Philosophie et politique
Apprenons à
reconnaître un chef d'Etat
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 29 janvier
2012
A - Les
hésitations du destin
Jamais la planète
n'avait présenté un spectacle aussi
hésitant entre les sables mouvants de
l'actualité et le tracé des lignes de
force plus profondes qui commencent de
mettre en mouvement un astéroïde
indécis, mais sans encore parvenir à le
doter d'une ferme allure. Quoi de plus
hésitant qu'un empire américain
omniprésent sur les cinq continents et
tenu pour le souverain incontesté de
toutes les mers du globe, mais ébranlé
dans ses fondements par la lente et sûre
ascension de la Russie, de l'Inde, de
l'Afrique, du Pakistan, de l'Amérique du
sud, quoi de plus instable qu'une Europe
occupée par quatre-vingt mille guerriers
d'outre-Atlantique et quadrillée de cinq
cents de leurs garnisons, quoi de plus
flottant qu'une Europe vassalisée depuis
des décennies sous le commandement du
maître de l'OTAN, mais en proie à des
secousses émancipatrices de moins en
moins embryonnaires, quoi de plus
erratique qu'un Moyen Orient placé sous
le sceptre et le joug de Washington et
de Tel Aviv, mais tout frémissant et
grondant de centaines de millions de
voix de l'islam révolté!
Au cœur de ce chaos
et de ces lumières, de ces ténèbres et
de ces premiers scintillements, de ces
tumultes et de ces silences
annonciateurs de la tempête, l'Europe
tremble et se tait. De Gaulle avait
échoué à l'armer d'une volonté d'acier,
d'une haute ambition et d'un élan
conquérant. Et maintenant, une
construction monétaire chimérique, parce
que privée de la forteresse politique
dans laquelle l'abriter, place le Vieux
Continent sur le chemin du double
naufrage de sa prospérité économique et
d'une stratégie à l'échelle de la
mappemonde. Mais des démocraties
exténuées et des empires livrés à des
secousses telluriques de grande
envergure, quelle danse au bord du
gouffre!
B - Le sceau de la
honte
C'est que,
depuis 1945, ou bien l'Europe
redeviendra le paquebot géant que
happait un grand large sans cesse
retrouvé, ou bien cet appendice
asthmatique de l'Amérique jouera les
laissées-pour-compte de l'histoire en
marche. Mais quand bien même les
intérêts communs de Washington et de
Londres n'attacheraient plus à leur
laisse des Etats rétrécis, on ne voit
pas comment la Suède et l'Italie, la
Finlande et la Sicile, la Pologne et
l'Espagne se laisseraient porter par
l'ambition de secouer le joug du "libérateur"
de 1945. Le rapetissement d'un Vieux
Monde attelé au char de son "sauveur"
répond à un type d'asservissement
inconnu des historiens de la
vassalisation rampante ou brutale des
peuples et des nations en voie de
rabougrissement - les Montesquieu, les
Gibbons, les Spengler, les Toynbee.
Certes, la
Grèce asservie chantait humblement les
louanges de son "délivreur" ;
certes, les villes de l'Hellade ont mis
longtemps à comprendre que leur
vainqueur triomphait sous le heaume de
sa feinte générosité politique et que le
peuple des Quirites n'avait plus besoin
du glaive de ses légions pour régner sur
des esprits et des cœurs ratatinés. Mais
qu'au XXIe siècle, une civilisation
forgée sur l'enclume de la mort ait
oublié que la souveraineté des Etats
exige la pleine propriété de leur
territoire, oublié qu'il faille chasser
les légions de l'étranger qui y campent,
oublié que l'élection présidentielle
française de 2012 devrait assurer
l'ascension d'un homme politique
cuirassé du réalisme le plus
rudimentaire face au prestige
caparaçonné des empires, voilà qui grave
le sceau conjugué de la cécité et de la
honte sur l'effondrement de l'Europe.
C - L'Europe en
chaise roulante
Les
troupes américaines enracinées en Europe
ne sauraient proclamer avec Mirabeau: "Nous
sommes ici par la volonté du peuple...".
Mais la population de l'Allemagne et de
l'Italie ne bénéficie en rien de la
lucidité politique qui lui ferait
expulser par la force des baïonnettes
les légions lovées sur son sol par une
classe dirigeante de pâles figurants.
