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Analyse
L'intelligence humaine progresse-t-elle
par saccades ?
La politique nucléaire et
l'anthropologie critique
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 25 avril 2010
1 - Les deux niveaux de la science
historique
2 - Où le haut Moyen Age nous tire
par la manche
3 - Introduction à la science de la
démence
4 - Le principe des vases
communicants
5 - Le cerveau démocratique
6 - Le cerveau actuel de la France nucléaire
7 - La boîte osseuse de la France
8 - Le maître des imaginations
9 - L'instinct de conservation des idoles
10 - Un regard nouveau sur la
condition humaine est-il possible ?
11 - Des animaux à décrypter
1 -
Les deux niveaux de la science historique
Il est des
époques privilégiées où l'histoire et la politique semblent se
donner le mot pour illustrer de conserve les contradictions
internes qui frappent d'une infirmité partagée deux disciplines
vieilles comme le monde, mais soudain désemparées et appelées à
retourner ensemble sur les bancs de l'école. Car la distance qui
séparait depuis longtemps l'agitation des diplomates livrés au
clapotis des événements du moment et la profondeur de la
réflexion des grands historiens qui ridiculisaient les vaines
gesticulations des chancelleries prend des allures tellement
caricaturales que l'anthropologie critique en profite pour
prendre avantage d'un hiatus devenu aussi rapidement
spectaculaire entre le quotidien de la raison et le long terme
de l'intelligence et pour poser allègrement les jalons d'une
réflexion prospective.
Voyez la
rencontre artificielle et toute de parade de quarante sept Etats
précipitamment réunis à Washington sous la houlette de M. Barack
Obama, dont la vocation pastorale subit des coupures de courant,
mais qui avait besoin d'un nouvel affichage catéchétique. Les
conciles démocratiques feraient-ils donc la loi du monde et dans
l'urgence? Si je ne cesse d'observer un parallélisme étroit
entre l'histoire des doctrines religieuses et celle de la pensée
politique, c'est parce qu'il n'est pas de démonstration plus
frappante de ce que la planète suit un cours que le sceptre de
M. Barack Obama échoue non moins à soumettre à son commandement
que la théologie pontificale d'autrefois à corseter le globe
terrestre.
Car enfin, voilà le saint conclave d'une
demi-centaine d'Etats tout soudainement censés prévenir une
catastrophe nucléaire sans cesse retardée depuis soixante cinq
ans; mais la question de la crédibilité politique et militaire
subitement accordée à de l' excommunication majeure des modernes
n'est posée par aucun gouvernement. Quelle circonstance rêvée
pour raconter à deux niveaux l'histoire saccadée du cerveau
d'une planète placée avec constance sous les armes, d'un côté,
mais livrée de l'autre aux à-coups de l'anecdotique.
2 - Où
le haut Moyen Age nous tire par la manche
Narrons d'abord
l'hétéroclite, le tohu-bohu, et le dérisoire des secousses qui
font l'écume des jours: toute la presse nationale française a
privilégié les bruitages convenus. Les Français ont été tenus
soigneusement à l'écart des informations sérieuses qui leur
auraient appris que les électrochocs de l'éphémère font
désormais vaciller les grands prêtres. Le pape des décharges
électriques de la démocratie mondiale a déclaré que, dans sa
bénignité infinie, l'Amérique de la paix et de la justice
renonçait à pulvériser les pays privés du feu nucléaire. Mais
s'il est un progrès de la pudeur politique qu'on croyait
tacitement acquis depuis 1945, c'était qu'aucun Etat converti au
culte de la Liberté ne réitèrerait les exploits d'Hiroshima et
de Nagasaki sur un adversaire incapable de riposter. Pourquoi
prendre acte d'un perfectionnement des tensiomètres de la
démocratie brevetés depuis longtemps et déposés au bureau des
inventions depuis belle lurette? Pourquoi afficher
précipitamment et avec une solennité suspecte une détermination
aussi vertueuse d'apparence? A seule fin de repeindre à toute
allure et toutes affaires cessantes le trône écaillé de la
sainteté américaine. Pourquoi des couleurs aussi vives, et
pourquoi en ce moment ? Parce qu'au même instant et dans la
foulée, M. Barack Obama proclamait que l'Iran et la Corée du
Nord ne bénéficieraient nullement d'une mesure de grâce
entérinée sans le dire depuis treize lustres : les jours de ces
Etats seraient comptés s'ils devaient persévérer dans le péché
mortel de se doter des mêmes armes et des mêmes foudres
qu'Israël.
