La semaine
dernière, j'ai tenté de mettre en lumière l'évidence que l'unité
intellectuelle et politique de l'Europe se trouve sapée dans ses
fondements par l'irrésistible ascension des parlers locaux,
d'une part, tandis que, de l'autre, l'anglais n'offre aucun
secours au discours philosophique proprement dit, mais seulement
aux savoirs utilitaires et privés de recul. Aucun philosophe de
langue anglaise, même les Locke et les Hume, ne sort de
l'enfermement de tous les signifiants dans l'enceinte d'un
pragmatisme aux finalités prédéfinies. La question des relations
que les langues écrites entretiennent avec la pensée logique,
donc avec le statut anthropologique du concept devient donc plus
décisive que jamais à l'heure, entre chien et loup, où non
seulement l'Europe subit la double épreuve de l'impuissance
politique du nationalisme étriqué et du supra nationalisme
abstrait, mais où les identités linguistiques à vocation
universelle s'effritent sous l'assaut des régionalismes
terre-à-terre.
Les gouvernements démocratiques actuels accélèrent fatalement la
décérébration d'une Europe vassalisée, parce que, dans
l'humiliation des décadences, le repli nationaliste et un
suffrage populaire censé concrétiser une autorité universelle
s'allient pour livrer les Républiques locales à un panégyrique
de la culture du mâle dominant, ce qui place les dévots du mythe
de la Liberté sous la houlette ou la férule d'un chef
d'orchestre étranger. La Grèce vaincue avait retourné les idéaux
mêmes de la démocratie qui avaient fait sa grandeur en
instruments de sa servitude. Si, sous l'empire romain, les Grecs
avaient tenu le langage de l'OTAN d'aujourd'hui, ils auraient
pieusement proclamé que Rome "assurait désormais leur
sécurité".
Tel est le secret
de l'assujettissement consenti de notre civilisation à un
confort militaire tapi sous l'apologie acéphale d'une Europe
tribalisée. Les idéaux universels de 1789 portent désormais un
revêtement œcuménique et pluriculturel. On entend en tous lieux
d'ardents encouragements à promouvoir la prééminence des
cultures non encore élevées au voltage de la pensée critique.
L'électricité de la littérature, de la philosophie et des
sciences abstraites en vient à gêner notre mythologie de la
liberté politique.
Mais les langues
qui ont cessé depuis longtemps de s'éclairer à la bougie
présentent deux avantages décisifs sur les idiomes primitifs:
elles se révèlent à la fois des balances suffisamment exactes
pour accorder leur prix aux percées mondiales de l'intelligence
critique et des miroirs en altitude de la condition simiohumaine
à laquelle l'anthropologie critique de demain servira de
réflecteur universel. Il convient donc d'esquisser à grands
traits l'avenir proprement cérébral de notre espèce ; sinon la
folklorisation effrénée de l'Europe assujettira nos cordes
vocales à celles d'un souverain lointain et dont les pouvoirs
trouveront un puissant renfort dans la glorification d'une
multiplicité de sous-cultures enfermées dans la casemate de
leurs jargons particuliers.
L'heure est donc venue de reforger les instruments fatigués et
les armes rouillées que la pensée semi-rationnelle du XVIIIe
siècle nous a transmis. Car, jusqu'à une époque récente, on
n'observait les nations et les hommes qu'avec les bésicles d'une
science artificiellement soulevée du sol par des vocables
myopes. Mais il n'est plus temps de regarder Berlin, Paris,
Londres, Rome, Washington, Moscou, Pékin, Tokyo avec les yeux
des seuls alpinistes de la parole abstraite et donc enfermée
d'avance dans des filets mentaux en suspension parmi des
aveugles. On demande aux vocables du vide et du creux des
ancêtres de quitter la stratosphère et de radiographier à
nouveaux frais les relations concrètes que les langues
universelles entretiennent avec les langues régionales,
tellement l'examen méthodologique de la substance de ces
relations flottantes dans la "moyenne région de l'air" de
Descartes nous révélera celles que les politiques nationales
entretiennent avec leur centre de commandement d'un côté et
leurs pouvoirs notabiliaires de l'autre ; car c'est dans un seul
et même étau que ces deux pôles de l'action et du verbe
enserrent l'histoire objective des Etats dominants et des
civilisations vassalisées.
2 - Le
temps métazoologique
Voyez la chute
continue et inexorable du Président Sarkozy sur la scène
intérieure et internationale: tous les presbytes attribuent ce
naufrage du globe oculaire de la politique française à la
volonté obtuse de ce chef d'Etat de se rendre vocalement présent
jusque dans les villages. Mais depuis cinquante deux ans, la Ve
République n'a cessé d'illustrer l'usure du pouvoir central sous
l'assaut des cécités périphériques . Pour porter un regard bien
ajusté sur les apories psychobiologiques qui caractérisent les
deux pôles politiques d'une espèce que l'ambiguïté de ses gènes
rend ingouvernable depuis le paléolithique, il faut disposer
d'un embryon de connaissance anthropologique du type de
distanciation du regard et du jugement que requièrent la
politique et l'histoire des semi-évadés de la zoologie. Pourquoi
le Général de Gaulle s'est-il trouvé progressivement supplanté
par M. Pompidou et M. Giscard d'Estaing par M. Chirac? Pourquoi
seul F. Mitterrand a-t-il réussi l'exploit d'écarter un instant
les candidats qui, chez les chimpanzés déjà, se lançaient à
l'attaque de l'hégémonie du mâle dominant? Cette constance du
politique ressortit à une simianthropologie critique que
l'ascension des maires du palais n'avait cessé d'illustrer et
que l'histoire interne des démocraties ne se lasse pas de
confirmer.