Comment éduquer des nations convaincues
qu'une sotériologie démocratique les
protège des fauves censés les menacer de
tous côtés? Par bonheur, le temps de
l'infamie et de l'ignorance appelle une
réflexion anthropologique sur la
capacité des Etats modernes de donner un
contenu réel à la souveraineté de
principe que la Constitution des
démocraties a accordée aux peuples
depuis 1789. Car si la politique des
démocraties est devenue une infirme en
chaise roulante, il faut commencer par
se demander ce qu'il en est des Etats en
bonne santé; et il faut démontrer que si
la vassalité reconduit à la barbarie,
les vrais chefs d'Etat sont appelés à se
doubler d'une vocation de civilisateurs.
Je me suis donc
demandé si une Europe qui se croit
entourée de tigres et de lions
rugissants, si une Europe rebelle à se
poser la question de la nature des vrais
chefs d'Etat face aux fantômes
politiques que les décadences mettent en
scène, si une telle Europe pourrait se
trouver éduquée par un modeste
instituteur qui s'adresserait à des
enfants encore riches des espérances du
bas âge. Ils se sont sagement assis sur
les bancs de l'école d'une République
ambitieuse, parce que la jeunesse habite
le royaume des promesses de la raison
politique.
1
-
Qu'est-ce qu'un
chef d'Etat civilisateur ?
Comment, mes
enfants, la souveraineté du peuple
français s'exprimerait-elle avec
pertinence par la voie du suffrage
universel en mai prochain si la science
politique dont bénéficie la nation née
en 1789 se trouvait mal informée des
qualités propres aux chefs d'Etat
civilisateurs et à eux seuls et si, par
conséquent, votre éducation ne vous
mettait pas en mesure de reconnaître les
traits qui mettent ces pédagogues de
l'humanité au service des vrais intérêts
de la nation? Quand vous applaudissez
les vers d'un poète, les mélodies d'un
musicien ou les tableaux d'un peintre,
il faut bien que vous sachiez identifier
le talent ou le génie, il faut bien que
le monde intérieur de l'artiste vous
habite de quelque manière.
L'instruction
publique est là pour vous enseigner à
distinguer les avortons de chefs d'Etat
des grands modèles d'acteurs de
l'histoire du monde. Mais pour élire,
donc pour choisir un chef d'Etat à bon
escient, vous avez besoin d'un si long
apprentissage de leurs effigies que je
ne puis vous initier tout de suite aux
derniers secrets de la stature et du
rang des guides que les nations ont le
devoir de placer à leur tête. Il vous
faut donc apprendre du moins à situer
ces nains ou ces géants de l'éthique et
du savoir sur une échelle des spécimens
les plus représentatifs de leur espèce.
L'Histoire vous en propose des esquisses
à imiter ou à répudier.
2 -
Vos premiers pas
L'examen de vos
connaissances de citoyens responsables,
donc de vos compétences de juges des
capacités morales et intellectuelles des
chefs d'Etat que vous porterez au
pouvoir vous convie, en tout premier
lieu, à observer le degré de cohérence
mentale dont font preuve vos
représentants sur la scène
internationale. Si leur cerveau se
trouve dans un grand désordre et si leur
jugement les conduit à vau l'eau,
dites-vous bien qu'ils ne sauraient
mener une politique à laquelle une
logique assurée servirait de corde à
nœuds.
Mais comment
jugerez-vous les chefs d'Etat à leur
grandeur de civilisateurs? Demander à
une république de promulguer des lois
conformes à la nature de sa Constitution
est la moindre des choses, puisque les
Constitutions ne sont démocratiques que
si elles se fondent sur les principes
universels de la justice et du droit.
C'est ainsi que M. Giscard d'Estaing
s'est montré un civilisateur avisé. Vous
lui devez d'avoir enrichi les
institutions de la France d'un Conseil
Constitutionnel souverain, parce que
sans cela, vos élus du moment pourraient
céder à la tentation et à l'envie de
voter des lois irréfléchies, arbitraires
et motivées par leurs passions ou leurs
caprices, donc ennemies de votre
souveraineté pleine et entière. C'est
ainsi que le Sénat vient de voter une
loi inconstitutionnelle et irrationnelle
sans seulement mentionner l'opposition
raisonnée des plus grands juristes issus
de ses rangs.
