Pour une réflexion mondiale sur la morale
L'Islam, l'Occident
et l'éthique (suite)
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Lundi 26 octobre 2009
Introduction
1 - Supplique
à un cadavre
Je demande au lecteur de bien
vouloir relire la brève introduction qui précédait la semaine
dernière mon autopsie d'un cadavre, celui du droit international
public. J'y traitais succinctement du problème anthropologique
que posera à la philosophie et à la politologie de demain la
nécessité de fonder un Etat palestinien pleinement légitimable
aux yeux d'un droit des nations demeuré fidèle à sa logique
interne, alors qu'un tel exploit ne se révèlera réalisable qu'au
prix d'une succession d'opérations chirurgicales désespérées sur
le corps agonisant de cette discipline.
-
L'Islam,
l'Occident et l'éthique
, 19 octobre 2009
Comment couronner
une dépouille mortelle des lauriers attachés à la définition
même de la notion de loi, comment consulter un oracle défunt,
comment hisser sur le piédestal de la science des lois un
envahisseur dont le butin aura été amassé tout au long d'une
guerre d'extermination de soixante-dix ans?
Jamais aucun juriste ne demeurera digne
des principes qui commandent son savoir si la démocratie
mondiale en vient à valider une contrefaçon de la religion de la
Liberté dont bénéficient tous les peuples de la terre, celle de
"disposer d'eux-mêmes",
comme on dit, puisque, dans le même temps, on demandera à un
peuple estropié dès le berceau et qu'on aura porté à demi mort
sur les fonts baptismaux de sa servitude, de valider lui-même à
haute et intelligible voix la fausse liberté dont les
démocraties auront enrubanné leurs glaives
coram
populis totius mundi.
Comment introniser avec solennité dans le temple de la Justice -
qu'on appelle le " droit des gens
", des "
gentes ",
autrement dit des nations - l'armée innombrable des fils, des
petits fils et des arrière-petits-fils d'un massacre bien
résolus à demander de génération en génération et jusqu'à la fin
des temps des comptes cruels et sanglants aux auteurs du carnage
de leurs ancêtres? Quel linceul découpé sur mesure, pour la
civilisation trépassée des "droits
de l'homme", que la bénédiction par
les conscience universelle d'un conquérant vengeur.
Cette difficulté
n'est pas moins insurmontable en bonne et saine logique
juridique que la réfutation du théorème de Pythagore au sein de
la logique d'Euclide. Mais comment y ajouter l'inscription sur
les stèles de la justice divine et humaine de la sainte
expulsion par la force des armes des propriétaires du sol de
leurs aïeux, comment y ajouter le sacrilège de couronner les
épées de la tiare des démocraties d'Attila, comment béatifier
l'assaillant jusqu'à l'absoudre de parquer les vaincus dans des
camps de concentration en plein air?
2 - Une
stratégie théologique
La droite
israélienne, elle, a compris depuis des décennies que la planète
actuelle a pris un tel retard spirituel qu'elle ne dispose
aucunement et ne disposera plus jamais des prémisses d'une
philosophie politique qui l'autoriserait à théoriser la
glorification à retardement d'un rapt planifié et d'un génocide.
C'est dire que, de son côté, l'Occident civilisé ne sauverait en
rien l'embryon de cohérence mentale d'une civilisation du droit
qu'il avait péniblement élaborée au cours de deux millénaires
s'il se ralliait, en désespoir de cause, à l'argumentation
piteuse des théologiens du feu et du glaive selon lesquels la
Palestine occupée aurait été remise en mains propres aux
lointains ascendants de l'envahisseur par les soins d'une
divinité locale qui n'y allait pas de main morte, comme il
aurait été consigné par les scribes de l'époque.
Quel désastre que
le monde actuel soit tombé dans une ignorance si profonde qu'il
a désappris à sacraliser a posteriori les guerres de conquête
les plus barbares! Comment conduire maintenant la civilisation
mondiale à un chaos cérébral de cette ampleur? Et si ce naufrage
demeurait à notre portée et n'attirait l'attention de personne,
comment éviter qu'il se révèle irréparable entre les pattes de
nos descendants? L'Etat hébreu se trouve donc empêché de mener à
bien l'entreprise titanesque de ressusciter, puis de rendre
crédibles sur le long terme, des raisonnements mythologiques qui
n'y allaient pas par quatre chemins, mais que le monde entier a
oubliés. Comment contraindre une civilisation qui a perdu la
main à régresser vers les mentalités pieuses dont les cultes de
l'Antiquité nourrissaient l'ardeur, alors que le temps presse et
que l'heure de la chute du rideau approche à grands pas?
Non seulement la
vocation morale qui inspire l'éthique les lois place désormais
nos malheureuses démocraties des sarcophages du droit en
première ligne, mais personne, sur toute la terre habitée, n'est
plus armé de pied en cap pour monter l'arme au poing sur le
front de la justice des guerriers et pour noyer la conscience
morale de l'humanité dans le bain de sang des vainqueurs; et
comme il est exclu de légaliser à nouveaux frais une guerre des
dieux que les peuples primitifs avaient grossièrement codifiée,
l'expansionnisme militaire et biblique d'Israël conduira
fatalement quelques esprits rebelles à approfondir
l'anthropologie superficielle des sauvages. Notre science des
barbares est demeurée une infirme en fauteuil roulant. A nous
d'élever cette discipline à la hauteur d'un vrai savoir.
