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Lettre ouverte à
M. Vladimir Poutine,
Président de la Fédération de Russie
Manuel
de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 21 septembre 2013
Présentation
Les historiens
souligneront que l'arrêt de mort de
l'Europe aura été définitivement
signé et paraphé à Genève le 14
septembre 2013 et que le Vieux
Continent ne s'est jamais relevé
d'un second Yalta. A l'occasion de
plusieurs jours d'entretiens
décisifs sur le sort de la Syrie ni
la France, ni l'Angleterre ni,
naturellement, l'Allemagne et
l'Italie n'ont été admis à s'asseoir
respectueusement sur des tabourets
placés derrière deux souverains
solitaires, la Russie et les
Etats-Unis d'Amérique. Ce n'était
pas une surprise pour le lecteur de
ce site. Dès le mois de mai 2012, au
rythme d'une par semaine, j'ai
consacré sept lettres ouvertes au
Président de la République à lui
démontrer la fatalité de cette issue
.
-
La République
et les enjeux intellectuels de
l'histoire, Septième et dernière
lettre ouverte au Président de la
République , 8
décembre 2012
-
La République
et les enjeux intellectuels de
l'histoire, Sixième lettre ouverte
au Président de la République
, 1er décembre 2012
-
La République
et les enjeux intellectuels de
l'histoire, Cinquième lettre ouverte
au Président de la République,
24 novembre 2012
-
La République
et les enjeux intellectuels de
l'histoire, Quatrième lettre ouverte
au Président de la République
, 17 novembre 2012
-
La République
et les enjeux intellectuels de
l'histoire, Troisième lettre ouverte
au Président de la République
, 10 novembre 2012
-
La République
et les enjeux intellectuels de
l'histoire, Deuxième lettre ouverte
au Président de la République
, 3 novembre 2012
-
La République
et les enjeux intellectuels de
l'histoire, Première lettre ouverte
à M. François Hollande ,
27 octobre 2012
Pourquoi la catastrophe diplomatique
d'aujourd'hui est-elle irréversible
? Pour le comprendre, il faut se
souvenir qu'en 1956, Churchill avait
été renvoyé dans ses foyers et que
l'expédition de Suez avait été
conduite par deux nains, M. Anthony
Eden et M. Guy Mollet. La menace
ridicule de Moscou et de Washington
d'une pulvérisation atomique de
Paris et de Londres n'aurait jamais
été proférée si le vieux lion
s'était trouvé au timon des affaires
- ne serait-ce que parce que l'homme
au cigare aurait haussé les épaules
ou éclaté de rire au spectacle d'un
enfantillage diplomatique de ce
calibre. Les nains ont les nerfs
plus fragiles encore que leur
cervelle. Mais la France et
l'Angleterre tentaient de naviguer
contre le vent de l'histoire:
défendre des empires coloniaux
agonisants, c'était ouvrir un champ
immense à l'évangélisme politique
d'un Attlee.
Neuf
ans plus tôt, en 1947, la France
n'aurait pas été absente du partage
du monde lors de la deuxième
conférence de Yalta entre Staline,
Churchill et Truman si le Général de
Gaulle n'avait été renvoyé à
Colombey l'année précédente. Les
moments cruciaux de l'histoire sont
toujours pilotés en sous-main par le
jeu de deux ou trois matous avec
quelques souris. Mais, en 2013, il
n'y a pas de Titan à retirer de
l'échiquier au profit de tel ou tel
cacique à Lilliput: une République
entre deux âges est retournée se
loger chez ses parents, les borgnes
et les manchots de la IVe
République.
Mais
pourquoi une Europe à peine
sexagénaire ne se relèvera-t-elle
jamais de ce désastre diplomatique?
Parce que, sur tout le Vieux
Continent, les élections sont
devenues locales, ce qui enfante
fatalement un tour d'esprit
municipal et viscéralement étranger
à la connaissance du monde. On le
voit bien aux gémissements d'enfants
abandonnés qui montent de la "morne
plaine" de Waterloo: on sanglote de
ce que les Etats-Unis se retirent
lentement de l'Europe pour se
tourner progressivement vers l'Asie
au lieu de saluer avec des
bondissements de joie une occasion
aussi inespérée de libérer le
continent des cinq cents bases
militaires de l'étranger incrustées
sur son sol depuis soixante dix ans.
Toute la classe politique européenne
n'a même plus le bon sens de
comprendre qu'il n'y aura jamais
d'Europe politique aussi longtemps
que Ramstein, Naples, ou Sigonella
demeureront occupées par les troupes
américaines. Une civilisation
atteinte d'un tel degré de cécité
apeurée s'expulse elle-même du
théâtre du monde.
