Les Défis de l'Europe
La République et
les enjeux intellectuels de l'histoire
Première lettre ouverte au Président de
la République
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 28 octobre
2012
Introduction
La France
inaugurera-t-elle l'ère des démocraties
dont les rois élus se voudront informés
de la marche du monde de la pensée?
Henri IV riait des prodiges physiques
censés se produire sur l'autel du
christianisme romain, mais il disait que
Paris valait bien une messe, François
1er aurait voulu accueillir Erasme au
collège de France et son règne demeure
intimement lié aux retrouvailles de
notre astéroïde avec les Lettres et les
arts d'un monde englouti, Louis XIII
brillait par son absence de l'arène des
intelligences, Louis XIV essayait de
protéger Molière sans
"irriter les
dévots" et
la France lui doit son siècle immortel,
Louis XV n'a pas protégé les Voltaire et
les Diderot, Louis XVI s'est montré un
serrurier mal averti des ressorts de
l'âge des Lumières, mais il a retiré la
torture du code pénal, ce qui était
méritoire au sein d'une espèce dont le
salut éternel découlait de la torture à
mort d'un innocent, Louis XVIII a
redonné son tribunal de la Très Sainte
Inquisition au peuple de la guillotine,
Charles X a découvert à ses dépens que
la sainte ampoule avait déserté la boîte
osseuse des glorificateurs d'une
crucifixion payante, Louis-Philippe a
dormi à poings fermés de 1830 à 1848, la
classe dirigeante de 1905 a tenté de
séparer la raison politique de la raison
religieuse, mais en gardienne de la
chèvre et du chou, le XXIe siècle a
salué dans un silence et une
indifférence universels des belles âmes,
le retour triomphal de la torture
judiciaire dans la plus grande
démocratie de la mappemonde. Les
présidents de la Ve République se
montreront-ils instruits des enjeux
moraux qui sous-tendent l'histoire du
cerveau politique des évadés de la
zoologie ou bien se montreront-ils de
simples connaisseurs de la culture
superficielle que dispense une éducation
nationale à fleur d'eau?
L'humanisme officiel se trouve à un
tournant vertigineux de son destin
philosophique parmi les squales qui
rôdent dans les grandes profondeurs.
Demeurerons-nous les récitants de
l'histoire de notre encéphale dans
l'Eden des démocraties ou bien des
cambrioleurs audacieux perceront-ils les
secrets sanglants de nos temples?
La Grèce mourante n'a envoyé que ses
sophistes sur les routes de l'empire
romain fatigué, les Trajan, les Hadrien,
les Marc-Aurèle ont vainement tenté
d'éduquer la conque sommitale d'une
humanité au bord du gouffre - l'Europe
quittera-t-elle à son tour l'arène de
l'histoire sur la pointe des pieds ou
bien son agonie fécondera-t-elle la
civilisation de la raison?
Les lettres qui suivent poseront la
question de savoir quelle place le
Président actuel de la République
occupera dans l'histoire de nos coffres
cérébraux.
1 -
Bref plaidoyer
pour un genre littéraire
Monsieur le Président,
La lettre
ouverte n'est pas un artifice littéraire
cousu de fil blanc et qui permettrait à
un auteur astucieux de faire lire
discrètement à un lecteur imaginaire le
véritable contenu d'une lettre
aimablement truquée pour la galerie;
vous savez qu'il s'agit d'une invention
dont l'usage remonte à Pline le jeune,
Sénèque, Erasme, Voltaire, qui
entendaient élever leurs lecteurs au
rang d'interlocuteurs éminents de leurs
sacrilèges . Aussi les Lettres
persanes ou les Lettres
provinciales nous invitent-elles
à lire par-dessus l'épaule d'un
épistolier de haut vol et à nous laisser
convaincre par un argumenteur et un
bretteur redoutables, mais déguisés en
guerriers patelins et de tout repos.
Aussi est-ce en raison de ma faiblesse
d'esprit que j'appelle à mon secours les
plus illustres duellistes fictifs
d'autrefois. Ma minusculité a besoin de
prendre appui sur toute leur autorité
pour vous entretenir des relations
diplomatiques que les Etats
d'aujourd'hui devront nécessairement
apprendre à entretenir avec les récits
théologiques redoutables ou endormis des
ancêtres. Car avant la fin de l'année,
la question de l'ambiguïté du statut des
cosmologies mythiques et de leurs
déflagrations atomiques se placera au
cœur des relations que la France
entretiendra avec, la Russie, l'Iran, la
Chine, l'Afrique, l'Inde et l'Amérique
du Sud au chapitre de la pesée du
séraphisme démocratique américain dont
les Jésuites étendront l'apostolat
jusqu'aux frontières de l'ex-empire des
tsars. On sait également que
l'évangélisme tonitruant et tempétueux
du Nouveau Monde empruntera la voix d'un
bouclier anti missiles décoré de la
croix des pacificateurs armés jusqu'aux
dents et que les dialecticiens les plus
effilés du mythe universel de la Liberté
vassaliseront l'Europe les armes les
plus aiguisées à la main, mais le plus
saintement du monde et au prix d'une
mise hors jeu souriante de la bombe
atomique de nos derniers d'Artagnan.