3 - La panne
philosophique de l'Occident
Pourquoi la
discipline dangereuse qu'on appelle le droit international
public s'est-elle si craintivement arrêtée en chemin ? Pourquoi
n'a-t-elle même pas progressé jusqu'à radiographier notre espèce
à une profondeur suffisante pour rendre du moins intelligible le
fractionnement qui la fissure et qui brise les rodomontades
auxquelles elle se livre sous la cuirasse de ses vaillants
idéaux ? Pourquoi la dichotomie qui aveugle nos idéalités
évangéliques depuis vingt-cinq siècles les a-t-elle rendues
incapables de scanner la psychophysiologie commune aux deux
carnassiers vocalisés, le biblique ensanglanté et l'idéocratique
bipolarisé, dont la piété frappe d'estoc et de taille l'armée
des hérétiques? Nous voudrions apprendre à observer en
laboratoire la sainteté au couteau entre les dents dont la
vocation trompe les démocraties de la "Liberté"
et la sainteté des théologiens du fer et du feu de Jahvé, le
grand biphasé de sa Justice Il existe fatalement un messianisme
commun aux deux types de boîtes osseuses qui nous pilotent,
puisque les démocraties adoratrices de leurs idéalités acérées
se livrent, elles aussi à la scissiparité cérébrale que tous les
semi évadés de la zoologie se partagent.
L'Occident
autrefois en route vers les conquêtes de la pensée logique
souffre désormais d'une carence philosophique et anthropologique
à double face et qui bloque sa progression. L'une résulte de la
panne cérébrale dans laquelle l'Europe est tombée d'elle-même,
l'autre découle de l'impossibilité de trouver au sein du Hamas
des penseurs en mesure de comprendre l'ampleur du défi que le
déhanchement existentiel et cérébral de la raison occidentale
est appelé à relever.
4 - L'aile
marchante d'Allah
Le Fatah ne sera jamais que le
pétainisme transitoire d'un Islam corrompu; mais si l'aile
marchante d'Allah est à Gaza, le cœur du "Connais-toi" de demain
n'a pas commencé de battre à Téhéran, au Caire, à Alger, à
Tunis, à Rabat, à Lahore, à Kaboul, à Damas, à Beyrouth, à
Bagdad. Deux mythes d'origine biblique, l'hébreu et le
coranique, se disputent la Judée, tandis que l'Occident des
héritiers de Darwin et de Freud n'a pas encore forgé les armes
de la pensée scientifique et critique qui substitueront le
courage et la solitude d'une éthique universelle aux gentils
moralisateurs que la Renaissance érasmienne nous a mis sur les
bras. Le XXIe siècle sera appelé à armer l'humanisme de demain
d'une éthique transcendante aussi bien aux théologies
pouponnières du salut et à l'évangélisme dorloteur dont se
bercent nos concepts pseudo rédempteurs qu'aux principes
mitonneurs de 1789 qui ont donné un essor angélique fallacieux à
la planète, alors que la morale universelle qui nous attend sera
celle de l'héroïsme de notre abandon dans l'immensité. Qui
étions-nous quand nous nous accrochions aux basques de nos
dieux? Toutes nos idoles nous ont plantés-là - il va falloir
enseigner à notre vaillance à se colleter joyeusement avec le
silence.
J'ai tenté de tracer quelques
modestes sentiers dans ces broussailles et ces ronces, puis de
les aligner dans l'ordre provisoire et imparfait d'une ébauche.
Suis-je du moins parvenu à mettre en lumière l'évidence que
l'avenir de l'Europe méditante attend le réveil intellectuel de
l'Islam?
1 - Encore Socrate
2 - Peut-on ancrer la
vraie morale politique dans une autopsie du langage simiohumain
?
3 - L'individu et sa parole
4 - Les " lourds fardeaux sur
les épaules d'autrui "
5 - Une ontologie de la
dérobade
6 - Le dieu des fuyards
7 - Le réveil intellectuel de
l'Islam
8 - La foi et la politique
9 - " Au mystique
inconnu, ses ressusciteurs reconnaissants "
10 - Qu'est-ce que changer
d'échiquier ?
1 - Encore Socrate
Dès ses premiers
pas dans les ruelles d'Athènes, la philosophie occidentale a
négligé les suffrages de la masse, parce que le vrai savoir,
disait Socrate, ne saurait porter sur l'énumération stérile des
ingrédients de l'ignorance la plus banale, celle que la
multitude sème sur son chemin comme le petit Poucet ses
cailloux, mais seulement sur les ressorts universels de
l'ignorance et de la sottise des doctes, qui ignorent l'origine
et la nature psychogénétiques de l'ignorance qui leur est propre
et qui se la cachent en toute candeur sous les apprêts mêmes de
leur fausse science. Car leur croyance les persuade qu'ils sont
devenus fort savants à l'école des sortilèges de l'abstrait et
des prestiges de leur rhétorique.
