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Analyse

L'intelligence humaine progresse-t-elle par saccades ?
La politique nucléaire et l'anthropologie critique  
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Dimanche 25 avril 2010

1 - Les deux niveaux de la science historique
2 - Où le haut Moyen Age nous tire par la manche
3 - Introduction à la science de la démence
4 - Le principe des vases communicants
5 - Le cerveau démocratique
6 - Le cerveau actuel de la France nucléaire
7 - La boîte osseuse de la France
8 - Le maître des imaginations
9 - L'instinct de conservation des idoles
10 - Un regard nouveau sur la condition humaine est-il possible ?
11 - Des animaux à décrypter

1 - Les deux niveaux de la science historique

Il est des époques privilégiées où l'histoire et la politique semblent se donner le mot pour illustrer de conserve les contradictions internes qui frappent d'une infirmité partagée deux disciplines vieilles comme le monde, mais soudain désemparées et appelées à retourner ensemble sur les bancs de l'école. Car la distance qui séparait depuis longtemps l'agitation des diplomates livrés au clapotis des événements du moment et la profondeur de la réflexion des grands historiens qui ridiculisaient les vaines gesticulations des chancelleries prend des allures tellement caricaturales que l'anthropologie critique en profite pour prendre avantage d'un hiatus devenu aussi rapidement spectaculaire entre le quotidien de la raison et le long terme de l'intelligence et pour poser allègrement les jalons d'une réflexion prospective.

Voyez la rencontre artificielle et toute de parade de quarante sept Etats précipitamment réunis à Washington sous la houlette de M. Barack Obama, dont la vocation pastorale subit des coupures de courant, mais qui avait besoin d'un nouvel affichage catéchétique. Les conciles démocratiques feraient-ils donc la loi du monde et dans l'urgence? Si je ne cesse d'observer un parallélisme étroit entre l'histoire des doctrines religieuses et celle de la pensée politique, c'est parce qu'il n'est pas de démonstration plus frappante de ce que la planète suit un cours que le sceptre de M. Barack Obama échoue non moins à soumettre à son commandement que la théologie pontificale d'autrefois à corseter le globe terrestre.

Car enfin, voilà le saint conclave d'une demi-centaine d'Etats tout soudainement censés prévenir une catastrophe nucléaire sans cesse retardée depuis soixante cinq ans; mais la question de la crédibilité politique et militaire subitement accordée à de l' excommunication majeure des modernes n'est posée par aucun gouvernement. Quelle circonstance rêvée pour raconter à deux niveaux l'histoire saccadée du cerveau d'une planète placée avec constance sous les armes, d'un côté, mais livrée de l'autre aux à-coups de l'anecdotique.

2 - Où le haut Moyen Age nous tire par la manche

Narrons d'abord l'hétéroclite, le tohu-bohu, et le dérisoire des secousses qui font l'écume des jours: toute la presse nationale française a privilégié les bruitages convenus. Les Français ont été tenus soigneusement à l'écart des informations sérieuses qui leur auraient appris que les électrochocs de l'éphémère font désormais vaciller les grands prêtres. Le pape des décharges électriques de la démocratie mondiale a déclaré que, dans sa bénignité infinie, l'Amérique de la paix et de la justice renonçait à pulvériser les pays privés du feu nucléaire. Mais s'il est un progrès de la pudeur politique qu'on croyait tacitement acquis depuis 1945, c'était qu'aucun Etat converti au culte de la Liberté ne réitèrerait les exploits d'Hiroshima et de Nagasaki sur un adversaire incapable de riposter. Pourquoi prendre acte d'un perfectionnement des tensiomètres de la démocratie brevetés depuis longtemps et déposés au bureau des inventions depuis belle lurette? Pourquoi afficher précipitamment et avec une solennité suspecte une détermination aussi vertueuse d'apparence? A seule fin de repeindre à toute allure et toutes affaires cessantes le trône écaillé de la sainteté américaine. Pourquoi des couleurs aussi vives, et pourquoi en ce moment ? Parce qu'au même instant et dans la foulée, M. Barack Obama proclamait que l'Iran et la Corée du Nord ne bénéficieraient nullement d'une mesure de grâce entérinée sans le dire depuis treize lustres : les jours de ces Etats seraient comptés s'ils devaient persévérer dans le péché mortel de se doter des mêmes armes et des mêmes foudres qu'Israël.