Du coup - mais les Français n'en ont rien su
- les députés iraniens de l'opposition ont proclamé leur devoir
patriotique de défendre la dignité de la nation et de dénoncer
l'immoralité du Tartuffe gigantal de la Liberté sur la scène
internationale. Décidément, c'est une grande défaite politique
pour un géant de cette taille de se trouver accusé d'immoralité
devant un parterre de tous les peuples de notre astéroïde .
Comment régner sur le théâtre du monde si l'on n'est plus seul à
brandir le sceptre du Bien et du Mal sur les cinq continents?
Au tour de l'Iran
de réunir dans sa capitale une conférence internationale du
droit et de la vertu. Soixante-dix Etats décident de s'y faire
représenter à des niveaux diplomatiques divers. Et voici que la
Turquie demande à la communauté mondiale des Etats civilisés de
se livrer à une analyse géopolitique commune sur la sécurité
d'un peuple livré aux fauves nucléaires qui l'assiègent de
toutes parts, et voici qu'Istanbul se concerte avec le Brésil
afin de faire front à ses côtés, et voici que M. Medvedev réfute
la politique des ventres creux qui décime pieusement des peuples
entiers et y affame les jeunes générations, et voici qu'aux yeux
du concile des hérétiques il devient barbare de se venger sur
les femmes et les enfants de l'indocilité des dirigeants d'une
nation à l' égard de Washington, et voici que la Russie exclut
que le peuple iranien puisse se trouver paralysé par
d'éventuelles sanctions économiques, et voici que la Chine feint
d'entrer un instant dans la stratégie des fausses dévotions,
mais pour qu'elles déshonorent les idéalités régnantes sur les
cinq continents; et voici que les mandarins rappellent qu'une
acceptation du bout des lèvres de débattre avec l'adversaire
fait partie du jeu de go et ne peut que conduire à la défaite du
demandeur, et voici que la France refuse catégoriquement de
réduire son arsenal nucléaire, sous prétexte qu'elle l'aurait
d'ores et déjà réduit à la portion congrue; et voici que le pays
de Descartes pousse l'incohérence mentale jusqu'à hurler avec
les loups, mais sans lâcher sa prise pour autant. Comme il est
difficile d'aboyer la mâchoire pleine!
L'intelligence de
notre espèce serait-elle placée sur courant alternatif? Son
ampérage varierait-il brusquement et la ferait-elle progresser
ou rétrograder par secousses ? Passons donc de l'histoire
tumultueuse, partielle et matamoresque à l'histoire des cerveaux
et des âmes. Un capitaine absent nous appelle à descendre dans
les soutes la lanterne de Diogène à la main. Si nous assistons à
des accélérations et à des freinages rapides de notre capacité
de réflexion, il nous faut rappeler les brusqueries de la nature
à l'égard de notre encéphale et préciser les cas où notre boîte
osseuse se trouve bousculée et ceux où elle tombe en léthargie,
faute de recevoir les décharges appropriées.
Car enfin, le
haut Moyen Age nous tend la main, nous tire par la manche, nous
cligne de l'œil, le haut Moyen Age se change sous nos yeux en
Pythie du feu thermonucléaire. La chute du genre humain dans les
ténèbres éternelles à laquelle recourait le Saint Siège de
l'excommunication majeure était-elle plus crédible que
l'extinction de notre pauvre espèce dans la fournaise du feu
nucléaire? Pouvons-nous faire hâter le pas à Zeus et l'aider à
étendre son regard jusqu'aux confins du monde?
3 - Introduction à la science de la
démence
Au premier abord, l'hypothèse de notre
prééminence cérébrale paraît la mieux étayée; mais, sitôt que
l'on y réfléchit le caducée de Mercure à la main, l'apocalypse
théologique endosse la cuirasse la plus sûre. Songez donc: Adam
s'était imaginé qu'il existait un créateur de l'univers, lequel
aurait pris soin de remettre entre les mains de son vicaire le
pouvoir extraordinaire de livrer à la géhenne le peuple entier
des croyants; songez donc, en ce temps-là, la foudre du Zeus
nouveau régnait en solitaire sur toute la chrétienté; songez
donc, en ce temps-là, la crédulité des semi évadés de la
zoologie était si grande que personne ne doutait de l'efficacité
du thermonucléaire théologique dont la foi et la sainteté
attisaient le feu infernal sous les rôtissoires de l'éternité.