Certes, pendant
près d'un demi- millénaire, la monarchie française avait réussi
le tour de force de faire régner un équilibre apparemment
satisfaisant entre le roi, les parlements de province et la
cour. Mais, à partir de Louis XIV, cette balance fragile s'est
brisée; et, depuis 1789, la France échoue à en retrouver le
délicat mécanisme, ce qui la fait osciller entre deux précarités
alternées et complémentaires, celle du césarisme larvé des
notables qu'engendre la vue basse des démocraties abstraites et
celle de la liquéfaction de toute la construction républicaine
dans l'anarchie tribale. La France ne cesse d' illustrer
l'offensive de type secrètement monarchique, ecclésial et
césarien dont le régime populaire reproduit le modèle - ce qui
nous renvoie au scannage simianthropologique du statut politique
en panne des demi-fuyards de la nuit animale.
3 - Les
chimpanzés et la politique
Les stratégies qui président à la conquête du pouvoir central
chez les chimpanzés sont préfiguratrices des nôtres. Un agité
malin et moqueur rallie les suffrages de sa génération et de la
majorité des spécimens d'âge mûr. Cette coalition parvient à
renvoyer le mâle dominant et vieillissant dans la solitude de la
jungle. Nicolas Sarkozy le reconnaît sans barguigner: "C'est
toujours comme ça, une campagne: on promet pour être élu et
après, on déçoit." (Discours à la Réunion, 16 février
2007).
Le Président de la République reconnaît expressément que plus on
ment à ses congénères, plus on a de chances d'être élu par leurs
gènes et que toute démocratie se fonde nécessairement sur
l'immoralité viscérale qui infeste le capital psychogénétique du
suffrage universel; car la multitude, dit M. Nicolas Sarkozy,
est livrée à l'ignorance, de sorte que ses verdicts sont
capturables par la séduction et la flatterie. Par nature et par
définition, on ne règne donc jamais qu'à bien tromper le peuple.
Sitôt installé au Capitole; on s'écrie: "Respectez donc
ceux qui ont le courage de se présenter au suffrage universel du
peuple." (Discours du 23 novembre 2010)
Mais croit-on que
le conquérant simien ne faisait valoir aucun argument tacite de
cet ordre , croit-on qu'il n'usait pas de moyens de convaincre
"parlants", si je puis dire, croit-on, qu'il négligeait de faire
partager l'élan de ses "convictions" à ses condisciples des
forêts, croit-on qu'il n'usait pas de gestes et de mimiques
appropriés? Tant que l'anthropologie moderne n'aura pas appris à
porter sur l'humanité tout entière le même regard que les
chimpanzés enseignent peu à peu à nos simiologues à porter sur
leurs hordes, la géopolitique ne sera pas devenue une vraie
science. Un seul exemple: croyez-vous que deux hordes de singes
armés des moyens de se pulvériser radicalement les uns les
autres et qui salueraient comme une victoire trans-zoologique de
leur génie politique naissant de réduire de trente cinq pour
cent seulement leur faculté de s'anéantir en commun,
croyez-vous, dis-je, que ces animaux seraient devenus pensants,
alors que leur puissance de feu, même réduite de quatre-vingt
dix pour cent, suffirait encore à réaliser à l'exploit de leur
auto-extermination des centaines de fois? Mais la
simianthropologie observe, pour qui sait lire, que l'histoire
réelle des singes suicidaires a été racontée en long et en large
depuis quatre siècles par Swift, Shakespeare ou Cervantès sans
que personne s'en fût aperçu.
Aujourd'hui
encore, le roi simiohumain trouve sa place dans cette fresque et
sous nos yeux. Voyez avec quelle ardeur M. Nicolas Sarkozy rêve
d'étendre la puissance de son règne à la charrue de Cincinnatus,
ce qui ruine encore plus rapidement son autorité verbale que
s'il se résolvait à enfermer sa voix dans son palais et à
exorciser par des grimaces hautaines le péril de se trouver
supplanté sous la pourpre et les ors par ses intendants
détoisonnés. Comment l'oscillation interne qui régit la
politique et le psychisme des semi rescapés du règne animal ne
serait-elle pas inscrite dans leur psychophysiologie ? Puisque
l'histoire réelle du chimpanzé à la fois meurtrier et en voie de
cérébralisation se révèle décryptable, observons le temps
apparemment métazoologique auquel la parole simiohumaine
actuelle sert de miroir.
4 - Les langues et la politique
L'anthropologie
critique démontre que les langues relativement pensantes d'un
côté et les dialectes sans tête de l'autre répondent à un seul
et même modèle de la politique du "singe nu", et cela du seul
fait qu'une langue unifiée, donc écrite, est un monarque dont la
grammaire rêve d'occuper le territoire entier du royaume et d'y
rencontrer des sujets vocalisés à l'école de la parole de leur
maître - ce que l'ubiquité même de l' ambition phonique d'un roi
du langage dérobe fatalement à ses poumons. De son côté, une
langue demeurée locale et soumise aux tonalités du cru ressemble
à un notable dont la prêtrise rachitique se vanterait de bien
connaître son potager. La Corse ne veut pas se voir désagrippée
de ses arpents par la langue de cour des puissants, le
Tessinois, le Basque, le Breton, le Catalan, le Suisse allemand,
le Flamand ne veulent pas quitter le village qui leur permet de
régner sur leurs légumes.