Pour inaugurer un combat intellectuel fécond
entre l'Islam de demain et l'enclos de l'Occident demeuré debout
dans l'arène de la pensée socratique - combat qui porterait sur
l'animalité propre à l'humanité, donc inconsciente d'elle-même -
les gladiateurs futurs, que nous appellerons des
philosophes-anthropologues, traiteront de la psychologie et de
la psychophysiologie qui caractérisent l'ignorance que sécrète
en toute innocence une pensée vulgarisée d'avance à l'école
d'une catéchèse publique , et cela aussi bien au cœur de la
théorisation finaliste et candidement pastorale des sciences
exactes qu'au plus profond des doctrines religieuses proprement
dites. Ces deux ignorances ignorent qu'elles sont viscéralement
bâties sur les preuves d'une compréhensibilité du monde
naïvement contaminée par les présupposés de la raison
juridico-civique.
C'est pourquoi, dès l'origine, le socratisme refuse non
seulement de valider l'opinion populaire, donc la vérité
politique dictée par l'ignorance des foules, mais, comme il est
dit plus haut, par l'ignorance sûre de son savoir que professent
les élites de la connaissance; c'est pourquoi également, et dès
l'origine, l'ascèse drastique attachée à l'usage rigoureux de la
logique et de la dialectique repose sur un déchiffrage de la
mauvaise foi insoupçonnée des bénéficiaires de leur ignorance -
celle qui pilote les savoirs rares et supérieurs. Car ceux-là se
révèlent d'autant plus leurrés qu'ils se sont libérés des faux
témoignages des sens, comme dans le géocentrisme, par exemple;
et ce sont les démonstrations impeccables et savantissimes dont
s'arme "l'erreur utile" comme dira Nietzsche qui les
trompe maintenant à leur servir d'appui en sous-main. C'est
ainsi que l'héliocentrisme se fonde sur la croyance avantageuse
en l'universalité de l'espace et en l'incontamination du
mouvement par le temps.
2 -
Peut-on ancrer la vraie morale politique dans une autopsie du
langage simiohumain ?
Mais c'est de bonne foi, je le repète, que l'erreur de type
scientifique s'inspire de raisonnements impeccables en apparence
et subrepticement profitables. Le décryptage des leurres que la
sincérité des doctes enfante en catimini requiert une
psychanalyse des illusions les plus universelles, celles sur
lesquelles le sens commun croit prendre un solide appui. La
raison dite "naturelle" a vocation de nous tromper
précisément de "réussir" à tous coups et à merveille,
mais dans un univers réduit à trois dimensions, donc illusoire
par définition. Hélas, la perversion masquée par l'usage est
indispensable à la survie d'une espèce bâillonnée de naissance.
Puisque les rêves payants que la raison utilitaire sécrète à
partir du fonctionnement inné qui pilote la pratique
simiohumaine de la "vérité", puisque ces rêves, dis-je,
sont construits d'avance sur le type de signifiants profitables
que le travail humain sécrète nécessairement dans les
imaginations, nous ne saurions porter remède à nos infirmités
cérébrales natives sans appeler à notre secours les cerveaux
rarissimes que nous qualifierons de "distanciateurs",
parce qu'ils regardent de loin les contrefaçons que forge la
parole outillée et forgée par la constance de ses performances.
Dans le Théétète, par exemple, il est démontré que le
concept, qu'on appelait encore l'idée, est incapable, en raison
de la candeur même qui a présidé à sa construction, de saisir un
objet quelconque en tant que singulier, donc dans sa
spécificité. Le nez camus de Théétète échappe obstinément à la
notion vague de "nez camus", qui est enfantine de se
trouver réduite à une universalité vaporisée par le sonore.
Mais voici que la solitude humaine vient se loger au cœur de la
parole et qu'elle commence de nous enseigner une morale dont
l'universalité reposera sur le courage de la pensée. Comment la
réflexion sur l'abandon de notre espèce dans l'immensité
va-t-elle se loger au cœur de notre langage? Pour tenter de le
comprendre, demandons-nous-nous pourquoi la critique socratique
de l'universalité pseudo oraculaire que charrie la loquacité
trompeuse de l'abstrait a nourri tout le Moyen Age occidental,
qui s'est divisé entre les reales, d'une part, dont
l'immoralité intellectuelle leur faisait croire qu'une capture
globale et approximative du monde par l'intercession du
vocabulaire de tous les jours rendait les mots les plus courants
riches d'un contenu divin et les nominales, d'autre part,
qui valorisaient la richesse solitaire qu'ils attribuaient
d'instinct à la capture du singulier, mais qui découvraient que
l'individu est indéchiffrable, donc mystérieux et désespérément
insaisissable. Le concept d'humanité n'était qu'un squelette
privé de l'élévation d'une véritable éthique en regard de
Socrate, ce spécimen irréductible non seulement à sa pseudo
dénomination par la parole socialisée, mais à son existence dans
un univers propre à l'esprit. Une morale à la fois universelle
et solitaire va-t-elle trouver son fondement dans l'analyse
anthropologique d'une problématique de la déréliction qui se
serait introduite à notre insu dans la "querelle des
universaux", comme on disait avec des accents jubilatoires
dans un camp et affligés dans l'autre?