Et maintenant, voyez la perplexité des
soutanes du nucléaire, voyez comme ce clergé s'interroge et
s'étonne! D'abord, se dit-il, si nous n'apprenons à porter sur
notre espèce un regard de l'extérieur et si notre animalité
spécifique défie notre rétine, jamais nous n'expliquerons
pourquoi Moscou et Washington se congratulent avec tant de
chaleur d'avoir seulement réduit quelque peu le multiplicateur
arithmétique qui leur permet de détruire aussi entièrement
qu'auparavant la planète sur laquelle ils se trouvent réduits à
sautiller ensemble. Comment livrerions-nous à la pesée la
capacité cérébrale du singe vocalisé si l'excommunication
majeure à laquelle Rome s'exerçait toute seule livrait d'un coup
et définitivement Adam aux fourches et aux marmites du Diable et
si, par conséquent, Dieu et son Pape étaient un peu moins
stupides que Washington et Moscou, puisque ces deux-là se
vantent exclusivement d'avoir réduit quelque peu le nombre des
auto-pulvérisations de l'humanité auxquelles notre astéroïde est
en mesure de recourir la lance d'Athéna à la main.
Mais, du coup, la
question de la crédibilité respective de l'excommunication
majeure d'un côté et de l'excommunication nucléaire de l'autre
change entièrement de casque, de chapelet et de prie-Dieu, parce
que plus les peuples sont demeurés agenouillés, plus ils
mijotent dans le fantastique et le fabuleux, de sorte que les
mondes imaginaires devant lesquels ils se prosternent s'imposent
aussi irrésistiblement à leur pauvre cervelle que leurs délires
sacrés sèment des ex-votos dans leur tête. Or, l'effort
intellectuel qui met sous tension la boîte osseuse d'une espèce
désormais relativement cérébralisée ne l'a pas détournée de l'
héroïsme suicidaire dont elle se targue, de sorte qu'elle
demeure fièrement décidée, dit-elle, à prendre la relève de la
volonté d'extermination qui inspirait sa doublure dans le ciel
de ses ancêtres - celui dont l'idole de l'époque s'était
illustrée par le génocide du Déluge. L'auto-pulvérisation
nucléaire est-elle donc plus probable ou plus aléatoire aux yeux
des spécialistes que celle d'un animal autrefois convaincu de se
trouver pris en étau entre les mains de fer d'un ciel ensauvagé,
sans scrupules et impossible à fléchir?
Pour tenter de l'apprendre, déposons
l'encéphale actuel du genre simiohumain sur l'un des plateaux de
la balance à peser l'embryon de raison dont jouit notre espèce
et sur l'autre la conque crânienne de nos lointains ascendants.
O surprise, voici que, tout à l'opposé de notre première
hypothèse, l'excommunication majeure de l'Eglise se révèle
beaucoup plus crédible que celle du Vatican multicéphale des
matamores de leur propre trépas sous le feu nucléaire.
4 - Le
principe des vases communicants
Afin de tenter de démontrer un théorème
aussi hasardeux en apparence, les anthropologues actuels ont
inspecté la matière grise de l'animal en question à l'aide de la
méthode suivante : puisqu'on n'a jamais réfuté le bon sens de la
nature naturante dont les physiciens ont élevé les exploits au
rang d'un principe, celui des vases communicants, ils se sont
dit que si vous faites couler à l'aide d'un tuyau le contenu
d'un récipient plein à ras bords dans un récipient à moitié
vide, le niveau des liquides s'équilibrera en raison de la
pression égale que la masse atmosphérique exercera sur les deux
contenants. Pourquoi n'en serait-il pas de même si l'on
transvasait le contenu du cerveau du XIe siècle dans le cerveau
du XXIe?
Vous me direz que les deux liqueurs ne sont
ni de la même couleur, ni de la même densité, ni de la même
fluidité. Raison de plus pour constater que la plus foncée des
deux assombrira la plus claire et vice et versa et que ce
changement de la luminosité et de l'épaisseur du flux de l'une
et de l'autre se révèlera précisément révélatrice de la nature
de leur mélange. Car la théologie est d'une coloration plus
proche du noir, à cause du Diable qui y a élu domicile et qui
ternit en elle l'éclat du Créateur, tandis que la
thermonucléorologie ne parvient pas à emprunter entièrement la
teinte de la mixture infernale.
Mais il y a mieux: la sottise des incroyants
d'aujourd'hui -ils multiplient bêtement leurs pulvérisations
nucléaires dans le vide de l'immensité - leur sottise, dis-je,
n'est-elle pas plus pesante et plus inguérissable que celle des
croyants que leur piété livre à une seule extermination
théologale? Vous commencerez donc de vous demander quel intérêt
terrestre Washington a trouvé de réunir un concile mondial à
seule fin de diminuer le nombre des rôtissoires du néant. C'est
qu'il s'agit primo, de menacer exclusivement deux Etats privés
de la foudre, comme il est rappelé plus haut, secundo, d'éviter
soigneusement de soumettre aux pères conciliaires l'examen de la
question de la crédibilité de la fulmination dans le temporel
qui a succédé à celle de la divinité dans les nues.