Du coup - mais les Français n'en ont rien su - les députés iraniens de l'opposition ont proclamé leur devoir patriotique de défendre la dignité de la nation et de dénoncer l'immoralité du Tartuffe gigantal de la Liberté sur la scène internationale. Décidément, c'est une grande défaite politique pour un géant de cette taille de se trouver accusé d'immoralité devant un parterre de tous les peuples de notre astéroïde . Comment régner sur le théâtre du monde si l'on n'est plus seul à brandir le sceptre du Bien et du Mal sur les cinq continents?

Au tour de l'Iran de réunir dans sa capitale une conférence internationale du droit et de la vertu. Soixante-dix Etats décident de s'y faire représenter à des niveaux diplomatiques divers. Et voici que la Turquie demande à la communauté mondiale des Etats civilisés de se livrer à une analyse géopolitique commune sur la sécurité d'un peuple livré aux fauves nucléaires qui l'assiègent de toutes parts, et voici qu'Istanbul se concerte avec le Brésil afin de faire front à ses côtés, et voici que M. Medvedev réfute la politique des ventres creux qui décime pieusement des peuples entiers et y affame les jeunes générations, et voici qu'aux yeux du concile des hérétiques il devient barbare de se venger sur les femmes et les enfants de l'indocilité des dirigeants d'une nation à l' égard de Washington, et voici que la Russie exclut que le peuple iranien puisse se trouver paralysé par d'éventuelles sanctions économiques, et voici que la Chine feint d'entrer un instant dans la stratégie des fausses dévotions, mais pour qu'elles déshonorent les idéalités régnantes sur les cinq continents; et voici que les mandarins rappellent qu'une acceptation du bout des lèvres de débattre avec l'adversaire fait partie du jeu de go et ne peut que conduire à la défaite du demandeur, et voici que la France refuse catégoriquement de réduire son arsenal nucléaire, sous prétexte qu'elle l'aurait d'ores et déjà réduit à la portion congrue; et voici que le pays de Descartes pousse l'incohérence mentale jusqu'à hurler avec les loups, mais sans lâcher sa prise pour autant. Comme il est difficile d'aboyer la mâchoire pleine!

L'intelligence de notre espèce serait-elle placée sur courant alternatif? Son ampérage varierait-il brusquement et la ferait-elle progresser ou rétrograder par secousses ? Passons donc de l'histoire tumultueuse, partielle et matamoresque à l'histoire des cerveaux et des âmes. Un capitaine absent nous appelle à descendre dans les soutes la lanterne de Diogène à la main. Si nous assistons à des accélérations et à des freinages rapides de notre capacité de réflexion, il nous faut rappeler les brusqueries de la nature à l'égard de notre encéphale et préciser les cas où notre boîte osseuse se trouve bousculée et ceux où elle tombe en léthargie, faute de recevoir les décharges appropriées.

Car enfin, le haut Moyen Age nous tend la main, nous tire par la manche, nous cligne de l'œil, le haut Moyen Age se change sous nos yeux en Pythie du feu thermonucléaire. La chute du genre humain dans les ténèbres éternelles à laquelle recourait le Saint Siège de l'excommunication majeure était-elle plus crédible que l'extinction de notre pauvre espèce dans la fournaise du feu nucléaire? Pouvons-nous faire hâter le pas à Zeus et l'aider à étendre son regard jusqu'aux confins du monde?

3 - Introduction à la science de la démence

Au premier abord, l'hypothèse de notre prééminence cérébrale paraît la mieux étayée; mais, sitôt que l'on y réfléchit le caducée de Mercure à la main, l'apocalypse théologique endosse la cuirasse la plus sûre. Songez donc: Adam s'était imaginé qu'il existait un créateur de l'univers, lequel aurait pris soin de remettre entre les mains de son vicaire le pouvoir extraordinaire de livrer à la géhenne le peuple entier des croyants; songez donc, en ce temps-là, la foudre du Zeus nouveau régnait en solitaire sur toute la chrétienté; songez donc, en ce temps-là, la crédulité des semi évadés de la zoologie était si grande que personne ne doutait de l'efficacité du thermonucléaire théologique dont la foi et la sainteté attisaient le feu infernal sous les rôtissoires de l'éternité.