3 -
L'individu et sa parole
L'islam ignore encore les promesses philosophiques d'une
dénonciation drastique de la liquéfaction immorale de l'individu
à laquelle préside le langage hyper conceptualisé et hyper
socialisé du singe savant, alors que cette critique remonte
pourtant au XIIe siècle. On sait que la démonstration de la
pauvreté morale des concepts généralisateurs les plus courants,
donc vidés d'avance de leur contenu "socratique" par la
routine et l'usage, la critique de cette pauvreté, dis-je, a
donné leur assise et leur élan ultérieurs, d'Abélard à Bergson,
Sartre, Husserl, Heidegger, à tous les existentialismes
désacralisateurs de l'abstrait. Leur finalité n'est autre que de
réhabiliter un sujet de conscience antérieur au temps spatialisé
sur le cadran des horloges, disait Bergson. L'individu branché
sur les "données immédiates de la conscience" demeure
énigmatique, tandis que les idéologies et les théologies portent
le concept d'individu sur les tréteaux qui le blasonnent.
En
ce sens, l'humanisme chrétien d'aujourd'hui se trouve coincé
entre l'Eden pavoisé des démocraties niveleuses et l'enfer
concentrationnaire des religions de la torture dans lesquelles
une divinité vengeresse précipite ses fidèles à titre posthume.
Les deux faces des récits fantasmagoriques d'une création du
monde scindée entre l'éternité de ses paradis et celle de sa
géhenne enracinent les idoles simiohumaines dans un univers
tantôt carcéral et tantôt béatifié. Mais l'une et l'autre face
du mythe en disent long sur l'inconscient politique qui
télécommande une politique d'élimination subreptice de
l'individu en tant que tel au profit du collectif sacralisé et
angélisé par ses idéaux, et cela par le double canal de son
asservissement à un langage non moins bénisseur dans la
civilisation dite de la "Liberté démocratique" que dans
la foi religieuse.
Le
vocabulaire à la fois volatilisateur et salvifique qui sous-tend
les sociétés auto messianisées par le grégarisme de leur
sainteté falsifiée les livre à une auto-conceptualisation
effrénée de leur vocabulaire prétendument "rédempteur".
Le quartier général de toute la politique des idéalités pseudo
séraphiques des modernes n'est autre qu'un langage vitrifié par
sa pseudo purification idéologique. Comment fonder une morale
réellement élévatoire sur une apothéose du collectif ?
Gaza servira de chantier à une anthropologie de la solitude
morale: on ne voit ni les fidèles de l'Allah des sunnites, ni
ceux de l'Allah des chiites apporter, le Coran sous le bras, la
parole du salut aux affamés; on ne voit ni les chrétiens de Rome
ni ceux de Genève pliant sur le faix de la croix et des vivres
qu'ils apporteraient d'un irrésistible élan à une population
livrée à un blocus sanglant ; on ne voit pas les partis de
gauche arborer des banderoles sur lesquelles les mots Liberté,
Egalité, Fraternité auraient été gravés en lettres d'or.
Peut-être les trois dieux uniques ont-ils rempli leurs fours de
leur "pain de vie"; mais leurs adorateurs ne s'empressent
pas à l'apporter aux affamés. Où se cache-t-elle, l'assise
collective de la morale universelle si son courage s'appuie sur
des armées de moutons miraculés par une grâce impuissante ?
Quelle opportunité que Gaza offre au monde entier le spectacle
des idoles aux bras croisés des modernes, quelle chance que
l'agonie d'une population sous le bouclier de Brennus des
idéalités de la démocratie et des ciboires des Eglises rappelle
aux habitants de Gaza qu'ils sont seuls sur cette terre et qu'il
leur appartient d'imposer leur éthique du courage au silence et
au vide de l'éternité. Comment le tribunal de la solitude de
l'éthique et de son courage propre ne siègerait-il pas au cœur
du débat philosophique sur le langage des singes cérébralisés ?
4 - Les "
lourds fardeaux sur les épaules d'autrui "
J'ai déjà dit que la critique des cosmologies sacrées trouve sa
source dans un nominalisme qui a germé au XIIe siècle , mais que
le contenu de la notion simiohumaine de "signification"
n'avait pas trouvé son assise dans un débat mondial sur les
fondements de la morale, ni le débat mondial sur la morale son
assise dans une dissection du langage socialisé par sa
conversion à l'abstrait, ni la réflexion mondiale sur l'abstrait
son assise dans une anthropologie du totalitarisme grégarisé. Et
pourtant, toute politique et toute histoire sont placées sous la
férule d'un état-major de la parole massifiée. Mais, entre
l'immoralité dans laquelle baigne le mythe des saintes tortures
dont l'idole se lèche les babines et l'immoralité dont se
repaissent les idéalités narcissiques des humains, la
philosophie occidentale n'est-elle pas devenue un personnage de
théâtre ? Qu'en est-il des chairs et des ombres sur la scène de
la politique internationale?
Nous cherchons le trésor du fondement
universel d'un courage érémitique, celui d'une morale hautement
solitaire et qui partirait en guerre contre l'immoralité
vaporisée et sonorisée des idéologies et des théologies.