Du coup et de fil
en aiguille vous découvrirez le fonctionnement secret de toute
la machinerie politico nucléaire de la nouvelle planète des
songes; car vous verrez à l'œil nu ses rouages, ses engrenages
et ses ressorts sécréter une substance étrange, l'hypocrisie
politique ; et vous vous demanderez pourquoi l'hypocrisie se
donne nécessairement les armes d'une démence para religieuse.
C'est dire que, dans le cas où le masque
sacré de la faiblesse d'esprit qu'arbore la théologie nucléaire
était le même que celui des allumeurs de la foudre de Dieu, vous
vous trouveriez en mesure de comparer les ingrédients de la
mauvaise foi de Zeus avec ceux dont use sa créature. Mais pour
cela, il vous faudra peser les armes de la peur dont disposent
respectivement l'Olympe et la terre.
5 - Le
cerveau démocratique
Pour bien comprendre ce point difficile,
revenons un instant à la pesée comparée des atouts dont dispose
la sainteté divine pour exterminer l'humanité et de ceux dont
jouit l'auto-pulvérisation thermonucléaire dont nous nous
menaçons désormais nous-mêmes. Pour apprécier le goût nouveau de
se terroriser à ses propres frais et faute que le ciel soit
encore de taille à y pourvoir, spectrographions la cécité de
l'animal théologisé et celle de l'animal nucléarisé. Pour cela -
excusez mon retard - un bref retour à l'observation de
l'encéphale de nos ancêtres se révèlera indispensable à la
rédaction d'un diagnostic irréfutable. Car il est établi
qu'Henry IV d'Allemagne, qui régna de 1056 à 1106 et dont
l'armée entière avait été vilainement précipitée en enfer par
Grégoire VII, ne croyait pas un traître mot du contenu
proprement religieux de l'excommunication majeure dont le pape
avait frappé la puissance militaire de l'empire. Ce ne fut donc
en rien dans un esprit de sincère et pieuse pénitence qu'il se
soumit à la voix du ciel de son siècle, mais seulement en
guerrier malheureux, parce qu'il avait été vaincu à plate
couture sur le champ de bataille des dévotions terrifiées
auxquelles l'encéphale de l'humanité de l'époque servait encore
de théâtre.
C'est pourquoi nous devons examiner de plus
près la composition des cerveaux dont l'imagination
parareligieuse actuelle a fait ses otages et qui croient
désormais dur comme fer en l'efficacité guerrière de la foudre
que brandissent des Jupiter locaux. On sait que quelques grands
Etats et un tout petit se sont habillés en incendiaires de
l'atome. Mais s'il est extraordinaire qu'au XIe siècle déjà, les
vrais chefs d'Etat disposaient d'une avance intellectuelle de
plusieurs siècles sur l'entendement moyen de leurs
contemporains, n'est-il pas essentiel de nous demander ce qu'il
est advenu de la prodigieuse inégalité cérébrale des divers
spécimens entre lesquels notre espèce se divisait il y a un
millénaire seulement de cela?
Puisqu'aucun général d'Henry IV d'Allemagne
n'a accordé crédit au sceptre du vicaire romain de Jésus-Christ,
la question que soulève l'anthropologie critique est de préciser
jusqu'à quel échelon au sein de la hiérarchie militaire les
forces de combat de l'époque ont basculé dans l'orthodoxie
romaine. Or Henry IV n'a pas eu à recourir à la méthode
classique de l'exécution publique d'un soldat sur dix qu'entrainait
la rébellion des légions de la Louve. Pour que son armée
retrouvât ses esprits, il lui a suffi de pendre haut et court
quelques pelotons de capitaines épris de scolastique et un
quarteron de colonels dévots. Quelle économie de têtes
galonnées, mais également quelle démonstration de ce que le
grégarisme religieux, qu'il soit coûteux ou à bas prix, ne l'a
emporté sur la fidélité à l'empire que jusqu'à un grade peu
élevé. Quelle est, en revanche, la solidité mentale moyenne des
chefs d'Etat et des généraux des démocraties de l'atome et
comment la peser à peu de frais? Leur encéphale est-il de la
trempe de celui de Henry IV au XIe siècle ou de celui des gradés
que cet empereur a dû se résigner à faire gigoter au bout d'une
corde?