Dans
ce contexte, la Russie voit un vide
fécond s'ouvrir à son destin, celui
du sauveur d'une civilisation en
cours d'éjection de l'arène. Ce sont
les pièces de l'échiquier et les
règles mêmes du jeu qui se trouvent
changés, parce que la scène
internationale est devenue le
territoire d'un regard
d'anthropologue sur l'espèce. C'est
cette vue de l'extérieur sur le
champ de bataille que M. Vladimir
Poutine a comprise - il suffit pour
s'en convaincre de lire la lettre
imaginaire qu'il a adressée la
semaine dernière au pape François.
-
Lettre
imaginaire de Vladimir Poutine au
chef de l'Eglise catholique + Lettre
réelle à Aurélie Filippetti,
Ministre de la culture,
14 septembre 2013
Aujourd'hui et la semaine prochaine,
je tenterai d'observer le tournage
de ce film et de mettre la main sur
la caméra.
1 -
Les confitures du ciel et les
rôtissoires infernales
- M.
Président ,
A quelle
étape de son parcours saccadé l'évadé
des forêts en est-il de la fabrication
de sa boîte osseuse? La Russie
sera-t-elle au rendez-vous de la seule
histoire véritable du monde, celle de
l'intelligence des Etats? Dans quelques
mois, le monde entier évitera prudemment
de fêter le cent cinquante quatrième
anniversaire de la parution de l'ouvrage
le plus extraordinaire qui ait vu le
jour depuis le De Revolutionibus
orbium coelestium de Copernic en
1543, L'Evolution des espèces
de Darwin. Et pourtant, en ce début d'un
millénaire tumultueux, l'heure a sonné
pour la troisième fois depuis 1859
d'apprendre à poser l'encéphale de notre
espèce sur les plateaux d'une balance à
peser la marche de la raison dans la
tête du genre humain.
Mais
jamais encore il n'était arrivé que le
genre simiohumain se tournât tout entier
vers Moscou dans l'espoir d'y entendre
retentir le gong de la pensée de demain;
et maintenant, la planète attend de la
bouche des héritiers d'un tsar assassiné
en 1917 l'énoncé d'un oracle qui
livrerait notre astéroïde à une pesée
décisive de son destin cérébral.
Savez-vous que nous commençons de
connaître les paramètres de l'encéphale
de la science historique de demain et
les coordonnées de l'organe qui
observera du dehors l'animalité
spécifique de notre espèce?
M.le
Président, nous savons que la rumeur en
est parvenue à vos oreilles: nous avons
appris par un article du New-York Times
que les fuyards des ténèbres sont sur le
point d'apprendre à calibrer la folie
des songes religieux auxquels ils se
trouvent livrés de naissance. Pendant
deux millénaires, la conque cérébrale de
la bête a navigué entre les félicités de
la vie posthume et les tortures de
l'éternité sous les mâchoires du Dieu
des supplices qu'elle avait pris soin de
cacher dans les souterrains hurlants du
cosmos. Et maintenant, non seulement le
singe détoisonné observe sous votre
plume le paradis confituré et les
épouvantes infernales qui campaient dans
sa tête, mais l'animal en folie découvre
que, depuis le paléolithique supérieur,
toute sa politique et toute son histoire
flottaient sur l'océan des délires
sanglants auxquels ses rêves collectifs
le livraient pieusement.
Mais la
sauvagerie démocratisée a également
révélé que cette bête a partiellement
éteint les bougies de l'extravagance qui
éclairaient ses dévotions depuis le haut
Moyen Age et que, non seulement il lui
faut reconstituer le stock des cierges
et des chandelles de ses fantasmes
cosmologiques, mais que, sur la terre
entière, sa cervelle endormie attend
d'allumer d'autres flambeaux de son
aliénation native. Comment les nouvelles
lanternes de la rédemption
accompliront-elles l'exploit de placer
les feux et les torches de la multitude
sous les yeux de tout le monde, alors
que, dans le même temps, cette lumière
devra demeurer aussi invisible que la
précédente, dont on se souvient que le
double éclat dans les nues et sous la
terre échappait à tous les regards?
2 -
Les Etats dans l'arène de la pensée
Pour
tenter d'éclairer cette question, il
nous faut rappeler le chemin de la
pensée rationnelle par lequel l'humanité
a fait débarquer le rire, le comique,
l'ironie, la moquerie et le sarcasme
dans la politique internationale.
