Regards sur le Proche et le Moyen Orient
Quelques
suggestions philosophiques aux
penseurs d'un islam en marche
Manuel de
Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 26 janvier
2013
"Interroger les
grands philosophes, c'est transformer
les questions qu'on leur pose en
instruments d'approfondissement de la
connaissance du genre humain."
Jaspers
1 -
La pensée et son
chemin
Votre
responsabilité intellectuelle est
immense. Non seulement le monde
musulman, mais la terre entière attend
de votre capacité d'approfondir la
connaissance rationnelle du genre humain
la fécondation décisive d'une seconde
Renaissance. Le fardeau qui pèse sur vos
épaules est tellement pesant que vous
avez besoin de poser les jalons des "grands
commençants", comme disait Husserl.
Depuis quarante ans, j'en ai expérimenté
la fiabilité à ma très modeste échelle.
Je vous en signale quelques emplacements
et un début de mode d'emploi de la
méthode à suivre .
En tout premier
lieu, sachez que le point de départ de
votre navigation d'Argonautes en
direction d'Argos la Blanche sera
nécessairement de peser la portée
existentielle d'une réflexion de Platon
qui a montré le chemin de la pensée à
notre astéroïde et qui sert de guide à
la raison humaine depuis vingt-cinq
siècles: il s'agit de la distinction
décisive, mais qu'il convient de
préciser, entre une spectrographie
anthropologique qui portera sur les
sources nécessairement subjectives de
toute connaissance qualifiée de
rationnelle, d'une part et, d'autre
part, sur la logique dont le cordeau de
la dialectique précisera la route.
L'auteur
du Théétète souligne que
la géométrie repose sur des présupposés
soustraits d'autorité à tout examen
interne de leur pertinence, de sorte que
cette discipline se trouve fatalement
bâtie sur des axiomes jugés et proclamés
irréfutables par nature et par
définition. Mais cette infirmité résulte
seulement de ce que nous manquons encore
d'un regard de l'extérieur sur leur
autorité apparente: le géomètre se
trouve donc réduit à se placer en aval
d'une enfilade de raisonnements réputés
immanents à l'objet de sa discipline et
située d'avance dans le cortège des
principes chargés de soutenir son savoir
en amont.
2 - La
ciguë du tragique
La
philosophie commence donc par la
recherche du levier qui seul parviendra
à mettre en évidence la relativité de la
boussole tridimensionnelle des
géomètres. Naturellement, la prise de
conscience de cette disposition inversée
des effectifs de la raison critique n'a
pas suffi à conjurer le chaos mental
dont souffre notre espèce. Il a fallu
attendre vingt-cinq siècles pour qu'un
Lobatchevski imagine une stratégie non
moins cohérente que celle d'Euclide.
Mais si vous partez de l'axiome de la
physique classique selon lequel les
parallèles se rejoindraient à l'infini,
la géométrie traditionnelle viendra,
elle aussi, à votre rencontre, elle qui
se contredit d'ores et déjà à
transporter les parallèles séparées du
théorème de Pythagore sur le champ de
bataille des abscisses et des ordonnées
censées se croiser à l'infini de
l'auteur du Discours de la méthode.
Il en résulte que la pensée proprement
dite, qu'on l'appelle la philosophie,
tente également de peser sur une balance
transcendantale les propositions
inaugurales de la connaissance
politique, historique et scientifique
que l'humanité ordinaire se partage.
Cette balance ne sera pas ligotée aux a
priori mythologique des révélations
religieuses; mais sitôt que la pensée
prétendra se dérober à la tâche qui la
tient dans ses serres de dépasser le
savoir banalisé qui l'attache aux
tromperies du quotidien et de la
coutume, elle retournera piteusement se
camper en-deçà de l'appel socratique,
lequel transporte la vérité au-delà des
platitudes dont se nourrit le sens
commun. C'est pourquoi, depuis deux
millénaires et demi, l'encéphale supposé
en évolution de notre espèce subit tour
à tour des rétrogradations désastreuses
ou bénéficie d'offensives et d'audaces
accoucheuses de problématiques
maïeuticiennes.