Autrement dit, si le devoir de délégitimer l'immoralité des
concepts vidés de tout contenu individuel saisissable par un
effet de l'universalité désertifiée de leur énonciation, si
cette délégitimation en appelle à un existentialisme islamique,
alors que l'islam est demeuré une pastorale, une catéchèse et
une mystique collectives, non une quête fondée sur la traque et
l'analyse des enjeux existentiels auxquels le vocabulaire
simiohumain sert de théâtre, comment l'Occident demeuré
authentiquement socratique se mettra-t-il il en mesure de bâtir
une éthique héroïquement fondée sur l'autopsie des formulations
universelles, donc absentifiantes à la fausse lumière desquelles
le singe semi réflexif se révèle un Ponce Pilate oscillant entre
ses substantifs muets et ses généralités niveleuses?
Gaza deviendra le laboratoire de la réflexion mondiale de demain
sur l'éthique, parce que ce camp de concentration privé de
toiture, donc visible du haut des airs, réfute à lui seul la
sotte croyance simiohumaine selon laquelle un discours proclamé
objectif à l'école de l'éloquence publique porterait sur
des substances et véhiculerait physiquement un sens absolu ou
relatif du monde. Le mythe langagier fondateur de l'Occident
appelle une radiographie des médiations vocales que charrie un
vocabulaire miraculé par les prestiges que son rythme exerce sur
ses propres locuteurs, puisque son auto-bercement vaniteux rend
le cosmos magiquement "parlant".
Mais les mystiques chrétiens n'ont pas su alimenter la quête
spirituelle de l'Europe, qui s'est seulement nourrie d'un "non-savoir"
réputé purificateur par lui-même et demeuré inerte faute
d'anthropologie critique de l'immoralité gravée dans le langage
simiohumain. Un Nicolas de Cues, par exemple, refusera de mettre
"de lourds fardeaux sur les épaules d'autrui", comme dit
l'épître de saint Pierre. Que se serait-il passé si les saints
d'un gibet prometteur avaient scanné la parole qui scelle la
dérobade originelle devant lui-même de l'animal devenu
spéculaire sous le joug du social et qui s'est placé sur la
défensive à se donner un "Dieu" aussi narcissique que
lui-même? Que serait-il arrivé si cette dérobade originelle de
la "créature" face à la solitude tragique de son éthique
dans le vide de l'immensité trouvait sa source dans la pesanteur
socialisée des idéalités forgées par le langage spéculaire des
fuyards dont la planète entière offre à Gaza une métropole pour
témoin?
Ce
serait donc l'abstrait qui mettrait sur les "épaules d'autrui"
le bât des idéalités faussement pieuses dont se nourrit le culte
des "droits de l'homme". Voyez ces angelots voleter en
essaims serrés dans le ciel de Gaza; voyez comme la politique
angélique des modernes a retrouvé un usage subrepticement
cultuel des idéalités réputées prometteuses à l'échelle
planétaire. Nous serions-nous enfin placés, à force d'observer
l'abcès de fixation des séraphins volant à tire-d'aile dans le
ciel de Gaza, sur le chemin d'une quête des sources
anthropologiques d'une éthique du courage solitaire, d'une
éthique délivrée, de ce fait, du cancer de l'universalité creuse
et contrefaite que forgent nos concepts gangrenés par leur ciel?
Ici encore, Gaza retentit des chœurs d'une morale de la dérobade
ecclésiale et démocratique lourde de son viatique viscéralement
sacerdotal. Mais, en décembre, une marche silencieuse du monde
sur Gaza réveillera la réflexion trans-zoologique sur l'éthique.
5 - Une
ontologie de la dérobade
La
critique de la parole simiohumaine qui conduirait à la
désacralisation des éthiques de confection, nous en retrouvons
le filon dans la mystique de la "nuit de l'entendement"
d'un saint Jean de la Croix, qui fustige les abstractions
faussement généreuses pour s'inspirer intuitivement, mais avec
constance, de la purification socratique du langage.
Demandons-nous donc où nous conduira un déshabillage
systématique du discours vaniteux des démocraties et de
l'universalité musicalisée qui lui sert de piédestal intérieur.
Première tentative d'une réponse: il nous faut apprendre à
spectrographier l'idole en son miroir flatteur à elle, donc en
tant qu'elle se révèle la championne du monde du langage de la
dérobade dans le spéculaire; car elle s'enveloppe jusqu'à la
caricature dans les vêtements diaprés de sa propre "belle âme".
L'anthropologie critique revisite la démolition demeurée bancale
et partielle chez les mystiques occidentaux du langage
auto-glorificateur de l'idole. Certes, ils méprisent l'éloquence
retentissante de la chaire, ils tournent même résolument le dos
à cet apprentissage. Mais leur foi en une divinité qu'ils
extériorisaient encore candidement présentait le mérite de ne
chercher qu'une seule "vérité", celle qui démasquerait la
"super belle âme" d'une idole naïvement vaniteuse, parce
que fabriquée sur le modèle du narcissisme cosmologique de
l'Ancien Testament. Pourquoi n'ont-ils pas trouvé le terrain
d'un scannage cruel du narcissisme divin? Parce que cette
découverte les aurait conduits à une spectrographie impie de la
politique d'un Créateur ensauvagé. Pour l'instant le silence des
monastères nous cache encore les secrets des idoles.