Et maintenant, voyez la perplexité des soutanes du nucléaire, voyez comme ce clergé s'interroge et s'étonne! D'abord, se dit-il, si nous n'apprenons à porter sur notre espèce un regard de l'extérieur et si notre animalité spécifique défie notre rétine, jamais nous n'expliquerons pourquoi Moscou et Washington se congratulent avec tant de chaleur d'avoir seulement réduit quelque peu le multiplicateur arithmétique qui leur permet de détruire aussi entièrement qu'auparavant la planète sur laquelle ils se trouvent réduits à sautiller ensemble. Comment livrerions-nous à la pesée la capacité cérébrale du singe vocalisé si l'excommunication majeure à laquelle Rome s'exerçait toute seule livrait d'un coup et définitivement Adam aux fourches et aux marmites du Diable et si, par conséquent, Dieu et son Pape étaient un peu moins stupides que Washington et Moscou, puisque ces deux-là se vantent exclusivement d'avoir réduit quelque peu le nombre des auto-pulvérisations de l'humanité auxquelles notre astéroïde est en mesure de recourir la lance d'Athéna à la main.

Mais, du coup, la question de la crédibilité respective de l'excommunication majeure d'un côté et de l'excommunication nucléaire de l'autre change entièrement de casque, de chapelet et de prie-Dieu, parce que plus les peuples sont demeurés agenouillés, plus ils mijotent dans le fantastique et le fabuleux, de sorte que les mondes imaginaires devant lesquels ils se prosternent s'imposent aussi irrésistiblement à leur pauvre cervelle que leurs délires sacrés sèment des ex-votos dans leur tête. Or, l'effort intellectuel qui met sous tension la boîte osseuse d'une espèce désormais relativement cérébralisée ne l'a pas détournée de l' héroïsme suicidaire dont elle se targue, de sorte qu'elle demeure fièrement décidée, dit-elle, à prendre la relève de la volonté d'extermination qui inspirait sa doublure dans le ciel de ses ancêtres - celui dont l'idole de l'époque s'était illustrée par le génocide du Déluge. L'auto-pulvérisation nucléaire est-elle donc plus probable ou plus aléatoire aux yeux des spécialistes que celle d'un animal autrefois convaincu de se trouver pris en étau entre les mains de fer d'un ciel ensauvagé, sans scrupules et impossible à fléchir?

Pour tenter de l'apprendre, déposons l'encéphale actuel du genre simiohumain sur l'un des plateaux de la balance à peser l'embryon de raison dont jouit notre espèce et sur l'autre la conque crânienne de nos lointains ascendants. O surprise, voici que, tout à l'opposé de notre première hypothèse, l'excommunication majeure de l'Eglise se révèle beaucoup plus crédible que celle du Vatican multicéphale des matamores de leur propre trépas sous le feu nucléaire.

4 - Le principe des vases communicants

Afin de tenter de démontrer un théorème aussi hasardeux en apparence, les anthropologues actuels ont inspecté la matière grise de l'animal en question à l'aide de la méthode suivante : puisqu'on n'a jamais réfuté le bon sens de la nature naturante dont les physiciens ont élevé les exploits au rang d'un principe, celui des vases communicants, ils se sont dit que si vous faites couler à l'aide d'un tuyau le contenu d'un récipient plein à ras bords dans un récipient à moitié vide, le niveau des liquides s'équilibrera en raison de la pression égale que la masse atmosphérique exercera sur les deux contenants. Pourquoi n'en serait-il pas de même si l'on transvasait le contenu du cerveau du XIe siècle dans le cerveau du XXIe?

Vous me direz que les deux liqueurs ne sont ni de la même couleur, ni de la même densité, ni de la même fluidité. Raison de plus pour constater que la plus foncée des deux assombrira la plus claire et vice et versa et que ce changement de la luminosité et de l'épaisseur du flux de l'une et de l'autre se révèlera précisément révélatrice de la nature de leur mélange. Car la théologie est d'une coloration plus proche du noir, à cause du Diable qui y a élu domicile et qui ternit en elle l'éclat du Créateur, tandis que la thermonucléorologie ne parvient pas à emprunter entièrement la teinte de la mixture infernale.

Mais il y a mieux: la sottise des incroyants d'aujourd'hui -ils multiplient bêtement leurs pulvérisations nucléaires dans le vide de l'immensité - leur sottise, dis-je, n'est-elle pas plus pesante et plus inguérissable que celle des croyants que leur piété livre à une seule extermination théologale? Vous commencerez donc de vous demander quel intérêt terrestre Washington a trouvé de réunir un concile mondial à seule fin de diminuer le nombre des rôtissoires du néant. C'est qu'il s'agit primo, de menacer exclusivement deux Etats privés de la foudre, comme il est rappelé plus haut, secundo, d'éviter soigneusement de soumettre aux pères conciliaires l'examen de la question de la crédibilité de la fulmination dans le temporel qui a succédé à celle de la divinité dans les nues.

