diogène d'une République initiée à la
connaissance des signes vivants et des signes éteints de la
France. Par bonheur et par un sûr instinct, les peuples savent
fort bien si leurs dirigeants "incarnent" les feux et
l'intelligence de la nation ou s'ils n'en sont que les clowns,
les fantoches et les colifichets.
Supposons, le
temps d'un clignement de paupières de l'éternité, qu'une
philosophie de l'éveil conduirait à une spéléologie des signes
et des symboles de la République, supposons un instant que cette
discipline en viendrait à radiographier le personnage stérile ou
fécond qu'on appelle le genre humain, supposons un instant qu'il
s'agirait d'observer le pas et l'allure de notre espèce sur le
théâtre d'un monde allumé ou mort, supposons un instant que la
philosophie spectrographierait un acteur de la politique et de
l'histoire dont la gestuelle se confondrait au signe dont la
France se serait imprégnée, qu'en serait-il d'un Socrate qui
incarnerait la nation? Pour éclairer l'humanité au flambeau de
sa signalétique générale, il faudra se placer à l'extérieur de
cette étrange espèce et tenter de la regarder de loin; et si la
philosophie était à elle-même son signe et sa lumière, elle
devra apprendre à construire la balance à peser sa propre
illumination. Quelle chance que l'encéphale schizoïde de cette
espèce soit devenu l'acteur principal du monde. Car la scission
de cet organe en deux portions sera nécessairement un signe à
son tour, donc un signal, un emblème, un drapeau; et il faudra
bien que nous acquérions un projecteur afin de nous distancier
de notre scissiparité psychobiologique, il faudra bien nous
placer derrière notre caméra, il faudra bien que nous
descendions dans les coulisses de ce théâtre pour tenter de
comprendre ce qui se passe sur la scène.
12 - De
quoi la France est-elle un signe incarné?
Qu'en est-il de
la faculté dont se vante le simianthrope au miroir de sortir du
champ de vision que sécrètent ses cosmologies narcissiques? Cet
animal connaîtrait-il un autre théâtre, plus panoramique que le
précédent et qui lui permettrait d'observer de loin toute sa
signalétique?
Supposons que
cette bête serait gravide du signe de la transcendance qui la
soulèverait. Alors, la querelle sur le statut des signes qui a
traversé toute l'histoire du christianisme serait celle que
l'arianisme a soulevée et qui visait à ridiculiser une foi
religieuse auto-condamnée à déclarer divins la rate, le foie,
l'estomac et les viscères de Jésus-Christ, ce qui la ramenait
tout entière au culte des ossatures divinisées des dieux de
l'Olympe.
On voit qu'elle
est immense, la question de l'identité d'une espèce située entre
le réel et le signe: car si le Diogène des chrétiens n'est pas
devenu à lui-même sa propre lanterne, alors les adeptes de cette
religion ne seront jamais des élus et des respirants de "Dieu",
mais seulement de ridicules mâchonneurs de leur éternité manquée
; et ces malheureux achèteront seulement un piteux ticket du
salut au guichet d'un trésor public, celui de l'immortalité de
leurs ossements. Mais l'homme en est-il réduit au rang d'un
laborieux quémandeur, d'un piteux mendiant, d'un grippe-sous du
ciel? Faut-il accorder la vie éternelle à la musculature de cet
animal s'il dévide des chapelets et se prosterne la face contre
terre? Décidément, toute l'histoire raconte la querelle sans fin
entre les gagne-petit de leurs dévotions et les aigles de la
"grâce".
Aussi longtemps qu'un humanisme d'éclopés
n'apprendra pas à lire la biographie transcendantale des peuples
et des nations à l'école des documents anthropologiques qu'on
appelle des théologies et des littératures de haut vol, nous
refuserons tout net, mais à nos dépens, de nous regarder dans
les miroirs de notre surréalité boiteuse. Il va donc falloir
observer la France dans le miroir du chimpanzé scindé entre la
vénération et la profanation, il va falloir psychanalyser la
politique et l'histoire du monde à l'école de la folie de
Thérèse d'Avila, mais aussi à l'écoute des blasphème des
philosophes, il va falloir transporter la politologie sans
regard d'aujourd'hui dans une anthropologie de la bête idolâtre
et iconoclaste. Quel roman que l'humanité des songes, quel roman
que la philosophie de la folie, quel roman que l'histoire de la
peur de penser! Le "Connais-toi" socratique a encore un avenir
devant lui, et quel avenir!