6 - Le
cerveau actuel de la France nucléaire
On
sait que le Général de Gaulle fut le premier chef d'Etat à
comprendre que l'atome est une arme imaginaire par nature et que
c'est précisément son inexistence dans l'ordre militaire qui lui
confère l'aura théologique qui terrorisera pour deux ou trois
générations les esprits microscopiques de la planète de notre
époque. C'est pourquoi ce chrétien a doté la France de la foudre
apocalyptique encore indispensable aux grands Etats. Mais il a
pris soin de la proclamer efficace du ponant au couchant, afin
de signifier à tout l'univers des cerveaux embryonnaires de son
siècle que le feu divin s'était transporté sur la terre et qu'il
se trouvait pointé dans toutes les directions de l'univers
euclidien. C'est que seule une ubiquité de la terreur calquée
sur l'épouvante religieuse pouvait rendre efficace une sottise
mythifiée depuis la Genèse.
Une telle philosophie de la politique était anthropologique
avant la lettre. Elle présupposait, primo, non seulement
qu'en politique il ne suffit pas d'avoir cent fois raison, mais
qu'il ne sert de rien d'avoir cent fois raison si l'on ne
dispose pas des moyens de convaincre la sottise; secundo,
qu'on peut avoir cent fois tort, on l'emportera plus aisément
que si l'on a cent fois raison, parce que l'erreur est toujours
et nécessairement plus convaincante que la vérité, puisque sa
conformité à la structure des cerveaux du moment la rend
fatalement majoritaire. C'est pourquoi Henry IV d'Allemagne n'a
pas argumenté avec les rebelles - se montrer le plus fort était
la seule réponse efficace, parce que les sots s'imaginent qu'on
ne saurait avoir raison à se montrer le plus faible, de sorte
que Dieu lui-même avait tort de se montrer désarmé par le gibet
et la corde. Comment combattre la stupidité nucléaire, sinon en
posant à l'anthropologie critique la question décisive de savoir
si notre évolution cérébrale peut changer d'allure et de dégaine
et si nous pouvons lui apprendre à modifier son rythme?
Certes, il est
déjà arrivé que notre cervelle subisse des accélérations de son
pas. Les dieux antiques ont décliné avec lenteur, puis c'est à
toute vitesse que nous leur avons refusé un squelette, des
muscles et des viscères, dans l'illusion qu'à les vaporiser dans
le vide, ils retrouveront l'armure mentale nécessaire à
l'ancienne efficacité politique de leur trône dans l'immensité.
Mais, du coup, faute de charpente sur laquelle prendre appui,
nos Célestes ont perdu beaucoup de leurs anciens apanages, de
sorte que nous avons imaginé de nous redonner une divinité en
chair et en os et de la doter de l'esprit de Zeus. Cette
mutation ultra rapide de notre masse cérébrale n'a pris que
quelques décennies. Un long sommeil a suivi ce petit saut.
Pouvons-nous soumettre la foudre apocalyptique qui nous brûle
les doigts à un amaigrissement précipité? Nullement, parce que
le mode même d'accélération auquel nous devons soumettre notre
évolution cérébrale a changé de nature.
7 - La
boîte osseuse de la France
Pour en juger, observez la boîte osseuse de
la France dont Nicolas Sarkozy assure le pilotage. Le 12 avril
2010, ce chef d'Etat a proclamé à Washington que seule une
apocalypse de belle taille assurerait la sécurité militaire de
la Gaulle et qu'au-dessous de trois cents ogives nucléaires, la
survie physique du pays se trouverait dangereusement menacée, du
moins en ce bas monde. De plus, a-t-il ajouté, nous disposons de
quatre sous-marins spécialisés dans la pulvérisation de notre
astéroïde. L'un de nos quatre mousquetaires de l'apocalypse
sillonne les océans nuit et jour afin de détecter sur l'heure
l'ennemi qui pointerait son museau dans l'immensité des étendues
liquides avec l'intention évidente de couper notre tête d'un
seul coup de hache.
Comment peser l'encéphale placé aux
commandes de la nation? Il y faut un renversement radical de la
dialectique de la foi en usage depuis le XIe siècle, parce que
tout Etat armé en Goliath de la sottise du monde peut maintenant
se vanter de rivaliser avec Dieu le père dans le cosmos, de
sorte que la question du statut psychique et mental de la foudre
terrestre pose désormais le plus clairement du monde la question
décisive du poids des feintes auxquelles les chefs d'Etat
d'aujourd'hui peuvent s'exercer et, tout particulièrement, le
cerveau du roi que les Français se sont donné pour cinq ans.
Revenons donc à
bride abattue à la question de la pesée des deux encéphales du
simianthrope évoqués plus haut et demandons-nous à nouveau si le
caractère mythologique de la bombe suicidaire est plus
fantasmagorique que l'excommunication théologique du XIe siècle.