Le génie des
ruptures créatrices est d'autant plus
stupéfiant chez Platon qu'il l'applique
à une géométrie qui, de son temps,
reposait encore sur une assise tenue
pour statique et consubstantielle à
l'association des choses avec
l'entendement "naturel" dont
bénéficierait notre espèce. Il aura
fallu attendre vingt-quatre siècles pour
que les premières équations de la
relativité restreinte de 1904, puis
celles de la relativité générale de 1905
viennent précipiter dans un vide
prospectif la science juridifiée de la
nature et la philosophie axiomatisée par
l'ordre théologique romain du monde de
l'époque. Penser et calculer est devenu
un saut dans le néant, une chute dans le
gouffre sans fond de la solitude, une
guerre avec des ténèbres dont seuls les
dieux nous donnait l'illusion qu'ils en
faisaient leur affaire.
Aussi les esprits craintifs sont-ils
tentés de lâcher la barre de la pensée
rationnelle, tandis que les navigateurs
demeurés en haute mer ne se laissent pas
purement et simplement intimider:
jamais, disent-ils, le gouvernail ne
nous glissera des mains. Raisonner,
c'est se colleter avec la nuit et la
mort. Le grand Athénien a bu la ciguë du
"Connais-toi" dans la coupe du tragique
de la connaissance véritable. Boire le
poison-remède sans lequel il n'y a pas
de philosophie est une science
apostolique, prophétique et
prométhéenne.
3 - La
raison et la peur
C'est
dire que si l'Occident de la pensée, qui
est critique depuis Platon, vous demande
de n'avoir pas froid aux yeux et
d'emprunter la voie d'une lecture
impavide du Coran et si
les derniers apôtres de l'épouvante
religieuse du Moyen Age tentaient de
faire miroiter à vos yeux le combat des
Saladin de votre foi contre les hérésies
de la pensée rationnelle mondiale depuis
la Renaissance, vous trouverez le
courage de rappeler aux terroristes de
votre tradition la leçon dégrisante de
Platon, dont le génie recèle encore les
clés de l'avenir. Rappelez aux buveurs
de l'élixir de l'infaillibilité de la
géométrie d'Euclide qu'il vous
appartient d'enseigner aux enfants de
l'Europe sommeilleuse à traquer sans
peur les présupposés anthropologiques
les plus cachés de la connaissance
traditionnelle, donc les plus
inconscients et les plus informulés; et
vous apprendrez à exorciser le langage
euphorisant et abstrait d'une pensée
mondiale endormie dans l'évangélisation
de quelques concepts universels.
Gardez-vous de livrer vos élèves à une
lecture candidement préqualifiée d'
historique si vous ne vous êtes pas
demandé au préalable et à l'école de
Platon, quel est le statut de la notion
même d'histoire naïvement
appliquée à la biographie du genre
humain d'hier, d'aujourd'hui et de
demain. Car vous ne savez pas encore sur
quel chemin vous progressez ou reculez.
Si nous n'étions pas devenus des animaux
d'un genre particulier, nous ne nous
demanderions pas sur quelle route nous
nous trouvons et quelle raison héroïque
nous délivrera des prières qui
prétendaient nous raconter notre
véritable histoire.
4 -
Les inconnus dans la maison
En
vérité, la philosophie d'école dont la
bancalité sous-tend la notion
scolastique d'historicité
explicative s'applique à des marmots
effarouchés et qui ignorent dans quelle
direction ils courent. Car le concept
occidental de devenir repose sur
un axiome qu'il s'agit précisément de
réfuter et selon lequel tout ce qui se
révèle soi-disant historique
ressortirait à une humanité d'ores et
déjà devenue adulte en tous lieux, donc
sur le présupposé indéfendable selon
lequel l'humain en tant que tel se
révèlerait pensant par définition chez
les spécimens d'âge mûr de notre espèce.