Le chef
d'Etat que vous élirez accèdera donc au
rang d'un civilisateur s'il promulgue
une loi rédigée en ces termes : "Dans
toute démocratie, le pouvoir législatif
est tenu de valider ou de réfuter un
projet de loi sur les arguments des
juristes éminents qui l'auront légitimée
ou condamnée en commission. Une loi non
expressément motivée en droit par
l'Assemblée nationale et le Sénat sera
déclarée inconstitutionnelle d'office."
Une
disposition constitutionnelle rédigée en
ces termes complèterait la notion
civilisatrice de " contrôle de
constitutionnalité " institutionnaliser
par M. Giscard d'Estaing en 1974 et
abrègerait la lente procédure
d'invalidation par la saisine du
Conseil. Car il est flagrant que le
Sénat a passé outre d'un haussement
d'épaules aux conclusions de sa
commission, qui avait pris soin de
démontrer l'incompétence absolue du
pouvoir législatif français à promulguer
des lois concernant un Etat étranger et
contraires, de surcroît, à la définition
de la liberté d'opinion, qui est
universelle et que le Comité des
droits de l'homme de l'ONU venait de
rappeler solennellement, en date du 12
septembre 2011 dans son Pacte
International relatif aux droits civils
et politique (articles 7 à 10).
Une ultime motion
portait sur l'exception d'invalidité de
toute la procédure a également été
écartée d'un "revers de main", comme on
dit à tort, puisque, par nature, la main
n'est pas davantage une arme du droit
que le dogme n'est un instrument de la
vérité.
Vous vous trouvez
précipités dans une République où vous
pourrez nier la virginité de Marie sans
danger, mais non le génocide arménien.
Mais qui nie ce crime? Il s'agit
seulement de savoir si, en droit public,
c'est un massacre ou l'assassinat d'un
peuple par un Etat. Aux historiens de
consulter les documents d'archives qui
permettraient ensuite à une autorité
juridique internationale agréée à cette
fin de trancher sur pièces. Quant à
jeter des citoyens français en prison
pour délit d'opinion, il ne s'agit que
d'une loi nulle et non avenue de plus:
la liberté d'opinion protège jusqu'à
l'ignorance et à la sottise. Si vous
affirmez sans rire qu'un homme serait
ressuscité, pourquoi vous interdire de
prétendre que deux et deux font cinq? On
ne guérit pas la faiblesse d'esprit à
l'école des geôles. Mais si l'homme
d'Etat n'a pas de connaissance
anthropologique du sacré, comment
serait-il un civilisateur?
Vous voyez, par ce
seul exemple, dans quelle immoralité
politique le mépris des lois fait tomber
les Républiques. Un chef d'Etat digne de
ce nom est donc un civilisateur par
définition, parce que sa fonction
naturelle l'appelle à protéger son pays
contre des décisions irraisonnée et
démagogiques des sénateurs et des
députés du peuple souverain, parce que
tout civilisateur est un défenseur de
l'éthique mondiale des démocraties.
3 - La
logique des civilisateurs du droit
Mais le lien qui
rattache nécessairement la cohérence
cérébrale dont un chef d'Etat
civilisateur doit faire preuve à
l'éthique libératrice des démocraties
s'applique également à l'ensemble de la
politique d'une civilisation
émancipatrice, parce que la justice et
le droit sont les souverains intérieurs
des Constitutions désasservissantes; et
ces fondements-là sont ceux qui
définissent la solidité d'une tête
d'éducateur, donc la logique même qui
commande toute sa pédagogie.
Prenez le cas de M.
François Bayrou, qui vous promet de vous
dire la vérité en toute honnêteté, mais
qui vous promet, dans le même temps, de
ne jamais courir le risque de diviser
vos esprits. Pour peser
l'incompatibilité d'un affichage de
l'éthique aussi péremptoire avec la
rigueur intellectuelle et morale qui
doit caractériser le raisonnement d'un
chef d'Etat civilisateur, demandez-vous
quelle est la qualité des vérités
auxquelles vous prêtez l'oreille sans
vous trouver aussitôt dichotomisés au
plus secret de vous-mêmes et
interrogez-vous sur la profondeur des
jugements moraux et politiques que
prononce votre magistrature dans le cas
où votre jugement entraîne l'union ou la
désunion entre vous.
Car si
vous dites que le soleil brille dans le
ciel et si vous en prenez votre globe
oculaire et celui de vos auditeurs à
témoin, vous ne courrez le risque de
vous trouver contredits que par des
plaisantins. Mais si vous dites, avec La
Rochefoucauld que "l'hypocrisie est
un hommage que le vice rend à la vertu",
vous ne ferez plus rire; car vous
découvrirez avec effroi que jamais la
profondeur d'esprit du moraliste ne fait
l'unanimité dans les têtes. Pis que
cela: seuls les énoncés superficiels
sont communément reçus, mais dans
l'indifférence amusée ou l'ennui qui
accueille les balivernes, les banalités
et les bavardages.