Vous voyez, Monsieur le Président,
qu'une politique française benoîte et
qui se priverait des épées de nos
mousquetaires se rendrait sourde et
muette et que ma minusculité a besoin de
la caution d'un genre littéraire
explosif, lequel avait conquis ses
titres de noblesse à croiser le fer avec
l'histoire sanglante du monde.
2 - Les
moulins à prière de la démocratie
Par
bonheur les aimables Lettres de
mon moulin seront également de
la partie ; car votre destin vous
appelle à faire tourner paisiblement les
ailes du moulin qu'on appelle une
nation. Ici encore, Monsieur le
Président, il ne serait pas respectueux
à l'égard d'un lecteur de votre rang de
jouer avec des métaphores amusées. Le
moulin à prières des dévots de la
Liberté mérite mieux que cela, car
l'usage évangélique que l'Amérique
entend faire du mythe de la souveraineté
de ses vassaux annonce des ouragans.
Savez-vous que, tout au long de votre
quinquennat actuel et du suivant, le
bouclier anti-missile américain placera
la spectrographie anthropologique des
théologies au cœur de la pensée
philosophique mondiale? Ce n'est pas
rien de jeter tout le poids des vertus
démocratiques et de la piété politique
des modernes dans l'arène d'un empire du
salut, ce n'est pas rien de doper les
prie-Dieu de la démocratie à l'uranium
enrichi, ce n'est pas rien de faire
boire le nectar de la paix et
l'ambroisie de la rédemption aux croisés
de la sainteté démocratique. Vous
trouverez-vous ballotté entre les
Richard cœur de lion des justiciers
d'outre-Atlantique et un rationalisme
français à bout de souffle ou bien vous
initierez-vous au cogito que l'école de
Paris élabore depuis une décennie sous
nos yeux? Les philosophes régénérateurs
d'une République en panne mettront votre
présidence à la rude épreuve de leur
discipline, mais votre traversée de la
passe entre Charybde et Scylla permettra
aux juges posthumes de votre politique
étrangère d'allumer la lanterne du
président et des membres du tribunal
international qu'on appelle la
postérité. Observons donc de plus près
le fléau et les plateaux de la balance à
peser les vivants et les morts.
3 -
L'anthropologie philosophique et la
pesée des Etats
Une rencontre inespérée se prépare entre
l'évolution dont bénéficie la réflexion
socratique de notre siècle dans le monde
entier et les premiers pas de la
politologie moderne; et cette rencontre
sera tellement prometteuse qu'elle
élèvera la science diplomatique et la
philosophie de l'histoire au rang d'un
rendez-vous décisif de la France de la
pensée avec les lents progrès de la
raison universelle.
Je m'explique: vous savez que le XVIIIe
était déjà omniprésent du temps de
Bossuet et de Fénelon et que les
Voltaire et les Diderot n'ont fait que
projeter les découvertes des philosophes
de la fin du XVIIe siècle sur l'écran
géant de la politique internationale.
Mais la classe politique de l'époque
n'en a rien su. Les historiens de demain
se demanderont ce que la classe
politique française savait sous vos
quinquennats des découvertes de l'Ecole
de Paris.
Cette question rejoint à toutes jambes
celle de la pesée du contenu
anthropologique de la politique
étrangère de la France et de sa
rationalité philosophique. Car la
simianthropologie anglo-saxonne est
entrée avant nous dans la postérité que
Darwin et Freud se partagent; et elle a
commencé d'appliquer sa connaissance
expérimentale des songes sacrés à
l'interprétation de la politique et de
l'histoire de l'humanité. L'une des
applications les plus récentes de leurs
découvertes, Monsieur le Président,
s'est trouvée spectaculairement
confirmée à Chicago le 20 mai 2012, à
l'heure où l'Europe des esclaves de
l'Amérique d'un côté et la France de la
gauche mitterrandienne et de la droite
chiraquienne de l'autre ont accepté d'un
même élan et d'un seul cœur, donc en
aveugles et à l'unanimité, le principe
de l'installation aux frontières de la
Russie d'un bouclier antimissiles du
Nouveau Monde. Que pensez-vous, M. le
Président de la charge caritative et
apostolique de cette foudre? Vous savez
que tout empire ne poursuit d'autre
finalité que d'étendre la puissance de
ses armes et de ses ciboires. Que
devient le mythe de la Liberté
démocratique dont les trois monothéismes
se nourrissent quand le sceptre d'un
grand Etat s'en empare et s'en fait
l'instrument de son expansion militaire
et confessionnelle à l'échelle de la
planète?