Le drame du
naufrage cérébral d'une Europe coincée entre le coin de terre
trop capturable par le langage de la tribu et l'insaisissable
ubiquité des mots abstraits se laisse illustrer par un scannage
simianthropologique des cordes vocales asservies des uns et des
autres; car les relations bipolaires qu'elles entretiennent avec
la politique se révèlent les clés de l'ascension et de la chute
des nations et des empires biphasés. La Grèce et Rome ont perdu
leur empire schizoïde parallèlement à l'émiettement et à la
scission interne de leurs vocables. La France bifide assiste au
reflux conjoint de sa puissance politique et de ses voix
dédoublées. L'anglais est devenu le commandant stratosphérique
des arpents américains et le quartier général de toute la
stratégie d'un langage planétarisé de la "paix", de la "justice"
et de la "prospérité". Mais si le français, l'allemand,
l'espagnol ne sont plus portés par une vision ascensionnelle de
l'éthique du monde, comment ces langues serviraient-elles encore
de guides et d'oracles à un Vieux Continent réduit à ses
jardinets langagiers? Si M. Sarkozy était un homme d'Etat, la
langue de la Princesse de Clèves se serait révélée la fidèle
alliée du statut international de la France - il a choisi de
provincialiser la nation.
On sait que, le 9 novembre 2010, dans son discours de Colombey,
M. Gaino est parvenu à lui jeter sur les épaules le manteau de
cour de l'imparfait du subjonctif. Mais un manant de la
grammaire ne change impunément ni son apparat vocal, ni sa tenue
ancillaire. S'il savait le français, il rappellerait quelques
règles élémentaires à ses sujets. Le peuple de Jules Ferry dit
maintenant après qu'il ait, au lieu de après qu'il
eut, il part à, au lieu de pour, il
dit à l'été, à l'automne, à l'hiver, au lieu de en,
il ignore qu'initier ne signifie pas commencer,
qu'impulser est un anglicisme, qu'on ne dit pas il en
va de, mais il y va de, que ce midi est
campagnard en diable et que les brebis galeuses ne vont
pas se laisser supplanter par les vilains moutons noirs
des Anglais.
Mais sous les
vocables du château dont M. Nicolas Sarkozy a subitement adopté
l'artifice et affiché les rubans, la vraie question se rappelle
à l'attention de l'Etat: qu'en est-il du discours simiohumain de
la politique s'il se révèle dichotomisé de naissance entre les
villes et les champs et si cette scission originelle rejoint la
réflexion anthropologique sur la nature de l'autorité politique
? A ce titre M. Nicolas Sarkozy se donne à disséquer en
laboratoire. Ce spécimen de locuteur est tellement tronçonné que
sa parole illustre jusqu'à la caricature la bipolarité du
chimpanzé devenu parlant. Les nations ont les maires du palais
et le sang bleu qu'elles méritent. L'heure aurait-elle sonné,
pour les villageois de la politique, de monter aux créneaux du
château qu'on appelait la langue française?
5 - L'avortement linguistique de l'Europe
Passons en revue
les derniers candidats à la parole qu'une naufragée présente
dans l'arène fatiguée de la l'ex civilisation de la littérature
et de la pensée.
La langue des
toréadors partage encore son sceptre et ses dorures entre la
péninsule ibérique et l'Amérique du Sud, mais son génie viril ,
loyal et fraternel s'est trop imprégné de la vision
bienveillante du monde que charriait la charité chrétienne pour
jamais se ceindre de son épée - c'est à Rome que l'acier trempé
du pays, les Juvénal, les Martial, les Sénèque, les Pétrone sont
allés jeter le regard des La Rochefoucauld et des Vauvenargues
de leur langue jusque sur les empereurs ibériques, les
Vespasien, les Hadrien, les Trajan.
La langue italienne a servi de berceau à la Renaissance - on lui
doit les premières retrouvailles de la civilisation actuelle
avec la Grèce et Rome - mais il est trop tard pour remédier à
une dégradation de mille ans. Entre les Confessions
de saint Augustin et Dante, quel désert à traverser! La langue
allemande n'a accédé qu'au XVIIIe siècle à l' expression
nationale de son génie, mais elle est aussitôt tombée dans une
bâtardise pédantesque qui l'a rendue impropre à apporter la
contribution de sa substance et de son pas à une culture qui
rendrait planétaire le sceau des Germains. Pourquoi a-t-elle
honte de sa saveur naturelle? Pourquoi a-t-elle renié le génie
de Luther, qui a donné une saine odeur paysanne à sa traduction
en sabots de la Bible?
Avec Goethe déjà, elle a refusé de fleurer bon la campagne, avec
Kant déjà, elle a remplacé verständlich par
intelligibel, avec Werther déjà, elle s'est hâtée de se
promenieren, parce que spazieren ne porte pas encore le
jabot. Mais quand on entend se donner l'air savant, Rabelais et
son écolier limousin vous attendent au carrefour. Celui-là "démambulait
par les compites et les quadrivies de l'urbe"! Si nous
avions laissé faire le latinisant - Pantagruel lui a administré
une raclée dont il se souviendra - il aurait conduit tout droit
notre langue au baragouin allemand d'aujourd'hui. Grâce à notre
Luther à nous, le français garde depuis cinq siècles l'odeur
mêlée du terroir et de la cour. Nous lisons un Villon, un
Ronsard ou un Joachim du Bellay aux coudées franches, tandis que
le lecteur allemand consulte le dictionnaire pour entendre
Schiller, mort en 1805, Klopstock, mort en 1803, Wieland mort en
1813 Lessing mort en 1781 et même certaines pages de Goethe,
mort en 1832 ou de Nietzsche, mort en 1900, notamment les pages
subitement francisées à outrance que son long séjour à Nice lui
a inspirées.