Car, depuis le Déluge, il était devenu impossible aux
théologiens de la rage du Dieu de sa propre sottise de démontrer
que l'idole des chrétiens se retenait d'user des dernières
ressources de la folie furieuse, puisqu'elle y avait déjà
froidement recouru quatre millénaires plus tôt, selon la
chronologie de Bossuet et de l'Eglise de l'époque, dont on sait
que Richard Simon ne l'a réfutée qu'en 1678. Aussi le vicaire
général de l'apocalypse jouait-il sur le velours. Il n'y avait
aucun danger, disait-il, que Dieu fût jamais démenti, puisque
Grégoire VII n'avait fait que témoigner de la fidélité à
elle-même de la jurisprudence du monstre céleste dont la sainte
volonté d'anéantir sa créature était demeurée d'une remarquable
constance.
Mais le
déclenchement d'une inondation décidée en haut lieu
préfigurait-il une noyade universelle d'un type inédit, celle de
la suffocation de l'humanité pécheresse sous les pieuses
poussières de l'atome punitif? L'humanité actuelle se trouve
condamnée non plus à soupeser le crâne et les gènes du
génocidaire divin des ancêtres - ses grâces sont à l'agonie -
mais seulement ses propres chromosomes cérébraux, afin
d'apprendre à l'école de leur doublure mythique dans l'éternité
si, oui ou non, les épouvantés de l'immensité sont aussi
suicidaires qu'ils le prétendent.
On voit que la question de l'accélération de
notre évolution cérébrale n'est pas une mince affaire; car le
moteur de ce changement d'allure, c'est de l'immensité et du
vide qu'il doit recevoir des décharges électriques à haute
tension.
8 - Le
maître des imaginations
Pour tenter de débattre de cette question en
comparatiste des voltages respectifs de la boîte osseuse du ciel
et de celle de la terre, observons la logique interne qui
commande cet ampérage dédoublé; et, pour cela, commençons par
peser le degré de cohérence interne de la question posée depuis
le XIe siècle. A quel moment la logique d'Henry IV d'Allemagne
est-elle autorisée à s'imposer dans le débat sur le nucléaire?
Car si la divinité du Moyen Age avait fait valoir à sa créature
qu'elle disposait de la capacité de l'anéantir deux mille fois,
aurait-on jugé sains d'esprit les Isaïe ou les Jérémie de
l'époque s'ils avaient supplié le créateur de réduire ce nombre
de moitié ? J'ai rappelé plus haut que les Etats-Unis et la
Russie ont sottement consenti à limiter leur propre puissance
céleste à quelque deux mille auto pulvérisations du globe
terrestre et que cette parcimonie a été saluée par des actions
de grâce du monde entier: il s'agirait, prétendent en chœur les
sots chefs d'Etat d'aujourd'hui, du progrès le plus décisif et
le plus intelligent que les idéalités de la démocratie auraient
accompli depuis trente ans dans l'usage d'une arme dont nos
dirigeants ignorent encore qu'elle est mythologique par nature
et par définition.
Faut-il en conclure que le cerveau simiohumain d'aujourd'hui, et
notamment celui des chefs d'Etat des plus grandes démocraties du
monde serait retombé à un niveau de la raison fort inférieur à
celui des dirigeants du Moyen Age? Nullement: simplement, un
Barack Obama et même un Sarkozy ont assimilé d'instinct la
diplomatie de la déflagration imaginaire de Grégoire VII: ils
savent que le cœur de la politique est "l'art de dominer les
imaginations", comme disait Necker et qu'un Etat qui
parvient à donner l'illusion de disposer de la capacité de
destruction dont jouissait l'ex-Dieu du Déluge peut se rendre le
maître, certes illusoire, mais aussi incontesté du monde entier
que l'Eglise de l'an mil. Telle est la stratégie de la
bénévolence qui tente de convaincre l'Iran qu'il lui suffira de
se rendre pieusement à Canossa pour que la jouissance de toutes
les prérogatives et apanages propres aux puissances piteusement
régionales lui soient accordées de bon cœur par la communauté
internationale des dévots de leur foudre. C'est donc la logique
interne de cette proposition qu'il faut tenter de réfuter à
partir d'une pesée anthropologique du cerveau simiohumain
d'aujourd'hui.