Du coup et de fil en aiguille vous découvrirez le fonctionnement secret de toute la machinerie politico nucléaire de la nouvelle planète des songes; car vous verrez à l'œil nu ses rouages, ses engrenages et ses ressorts sécréter une substance étrange, l'hypocrisie politique ; et vous vous demanderez pourquoi l'hypocrisie se donne nécessairement les armes d'une démence para religieuse.

C'est dire que, dans le cas où le masque sacré de la faiblesse d'esprit qu'arbore la théologie nucléaire était le même que celui des allumeurs de la foudre de Dieu, vous vous trouveriez en mesure de comparer les ingrédients de la mauvaise foi de Zeus avec ceux dont use sa créature. Mais pour cela, il vous faudra peser les armes de la peur dont disposent respectivement l'Olympe et la terre.

5 - Le cerveau démocratique

Pour bien comprendre ce point difficile, revenons un instant à la pesée comparée des atouts dont dispose la sainteté divine pour exterminer l'humanité et de ceux dont jouit l'auto-pulvérisation thermonucléaire dont nous nous menaçons désormais nous-mêmes. Pour apprécier le goût nouveau de se terroriser à ses propres frais et faute que le ciel soit encore de taille à y pourvoir, spectrographions la cécité de l'animal théologisé et celle de l'animal nucléarisé. Pour cela - excusez mon retard - un bref retour à l'observation de l'encéphale de nos ancêtres se révèlera indispensable à la rédaction d'un diagnostic irréfutable. Car il est établi qu'Henry IV d'Allemagne, qui régna de 1056 à 1106 et dont l'armée entière avait été vilainement précipitée en enfer par Grégoire VII, ne croyait pas un traître mot du contenu proprement religieux de l'excommunication majeure dont le pape avait frappé la puissance militaire de l'empire. Ce ne fut donc en rien dans un esprit de sincère et pieuse pénitence qu'il se soumit à la voix du ciel de son siècle, mais seulement en guerrier malheureux, parce qu'il avait été vaincu à plate couture sur le champ de bataille des dévotions terrifiées auxquelles l'encéphale de l'humanité de l'époque servait encore de théâtre.

C'est pourquoi nous devons examiner de plus près la composition des cerveaux dont l'imagination parareligieuse actuelle a fait ses otages et qui croient désormais dur comme fer en l'efficacité guerrière de la foudre que brandissent des Jupiter locaux. On sait que quelques grands Etats et un tout petit se sont habillés en incendiaires de l'atome. Mais s'il est extraordinaire qu'au XIe siècle déjà, les vrais chefs d'Etat disposaient d'une avance intellectuelle de plusieurs siècles sur l'entendement moyen de leurs contemporains, n'est-il pas essentiel de nous demander ce qu'il est advenu de la prodigieuse inégalité cérébrale des divers spécimens entre lesquels notre espèce se divisait il y a un millénaire seulement de cela?

Puisqu'aucun général d'Henry IV d'Allemagne n'a accordé crédit au sceptre du vicaire romain de Jésus-Christ, la question que soulève l'anthropologie critique est de préciser jusqu'à quel échelon au sein de la hiérarchie militaire les forces de combat de l'époque ont basculé dans l'orthodoxie romaine. Or Henry IV n'a pas eu à recourir à la méthode classique de l'exécution publique d'un soldat sur dix qu'entrainait la rébellion des légions de la Louve. Pour que son armée retrouvât ses esprits, il lui a suffi de pendre haut et court quelques pelotons de capitaines épris de scolastique et un quarteron de colonels dévots. Quelle économie de têtes galonnées, mais également quelle démonstration de ce que le grégarisme religieux, qu'il soit coûteux ou à bas prix, ne l'a emporté sur la fidélité à l'empire que jusqu'à un grade peu élevé. Quelle est, en revanche, la solidité mentale moyenne des chefs d'Etat et des généraux des démocraties de l'atome et comment la peser à peu de frais? Leur encéphale est-il de la trempe de celui de Henry IV au XIe siècle ou de celui des gradés que cet empereur a dû se résigner à faire gigoter au bout d'une corde?