Prenez le malheureux Guillaume Tell de Schiller Ce
héros est devenu illisible d'ignorer le vocabulaire dégénéré de
la langue des Germains d'aujourd'hui . Comment faire prononcer à
l'illustre archer helvétique de la fin du XIIIe siècle les
verbes initieren, épatieren, kooperieren, speculieren,
demontieren, demonstrieren, definieren, applaudieren,
profilieren, arganisieren? Impossible de seulement faire un
tri grammatical entre les mots d'un naufrage. Voici charmant,
inakceptabel, Budget, Elite, sensible, repatriieren, engagieren,
Kontroverse, instrumentalisieren, Parole, dementieren, Äffäre,
reagieren, diffamieren, profitieren, debattieren, distancieren,
Rassismus, Intendant, konträr, tolerieren, konterkarieren,
ignorieren, stimulieren, etc - pour ne faire aboyer que
quelques monstres vocaux semés dans un article du Spiegel
du 25 août 2010. Seule la cécité dont toute la classe doctorale
allemande se trouve affectée et que Goethe dénonçait déjà permet
à la langue de Nietzsche et de Wagner de supprimer purement et
simplement les mots de tous les jours - ceux que chacun
prononçait "naturellement", comme disait Rabelais - pour leur
substituer tout soudainement le charabia d'un allemand qui vous
écorche la bouche et les oreilles, mais dont le salmigondis est
tenu pour indispensable à l'étalage d'un chic d'importation.
Tel est le champ
linguistique éclaté et impuissant qui exige de la géopolitique
qu'elle conquière le regard de l'extérieur sur l'espèce
européenne dont seule une simianthropologie critique sera en
mesure de proposer la problématique et la méthodologie.
6 -
Prolégomènes à la lecture du prêche de Barack Obama avant la
rencontre de l'OTAN à Lisbonne
Comme celle de
Rome autrefois, l'Eglise nouvelle du messianisme et de
l'ubiquité de la parole démocratique mondialisée présente sa
hiérarchie interne aux fidèles. Le parallélisme du vocabulaire,
textes en mains, entre les comportements politiques et
langagiers confondus des vassaux de l'OTAN et les attitudes
"civiques" des chimpanzés, telles que les découvertes les plus
récentes des simiologues nous les ont fait connaître, ce
parallélisme, dis-je, s'éclaire par l'observation sur le terrain
de la politique de la parole dont usent les trois dieux uniques,
tellement le discours de leur théologie générale est
préconstruit sur le cerveau du simianthrope dichotomisé.
L'unification du champ d'observation de l'anthropologie critique
exige une triple écoute, celle du mythe de la rédemption
démocratique américaine, celle de l'Eglise catholique et de son
clergé mi-temporel, mi-onirique, et enfin celle de l'observation
des hordes de nos ancêtres zoologiques. Ces trois voix nous
révèlent que notre espèce accepte de se soumettre à la
domination des empires établis et que ceux qui sont légitimés du
seul fait qu'ils occupent le terrain. La vassalité simiohumaine
de l'Europe est donc de nature psychobiologique; et c'est à ce
titre qu'elle exprime le régime de croisière des démocraties en
temps de paix.
Mais si l'empire américain se trouve accepté, compris et
applaudi sur le Vieux Continent du seul fait qu'il y règne,
comment se fait-il que M. Nicolas Sarkozy ignore son propre
assujettissement au mâle dominant de notre temps et à son
acolyte secret de Judée? Car il déclare le plus sincèrement du
monde, semble-t-il, qu'il appelle un chat un chat et l'Iran le
Lucifer nouveau. Il n'est pas de mauvaise fois quand il montre
du doigt le ciel et le Saint Père de la démocratie
israélo-américaine. Il ignore que le peuple hébreu a besoin d'un
épouvantail fabriqué de toutes pièces afin de légitimer son
expansion territoriale, il ignore que Washington a besoin de
recourir au même démon afin d'étendre son empire pseudo
messianique à tout l'univers, de sorte que les deux mâles en
lice s'intronisent l'un l'autre. Ou bien M. Nicolas Sarkozy est
un enfant de chœur, ou bien il illustre de Patanjali: "L'aveugle
n'est pas celui qui ne peut pas voir, l'aveugle est celui qui ne
veut pas voir".
On voit également
les conséquences à long terme de la réintégration précipitée de
la France dans le giron asservissant de l'OTAN. Mais si la piété
de M. Nicolas Sarkozy porte la défroque planétaire d'une
fantasmagorie para-religieuse dont le langage permet à l'empire
américain et à son complexe militaro-industriel d'étendre son
mythe impérial et sacré de Vancouver à Vladivostok, on voit
également que la politologie du XXIe siècle ne se rendra
scientifique que si elle conquiert un regard transzoologique sur
le chimpanzé vocalisé ; et puisque les clés de l'histoire de la
servitude se révèlent celles d'une simianthropologie critique
greffée depuis 1859 sur l'évolutionnisme, les vrais historiens
de la vassalisation de l'Europe ne surgiront de terre comme
champignons après la pluie que si le Vieux Continent devait
retrouver une autonomie psychique durable, tellement il est
impossible que l'esclave se connaisse lui-même au point de
porter avant l'heure un regard de l'extérieur sur l'esclavage
des civilisations - ce qui nous ramène à la question centrale de
savoir si la langue française peut devenir le véhicule de
l'émancipation future de la France . Car, pour l'instant, la
prégnance du religieux au cœur des langues allemande, anglaise,
italienne, espagnole, rend inaudible le discours exposé
ci-dessus. Comment la langue de Monta igne échappera-t-elle à la
rechute du genre simiohumain dans la prison du sacré?
7 - Le sacré, le sacrilège et la politique
Pour tenter de le comprendre, il faut psychanalyser le
parallélisme, ô combien saisissant, entre le discours du mâle
dominant chu du ciel des chrétiens et qu'on appelle Dieu et
celui du mâle dominant que la victoire de 1945 a placé à la tête
de la démocratie mondiale. Que dit le nouveau roi d'en haut? "Ce
week-end, à Lisbonne, j'aurai la fierté d'être venu à six
reprises en Europe en tant que Président." On voit que la
théologie du mâle placé au faîte de l'univers de la "liberté" ne
se distingue de l'alliance que la grâce du Dieu régnant sur le
cosmos conclut avec la sujétion des croyants à son autorité
qu'en ce que la piété des fidèles de la démocratie repose
désormais sur leur attachement viscéral à un chef
semi-terrestre. Mais dans les deux univers de la vassalité
consentie, la fidélité sert de compagnon à la foi depuis la
Genèse. C'est dire que le ciment de la cohésion
politique qui fonde la puissance et l'autorité du chef universel
de la croyance se confond avec le placement préalable du
néophyte sous le sceptre d'un souverain mondialisé.