9 -
L'instinct de conservation des idoles
Le premier pas de cette démonstration sera
d'apparence facile: comme il se trouve que l'ironie en serre
dont la philosophie socratique conserve précieusement la semence
survit en quelques recoins du paysage mental de notre
civilisation, il ne sera pas entièrement impossible de faire
remarquer au singe semi cérébralisé que deux mille auto-
pulvérisations à la queue leu leu dans l'immensité du cosmos ne
sont pas moins imaginaires que deux mille six cents et qu'il
serait fort sage de tenter de convaincre notre espèce de peser
la crédibilité d'une seule apocalypse universelle sur une
balance transanimale afin de réapprendre à raisonner peu ou prou
l'école des encéphales supérieurs du XIe siècle. Car, en ce
temps-là, l'humanité ne débattait pas du pourcentage de la
réduction de l'apocalypse que Dieu était prêt à consentir à sa
créature.
Mais il sera
difficile de démontrer aux singes d'Etat actuels que le dieu de
la Genèse bénéficiait d'une folie dont la solitude dans
l'immensité cautionnait la crédibilité et de les convaincre de
ce que les tyrannies petitement partagées s'émoussent
nécessairement à se frotter les unes aux autres dans l'éternité;
car les trônes de l'atome se trouvent en rivalité entre eux et
se menacent réciproquement de s'auto-renverser ensemble et d'un
seul élan. Comment convaincre le Moyen Age d'aujourd'hui que les
dieux nucléaire, eux aussi, tiennent à leur peau et que vous
n'en trouverez pas un seul qui se suicidera d'un cœur léger sous
son parasol. Pourquoi l'un d'entre eux perdrait-il la tête à ce
point-là? C'est pourquoi l'étude de l'instinct de conservation
qui tenaille les entrailles de tous les dieux figure au
programme des difficultés que l'anthropologie critique rencontre
dans son entreprise de soumettre l'encéphale de l'humanité à un
changement de vitesse de son évolution dans le vide.
Par bonheur la démonstration de ce que Dieu
est un personnage de son temps nous sera grandement facilitée
par l'examen des causes très particulières et locales à souhait
qui lancent la terre entière des divinités de l'atome à la
poursuite de l'Iran chiite. Car Israël a fait changer de dégaine
à Lucifer. Son sosie s'applique maintenant à chasser des
dizaines de milliers de fidèles d'Allah de la terre de leurs
ancêtres, et pour cela, il lui faut détourner l'attention de la
planète du spectacle de son expansion continue en Cisjordanie.
La chance de Lucifer au Moyen Orient, c'est que le tombeau de
Mohammad est de si peu de prix aux yeux de ses disciples que les
peuples arabes ne sont pas près de se lever pour la Croisade, à
l'exemple de Henri IV d'Allemagne, dont j'ai déjà rappelé qu'il
eut l'habileté de prendre la tête d'une gigantesque expédition
de plus des chrétiens en terre sainte et qu'il retrouva à la
pointe du glaive les lauriers de la piété dont Canossa avait
terni la couleur aux yeux de ses sujets.
10 - Un regard nouveau sur la condition
humaine est-il possible ?
L'étude de la
boîte osseuse d'une espèce onirique de naissance peut-elle
conduire à une interprétation anthropologique et critique de
l'histoire universelle, donc à une science des à-coups que subit
l'évolution cérébrale de notre espèce? Certes, la rechute
soudaine du marxisme dans le culte du profit capitaliste a
achevé de nous convaincre de la nécessité d'observer les
accélérations et les retards alternés du cerveau de l'animal
schizoïde et de l'urgence de nous interroger sur les apories
focales et inguérissables auxquelles la condition simiohumaine
se trouve livrée par la dichotomie durable qui nous scinde entre
le réel et le songe.
Paradoxalement,
le monde moderne nous conduit à un examen plus attentif
qu'autrefois des ressources intellectuelles provisoires dont la
pensée religieuse des origines s'était maladroitement armée; car
les premiers théologiens tentaient, sans le savoir, de se mettre
en imagination aux commandes d'une divinité dont ils ignoraient
combien elle se trouvait biphasée à leur image. Du coup, ils
s'adjugeaient un embryon de regard de l'extérieur sur un animal
intellectuellement dédoublé par ses idoles et qui se trouvait
scindée à son corps défendant entre des mondes oniriques
exaltants et les vaines platitudes d'ici-bas. C'est pourquoi
l'axiome fondateur du christianisme soutient encore de nos jours
que la condition simiohumaine doit nécessairement se soumettre
d'avance au joug d'une conversion imposée de l'extérieur par
l'idole afin de se rendre viable sur la terre et que, faute que
"Dieu" débarquât de sa propre initiative dans la conscience du
fidèle, jamais la politique ne connaîtrait l'harmonie et
l'équilibre indispensables au train des travaux et des jours du
vieux Pindare.