A partir d'un tel postulat, l'histoire
dite scientifique se heurterait à deux
rivaux clairement identifiés et à
terrasser conjointement, le sous-humain,
qui serait demeuré vagissant, et le
surhumain, qui menacerait à chaque
instant de retomber dans la mythologie.
Mais comment négocier avec le
fantastique religieux d'un côté et avec
la bête dont la raison est demeurée
puérile de l'autre si la raison et le
mythe demeurent des "inconnus dans la
maison", comme disait le Commissaire
Maigret? Du coup, l'adjectif "critique"
accolé d'avance à l'adjectif
"historique" dont usent les modernes se
branche à titre préjudiciel sur la
démonstration de deux tautologies aussi
vaines l'une que l'autre : le mythe est
mythologique, n'est-ce pas, et la raison
est rationnelle, le sacré est vaporeux,
il va sans dite et la pensée est
concrète et campée sur ses jambes, comme
chacun sait.
5 - Le
corbeau et le renard
Voyez
combien est grande la tentation du
séraphisme intellectuel : la bête
vocalisée fait l'ange avec des mots
sitôt qu'elle a lâché le timon de
l'interrogation socratique - et l'Europe
entend se cacher cette vérité à
elle-même sous le constat piégé de la
gémellité naturelle qu'elle voudrait
afficher entre la notion d'histoire et
son bras droit, l'esprit critique.
Mais qui commande cette étrange
complicité langagière? Ne tombez pas
dans cette magie verbale, mais
demandez-vous résolument et
courageusement si la notion d'historicité
appliquée d'avance aux semi-évadés
actuels de la zoologie est valide. Car
la raison occidentale commence par
mettre sous le boisseau l'évidence
qu'elle est un renard et qu'elle se
forge des interlocuteurs rusés, donc de
mèche avec sa tanière et qu'elle convie
ensuite les disciplines de
l'intelligence à des entretiens aussi
interminables que platement intéressés.
Une historicité préconstruite sur cette
duplicité est nécessairement de type
onirique, que je sache. Mais quelle
irrationalité privée de vaillance que
d'amputer un animal des délires de
l'enfance qui le constituent précisément
en tant que personnage appelé à se
promener sur la scène de "l'histoire",
quelle déraison que celle d'une raison
embryonnaire et qui commence par retirer
à son objet l'essentiel de son
historicité spécifique, donc son
infantilisme. Quelle est la panique
d'entrailles qui sous-tend un édifice
aussi verbifique et quelles sont les
secrets anthropologiques des boucliers
qu'on appelle des scolastiques.
6 - L'enclume des
songes collectifs
L'islam
des philosophes de demain est appelé à
accoucher de la notion même de
"raison maïeuticienne". Un Occident
demeuré inconsciemment irrationnel y est
réticent à l'école même de la prétendue
raison qu'il brandit. Voyons de plus
près sur quels sentiers de la pensée
votre vocation philosophique vous
appelle à tenir d'une main ferme le
timon de la logique socratique. Car si
la raison occidentale commence par
priver la raison de son champ
d'investigation naturel et universel,
qu'en serait-il d'une intelligence
transcendantale et devenue spectatrice
de ses propres tares ? Qu'en est-il de
l'animal demeuré pseudo rationnel et qui
se déplace sur les planches de son faux
théâtre? Platon vous le dit: ce
maïeuticien vous rappelle à chaque pas
qu'une science qui tire à la queue leu
leu des conséquences d'axiomes
soustraits d'avance et arbitrairement à
la pesée anthropologique n'est pas
encore philosophique, Platon
l'accoucheur vous fait dire à chaque
enjambée que l'espèce de raison dont un
Occident infirme vante la forgerie est
demeurée un enfant en bas âge.