6 - Le cerveau actuel de la France nucléaire

On sait que le Général de Gaulle fut le premier chef d'Etat à comprendre que l'atome est une arme imaginaire par nature et que c'est précisément son inexistence dans l'ordre militaire qui lui confère l'aura théologique qui terrorisera pour deux ou trois générations les esprits microscopiques de la planète de notre époque. C'est pourquoi ce chrétien a doté la France de la foudre apocalyptique encore indispensable aux grands Etats. Mais il a pris soin de la proclamer efficace du ponant au couchant, afin de signifier à tout l'univers des cerveaux embryonnaires de son siècle que le feu divin s'était transporté sur la terre et qu'il se trouvait pointé dans toutes les directions de l'univers euclidien. C'est que seule une ubiquité de la terreur calquée sur l'épouvante religieuse pouvait rendre efficace une sottise mythifiée depuis la Genèse.

Une telle philosophie de la politique était anthropologique avant la lettre. Elle présupposait, primo, non seulement qu'en politique il ne suffit pas d'avoir cent fois raison, mais qu'il ne sert de rien d'avoir cent fois raison si l'on ne dispose pas des moyens de convaincre la sottise; secundo, qu'on peut avoir cent fois tort, on l'emportera plus aisément que si l'on a cent fois raison, parce que l'erreur est toujours et nécessairement plus convaincante que la vérité, puisque sa conformité à la structure des cerveaux du moment la rend fatalement majoritaire. C'est pourquoi Henry IV d'Allemagne n'a pas argumenté avec les rebelles - se montrer le plus fort était la seule réponse efficace, parce que les sots s'imaginent qu'on ne saurait avoir raison à se montrer le plus faible, de sorte que Dieu lui-même avait tort de se montrer désarmé par le gibet et la corde. Comment combattre la stupidité nucléaire, sinon en posant à l'anthropologie critique la question décisive de savoir si notre évolution cérébrale peut changer d'allure et de dégaine et si nous pouvons lui apprendre à modifier son rythme?

Certes, il est déjà arrivé que notre cervelle subisse des accélérations de son pas. Les dieux antiques ont décliné avec lenteur, puis c'est à toute vitesse que nous leur avons refusé un squelette, des muscles et des viscères, dans l'illusion qu'à les vaporiser dans le vide, ils retrouveront l'armure mentale nécessaire à l'ancienne efficacité politique de leur trône dans l'immensité. Mais, du coup, faute de charpente sur laquelle prendre appui, nos Célestes ont perdu beaucoup de leurs anciens apanages, de sorte que nous avons imaginé de nous redonner une divinité en chair et en os et de la doter de l'esprit de Zeus. Cette mutation ultra rapide de notre masse cérébrale n'a pris que quelques décennies. Un long sommeil a suivi ce petit saut. Pouvons-nous soumettre la foudre apocalyptique qui nous brûle les doigts à un amaigrissement précipité? Nullement, parce que le mode même d'accélération auquel nous devons soumettre notre évolution cérébrale a changé de nature.

7 - La boîte osseuse de la France

Pour en juger, observez la boîte osseuse de la France dont Nicolas Sarkozy assure le pilotage. Le 12 avril 2010, ce chef d'Etat a proclamé à Washington que seule une apocalypse de belle taille assurerait la sécurité militaire de la Gaulle et qu'au-dessous de trois cents ogives nucléaires, la survie physique du pays se trouverait dangereusement menacée, du moins en ce bas monde. De plus, a-t-il ajouté, nous disposons de quatre sous-marins spécialisés dans la pulvérisation de notre astéroïde. L'un de nos quatre mousquetaires de l'apocalypse sillonne les océans nuit et jour afin de détecter sur l'heure l'ennemi qui pointerait son museau dans l'immensité des étendues liquides avec l'intention évidente de couper notre tête d'un seul coup de hache.

Comment peser l'encéphale placé aux commandes de la nation? Il y faut un renversement radical de la dialectique de la foi en usage depuis le XIe siècle, parce que tout Etat armé en Goliath de la sottise du monde peut maintenant se vanter de rivaliser avec Dieu le père dans le cosmos, de sorte que la question du statut psychique et mental de la foudre terrestre pose désormais le plus clairement du monde la question décisive du poids des feintes auxquelles les chefs d'Etat d'aujourd'hui peuvent s'exercer et, tout particulièrement, le cerveau du roi que les Français se sont donné pour cinq ans.