De plus,
si l'homme d'Etat civilisateur a pris
rendez-vous avec l'autorité qu'exercent
les jugements sérieux sur les minorités
pensantes, il ne saurait ignorer l'adage
selon lequel "toute vérité n'est pas
bonne à dire", tellement l'art de la
politique revient à ne faire progresser
la vérité que par la bande, même dans
les têtes bien faites, ce qui contraint
Machiavel lui-même à paraître la cacher
sous la mine austère qui convient aux
vrais savoirs; car les verdicts d'une
raison supérieure sont des couperets
dont le tranchant ne s'impose que
subrepticement aux intérêts puissants et
partout dominants que l'ignorance et la
sottise se partagent de grand coeur.
Apprenez donc à déposer l'encéphale des
hommes d'Etat émancipateurs sur les
plateaux d'une balance appelée à peser
la capacité des civilisateurs du monde
de cacher le jeu de cache cache auquel
se livrent les vérités libératrices et
les erreurs intéressées. Comment
aurez-vous accès aux documents cérébraux
les plus décisifs, ceux qui seuls vous
permettront de préciser à quelle
profondeur de l'esprit républicain et
dans quelle arène de la courte vue un
encéphale de chef d'Etat libérateur
bâtit la logique politique qui le fera
marcher d'un pas assuré sur le chemin de
sa vocation de civilisateur?
4 - Qu'est-ce
qu'une tête bien faite ?
L'université française est tombée dans
la tragique méprise de bâtir un mur de
séparation infranchissable entre
l'enseignement des Lettres et celui de
la raison des philosophes. Du coup, on
croise sur l'agora une foule d'agrégés
de lettres qui n'ont jamais lu une ligne
de Kant, de Hume ou de Platon. Mais
Sophocle, Eschyle et Aristophane
lisaient les savants et les philosophes
de leur temps, les lettres de Cicéron à
Atticus sont pleines de demandes
d'ouvrages de sciences et de
métaphysique des Grecs, il est une fable
de La Fontaine qui rappelle les droits
des astronomes, Bossuet plie sous les
assauts des précurseurs de Voltaire,
Diderot rappelle que son siècle
l'emporte sur celui de Racine et de
Molière par la grandeur de ses
philosophes, jusqu'à la fin du XIXe
siècle, l'intelligentsia française
lisait en rangs serrés Taine, Renan et
Darwin, Goethe et Schiller commentaient
ensemble la Critique de la raison
pure, tellement ils savaient que des
régiments de lettrés ne comprendront
goutte à Sophocle, Shakespeare ou
Cervantès s'ils n'ont appris à
radiographier la boîte osseuse d'Œdipe,
d'Hamlet ou de don Quichotte. Mais la
commercialisation de l'édition a imposé
un genre rentable, le roman; et
aujourd'hui, c'est de recul intellectuel
que manque une politique devenue
minoritaire, donc subalterne au sein
d'une civilisation de marchands. Vous
devez donc observer les relations que
les chefs d'Etat civilisateurs
entretiennent avec les sciences et la
pensée.
5 - La
médiocrité du plus petit dénominateur
commun
Seule une raison
supérieure fonde l'éthique des chefs
d'Etat. M. François Bayrou est un
exemple frappant de la séparation
catastrophique de l'enseignement des
Lettres de celui d'une philosophie
réduite à concerner seulement les
légions de spécialistes de l'histoire
scolarisée de cette discipline. Car M.
Bayrou se prétend à la fois entièrement
laïc et entièrement chrétien. Mais que
signifie l'adverbe "entièrement" si ce
centriste-né ne saurait donner un sens
civilisateur et libérateur au concept
amaigri de laïcité et, dans le même
temps, admettre, les yeux fermés les
dogmes les plus asservissants et les
plus grossiers, tel celui de la
transsubstantiation eucharistique, pour
ne prendre que celui-là. Vous savez que
ce prodige théologique se trouve
clairement formulé dans la confession de
foi de l'Eglise catholique, vous savez
que cette gastronomie religieuse est
censée métamorphoser le pain et le vin
de la messe en chair et en hémoglobine
d'une victime physiquement immolée sur
l'offertoire, donc réputée se donner
effectivement à consommer et à boire.