Comme
vous le savez, M. Barack Obama a
rappelé, le 15 septembre 2012, que la
présence de l'Amérique dans le monde
est la clé de la domination de ses armes
et de son commandement parareligieux
confondus - "leadership" - et que, pour
cette raison, ses légions ne quitteront
jamais le territoire des nations
qu'elles occupent depuis trois quarts de
siècle. Quelle est votre philosophie du
terme de présence appliqué à un
bouclier anti-missiles dont la vocation
n'est pas militaire à proprement parler,
mais qui prend place dans le vocabulaire
de la présence idéologique et
guerrière du mythe démocratique sur les
cinq continents? Si vous ne devenez un
anthropologue de la présence
psycho-cérébrale de la théologie de la
Liberté et de ses épées, je crains que
votre politologie ne devienne une
science anté-copernicienne des glaives
et du sang.
4 - L'âge
ptolémaïque de la politologie
Il me semble que les progrès accomplis
depuis 2001 dans notre connaissance
rationnelle des paramètres théologiques
et politiques étroitement mêlés qui
pilotent la boîte osseuse des demi
évadés de la zoologie ne soient pas
suffisamment connus et encore moins
assimilés au sein des Etats
démocratiques. Mais au cours des
soixante-dix ans du règne exclusif de la
sotériologie marxiste, la classe
politique russe n'a pas davantage
progressé que la France des notables
depuis la loi de séparation de l'Eglise
et de l'Etat en 1905. Vous remarquerez
en outre que le Kremlin s'indigne avec
une naïveté désarmante de la progression
des armes de guerre américaines en
Europe, comme s'il s'agissait d'une
menace militaire de type napoléonien ou
bismarckien, alors qu'une religion ne
s'avance jamais en porteuse ostensible
de pancartes d'un modèle macédonien,
mais par le biais de l'implantation
insidieuse, subreptice et faussement
pacificatrice de son mythe dans les
têtes et dans les cœurs.
Connaissez-vous la fascination
parareligieuse que le mythe de la
Liberté exerce sur les neurones d'un
genre simiohumain demeuré puéril? Vous
remarquerez également que la Maison
Blanche ne saurait enseigner crûment la
stratégie du salut politique de
l'humanité qui inspire ses pas sur toute
la terre. Il n'est même pas certain que
la sotériologie biblique soit pleinement
consciente d'elle-même dans l'encéphale
de l'élite de la nation américaine. Mais
si vous ne connaissez pas les arcanes
instinctuels de l'inconscient
messianique du genre humain, je crains
qu'une physique ptolémaïque ne piège et
n'embrume la Frane .
5 - Le retard
de l'anthropologie politique française
Pour comprendre la réfutation des
sotériologies doctrinales d'autrefois,
il faut que vous sachiez, Monsieur le
Président, que depuis le XVIIIe siècle -
j'y reviens - l'évasion des Etats
rationnels du carcan de l'ère religieuse
de la politique s'est révélée le centre
stratégique de la pensée mondiale. Mais
les bénéfices de l'expulsion du
christianisme confessionnel du champ de
la philosophie vivante se sont révélés
fort inégalement répartis entre les
peuples latins et les nations
protestantes. La France de la raison a
manqué une étape décisive de sa
libération de l'âge des mythes sacrés et
cela au point que la rationalité
cartésienne de la nation s'est rétrécie
et que le tranchant originel dont elle
était porteuse s'est émoussé dans le
déisme affadi des siècles suivants - et
notamment dans celui du siècle des
Lumières lui-même.
C'était gaspiller les forces vives de la
raison française que de rejeter
seulement les prodiges grossiers et
absurdes qui ponctuent le rituel du
trafic catholique des hosties et
notamment le cérémonial des magiciens de
la messe. On exténue les intelligences
d'avant-garde à réfuter la vaine
sorcellerie d'une transsubstantiation du
pain et du vin de l'autel en chair et en
sang dont se nourrissaient les
sacrifices des âges primitifs, on perd
son temps à porter l' attention des
cerveaux prometteurs à réfuter
l'apparition d'une hémoglobine miraculée
sur les offertoires, alors qu'il fallait
se demander pourquoi ce prodige se situe
au cœur d'une liturgie des sacrifices
sanglants et pourquoi une gestuelle
immolatoire de ce genre trouve sa place
dans une histoire universelle du sang et
de la mort.