Savez-vous que, chez les chimpanzés, la
carrure du mâle dominant suffisait à
mettre fin aux querelles entre tel et
tel spécimen de la horde? Depuis lors,
les Etats ne s'occupent pas davantage
que leurs ancêtres simiens du contenu
cérébral ou psychique des conflits
qu'ils qualifient désormais d'
"intellectuels". Vous remarquerez que,
tout au long du XVIe siècle, la
controverse la plus universelle, la plus
décisive et la plus tragique, celle qui
troublait le sommeil de tout le genre
humain portait sur la nature véritable
ou fallacieuse du sacrifice chrétien.
Mais ce drame mondial n'a jamais
intéressé la musculature des Etats
chargés d'assurer l'ordre public. Des
dizaines de milliers de cadavres
amoncelés sur les champs de bataille
témoignaient seulement de l'aveuglement
des gouvernements, qui se ruaient les
armes à la main sur la doctrine
d'en-face.
Quatre
siècles plus tard, la difficulté qui
torturait les cerveaux dormitifs de
l'époque, celle de savoir s'il fallait
mâcher bien crue et à belles dents la
chair de la victime et boire à pleines
gorgées son sang bien frais sur l'autel
ou s'il valait mieux renoncer à dévorer
cette viande et délaisser les rasades
d'hémoglobine de Dieu pour se rabattre
seulement sur les symboles de cette
double consommation, cette difficulté
culinaire, dis-je, s'est résolue sans
l'ombre d'une réflexion anthropologique
et exclusivement par l'extinction pure
et simple de la question posée à
l'encéphale infirme de l'humanité.
Comment se fait-il qu' aucun Etat ne se
soit enquis des secrets d'une folie dont
dépendait, croyait-on, le sort de l'âme
et de l'intelligence de l'humanité?
3 - Le
débarquement du rire dans la politique
internationale
Un
siècle et demi seulement après la
parution de l'Evolution des
espèces comment voulez-vous que
la cervelle des Etats censés avoir
quitté l'univers de la zoologie de
quelques enjambées persévèrent à
vagabonder sur le modèle des bêtes
sauvages? Maintenant, l'intelligence
politique du monde s'aiguise dans une
cage tellement étroite qu'il faut
demander aux chefs d'Etat d'en briser
les barreaux, maintenant l'instantanéité
des images et des voix jointe à
l'ubiquité physique des grands
dirigeants - leur musculature bondit en
quelques heures d'un continent à l'autre
- ordonnent aux mâles dominants des
tribus de tenir entre leurs mains les
rênes de la "planète de la pensée",
maintenant, l'Europe de la raison vous
demande de substituer les neurones de
Pierre 1er aux charpentes microscopiques
des habitants de Lilliput.
Car,
après un siècle entier de massacres et
de carnages sacrés, l'Edit de Nantes de
1598 avait décidé que l'un et l'autre
camp enterreraient la hache de guerre et
que non seulement tout le monde ferait
semblant d'oublier un étripage
universel, mais que personne ne
s'interrogerait plus sur la question du
"Connais-toi" qu'avait soulevée les
ripailles ou les pudeurs gastronomiques
alternées du culte et des sacrifices
simiohumains. C'est alors que le rire
évoqué plus haut a dévalé dans l'arène
de l'histoire et de la politique du
monde avec Jonathan Swift qui, le
premier, a observé notre espèce comme un
animal sui generis, ce qui n'a été
possible qu'avec le secours du comique:
les Voyages de Gulliver ont mis en scène
une bête , le Yahou, dont la spécificité
cérébrale se manifestait par des
gesticulations carnassières et des
dévorations imaginaires devant ses
autels.
M. le Président,
l'heure a sonné de convoquer les Etats
civilisés à assister au spectacle
véritable de la politique et de
l'histoire du monde, celles d'un animal
scindé entre ses idoles et la terre
depuis des millénaires et qui donne un
congénère à déglutir à des ogres
installés dans l'immensité. Dans votre
lettre au pape François du 14 septembre
(-
Lettre imaginaire
de Vladimir Poutine au chef de l'Eglise
catholique +
Lettre réelle à
Aurélie Filippetti, Ministre de la
culture, 14 septembre
2013 ) vous avez ouvert le chemin d'une
réflexion sur ces représentations
théâtrales et sur le destin intellectuel
et spirituel de la Russie. C'est un acte
politique d'importance, pour un chef
d'Etat, d'expliciter sa vision du genre
humain. Le New-York Times en a été
tellement estomaqué qu'il vous a donné
la parole, et vous avez précisé l'avenir
théologique et anthropologique du monde.