Dans la bible
comme ici-bas, le mâle dominant proclame que sa gouvernance va
de soi et qu'elle se trouve donc validée sans examen et a
priori. Dans les deux catéchèses, le sacrilège serait
précisément de peser la validité de l'autorité dominante, dans
les deux catéchèses, on vante la solidité d'une maîtrise et
d'une prêtrise étroitement confondues. Le danger, pour toute
orthodoxie, est seulement de laisser apparaître au regard la
finalité temporelle qui l'inspire en réalité, donc les
véritables objectifs que les trous du manteau de son humilité
apparente révèlent aux regards. En l'espèce, il s'agit de
mobiliser l'ensemble des peuples et des nations contre un démon
aussi imaginaire que le précédent, afin d'étendre les armées de
la révolution démocratique jusqu'à l'Asie. Aux yeux du mâle
dominant comme du dieu, l'essentiel est toujours d'assurer le
chapeautage ecclésial de ses songes terrestres et sacrés
confondus. Or, la dissuasion nucléaire commençait de faire long
feu. On ne croyait plus à la possibilité théologique et pratique
de faire débarquer une foudre mécanisée sur une planète
détoisonnée depuis le paléolithique. Mais comment remplacer la
terreur apocalyptique stockée dans les arsenaux d'un mythe
obsolète par un bouclier aussi fantasmagorique que la
Révélation, alors qu'aucun ennemi en chair et en os ne saurait
faire défiler ses régiments sous les yeux des fidèles? Comment
empêcher que leur bréviaire leur tombe des mains?
8 - Comment ficeler l'autorité du ciel et
celle de la terre
C'est ici que le
psychisme théopolitique du chimpanzé en prièresactuel révèle la
pérennité de son enracinement psychogénétique dans la zoologie.
Nous savons maintenant que ce quadrumane pré-sacré se divisait
en hordes respectueuses de leur prie-Dieu respectifs, mais que
toutes se montraient vénératrices d'une horde qui les encerclait
et dont les apanages et le règne étaient tenus pour naturels.
Cette structure psychobiologique innée, donc immuable se
reproduit fidèlement dans le monde démocratique planétarisé
d'aujourd'hui : les membres de l'OTAN se traitent en égaux les
uns les autres et respectent leurs propres forces sur le
territoire de chacun, mais tous reconnaissent à titre viscéral
la suprématie de la parole dominante d'un maître de leur esprit
et de leur coeur.
Il n'y avait donc
pas de danger que l'Allemagne s'écriât soudainement : "Allez
vous-en, vous n'avez rien à faire en ces lieux, personne ne nous
menace et nous n'avons besoin de votre protection contre aucun
ennemi." Avant Lisbonne, Berlin acceptait d'emblée le subterfuge
théologique de remplacer une foudre devenue inexploitable par
une autre, non moins verbifique. Mais le France de M. Nicolas
Sarkozy n'était pas encline, elle non plus, à chasser le mâle
dominant - seule l'apparence d'autonomie que lui fournissait un
nucléaire inutilisable sur un champ de bataille inexistant
préoccupait ses gènes. Car le simianthrope juge théologiquement
indispensable au renforcement de son statut laudateur sur une
scène internationale ritualisée d'habiter le ciel des psaumes de
son époque. Aussi les deux vassaux de leur salut imaginaire ne
se sont-ils entendus entre eux qu'afin de protéger chacun le pré
carré de ses liturgies au sein de leur assujettissement commun
au langage pseudo séraphique de la rédemption démocratique.
Ecoutons le chef expliciter les prérogatives de son apostolat
sur le ton des grands sermonnaires: "Aucune autre région du
monde n'a avec les Etats-Unis un alignement aussi étroit de
valeurs, d'intérêts, de capacités et d'objectifs." Puis, le
bon pasteur brandit dans la foulée l'épouvantail des attentats
terroristes censés menacer "la sécurité de nos concitoyens".
La conclusion doctrinale tombe du haut de la chaire du
psalmiste: "Pour dire les choses simplement, nous sommes les
partenaires les plus proches les uns des autres."
A
l'image de l'apologétique catholique, aucun conflit interne à
l'Eglise ne doit opposer les cardinaux entre eux: le monde
entier est réputé une terre de mission des évêques de la
démocratie. Leur paroisse et leur diocèse concourt à la gloire
d'un souverain irénique du cosmos et des esprits. Il suffira
donc de constater que "ni l'Europe ni les Etats-Unis ne sont
en mesure de relever seuls les défis de notre époque" pour
légitimer saintement l'hégémonie pacificatrice d'un seul
prophète de la démocratie apostolique.
9 -
L'engagement, le sacrifice et la guerre
Puisque une confession de foi en armes se trouve intronisée au
profit d'un sceptre élu à l'unanimité de tous les presbytères
son unité doctrinale sera incontestée et sa houlette conduira le
genre humain au salut et à la délivrance par de sûrs chemins. Le
caractère agressif de l'autorité dont bénéficiera la horde
dominante se trouvera si bien légitimé qu'on mondialisera à peu
de frais l'ADN démocratique sur toute la terre habitée, ce qui
exigera non seulement une localisation précise de l'adversaire
du salut universel, mais un appel ardent aux guerriers de grande
taille, dont la stature exorcisera le fantasme des presbytères
censé présenter un enjeu bénédictionnel aux yeux de tous les
combattants de leur foi. "Notre coalition en Afghanistan se
compose de quarante huit pays, avec des contributions de la
totalité des vingt huit membres de l'OTAN ; et quarante mille
combattants sont déployés par nos alliés et partenaires, dont
nous saluons l'engagement et le sacrifice."