Mais
alors, quelle est la panique irraisonnée
qui ordonne à l'Occident semi-pensant de
s'arrêter en chemin et de courir à la
panne ? Voyez combien vous êtes mieux
armés que l'Europe pour vous demander de
quelle espèce d'entendement vous devez
apprendre à faire usage afin d'entrer
dans les méandres d'un animal dont
l'encéphale politique, donc le
comportement "intelligent" a besoin de
se donner des vis-à-vis fabuleux,
loquaces en diable et censés lui "
parler raison " en retour, mais toujours
seulement sur le seul modèle que
requiert la défense et illustration de
son historicité pré-fabriquée. Une
espèce branchée de naissance sur le
besoin qui la tenaille de se donner
l'identité collective et truquée que lui
impose la spécificité de sa présence
semi-animale dans la durée, une telle
espèce, dis-je, doit demander à Socrate
pourquoi la vérité est à la fois un
remède et un poison mortel - car le mot
pharmakon en grec présente
toujours cette double acception.
7 -
Faites honte à l'Occident
Non seulement vous
n'êtes pas en retard sur la raison dont
l'Occident se vante mais, au contraire,
vous devez vous montrer les pédagogues
attentionnés d'une civilisation
épouvantée par le spectre de sa demi
compréhension de la condition
simiohumaine. Car si nous sommes des
animaux politiques par nature et par
définition - et cela du seul fait que
notre historicité spécifique nous
contraint à gérer notre destin à l'école
des songes collectifs de notre "raison"
ou de nos religions - alors vous êtes
déjà des maïeuticiens éprouvés, et cela
à l'image, encore une fois, de Platon,
qui a voulu que la philosophie fût une
radiographie du cerveau moyen des
Athéniens de son temps, donc une
anthropologie de la bête qui ne survit
qu'à se forger son identité de masse sur
l'enclume de ses dieux ou le marteau à
la main. Faites honte à l'Occident
d'adorer trois idoles qui promettent à
leurs servants de les doter d'un
squelette immortel dans les nues et de
torturer éternellement leurs ennemis
sous la terre, dites aux enfants qui
vous écoutent que leurs parents sont
demeurés des bêtes à la fois apeurées et
féroces.
8 -
Les accoucheurs du ciel
Vous vous camperez à la fois hors de
l'enceinte zoologique de l'histoire et
hors du faux esprit critique dont cet
animal se nourrit encore: car les trois
dieux faussement indulgents entre
lesquels une humanité affolée partage
son pauvre encéphale sont demeurés des
acteurs politiques de second ordre, des
législateurs et des moralistes chargés
seulement de vous rappeler par la
torture qu'il n'est pas de loi et
d'autorité qui ne se fondent en dernière
instance sur une force habillée en
éthique.
Le monde
attend de vous des textes inouïs. Il
vous appartient de remédier à
l'immoralité des trois souverains
actuels du ciel, il vous appartient
d'enseigner votre propre élévation
spirituelle à la raison et à
l'intelligence qui pilotent ces animaux
célestifiés par leur enfer. Vous êtes
mieux armés qu'une Europe sans souffle
pour comprendre la profondeur de la
parole de Nietzsche qui disait: "Le
christianisme périra de son immoralité".
Car il s'agit d'une immoralité inscrite
dans la psychophysiologie cérébrale qui
sert de fondement même à l'intelligence
politique de notre civilisation.
Conséquence: si Jahvé, Allah et le
dieu-homme sont des copies de leurs
créatures, si tous trois se révèlent des
forgerons des identités cérébrales
primitives entre lesquelles notre espèce
se divise, si nos sols et nos climats se
placent sous le sceptre de divers
Jupiters construits sur le modèle des
boîtes osseuses de l'endroit, alors, la
philosophie est appelée à transcender
l'entendement naturel des bimanes
détoisonnés et de leurs idoles; et seul
le regard de haut que l'histoire
transcendée portera sur sa propre
immoralité permettra à l'esprit critique
d'un Occident moralisé par l'islam
d'emprunter l'itinéraire qui rendra Clio
plus intelligible.