4 - Le
Japon
Mais
comment le génie transzoologique de la
Russie articulera-t-il votre politique
de l'esprit avec le rire de
l'intelligence, donc la défense du droit
international avec une réflexion
universelle sur le cerveau de l'espèce
simiohumaine? Vous y serez aidé par les
Titans de la littérature de votre pays,
qui, le premier, a fait étinceler dans
l'arène du temps le fantastique cérébral
d'une humanité ascensionnelle. Tolstoï,
Dostoïevski, Gogol, Pouchkine, tous les
géants cérébraux de votre nation ont
observé le genre épilé avec des yeux de
zoologues de la politique et de
l'histoire, tous enseignent que le
chimpanzé cérébralisé flotte quelque
part entre le ciel et la terre et que
toute la difficulté est seulement - mais
ce n'est pas rien - de préciser
l'altitude, donc la qualité de ses
trajectoires. Observez, M. le Président,
à quelle altitude Icare traverse le ciel
de la démocratie au Japon: ce pays a
inauguré le lancement d'un navire de
guerre d'une longueur de deux cent
cinquante huit mètres et dont
l'aérodrome d'acier assure
l'atterrissage de quatorze hélicoptères
de combat. Pourquoi cet arsenal flottant
se déplace-t-il désormais jour et nuit
sur l'étendue liquide qu'enserrent des
rivages hérissés de canons?
Pour le
comprendre, souvenez-vous que la
construction du monstre avait commencé
en catimini, mais qu'il s'appelle
maintenant Izumo - ainsi l'a voulu
l'Amérique - parce que ce nom est celui
d'un cuirassé qui, en 1904, avait
participé à l'agression japonaise contre
la base navale sino-russe de
Port-Arthur. La même forteresse d'acier
avait ensuite participé à l'agression de
Tokio contre la Chine en 1937. Le
message de cette plate-forme au rayon
d'action illimité est donc politique: il
s'agit d'éveiller - en la piquant au vif
- la susceptibilité militaire de Pékin,
afin de mettre une carte de plus dans le
jeu des Etats-Unis. Ce pari semble avoir
été provisoirement couronné de succès:
l'empire du Milieu s'est mis en alerte,
et toutes les chancelleries du monde ont
subitement paru s'inquiéter de
l'émergence de la puissance navale de
l'empire du soleil levant.
Et
maintenant, portez un regard de zoologue
sur les Etats-Unis, qui ont subitement
mis en scène des manœuvres navales à
grand spectacle: une fraction de la
flotte de guerre américaine a dansé aux
côtés du ballet des cuirassés nippons et
de ses frégates les plus huppées. Et sur
quelle scène la pièce a-t-elle déroulé
ses fastes? Au large des côtes de la
Californie. Voyez-vous la nature à la
fois onirique et théâtrale des exercices
aquatiques du primate sui generis?
Ouvrez
les yeux d'Ezéchiel de la Russie. Vous
savez fort bien qu'il s'agit d'une pâle
copie de la dramaturgie mi-séraphiques,
mi-carnassières de la théologie du Moyen
Age, et cela du seul fait que le Japon
demeure un nain politique et que son
maître s'amuse à le faire parader pour
rire à ses côtes, donc seulement pour la
galerie. La base américaine d'Okinawa y
est la plus étendue et la plus peuplée
du monde. Ce pays, vassalisé depuis
soixante-dix ans, a bel et bien tenté,
il y a deux ou trois ans, de faire
déguerpir les troupes d'occupation de
son vainqueur de 1945; mais le souverain
nucléaire est descendu une fois pour
toutes du ciel à Hiroshima et il n'est
pas près de décamper des terres de son
hôte. Aussi a-t-il bien vite renversé
l'impudent gouvernement qui avait rêvé
un instant de libérer les arpents du
pays de la "protection", comme on dit,
des anges de l'atome qui "assurent la
sécurité" du pays à titre
constitutionnel et à perpétuité. M. le
Président , si la science politique
d'aujourd'hui n'apprenait pas à observer
le genre humain de l'extérieur et à
l'école du rire de l'auteur des
Voyages de Gulliver, la Russie
ne prendrait pas la tête de
l'intelligence politique du monde de
demain.
5 - La
nouvelle distanciation intellectuelle
Observons la lucidité anthropologique en
marche dans votre géopolitique.