On voit que l'offrande de la croisade sur les autels de la
Liberté et celle de l'immolation pieusement démocratique se
confondent sur le même modèle théologique qu'autrefois, quand
les trois dieux uniques scellaient l' alliance de leurs armes
avec le vieil Homère sous les murs de Troie: maintenant, c'est
le ciel de la Liberté qui définit l'oblation désormais appelée "l'engagement
et le sacrifice"sur le champ de bataille du salut.
Naturellement, toute épopée sacrée se proclame charitable, toute
rédemption se déclare salvatrice de la cité de Priam: "Avec
l'arrivée de troupes supplémentaires de la coalition au cours
des deux dernières années, nous disposons enfin de la stratégie
et des moyens qui permettront de briser la dynamique des
talibans, de priver les insurgés de leurs bastions, de former
davantage de forces de sécurité afghanes et de venir en aide à
la population."
Tout envahisseur se veut secourable, tout conquérant se qualifie
de délivreur. C'est pourquoi le simianthrope est peu à peu
devenu un primate habile à feindre de partager la flotte de
Ménélas avec son double assermenté sur l'Olympe, c'est-à-dire
son Eglise. "Et alors que l'Amérique commencera de procéder à
une réduction de ses troupes en juillet 2011, l'OTAN pourra, à
l'exemple les Etats-Unis forger une collaboration durable avec
l'Afghanistan."
Mais Ilion n'est
pas prenable. Alors le roi des glaives élève sa cuirasse au rang
d'une autorité spirituelle et séparée en apparence de ses forces
sur la terre. A l'instar de Dieu, la démocratie mondiale rend sa
foi ambidextre sur la scène internationale, à l'instar de Dieu,
elle fait semblant de doter d'une autorité autonome une Eglise
gestionnaire de ses songes et de son sacrifice tout en saluant
en elle son propre corps terrestre devenu à la fois terrestre et
surréel, comme Dieu, elle proclame que son incarnation schizoïde
rendra sa parole consubstantielle à sa chair, donc présente en
tous lieux, ce qui rend omniscients son esprit et ses muscles
saintement mêlés.
On va exterminer physiquement les hérétiques et de ce pas, mais
sous la double armure des incarnés du ciel de la démocratie: "Tout
en modernisant nos forces conventionnelles, nous allons réformer
les structures de commandement de l'Alliance, nous allons les
rendre plus efficaces et plus opérationnelles, nous allons
consacrer des fonds à perfectionner nos armes et notre
technicité, nous allons coopérer ensemble de manière
performante, nous allons utiliser des armes nouvelles, afin de
combattre les menaces de cyber attaques. "Mais tout cet
arsenal est censé celui de l'esprit. On voit que le mythe de la
liberté politique reproduit point par point dans l'inconscient
le modèle le la substantification du verbe du ciel que l'Eglise
catholique a placé au fondement de sa théologie dogmatique.
C'est cette confusion de la parole sacrée avec les armes sur la
terre qui rend béatifiante la parole du prophète Barack Obama.
10 - La vassalisation béatifiante
La foi dûment caparaçonnée par la musculature d'un verbe de la
Liberté réputé transcendantal au monde exige maintenant une
stratégie du combat à la fois physique et théologique contre une
terreur aussi imaginaire que la précédente. L'enfer n'est plus
là pour alimenter le feu de l'épouvante sacrée. Remplaçons-la
d'urgence et à une échelle non moins planétaire qu'auparavant
par une menace fantaslagorique, celle que l'Iran tout seul
ferait désormais courir à toutes les nations séraphiques de la
terre si seulement il en venait à allonger la liste des
détenteurs de la foudre angéliquement suicidaire. Il est
significatif qu'il faille recourir aux services d'un autre dieu
unique que celui des chrétiens et des juifs, un certain Allah,
qui s'échinera à hisser sur la terre les chaudrons souterrains
de la torture: "Car tant que les armes nucléaires existent,
l'OTAN doit demeurer une alliance nucléaire. J'ai fait savoir
que les Etats-Unis maintiendront un arsenal atomique sûr, fiable
et efficace, donc capable de dissuader tout adversaire et de
protéger nos alliés."
Puis l'ambition du mâle souverain affiche sa dominance à
l'échelle planétaire: "Enfin, à Lisbonne, nous continuerons
de nous forger les collaborations internationales qui
contribueront à changer notre alliance en un pilier de la
sécurité mondiale au-delà des frontières de l'OTAN." Toutes
les autres forces se verront réduites au rang d' auxiliaires du
ciel du souverain: "Nous devons approfondir notre coopération
avec les organismes qui agissent en complément de la puissance
de l'OTAN, comme l'Union européenne, les Nations unies et
l'Organisation de coopération et de développement économiques."
Mais si l'Europe n'est jamais qu'un supplétif du ciel de la
démocratie, donc un vassal de l'Eglise qu'on appelle maintenant
l'OTAN, ce sera bien artificiellement qu'on distinguera les "Etats-Unis
et la Russie" d'un côté , "l'OTAN et la Russie" de
l'autre. Comment cette distinction apprêtée masquerait-elle
l'évidence que le Kremlin verra deux partenaires étroitement
confondus se dresser devant lui ? Ecoutons le mâle souverain sur
ce point: "Comme l'ont fait les Etats-Unis et la Russie,
l'OTAN et la Russie pourront donner un nouveau départ à leur
relation. A Lisbonne, nous pouvons expliquer clairement que
l'OTAN considère la Russie non comme un adversaire, mais comme
un partenaire."