Vous
êtes des ouvriers chargés de fabriquer
et de meubler la boîte à outils de la
pensée de demain - et pour cela, il faut
que vous compreniez comment les
prophètes enfantent des dieux de plus en
plus sages. Songez donc que vous ne
sauriez vous trouver à la fois dûment
informés de ce que les trois Célestes
actuels sont estropiés et difformes,
mais perfectibles, et renoncer à vous
demander qui sont les accoucheurs
souverains des dieux supérieurs. Votre
vocation philosophique et celle de
l'islam est de vous élever au rang de
généalogistes de l'âme et de l'esprit
des grands maïeuticiens de l'absolu. Il
vous faudra une étincelle de génie pour
comprendre le génie des donateurs d'un
dieu nouveau aux fils d'Adam; et votre
échelle de Jacob sera une philosophie
appelée à s'élever au rang de la
sage-femme qu'évoquait le suicidaire
athénien. A l'islam de la pensée de
rédiger le Discours de la méthode
des obstétriciens de l'Allah de demain.
9 -
L'avance philosophique de l'islam
Deux boulevards
s'étendent à perte de vue devant les
futurs martyrs de la pensée critique.
Mais voyez comment tous deux sont
appelés à attirer le regard des géants
de l'islam à venir. Le premier est celui
de la découverte de l'identité véritable
des nations - car c'est précisément de
consciences nationales authentiques que
l'islam de la raison a besoin d'armer
l'Occident.
Qu'est-ce qu'une nation, sinon un
personnage intérieur, donc mental et
sommital, qu'est-ce qu'une nation, sinon
un acteur surréel et désincarné,
qu'est-ce qu'une nation, sinon un
souverain tellement cérébral qu'il
n'existe que dans les esprits, et cela
non point à force d'accumuler des
preuves soit-disant matérielles de son
existence propre, mais exclusivement à
lui fournir des signes et des symboles
plus parlants que les alambics de la
scolastique. Naturellement, la haute
spiritualité de l'islam rappelle aux
petits enfants que la gendarmerie, la
magistrature, les palais de justice ne
substantifient pas la France en tant que
telle, le Coran enseigne
sur les bancs de l'école que les robes
noires des avocats et les képis dorés
des généraux ne sont que des signes
impuissants à incarner la France,
le Coran enseigne qu'une
vraie nation est à elle-même un
personnage chargé de véhiculer
l'identité surréelle, donc seule
véritable , d'un peuple et d'une patrie
de l'esprit.
Vous
enseignerez donc à un Occident encore
dans son berceau et dont le Dieu est
censé s'être incarné dans une ossature,
qu'un territoire, un climat, une
histoire et des millions d'habitants
auront beau s'échiner à observer la
France en laboratoire - une vraie nation
naît du fiat lux qui la fait
habiter sa parole et sa tête. Les
personnages qui servent d'assise aux
identités élévatoires sont des acteurs
qu'il est impossible de revêtir de chair
et de muscles. L'islam est platonicien,
l'islam enseigne que ni les nations, ni
les dieux n'ont des pieds et des mains -
c'est cela votre immense avance
cérébrale sur la civilisation du mythe
de l'incarnation de l'esprit.
10 - La seconde
Renaissance
Mais l'islam enseigne également qu'il
est inutile de seulement tenter de faire
naître Allah des mains d'un clergé ou
des rites d'un sacerdoce. Voyez comme
l'Occident chrétien s'est épuisé à
rendre son dieu visible et palpable: non
seulement, ses prêtres et ses autels
offrent le spectacle d'une vaine
agitation autour d'une pierre d'où coule
le sang réel, mais déclaré invisible de
leur sacrifice; mais cette civilisation
est allée en toute logique jusqu'à
diviniser la rate, le foie, les poumons,
l'estomac et les neurones d'un homme
-dieu.