Revenons donc à bride abattue à la question de la pesée des deux encéphales du simianthrope évoqués plus haut et demandons-nous à nouveau si le caractère mythologique de la bombe suicidaire est plus fantasmagorique que l'excommunication théologique du XIe siècle. Car, depuis le Déluge, il était devenu impossible aux théologiens de la rage du Dieu de sa propre sottise de démontrer que l'idole des chrétiens se retenait d'user des dernières ressources de la folie furieuse, puisqu'elle y avait déjà froidement recouru quatre millénaires plus tôt, selon la chronologie de Bossuet et de l'Eglise de l'époque, dont on sait que Richard Simon ne l'a réfutée qu'en 1678. Aussi le vicaire général de l'apocalypse jouait-il sur le velours. Il n'y avait aucun danger, disait-il, que Dieu fût jamais démenti, puisque Grégoire VII n'avait fait que témoigner de la fidélité à elle-même de la jurisprudence du monstre céleste dont la sainte volonté d'anéantir sa créature était demeurée d'une remarquable constance.

Mais le déclenchement d'une inondation décidée en haut lieu préfigurait-il une noyade universelle d'un type inédit, celle de la suffocation de l'humanité pécheresse sous les pieuses poussières de l'atome punitif? L'humanité actuelle se trouve condamnée non plus à soupeser le crâne et les gènes du génocidaire divin des ancêtres - ses grâces sont à l'agonie - mais seulement ses propres chromosomes cérébraux, afin d'apprendre à l'école de leur doublure mythique dans l'éternité si, oui ou non, les épouvantés de l'immensité sont aussi suicidaires qu'ils le prétendent.

On voit que la question de l'accélération de notre évolution cérébrale n'est pas une mince affaire; car le moteur de ce changement d'allure, c'est de l'immensité et du vide qu'il doit recevoir des décharges électriques à haute tension.

8 - Le maître des imaginations

Pour tenter de débattre de cette question en comparatiste des voltages respectifs de la boîte osseuse du ciel et de celle de la terre, observons la logique interne qui commande cet ampérage dédoublé; et, pour cela, commençons par peser le degré de cohérence interne de la question posée depuis le XIe siècle. A quel moment la logique d'Henry IV d'Allemagne est-elle autorisée à s'imposer dans le débat sur le nucléaire? Car si la divinité du Moyen Age avait fait valoir à sa créature qu'elle disposait de la capacité de l'anéantir deux mille fois, aurait-on jugé sains d'esprit les Isaïe ou les Jérémie de l'époque s'ils avaient supplié le créateur de réduire ce nombre de moitié ? J'ai rappelé plus haut que les Etats-Unis et la Russie ont sottement consenti à limiter leur propre puissance céleste à quelque deux mille auto pulvérisations du globe terrestre et que cette parcimonie a été saluée par des actions de grâce du monde entier: il s'agirait, prétendent en chœur les sots chefs d'Etat d'aujourd'hui, du progrès le plus décisif et le plus intelligent que les idéalités de la démocratie auraient accompli depuis trente ans dans l'usage d'une arme dont nos dirigeants ignorent encore qu'elle est mythologique par nature et par définition.

Faut-il en conclure que le cerveau simiohumain d'aujourd'hui, et notamment celui des chefs d'Etat des plus grandes démocraties du monde serait retombé à un niveau de la raison fort inférieur à celui des dirigeants du Moyen Age? Nullement: simplement, un Barack Obama et même un Sarkozy ont assimilé d'instinct la diplomatie de la déflagration imaginaire de Grégoire VII: ils savent que le cœur de la politique est "l'art de dominer les imaginations", comme disait Necker et qu'un Etat qui parvient à donner l'illusion de disposer de la capacité de destruction dont jouissait l'ex-Dieu du Déluge peut se rendre le maître, certes illusoire, mais aussi incontesté du monde entier que l'Eglise de l'an mil. Telle est la stratégie de la bénévolence qui tente de convaincre l'Iran qu'il lui suffira de se rendre pieusement à Canossa pour que la jouissance de toutes les prérogatives et apanages propres aux puissances piteusement régionales lui soient accordées de bon cœur par la communauté internationale des dévots de leur foudre. C'est donc la logique interne de cette proposition qu'il faut tenter de réfuter à partir d'une pesée anthropologique du cerveau simiohumain d'aujourd'hui.