Mais comment un chef
d'Etat serait-il un civilisateur, donc
un émancipateur si sa science des
diététiques du sacré ne s'étendait pas à
spectrographier les meurtres payants,
donc politiques dont les autels de
l'histoire mondiale s'alimentent et qui
font le tissu de la gestion du sang et
de la mort depuis des millénaires? Le
premier homme d'Etat fut le génocidaire
rationnel qui mit en scène un Déluge
finalisé par une logique juridique et
qui sacralisait une peine de mort
méritée aux yeux du juge suprême du
cosmos.
Depuis lors, le
récit civilisateur de la République
raconte une histoire des châtiments mise
à l'écoute d'une science du droit; et la
science des lois se rend moins
sacrificielle que celle de l'ogre du
cosmos. Aussi un chef d'Etat qui n'aura
pas appris à porter son regard sur
l'histoire des rescapés de la mort, un
chef d'Etat qui n'aura pas percé le
secret des trucidations théologiques de
masse, un chef d'Etat qui n'aura mis le
vrai spectacle des nations sous ses yeux
ne saurait faire progresser votre
éthique; car il se sera rendu prisonnier
d'un fauve du ciel, il campera lui-même
dans le miroir de ce félin, il sera
l'otage d'un carnassier et d'un tyran.
6 - Votre tête
citoyenne
Vous devrez donc
vous demander au nom de quelle
conception confuse ou contradictoire de
la déraison et de la raison des peuples
et des nations M. François Bayrou le
spéculaire fait appel tantôt à votre
profondeur d'esprit et tantôt à la
superficialité de vos jugements quand il
se promet de vous raconter une vérité
républicaine officialisée, sans pour
autant, à l'entendre, couper vos pauvres
têtes en deux sections désespérément en
rivalité entre elles. Dites-vous bien
que ce pédagogue à mi-pente ne saurait
progresser d'une seule enjambée ni dans
la défense de la pensée critique des
philosophes, ni dans celle des piétés
aveugles sans diviser votre encéphale et
celui de la France au chapitre du sens
même des termes de raison et de
croyance. Qu'en sera-t-il d'une
République précipitée dans la schizoïdie
des agrégés de lettres que le trépas de
la bourgeoisie moralisante a laissés
sans boussole ?
Mais si vous
remontez aux sources psychologiques du
vocabulaire dont témoignent les sermons
politiques des hommes d'Etat actuels,
vous commencerez de vous interroger sur
le sens anthropologique de la notion
toute relative d'unité psychique. Quel
abus, vous direz-vous, de l'appliquer à
une politique bipolarisée d'avance! Vous
vous demanderez donc à quel niveau d'une
réflexion tout effarouchée M. François
Bayrou vous dira la vérité nue ou jugera
bon de vous la cacher, et même de vous
mentir effrontément afin de ne pas vous
rendre visiblement bicéphales. Mais s'il
entend vous rassembler au rabais et
seulement au chapitre de la conception
superficielle et convenue que l'Etat
laïc de votre temps se fait des termes
devenus rachitiques de raison et de
folie, où aura-t-il passé, le
civilisateur, le guide, le moraliste de
la nation? Quel port de plaisance
accueillera-t-il le pédagogue de la
France sur la scène internationale et
quel contenu donnera-t-il à la
souveraineté du suffrage universel
atrophié dont vous serez les
dépositaires aveugles, les détenteurs
désarmés et les actionnaires floués?
Non, le
monde d'aujourd'hui ne saurait se donner
pour assise le plus petit dénominateur
commun de votre assentiment de citoyens
à une politique des élévations de la
démocratie. Ce type de rassemblement des
têtes est celui d'un chanteur de la
médiocrité d'esprit. Et pourtant, il
vous est bel et bien demandé, n'est-ce
pas, d'élire un chef d'Etat
ascensionnel. Pourquoi la question de la
définition de la raison politique à bas
prix ou en altitude ne vous est-elle
même pas posée? Que signifie "penser
la France"?