Vous
rappellerez à nos laïcs que la France
des vrais patriotes n'a pas de poumons,
de reins et de vessie. Je vous entends
déjà apostropher l'Occident des
philosophes d'école: "Vos uniformes, vos
édifices, vos perruques, vos bannières,
vos broderies et vos banderoles ne sont
pas davantage des accoucheurs d'une
Europe de l'esprit que vos ciboires et
votre pain bénit ne font exister un Zeus
braillant dans son berceau". Mais si les
seuls allumeurs inspirés de l'identité
"divine" des humains sont les âmes de
feu des prophètes, alors le sacré se
répartira en vain entre des champs
fertiles, des climats favorables et des
langues innombrables et vous
dégénèreriez irrémédiablement de vous
priver de votre historicité surréelle.
Je salue en vous les maîtres encore
cachés de la civilisation de la pensée à
venir, je vois en vous le creuset de la
raison des incandescents qui génèreront
les deux Verbes fondateurs de
l'Occident, l'histoire et l'esprit.
Puisse la géopolitique contemporaine
recevoir de votre lecture ascensionnelle
du Coran les prémices
philosophiques d'une seconde
Renaissance, celle qui délivrera les
verbes expliquer et comprendre
d'un christianisme qui tentait, depuis
deux millénaires, de donner des cellules
de chair à la vie spirituelle de
l'humanité.
11 - Demain, le
regard de l'islam
Quand
les Descartes de l'islam auront pris la
relève d'une raison européenne encore
privée du survol qui l'attend, votre
regard d'aigle embrassera toute
l'étendue des siècles qui se sont
écoulés entre la Renaissance et le début
du IIIe millénaire; et vous direz aux
apprentis des rétines du ciel de demain:
"En vérité, les déboires de vos nations
découlent logiquement des relations que
la redécouverte des Lettres, des
sciences et des arts de l'antiquité vous
a contraints d'entretenir avec votre
histoire mal ressuscités : car vous avez
placé au cœur de votre civilisation de
l'humain le miroir que vous tendait
l'histoire d'un monde soi-disant
retrouvé - et vous avez cru regarder du
dehors les croyants de votre religion.
Mais aussitôt vous avez oublié que le
véritable esprit historique
devait vous faire rencontrer la "vraie
vie", et vous avez parié que cette
vie-là serait aussi simple et joyeuse
que celle des athlètes de la Grèce dans
leurs stades - mais vous n'avez capturé
qu'un éclat emprunté et superficiel de
la lumière du monde et vous avez pris
les pâles chandelles d'Olympie pour
l'âme même des choses.
Mais,
dans le même temps, le tohu-bohu des
évènements ne cessait de vous rappeler
que l'histoire est tragique. Avec
Toynbee, vous avez appris que les
civilisations répondent à des défis
mortels, avec Spengler, que le déclin
des nations s'inscrit dans l'agonie de
leur génie, avec Marx, vous vous êtes
rués l'épée à la main dans une alliance
sanglante de l'évangélisme avec l'utopie
politique, avec Hitler, vous avez
hypertrophié votre identité raciale et
territoriale, avec Washington, vous vous
êtes asservis à l'apostolat d'une
liberté mise au service d'un
vassalisateur de la terre et vous avez
découvert combien une civilisation se
laisse rapidement habiller d'une livrée.
Alors l'islam de la pensée vous dit: "Si
vous apprenez à vous regarder sur la
rétine d'"Allah", ne penserez-vous pas
que l'œil de ce géant de l'esprit
plongera plus loin dans vos âmes et vos
têtes que vos petits historiens de
l'"esprit des choses"? Ne penserez-vous
pas que l'heure a sonné d'apprendre à
vous regarder de haut et de loin, ne
penserez-vous pas qu'une espèce
énigmatique se rendra déchiffrable à
l'écoute des prophètes qui se sont
installés dans l'encéphale d'un roi de
l'univers et qui lui ont appris à
parler"? Alors vous apprendrez à changer
de cervelle et à vous installer dans
l'encéphale d'"Allah".
Reçu de l'auteur
pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
Les dernières mises à jour
|