Mais l'esprit
critique que la raison allume dans les
intelligences en herbe s'est tellement
épuisé à ridiculiser une thaumaturgie
stupéfactoire que, depuis 1905, le
nouveau pain bénit, celui que la laïcité
française fait monter dans le four de la
République - pour nous retrouver en 1905
- l'esprit critique, dis-je, n'a fait
qu'étouffer davantage les promesses
anthropologiques et l'humanisme
prospectif des Voltaire et des Diderot;
et la France qui, depuis Montaigne, se
plaçait à la tête des combats de la
pensée mondiale n'a pu tenir son rang
dans la conquête d'une connaissance
abyssale de l'inconscient simiohumain
qui régit la politique, para religieuse
des démocraties autoangélisées. Qu'en
est-il des tractations masquées de nos
idéalités vertueuses avec le sang
eschatologisé des autels? Sachez,
Monsieur le Président que, par nature et
par définition, les sacrificateurs ont
vocation de rendre séraphiques les
meurtres cultuels dont leurs
propitiatoires croient présenter
l'offrande effective à leurs idoles.
Mais pourquoi les idéaux de 1789 ont-ils
basculé dans une phraséologie du salut
politique dont une Liberté abstraite est
devenue le verbe délivreur?
Qu'adviendra-t-il d'un vocabulaire
messianique décorporé, d'une
eschatologie démocratique invertébrée et
d'une annonciation rédemptrice héritée
de la théologie chrétienne de la
rédemption et qui s'est transvasée dans
la sotériologie verbifique américaine -
celle que guide une grâce désormais
totémisée sous la bannière de l' empire
à la bannière étoilée?
6 - L'éducation
intellectuelle de la classe politique
français
Monsieur
le Président, si vous ne deveniez un
simianthropologue averti et si vous ne
scanniez la géopolitique pseudo
apostolique de notre siècle, je crains
que ne se creuse le même fossé entre la
culture politique officielle de notre
classe dirigeante, d'un côté et
l'avant-garde d'une analyse critique des
démocraties messianisées de l'autre, le
même fossé, dis-je, qu'au XVIe siècle
entre une Sorbonne ardente à défendre
l'immolation physique des chrétiens,
d'une part, et les premiers philologues
humanistes, d'autre part, qui
commençaient d'observer les tributs
sanglants que les dieux simplistes
demandent aux humains d'acquitter sur
leurs étals.
Savez-vous qu'une poignée
d'anthropologues anglo-saxons ont tout
de suite compris que la démocratie
pseudo irénique que l'Amérique a placée
sous sa bannière servira d'étendard
planétaire à une eschatologie
idéocratique empruntée au vieux mythe du
salut et de la rédemption? Dès le XVIe
siècle, le calvinisme a su se fonder sur
une annonciation tellement décorporée de
la délivrance de type monothéiste
qu'elle a permis au protestantisme
genevois de rejeter aussi bien
l'autorité doctrinale qu'évoquait la
hiérarchie ecclésiale romaine que le
fétichisme du sang sacré élaboré par des
siècles de scolastique catholique.
Du coup
l'esprit scientifique et philosophique
du Nouveau Monde a pu bénéficier de
l'avantage politique de se libérer des
simulacres et des gesticulations
bénédictionnelles liées aux immolations
en chair et en os sur les offertoires.
Vous savez que la théologie romaine du
sang physique des victimes avait
retrouvé et renforcé les rituels
réalistes des augures antiques et que le
rationalisme politique protestant a pu
s'engager dans la brèche grande ouverte
d'une anthropologie critique; et vous
savez que cette anthropologie est
ambitieuse de comprendre pourquoi,
depuis des millénaires, une espèce
terrorisée par le ciel des
sacrificateurs se domicilie dans des
mondes à la fois sanglants et
euphoriques.
Monsieur
le Président, le XXIe siècle accèdera à
une profondeur de la connaissance
anthropologique des mythes
crucificateurs qui bouleversera les
naïvetés de la politologie pseudo
pacifiante des démocraties. Si vous ne
participez de cette seconde Renaissance,
vous perpétuerez la candeur
intellectuelle de la classe dirigeante
actuelle de la France.
La semaine prochaine, je vous parlerai
de l'Europe asservie aux autels de la
démocratie américaine et des sacrifices
de sang aux idéalités; et je commencerai
de vous initier à la dissection des
idoles du langage.
Reçu de l'auteur
pour publication
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