9 - L'instinct de conservation des idoles

Le premier pas de cette démonstration sera d'apparence facile: comme il se trouve que l'ironie en serre dont la philosophie socratique conserve précieusement la semence survit en quelques recoins du paysage mental de notre civilisation, il ne sera pas entièrement impossible de faire remarquer au singe semi cérébralisé que deux mille auto- pulvérisations à la queue leu leu dans l'immensité du cosmos ne sont pas moins imaginaires que deux mille six cents et qu'il serait fort sage de tenter de convaincre notre espèce de peser la crédibilité d'une seule apocalypse universelle sur une balance transanimale afin de réapprendre à raisonner peu ou prou l'école des encéphales supérieurs du XIe siècle. Car, en ce temps-là, l'humanité ne débattait pas du pourcentage de la réduction de l'apocalypse que Dieu était prêt à consentir à sa créature.

Mais il sera difficile de démontrer aux singes d'Etat actuels que le dieu de la Genèse bénéficiait d'une folie dont la solitude dans l'immensité cautionnait la crédibilité et de les convaincre de ce que les tyrannies petitement partagées s'émoussent nécessairement à se frotter les unes aux autres dans l'éternité; car les trônes de l'atome se trouvent en rivalité entre eux et se menacent réciproquement de s'auto-renverser ensemble et d'un seul élan. Comment convaincre le Moyen Age d'aujourd'hui que les dieux nucléaire, eux aussi, tiennent à leur peau et que vous n'en trouverez pas un seul qui se suicidera d'un cœur léger sous son parasol. Pourquoi l'un d'entre eux perdrait-il la tête à ce point-là? C'est pourquoi l'étude de l'instinct de conservation qui tenaille les entrailles de tous les dieux figure au programme des difficultés que l'anthropologie critique rencontre dans son entreprise de soumettre l'encéphale de l'humanité à un changement de vitesse de son évolution dans le vide.

Par bonheur la démonstration de ce que Dieu est un personnage de son temps nous sera grandement facilitée par l'examen des causes très particulières et locales à souhait qui lancent la terre entière des divinités de l'atome à la poursuite de l'Iran chiite. Car Israël a fait changer de dégaine à Lucifer. Son sosie s'applique maintenant à chasser des dizaines de milliers de fidèles d'Allah de la terre de leurs ancêtres, et pour cela, il lui faut détourner l'attention de la planète du spectacle de son expansion continue en Cisjordanie. La chance de Lucifer au Moyen Orient, c'est que le tombeau de Mohammad est de si peu de prix aux yeux de ses disciples que les peuples arabes ne sont pas près de se lever pour la Croisade, à l'exemple de Henri IV d'Allemagne, dont j'ai déjà rappelé qu'il eut l'habileté de prendre la tête d'une gigantesque expédition de plus des chrétiens en terre sainte et qu'il retrouva à la pointe du glaive les lauriers de la piété dont Canossa avait terni la couleur aux yeux de ses sujets.

10 - Un regard nouveau sur la condition humaine est-il possible ?

L'étude de la boîte osseuse d'une espèce onirique de naissance peut-elle conduire à une interprétation anthropologique et critique de l'histoire universelle, donc à une science des à-coups que subit l'évolution cérébrale de notre espèce? Certes, la rechute soudaine du marxisme dans le culte du profit capitaliste a achevé de nous convaincre de la nécessité d'observer les accélérations et les retards alternés du cerveau de l'animal schizoïde et de l'urgence de nous interroger sur les apories focales et inguérissables auxquelles la condition simiohumaine se trouve livrée par la dichotomie durable qui nous scinde entre le réel et le songe.

Paradoxalement, le monde moderne nous conduit à un examen plus attentif qu'autrefois des ressources intellectuelles provisoires dont la pensée religieuse des origines s'était maladroitement armée; car les premiers théologiens tentaient, sans le savoir, de se mettre en imagination aux commandes d'une divinité dont ils ignoraient combien elle se trouvait biphasée à leur image. Du coup, ils s'adjugeaient un embryon de regard de l'extérieur sur un animal intellectuellement dédoublé par ses idoles et qui se trouvait scindée à son corps défendant entre des mondes oniriques exaltants et les vaines platitudes d'ici-bas. C'est pourquoi l'axiome fondateur du christianisme soutient encore de nos jours que la condition simiohumaine doit nécessairement se soumettre d'avance au joug d'une conversion imposée de l'extérieur par l'idole afin de se rendre viable sur la terre et que, faute que "Dieu" débarquât de sa propre initiative dans la conscience du fidèle, jamais la politique ne connaîtrait l'harmonie et l'équilibre indispensables au train des travaux et des jours du vieux Pindare.