Pour faire
progresser l'encéphale grippé du genre humain tout autrement
qu'aux dernières heures du paganisme, il faut donc le convaincre
que, depuis la nuit des temps, tout chef d'Etat et tout général
commencent par demander, les premiers aux citoyens, les seconds
à leurs soldats d'intérioriser la souveraineté de leur chef, de
se convertir à la volonté de le servir et de se rallier
entièrement à ses vues afin de l'aider à conquérir le monde
entier. Si le cerveau de notre espèce n'apprenait pas en tout
premier lieu à porter sur ses maîtres un regard de l'extérieur,
comment se verrait-il jamais lui-même du dehors?
J'ai dit ailleurs que l'érémisme souverain
est l'héroïsme des hommes de génie; car, faute de conquérir sa
propre solitude dans le néant, l'humanité demeurera bipolarisée
par ses chefs et elle se ruera fatalement dans l'utopie des
fausses saintetés dont la prêtrise marxiste fut le dernier
avatar. Mais l'ultime naufrage du rêve politico-religieux de
Karl Marx dans une dictature prétorienne de type sacerdotal par
définition place désormais la distanciation cérébrale propre à
l'anthropologie scientifique dans des conditions
exceptionnellement favorables à une prise de vue planétaire de
l'évolution de la conque osseuse qui couronne notre espèce.
Quelle chance, pour l'humanité, d'avancer à la faveur d'une
réflexion d'un type nouveau sur la mort! Car le ciel nous avait
fait asseoir sur un tonneau de poudre; et nous ne pouvions ni
démontrer, ni réfuter les explosifs posthumes qui nous
menaçaient puisque "Dieu" les avait habilement placés hors de
notre examen. Mais maintenant, nous nous trouvons acculés à
courir à tombeau ouvert en direction de notre intelligence à
nous et de nous demander si nous pouvons lui faire presser le
pas.
11 - Des animaux à décrypter
Depuis des
millénaires la marche de notre intelligence se traînait sur la
route et dans la poussière d'une lente progression de notre
connaissance de la matière et de la vie ; et maintenant, c'est à
un tout autre type de conquêtes rapides de notre raison que nous
avons affaire. Car nous ne nous colletons plus principalement
avec la nature inanimée, mais avec notre propre tête. Qu'en
est-il des négociations et des empoignades avec nos doublures
dans des mondes imaginaires auxquelles notre encéphale sert de
théâtre depuis le paléolithique? Qu'en est-il des mimes
cérébraux qui servent de miroirs et de guides à nos effigies
tour à tour flatteuses et terrifiées dans le néant ? Nous avons
perdu l'interlocuteur taillé à notre mesure qui nous adressait
la parole dans le cosmos.
Certes, et tout à
notre image, il se montrait tour à tour conciliant et furieux,
patelin et menaçant, retors et souverain; mais enfin, nous
avions trouvé quelqu'un à qui nous adresser. Et maintenant,
seuls les dieux locaux que nous sommes demeurés à nous-mêmes de
tous temps et sous divers déguisements astucieux ou grossiers,
et maintenant seules nos propres effigies nous donnent la
réplique dans le vide et le silence dans lesquels nous nous
trouvons immergés pour l'éternité. C'est une terrible joute que
celle qui met nos territoires aux prises avec les dieux que nous
sommes devenus à nous-mêmes. Car ces maîtres de nos épouvantes
nous habitent plus que jamais. Nous sommes demeurés à leur école
et à leur écoute. Nos dieux sont encore là, nos dieux
s'obstinent encore à nous harceler. Que faire de la foudre que
notre idole a remise entre nos mains?
Décidément,
il va falloir en découdre avec les Célestes défunts dont les
sépulcres nous piègent en retour; décidément, il va falloir
apprendre à connaître les otages de nos dieux morts. Par chance,
nous savons dans quelle arène du "Connais-toi" ils nous ont
donné rendez-vous. C'est une noble tâche de devenir un peu moins
bêtes qu'autrefois, c'est une grande ambition de construire la
balance à peser la stupidité de notre espèce, c'est une tâche
digne de nos chromosomes futurs d'éduquer nos chefs et nos
maîtres, c'est une vocation glorieuse et salutaire d'envoyer
côte à côte Dieu et Machiavel en apprentissage de notre
véritable histoire. Quand ils auront appris à se regarder droit
dans les yeux, ils se diront l'un à l'autre: "Que savions-nous
de l'enclume et de la forge, que savions-nous de la cécité
religieuse de la créature, que savions-nous des entrailles des
sacrifices. Décidément, nous sommes redevenus des animaux à
décrypter."
Publié le 25 avril 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
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