Mais jamais un "partenaire" ne portera les galons du chef. On
voit clairement que la mondialisation benoîte de la démocratie
dirigeante sert à cacher qu'il existera un maître vertueux de la
planète que ses malheureux collaborateurs ne sont jamais que de
pieux subordonnés de l'eschatologie souveraine et béatifiante. "Depuis
plus de six décennies, Européens et Américains se serrent les
coudes, car notre travail en commun sert nos intérêts et protège
les libertés chères à nos sociétés démocratiques." Le Dieu
nouveau est devenu un fervent égalisateur; mais comme l'ancien,
il n'égalise jamais que ses sujets devant sa face.
11 - Le sacrilège du siècle
Pour comprendre
l'avenir intellectuel que cette mythologie politique ouvre à la
langue et à la l'intelligence françaises, il faut prendre la
mesure de l'avance cérébrale que se donnerait la langue de
Montaigne et de Voltaire si elle prenait conscience de la
singularité trans-animale qui, pour l'instant, lui fait habiter
en solitaire, et sans doute pour longtemps encore, l'univers le
plus démythifié et le plus transreligieux de la planète de la
philosophie. Aucune autre nation ne dispose d'un terreau vocal
aussi approprié à l'approfondissement de la connaissance
anthropologique du cerveau et du psychisme du genre simiohumain.
Le champ que la France transchrétienne ouvre à la réflexion
méthodique sur la nature de la raison et de la pensée propres au
singe vocalisé est immense du seul fait que l'espace à défricher
se trouve d'ores et déjà largement débroussaillé des chardons et
des ronces qui contraignent encore les philosophes et les
anthropologues du monde entier à se colleter dans un combat
inégal avec l'idole de l'endroit, ce qui leur interdit de jamais
porter un regard de haut et de loin sur le genre simiohumain en
tant que tel, tandis que le pays de Descartes jouit de la
liberté d'esprit extraordinaire de se consacrer entièrement à
l'examen de la question centrale, celle qui demeure cachée sous
les théologies doctrinales, celle qui appelle une enquête
psychobiologique, celle dont le territoire nouveau à labourer se
révèle illimité. Quels sont les arcanes psychogénétiques de la
politique et de l'histoire du singe onirique dont le
fonctionnement est le même que celui du personnage fantastique
qui se promène sous l'os frontal des semi évadés de la nuit
animale et qu'on appelle Dieu?
Deux siècles après L'Essai sur l'entendement humain
de David Hume, nous n'avons rien appris du fonctionnement
politique du ciel et de son couplage avec la boîte osseuse de
notre espèce. Comment se fait-il que non seulement la raison
française ne se soit pas engouffrée dans la brèche grande
ouverte par la loi de 1905, mais qu'au contraire, elle ait
régressé jusqu'à légitimer intellectuellement toutes les
mythologies religieuses entre lesquelles le globe terrestre se
partage encore? Pourquoi les sciences simiohumaines se
permettent-elles de faire exister à la fois dans les
têtes et dans le vide de l'immensité des acteurs célestes que
notre culture reconnaît pourtant et , dans le même temps, pour
des personnages mentaux dont il faudrait situer la spécificité
quelque part entre les don Quichotte ou les Gulliver, d'un côté,
et les nations en tant que telles de l'autre.
Mais à l'heure où
des analyses de la stratégie théologique de la politique
démocratique américaine débarquent dans les sciences dites
humaines, le champ anthropologique ouvert à la philosophie
française s'en trouve à la fois bouleversé et fécondé ; et sans
doute fallait-il que l'Europe fût vassalisée et humiliée par le
ciel du Nouveau Monde pour que l'anthropologie scientifique
découvrît que "Dieu" est un personnage politique des pieds à la
tête et que toute théologie doit se trouver décryptée à l'école
de Machiavel. Jamais la raison du XVIIIe siècle français
n'aurait pu accéder à ce champ d'analyse, tellement la pensée de
l'époque se trouvait dans la situation qui interdit encore de
nos jours aux philosophes étrangers de spectrographier les
documents simiohumains qu'on appelle des théologies.
Le nouveau Discours de la méthode de la France
cartésienne nous apprend que M. Barack Obama et l'OTAN
messianisé au profit du ciel américain sont des personnages
historiques et qu'il a manqué aux Hume, aux Locke, aux Diderot,
aux Voltaire, mais aussi à Freud et à toute l'anthropologie
moderne un accès rationnel aux secrets politiques de l'animal
condamné par son encéphale schizoïde à se donner des compagnons,
des interlocuteurs et des vassalisateurs qui dédoublent sa
propre effigie dans le vide de l'immensité.
Le recul effrayé
de l'intelligence mondiale devant la fécondité d'un défrichage
de l'empire de la parole onirique démontre que seul l'accès de
notre espèce à la vaillance et au tragique du labourage français
de la condition semi animale de notre espèce permettra de
décrypter la panique d'entrailles inscrite dans le capital
psychogénétique du singe rendu semi pensant à l'école des
millénaires. Il appartiendra aux fils et aux petits-fils de
Montaigne et de Descartes de faire passer la charrue du futur
"Connais-toi" sur les pas des premiers perceurs de murailles que
furent Darwin, Freud et Einstein.
12 - Une langue post-chrétienne
Mais en quoi la langue française est-elle mieux armée que
l'allemand, l'italien ou l'espagnol pour entrer dans l'immense
empire du socratisme de demain? Pour le comprendre, il faut
revenir à l'exemple de la civilisation romaine, qui s'est laissé
éduquer à l'école de la Grèce, alors qu'Athènes avait enfanté un
univers psychique et mental étranger à l'esprit des légions et
qu'aucune civilisation ne retrouvera plus, celui d'une joie
portée par les thrènes mélancoliques de la mort acceptée et
chantée. L'adage grec: "Les dieux font mourir jeunes ceux
qu'ils aiment" résume une allégresse tragique que la langue
post chrétienne qu'on appelle le français pourra partiellement
retrouver.