Mais regardez bien comment Israël a su se confectionner un dieu
cuirassé et casqué, voyez comment Israël sait guerroyer sous le
heaume et la cuirasse de Jahvé. Les deux autres dieux uniques se
dérobent. Allah berce ses fidèles à leur administrer
l'anesthésiant du fatalisme, le dieu du gibet demande à sa
créature de tendre l'autre joue à ses gifleurs et de se clouer
sur la potence du monde, le dieu de la Liberté musicalise dans
le ciel de Gaza les vaines promesses de son langage en miroir,
mais tous ces faux dieux se drapent dans leur "belle âme"
et se dérobent, tandis qu'Israël endosse la cotte de mailles de
son dieu des guerriers. Sachez que ce dieu-là ne fait pas de
quartier.
6 - Le
Dieu des fuyards
C'est pourquoi nous allons apprendre à mieux nous regarder dans
le miroir de nos idoles, c'est pourquoi nous allons nous placer
progressivement dans le dos de nos dieux de fuyards. Alors
seulement nous serons un peu mieux informés des ressorts
divinisés ou idéalisés de notre politique et de notre histoire à
Gaza. Car l'interrogation anthropologique sur la "quête"
monastique manquée d'une catharsis qui se serait rendue
résolument translangagière et sur laquelle toute la spiritualité
occidentale aurait dû se fonder porte néanmoins et souvent à son
corps défendant sur la seule question décisive, celle de savoir
si la "vie élévatoire" que nous attribuons à l'
intelligence véritable des Etats et à leur grandeur propre
s'enracinera dans une mise à nu suffisamment décapante du
vocabulaire falsifié du sacré dont use le singe auto-réfléchi
dans son miroir aux idéalités.
Quand nous disposerons d' une simianthropologie réellement
scientifique et critique, nous tenterons de radiographier
l'immoralité abyssale qui procède à nos mises en scène
théologiques du cosmos; et nous verrons comment ces
orchestrations rutilantes et retentissantes s'alimentent de la
charité contrefaite du culte que les démocraties actuelles du "salut"
rendent au vocable "Liberté" dans le ciel de Gaza. Qu'en
est-il de la barbarie originelle du singe piégé par son langage
de la dérobade? Qu'en est-il d'une compréhensibilité
spécularisée et trompeuse du monde extérieur si le narcissisme
caché de nos théorisations scientifiques de l'univers s'enracine
à son tour dans des concepts finalisés à notre usage et dans des
abstractions mythifiées par notre politique? Voyez le ridicule
de supposer que le "compréhensible" dûment
pré-conceptualisé par une idole serait remis entre nos mains par
les bons soins d'un ciel plein d'attentions à notre égard.
Quelle est l'identité secrète du personnage cosmique que nous
appelons "Dieu"? Pourquoi ce charlatan du cosmos se
présente-t-il en redresseur de son propre vocabulaire, alors
même qu'il veille jalousement à cacher la plus grande partie des
farces et attrapes que contient le colis faussement généreux de
son langage?
Il
est torve, le regard que le Zeus des modernes jette au troupeau
qu'il condamne à vagabonder entre un hameçon verbal et une
rôtissoire censée se trouver alimentée par un feu inextinguible
sous la terre. Il faudra donc tenter de greffer la "justice
divine" de l'islam du Coran et de l'Occident chrétien sur la
postérité spirituelle d'une critique anthropologique de la
parole simiohumaine que profère "Dieu" en personne; puis,
cette ascèse iconoclaste, il faudra l'articuler avec notre
histoire réelle, celle qu'enregistrent nos horloges, donc la
greffer sur l'histoire inscrite sur le cadran de la Palestine;
car c'est dans le sang que les aiguilles de fer de nos faux
ciels gravent l'histoire du camp de concentration du Dieu
verbifique des démocraties; et cette idole porte sur les fonts
baptismaux de sa "Liberté" et de sa "Justice" une parole
faussement dévote - celle des "belles âmes" dont les
offrandes ne sont que des concepts vides de sens.
7 - Le
réveil intellectuel de l'Islam
Les masses musulmanes se sont mises en route sur le chemin d'un
sûr réveil de leur cervelle. Voyez comme elles progressent à
grands pas dans l'autopsie de l'idole politique que l'Occident
est devenu à lui-même ! Elles observent le crucifié nouveau,
celui qui agonise sur le gibet de la sainteté verbifique du
monde: l'Israël des carnages demandera demain que la
colonisation reprenne de plus belle en Cisjordanie, et cela à
titre de "récompense" pour la proclamation de l'existence
tout idéale, donc fallacieuse, d'un Etat palestinien
prétendument "souverain". Comment se fait-il que ses
frontières seront aussi flottantes que les concepts aléatoires
de Liberté et de Justice? Voyez-les observer la loupe à l'oeil
les ex-votos de la religion des "droits de l'homme" :
leurs autels, disent-elles, servent de bancs d'essai au ciel des
tortures auxquelles les juifs et les chrétiens s'exerceraient de
conserve.
Il est d'ores et
déjà évident, répètent-elles, que les gouvernements des Etats
arabes s'imaginent qu'ils étoufferont dans l'œuf l'Islam de la
lucidité socratique qui a commencé de germer dans l'âme des
fidèles du Coran. Mais elles savent que la logique de la
Torpille en a vu d'autres: il est clair, disent les Socrate de
l'Islam, que les artifices d'un droit international faisandé
seront réfutés sur l'agora où la potence des démocraties a
dressé ses prie-Dieu. Il est également évident, répètent-elles,
que le conceptualisme dont se nourrit le narcissisme politique
des modernes fera rire les Socrate qu'attend le monde islamique
tout entier.