Voir: Jean-Luc Pujo,
Les clubs
"Penser la France"
et
Politique
Actu
7 -
Les épéistes de la raison
Quel problème
proprement philosophique, mes enfants,
aurez-vous à résoudre à l'école des
civilisateurs de l'histoire du monde
qu'on appelle des hommes d'Etat? Celui
de préciser la nature des relations que
la politique internationale doit
entretenir avec la civilisation
fondatrice d'une pensée critique sans
cesse en devenir; car, dans le cas où
l'Europe ambitionnerait de retrouver son
rang et sa puissance d'autrefois, et
cela à la plus haute école de sa raison,
dans quelle mesure aura-t-elle besoin
d'apprendre à connaître les ultimes
secrets de l'encéphale du genre
simiohumain d'hier et d'aujourd'hui?
Puisque M. François
Bayrou donne à la laïcité et aux mythes
religieux le statut de jouets cérébraux
à exposer à l'étalage de la politique
bon marché du Vieux Continent, il était
bien inutile, n'est-ce pas, qu'il vous
exposât en long et en large des vérités
suffisamment banalisées pour mettre vos
encéphales d'enfants de chœur à l'abri
d'une religion récitative du mythe qui
la fonde. La politique civilisatrice
vous mettra à l'épreuve du tragique qui
fait le tissu de l'histoire et de la
politique.
Pour savoir si le
Président que vous choisirez aidera ou
n'aidera pas la civilisation européenne
endormie à redevenir le fer chauffé au
rouge de la pensée d'avant-garde, donc
de l'esprit rationnel qui avait fait la
grandeur du Vieux Continent, il est
décisif que vous appreniez à peser
l'encéphale d'un agrégé de lettres
flottant dans la moyenne région de
l'air. Se révèlera-t-il un insecte
butineur des parfums de la littérature
française ou un épéiste des Etats
hautement civilisateurs?
Vous
vous initierez donc à la pesée des
relations tendues que la pensée critique
de haut vol entretient avec la morale
bien tempérée des petits jardiniers de
la politique. Car le scalpel des
logiciens enseigne que l'Europe n'a déjà
plus d'autre choix qu'entre la grandeur
de penser au bord du précipice et la
chute dans le décervellement du monde.
Nous oscillons entre le Moyen Age qui
nous menace et les blasphèmes créateurs,
entre la décapitation intellectuelle qui
nous rassurerait et les sacrilèges de la
vaillance, entre les assoupissements
d'un monde privé de ressort et l'appel
au "Pensez par soi-même"
de Voltaire.
8 - La
démocratie et les sorciers
L'esprit de
sorcellerie de l'humanité s'était
seulement endormi un instant. Pour le
comprendre, observez de près la
sanctuarisation effrénée des évènements
sanglants du passé par les soins
attentionnés de la République . Voir:
-Le
génocide arménien et la
souveraineté du peuple français
(2),
22 janvier
2012
-
Le
génocide arménien et la
souveraineté du peuple français
(1),
15 janvier
2012
Dans les
coulisses de toute sacralisation de la
mémoire d'un crime ou d'un massacre se
cache un exorciste patenté de la
République, comme il existe encore un
exorciste officiel dans tous les
évêchés. Dans l'un et l'autre cas, il
s'agit de purifier la sainteté profanée
de la civilisation des droits de
l'homme. Comment un Etat libérateur
jugera-t-il les magiciens chargés du
lustrage de la société outragée par le
sacrilège ou le blasphème des hérétique
de la démocratie ? Le christianisme a
brûlé de soi-disant sorcières jusqu'au
début du XIXe siècle - la dernière le
fut à Glaris le 28 juillet 1828. C'est
qu'une sorcière était censée possédée du
diable. Mais voyez comment la démocratie
catéchisée par le mythe de la Liberté
n'a fait que changer la soutane du
diable, voyez comme le carquois du Démon
se remplit des flèches de la nouvelle
possession maléfique, celle d'un
manichéisme républicain. La politique de
la fulmination a passé dans les mains
des faux prêtres de 1789. Comment
vaincrez-vous les nouveaux
pestiférateurs? C'est aux secrets de la
sorcellerie tapie dans les entrailles de
la raison et de la liberté elles-mêmes
que vous devrez vous initier; car les
chefs d'Etat civilisateurs sont aussi
vos guides vers les profondeurs de la
connaissance de l'humanité.
L'Europe de l'esprit
attend l'homme d'Etat initié aux enjeux
anthropologiques qui sous-tendent la
politique des vassaux du Nouveau Monde,
l'Europe attend le libérateur qui
encouragera la résurrection de la
philosophie française.
Je vous en
entretiendrai le 5 février.
Le 29 janvier 2012
Reçu de l'auteur pour
publication
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