A l'image de la
langue de Platon, le français des philosophes ne croit ni aux
Etats, ni aux gouvernements, ni aux autels, ni aux idéologies, à
l'école du grec réfléchi, le français pensant croit à l'éclat
d'un monde souverainement illuminé par la pensée critique. Notre
langue est née logicienne; sa clarté, sa transparence, son
rythme et surtout sa rigueur sont ceux de la dialectique. Un
soleil de la lucidité traverse ses branches. Aucun autre
instrument linguistique de l'Europe ne répondra aux attentes
d'une planète assoiffée de retrouver, avec sa liberté
intellectuelle d'autrefois, l'universalité des conquêtes
raisonnées de l'intelligence.
C'est dire que le
retard même qu'a pris la philosophie française la sert
désormais: si le Vieux Continent ne se remettait pas à l'écoute
de la pensée grecque qui savait que la flatterie religieuse est
le dernier subterfuge dévot sous lequel la peur des dieux tente
de se cacher, il resterait encore que seule notre langue connaît
l'audace discrète de s'élever au feu intérieur qui l'éclaire et
qui rend à la fois panoptique et riche de sa retenue son regard
acéré sur l'Olympe. La chute même de la démocratie mondiale dans
la pieuse confusion d'esprit où le ciel américain l'a entraînée
lui montrera le chemin de son ascension vers sa clarté.
Mais pourquoi le
feu de la langue des sacrilèges est-il devenu à ce point
vacillant, sinon parce que la dissection au scalpel du document
cérébral qu'on appelle le monothéisme ne trouverait pas
d'éditeur dans un monde tombé en genoux devant les simples
cultures? Au XVIIIe siècle, il fallait lire Voltaire ou Diderot
si vous vouliez tenir en main le couteau de la pensée du monde.
Aujourd'hui, la nouvelle chance chirurgicale de la langue
ennemie des prières l'appelle à effiler son tranchant. Son
avenir passe par les épéistes du tragique de la liberté. Malraux
évoquait la "lance pensive" d'Athéna. Aujourd'hui cette lance-là
redonnera à une France menacée de se voir livrée à nouveaux
frais aux trois Jupiter de la planète la chance autrefois
accordée à la Grèce de faire de l'histoire proprement cérébrale
de notre espèce le cœur de sa destinée. Seule une anthropologie
profanatrice servira de fontaine d'Aréthuse à la connaissance
rationnelle de la semi animalité de notre espèce, seule
l'initiation à la psychanalyse du tartuffisme du "Dieu" des
chimpanzés permettra, trois siècles et demi après Molière, de
retrouver le chemin de l'intelligence française.
Mais la véritable source de la vie spirituelle des civilisations
n'est autre que la hauteur morale à laquelle l' intelligence
supérieure de la raison politique en appelle. Comment se fait-il
que l'évangéliste et le prophète de la planète de la Liberté et
de la Justice n'ait rien dit de la morale des démocraties à
Gaza? C'est l'alliance de l'immoralité avec la sottise politique
qui permet à l'empire américain de répandre sur la planète les
vapeurs d'un messianisme asphyxiant, d'une sotériologie creuse,
d'une rédemption truquée et d'un salut auquel des vocables
universels et vides servent de ciboires et d'eucharistie, pour
rester dans le vocabulaire théologique oublié dont la
simianthropologie critique aura besoin pour se faire comprendre
du monde de demain.
13 - Les théologiens de l'inexistence de
Dieu
Quel triomphe du Dieu américain que le blocus de Gaza où quinze
cent mille simianthropes agonisent à l'écoute des psaumes et des
patenôtres de la démocratie mondiale, quels feux de la rampe que
ceux des saints dont les idéalités meurtrières enfument les
autels de la Liberté et de la Justice! La focalisation de
l'attention des spectateurs sur la forge et l'enclume des
carnages séraphiques auxquels se livrent les ex-quadrumanes à
fourrure nous permettra-t-elle de surmonter l'obstacle de la
multiplication de leurs langues. Le cœur épuisé de l'éthique du
monde recommencera-t-il de défier l'airain de l'histoire?
Le hiatus que les
décadences font paraître entre l'étroitesse des dévotions et
l'immensité de la question morale à résoudre désarme les
cerveaux et les plumes. Shakespeare disposait encore d'un cosmos
à sa mesure: l'arène monarchique lui fournissait à foison des
personnages de cirque dont le sceptre permettait au dramaturge
de faire débarquer sur les planches les mimes du ciel des
tortures. Mais aujourd'hui, c'est le globe terrestre qu'il faut
faire monter sur l'autel des sacrifices où les squelettes de
Macbeth ou du roi Lear piétinent d'impatience. Si Dieu et
Lucifer bondissaient de conserve sur la scène de l'Europe
polyphonique des messies de la démocratie américaine et s'ils
poussaient la civilisation mondiale l'épée dans les reins afin
qu'elle apprenne à se colleter avec une seule éthique, celle de
l'intelligence, à quelle race de "théologiens" faudrait-il
apprendre à faire battre le cœur de la France?
Jusqu'à présent, les apprentis du ciel des marmites de la foi
vous peignaient un Dieu catapulté dans l'immensité par les
canons de l'espace et du temps euclidiens. Décidément, il faudra
mettre la main sur des "théologiens" du troisième type, qui
consacreront leurs forces à traiter de l'inexistence du Dieu des
autels et des ciboires de la démocratie. Ceux-là se cacheront
dans le dos des idoles, ceux-là feront monter sur les planches,
non plus des dieux de bois, de pierre ou d'airain, mais nos
totems du langage. Décidément, les "théologiens" de la
démocratie dont l'élan ferait monter les artificiers du Dieu des
singes sur le théâtre du monde conduiraient l'Europe
désencapsulée à boire à la source d'une haute absence.
La semaine
prochaine, une pesée anthropologique du conflit du Moyen Orient
nous fera progresser encore de quelques pas dans la spéléologie
d'un animal théologique.
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