13 - René Pommier le navigateur
René Pommier est le premier moissonneur d'une philosophie
ambitieuse d'apprendre à observer l'humanité dans le miroir de
sa signalétique et de sa séméiologie générale. Qu'est-ce à dire?
Seulement ceci : il est des destins que leur époque a placés à
des carrefours de l'histoire de la littérature et de la
philosophie. Cet auteur moqueur et passionné, cet ironiste que
rien n'arrête, ce psychologue impitoyable de la foi et du sacré
est arrivé à un moment crucial de l'histoire de la philosophie
mondiale, celui où, cent cinquante ans après Darwin et un siècle
après L'Avenir d'une illusion de Freud, il est
devenu ridicule de réfuter la croyance en l'existence de Zeus et
de ses trois successeurs et ridicule de ne pas se demander qui
nous sommes d'avoir cru si longtemps en eux ou d'y croire
encore.
Mais nous manquons des instruments
d'investigation nouveaux dont l'humanisme post religieux a
besoin pour radiographier nos dieux morts ; et notre raison
triomphatrice des idoles s'avance à tort en terrain conquis.
Loin d'avoir enrichi la connaissance des derniers secrets de
notre espèce, notre humanisme a régressé depuis la Renaissance,
faute que nous ayons appris à envahir le territoire immense que
la chute de nos dieux a ouvert à notre défrichage et à notre
décodage de nous-mêmes.
René Pommier se situe dans cet interrègne : il ramène la foi à
une psychologie déjà approfondie à l'école de Freud et de
Molière, mais il frappe encore aux portes d'une psychanalyse qui
radiographierait la condition simiohumaine en amont et qui
accèderait à une science post-atomique de la politique et de
l'histoire. C'est pourquoi cet explorateur côtoie l'imaginaire
dans son universalité et y jette un regard de visionnaire, mais
sans apercevoir la spécularité de notre espèce en tant qu'otage
de ses songes. Aussi ce guerrier occupe-t-il avec vaillance un
beffroi où la raison devient panoramique, mais non encore
panoptique. D'ores et déjà, sa demeure est celle de l'alliance
des rêves sacrés avec les signes où la haute littérature égale
la distanciation des grands dramaturges de la condition humaine.
Son habitat entre deux civilisations lui fait prendre une grande
avance sur son temps - l'heure n'a pas sonné de désacraliser la
sainteté - et du retard sur le basculement attendu et inévitable
du "Connais-toi" de demain dans l'histoire et la politique.
Mais son rendez-vous avec le tragique est
d'un précurseur: ou bien la civilisation mondiale de demain sera
fondée sur le péché originel d'un reniement radical de la
liberté démocratique, ou bien le réveil planétaire du monde
arabe fera découvrir à l'Islam que la pensée critique fait
changer de vision du monde et de politique à Allah et que la
religion musulmane de demain ne laissera pas passif et fataliste
le message du Coran face à l'extermination d'un peuple du
prophète. Dans les deux cas, l'avenir intellectuel de René
Pommier est assuré : il fallait bien en finir avec les nuées de
séraphins, d'anges et de chérubins volant à tire-d'aile et en
rangs serrés dans le ciel tardif des chrétiens.
Une note discrète (n°18, p. 162 et dernière), nous dit: "Ce
livre a été écrit en 2000. Après quelques tentatives
infructueuses pour le faire éditer, je l'ai laissé dormir dans
mes tiroirs pendant dix ans, d'où il ressort". Quel signe!
On sait que l'heure des libraires prospectifs s'est achevée avec
le décès de la "Bibliothèque des Idées" chez Gallimard.
Désormais, Paris ne publie plus que pour le marché et dans
l'espoir de décrocher la timbale d'un best-seller. Mais les
vrais livres continueront d'enfanter leurs lecteurs, les vrais
livres s' adresseront toujours à un public encore absent. Demain
internet fera de l'édition une fenêtre ouverte sur l'avenir.
Alors on dira de René Pommier : "Cet homme-là a fait le point
sur l'océan du temps où le destin l'avait placé. C'était au cœur
du silence et de la nuit qui a précédé la mutation de la
civilisation mondiale que nous connaissons maintenant."