Pour faire progresser l'encéphale grippé du genre humain tout autrement qu'aux dernières heures du paganisme, il faut donc le convaincre que, depuis la nuit des temps, tout chef d'Etat et tout général commencent par demander, les premiers aux citoyens, les seconds à leurs soldats d'intérioriser la souveraineté de leur chef, de se convertir à la volonté de le servir et de se rallier entièrement à ses vues afin de l'aider à conquérir le monde entier. Si le cerveau de notre espèce n'apprenait pas en tout premier lieu à porter sur ses maîtres un regard de l'extérieur, comment se verrait-il jamais lui-même du dehors?

J'ai dit ailleurs que l'érémisme souverain est l'héroïsme des hommes de génie; car, faute de conquérir sa propre solitude dans le néant, l'humanité demeurera bipolarisée par ses chefs et elle se ruera fatalement dans l'utopie des fausses saintetés dont la prêtrise marxiste fut le dernier avatar. Mais l'ultime naufrage du rêve politico-religieux de Karl Marx dans une dictature prétorienne de type sacerdotal par définition place désormais la distanciation cérébrale propre à l'anthropologie scientifique dans des conditions exceptionnellement favorables à une prise de vue planétaire de l'évolution de la conque osseuse qui couronne notre espèce. Quelle chance, pour l'humanité, d'avancer à la faveur d'une réflexion d'un type nouveau sur la mort! Car le ciel nous avait fait asseoir sur un tonneau de poudre; et nous ne pouvions ni démontrer, ni réfuter les explosifs posthumes qui nous menaçaient puisque "Dieu" les avait habilement placés hors de notre examen. Mais maintenant, nous nous trouvons acculés à courir à tombeau ouvert en direction de notre intelligence à nous et de nous demander si nous pouvons lui faire presser le pas.

11 - Des animaux à décrypter

Depuis des millénaires la marche de notre intelligence se traînait sur la route et dans la poussière d'une lente progression de notre connaissance de la matière et de la vie ; et maintenant, c'est à un tout autre type de conquêtes rapides de notre raison que nous avons affaire. Car nous ne nous colletons plus principalement avec la nature inanimée, mais avec notre propre tête. Qu'en est-il des négociations et des empoignades avec nos doublures dans des mondes imaginaires auxquelles notre encéphale sert de théâtre depuis le paléolithique? Qu'en est-il des mimes cérébraux qui servent de miroirs et de guides à nos effigies tour à tour flatteuses et terrifiées dans le néant ? Nous avons perdu l'interlocuteur taillé à notre mesure qui nous adressait la parole dans le cosmos.

Certes, et tout à notre image, il se montrait tour à tour conciliant et furieux, patelin et menaçant, retors et souverain; mais enfin, nous avions trouvé quelqu'un à qui nous adresser. Et maintenant, seuls les dieux locaux que nous sommes demeurés à nous-mêmes de tous temps et sous divers déguisements astucieux ou grossiers, et maintenant seules nos propres effigies nous donnent la réplique dans le vide et le silence dans lesquels nous nous trouvons immergés pour l'éternité. C'est une terrible joute que celle qui met nos territoires aux prises avec les dieux que nous sommes devenus à nous-mêmes. Car ces maîtres de nos épouvantes nous habitent plus que jamais. Nous sommes demeurés à leur école et à leur écoute. Nos dieux sont encore là, nos dieux s'obstinent encore à nous harceler. Que faire de la foudre que notre idole a remise entre nos mains?

Décidément, il va falloir en découdre avec les Célestes défunts dont les sépulcres nous piègent en retour; décidément, il va falloir apprendre à connaître les otages de nos dieux morts. Par chance, nous savons dans quelle arène du "Connais-toi" ils nous ont donné rendez-vous. C'est une noble tâche de devenir un peu moins bêtes qu'autrefois, c'est une grande ambition de construire la balance à peser la stupidité de notre espèce, c'est une tâche digne de nos chromosomes futurs d'éduquer nos chefs et nos maîtres, c'est une vocation glorieuse et salutaire d'envoyer côte à côte Dieu et Machiavel en apprentissage de notre véritable histoire. Quand ils auront appris à se regarder droit dans les yeux, ils se diront l'un à l'autre: "Que savions-nous de l'enclume et de la forge, que savions-nous de la cécité religieuse de la créature, que savions-nous des entrailles des sacrifices. Décidément, nous sommes redevenus des animaux à décrypter."

Publié le 25 avril 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/


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