Certes, le Fatah est prêt à signer un accord
mortuaire avec le Caïn enrubanné des banderoles dont l'Occident
s'enveloppe. Mais les foules musulmanes se sont éveillées; et
leur anthropologie critique fait ses premiers pas dans le
scannage de la parole simiohumaine. Voici qu'elles prennent des
clichés du Dieu séraphique des modernes - la Démocratie
vassalisatrice; voici qu'elles se rendent à la morgue en
photographes d'une Liberté et d'une Justice embaumées et
parfumées dans le suaire des idéalités. Il est sur pellicule, le
cadavre malodorant de leur langage. Bientôt le monde musulman
cessera de sauter à pieds joints par-dessus le siècle de
Voltaire, puis de Darwin, puis d'Einstein pour se mettre à
l'école des saintes profanations du Mystique Inconnu.
8 - La foi
et la politique
Entrons avec courage dans une cruauté intellectuelle fière de
son recul socratique - celle qui regarderait avec des yeux
nouveaux une espèce délivrée de ses idoles; observons le "conflit
du Moyen Orient" avec les yeux distanciateurs des dieux
morts. Pour tenter de comprendre de quelle justice la morale de
demain se voudra la servante, il faut se demander en tout
premier lieu pourquoi l'homme à la ciguë a refusé de condamner à
mort les généraux athéniens pourtant victorieux à la bataille
navale des Iles Arginuses . Quel était leur forfait religieux?
Athéna n'est-elle pas la déesse de la guerre et leur vaillance
méritait-elle le poison mortel? Mais il leur était reproché
d'avoir poursuivi l'ennemi vaincu au lieu d'enterrer leurs
morts. Au nom de quelle éthique tétanisante ce crime
empoisonnait-il leur victoire militaire? C'est que le devoir
éminemment "moral", donc tenu pour hautement rationnel
des amiraux de l'époque à l'égard des morts en haute mer
résultait logiquement de la croyance de tout le monde antique
selon laquelle les cadavres privés de sépulture étaient
condamnées à la torture d'errer éternellement dans l'Hadès, de
sorte que si les malheureux trépassés au champ d'honneur se
trouvaient ensuite livrés par leur propre patrie à un sort aussi
cruel que misérable, comment Athènes formerait-elle de
génération en génération des patriotes casqués par Athéna "à
la lance pensive", comme l'écrit superbement André Malraux?
On voit, à ce
seul exemple, que la piété civique et la morale guerrière sont
les clés de la raison torturante entendue au sens militaire de
ce terme. Mais ce ne sera pas à l'aide des modestes moyens du
bord dont disposent les petits capitaines de la raison pratique
que l'on disqualifiera une éthique prisonnière de la geôle des
cités :il faudra observer le sceptre que brandit une divinité
ritualisée hier par une potence, aujourd'hui, par un culte
narcissique et faussement dévot de la Liberté, de l'Egalité et
de la Fraternité!
Quelle éthique Socrate a-t-il donc élue et qui seule lui a
permis d'absoudre les généraux athéniens coupables d' "impiété"?
Comment se fait-il que, depuis vingt siècles, l'impie qui
livrait les morts à des tourments éternels rayonne de tous ses
feux dans le vide de son éternité? Comment se fait-il que
l'éclat de sa lumière féconde de siècle en siècle le courage de
la philosophie ? Serait-ce le miel de son intelligence
que Socrate aurait emportée dans sa mort?
9 - "Au
mystique inconnu, ses ressusciteurs reconnaissants"
Demandons
maintenant à Socrate de quelle clarté d'esprit et de jugement
les peuples arabes devront s'éclairer. A celle qui leur
permettra de clouer l'immoralité des trois idoles issues de la
religion du Livre sur la croix des crucifiés de l'intelligence à
venir de l'humanité. Quelle sera la première de leurs
profanations ? Celle qui les éclairera, comme il est dit plus
haut, sur les secrets anthropologiques du faux génie des
idéalités vaporeuses, celle qui leur apprendra que les concepts
mirifiques sont les miroirs aux alouettes de la politique et
qu'ils n'accouchent jamais que d'Etats morts-nés. Les Socrate de
Mohammad diront aux Palestiniens : "L'Occident gonflé du vent de
ses idéalités ne sera jamais qu'un accoucheur d'Etats-cadavres
au sein de l'Islam. Ne le laissez pas mettre un concept d'Etat
palestinien au monde, ne laissez pas l'Occident accoucher d' un
mort parmi vous."
Certes, toute cité simiohumaine, dit Socrate, commence par
mettre les saints blasphèmes que profère la pensée critique au
service des divinités ensorcelées par l'obésité de leur langage
et béatifiées par la piété même dont leurs tueries font un
étalage dévot . C'est pourquoi, aux yeux de l'homme à la ciguë,
l'islam a besoin d'initier l'Occident à une pensée et à une
pédagogie étrangères aux pavanes de la semi raison des
démocraties. Notre civilisation s'est arrêtée en route; elle
attend le réveil spirituel de l'islam de demain. Mais tant que
les peuples du Coran croiront dur comme fer qu'il leur suffira
de rendre de plus en plus performante dans son ordre l'espèce de
"raison" bancale et déhanchée de l'Occident, ils se
verront conduits comme par la main vers un avenir faussement
libérateur. On ne construit pas l'intelligence véritable de
l'humanité sur les crics et les ressorts d'une raison
ventralisée, on ne répond pas aux questions éthiques que le
drame palestinien pose à l'anthropologie socratique si "Messire
Gaster" conduit seulement les masses musulmanes à remplir la
panse vide de la "démocratie idéale" à Gaza.
La
morale transzoologique demande conjointement àla philosophie
occidentale et à l'islam pensant de demain de se lancer ensemble
sur la trace du "pain de l'esprit" des mystiques
des deux religions. Certes, leur idole extériorisée les leurrait
encore; mais déjà leur vaillance enflammait la solitude de leur
combat spirituel. Un athéisme dépossédé des totems de la foi
écrit l'avenir de la sainteté. C'est lui qui décryptera les
ultimes secrets de la psychobiologie d'un animal qui se cache
encore à lui-même l'animalité spécifique qui l'inspire; c'est
lui qui dénoncera les pavois rutilants des démocraties au
langage faussement vivifiant; c'est lui qui filmera la bête qui,
depuis des millénaires "faisait l'ange" à l'école de son
langage de prédateur.
Pour tenter d'entrer dans cette éthique, nous nous mettrons
encore et encore à l'école du laboratoire de la torture en plein
air que nous offre le blocus de Gaza; car jamais nous ne
retrouverons un champ d'expérience plus instructif des crimes
séraphiques qui font l'animalité propre à l'espèce scindée par
son langage entre ses crimes et ses séraphins. Ah ! si les
saints savaient quel regard le silence porte sur le langage
simiohumain, si l'Occident savait de quels yeux le silence des
saints de l'islam regarde le sceptre angélique et cruel du dieu
Démocratie!
Platon raconte qu'à la bataille de Potidée,
Socrate avait plongé l'armée grecque tout entière dans
l'étonnement à demeurer debout et méditant de l'aube au
couchant. De quelle éthique ce silence était-il habité?
Aujourd'hui encore, si le monde entier observait seulement une
minute de silence pour Gaza, l'histoire du monde en serait
changée, tellement le silence dénude et éclaire le monde,
tellement le silence dit le courage solitaire de l'éthique.
Si nous voulons
engranger un jour la moisson spirituelle des mystiques du
silence, il nous faudra apprendre à observer les entrailles des
trois idoles vocalisées et spécialisées dans la torture. Comment
le trio de nos faux dieux se réfléchit-il dans le miroir de la
civilisation du Livre, comment toute la politique du monde
refuse-t-elle encore de se regarder et de se reconnaître dans ce
miroir-là?
C'est que le courage spirituel qui remplira
l'âme et l'esprit des futurs soldats du silence et du vide
servira d'enclume de son destin au futur Etat palestinien; et ce
courage-là de la nation fera de Gaza le creuset de la conscience
morale de l'humanité de demain.
10 -
Qu'est-ce que changer d'échiquier ?
Si le courage de l'intelligence est le miel
et le feu des vivants, le silence du néant et du vide nous
conduira à un nouveau théâtre de l'histoire. Le premier
personnage qui se rendra observable sur cette scène ne sera
autre que le Dieu schizoïde de l'Occident. On le verra choir
tout d'une pièce du ciel sur la terre: on le verra s'y briser en
deux tronçons, l'un abstrait, manipulateur et habile à déposer
le fardeau du concept sur les épaules de sa créature. Et
l'autre?
Pourquoi le
cadavre de l'idole se fait-il offrir de la chair et du sang sur
ses autels ? Pourquoi le monstre au sceptre mort se fait-il
patelin et angélique à souhait? Et l'autre œil, où est-il? On
cherche le nouveau globe oculaire de l'humanité, celui qui
cessera de regarder notre espèce avec les yeux du Dieu des
singes. Alors Gaza portera son regard sur l'idole meurtrière que
la démocratie est à elle-même, alors Gaza brillera comme un
astre socratique dans le ciel de l'esprit, alors l' œil de Gaza
sera celui qu'illuminera un autre savoir, une autre
intelligence, un autre courage. N'est-ce pas sur la rétine de
cet autre œil que le peuple palestinien se réfléchit maintenant?
Décidément, la
vraie morale du monde de demain se gardera bien de faire
bourdonner la fausse immortalité des trépassés en haute mer,
décidément l'abeille socratique ne mettra pas le peuple
palestinien à l'école des prières de la démocratie, décidément
Socrate ne cajolera pas son éternité dans le miroir où Athènes
mitonnait ses morts. Le vrai courage de Socrate se changera en
pain de l'esprit à Gaza.
Mais peut-être fallait-il que le peuple palestinien descendît
dans sa mort afin de ressusciter dans une éternité qui
lui serait propre. Socrate prend son vol au crépuscule des
peuples et des nations. Puisse le crépuscule de la pensée
européenne apprendre à déguster le miel de l'islam à Gaza,
puisse le crépuscule de la pensée européenne saluer, dans les
ruines de Gaza, le berceau de l'islam pensif de demain.
Publié le 26
octobre 2009 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
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