Savez-vous pourquoi la Chine fronce les
sourcils et semble prendre au sérieux
les gesticulations d'un géant
ridiculement en représentation aux côtés
de son esclave? Savez-vous pourquoi
votre puissant allié de l'Orient feint
de prendre pour argent comptant une
simulation de ce calibre et pourquoi le
pays du Bouddha affecte de juger
redoutable un vaudeville où tout le
monde voit le vrai maître du jeu se
moquer de son domestique? Se pourrait-il
que Pékin ne vît pas clairement que le
globe terrestre est à bout de simulacres
internationaux et qu'il peine sang et
eau à remplacer l'appareil des fantasmes
religieux du Moyen Age par des foudres
plus crédibles que celles d'autrefois?
Les ressources de l'apocalypse punitive
que l'histoire mettait en scène à
l'école de Dante se seraient-elles usées
dans les têtes? Comment remédier à la
fatigue ou à la lassitude des terreurs
mythologiques qui peuplent la cervelle
de l'animal évoqué ci-dessus?
Décidément, il s'agit de décrypter à
nouveaux frais l'épuisement des
épouvantes bibliques du passé.
M. G.W.
Bush avait imaginé, en désespoir de
cause, de recharger les batteries de
l'enfer biblique avec une "guerre des
étoiles" fort difficile à faire monter
sur la scène des cosmologies mythiques.
Puis l'attentat manigancé du 11
septembre 2001 lui a permis de
substituer en toute hâte un terrorisme
moins miniaturisé que l'apocalypse au
petit pied des ancêtres; et seul un
saint-cyrien de bon sens, M. Chirac,
avait réfuté ce fantasme à se tenir les
côtes de rire. Mais les cosmologies
fabuleuses agonisent plus rapidement
qu'autrefois. Pour regonfler leur
baudruche, il a fallu feindre, dès 2013,
de fermer en catastrophe - mais pour
quelques jours seulement - les
ambassades américaines censées menacées
d'exploser dans tous les pays arabes. On
peine à redonner des plumes à
l'épouvantail providentiel du 11
septembre 2001.
Dans cet
esprit, ne pourriez-vous demander à un
Barack Obama visiblement dépité par
l'amaigrissement de la vengeance divine
et qui en est réduit, le malheureux, à
vous traiter de cancre de village,
pourquoi il échoue si lamentablement et
année après année à ratatiner la
citadelle de la torture de Guantanamo et
pourquoi le Sénat américain frémit d'une
indignation apostolique à l'idée de
rabougrir le Patriot Act? Ne permet-il
pas de gaver de force les otages de la
fureur démocratique? Mais le suicide
collectif de ces innocents les rendrait
désespérément inutilisables à la
politique internationale du simianthrope.
Ne
pensez-vous pas, M. le Président, que la
nouvelle distanciation intellectuelle
que le monde attend ne cesse d'adresser
des signes à la Russie de la raison, ne
pensez-vous pas que le recul dont
bénéficiera la pensée rationnelle du
XXIe siècle nous rappelle que la
démocratie américaine est en gésine
d'une démence de substitution à celle de
la théologie punitive et qu'elle
s'acharne à accoucher d'une mythologie
des terreurs infernales que l'Erèbe
mettait autrefois en scène dans les
têtes? Mais puisque l'épouvante
militaire use de plus en plus rapidement
les batteries qui l'alimentent, comment
prendre le relais de celle dont trois
quarts de siècle du règne de l'atome ont
si vite épuisé les ressources ? Ne
pensez-vous pas que la troisième pesée
de l'encéphale de la bête attend la
balance d'une anthropologie à la hauteur
de la question posée à la géopolitique
contemporaine par les terreurs
irraisonnées de l'humanité?
6 -
Une révolution neuronale
M. le
Président, vous avez redistribué les
cartes du jeu et changé de braquet: la
guerre atomique est impraticable et la
guerre conventionnelle a montré à son
tour ses limites: l'avenir est à la
pesée des encéphales. Un
approfondissement vertigineux du
"Connais-toi" attend ses spéléologues.
Pourquoi faites-vous quelquefois
semblant de vous tromper sur la nature
et le calibre du bouclier anti-missiles
dérisoire que Washington pointe
sottement en direction de votre
capitale? Pourquoi fournissez-vous
indirectement ses armes d'enfant à un
adversaire ignorant et stupide? Pourquoi
feignez-vous par moments de craindre une
menace mythologique par définition et
dont l'artifice ne vise qu'à détourner
l'attention abêtie des petits vassaux de
Washington, qui entend maintenir les
vaincus dans la terreur des songes en
folie de l'humanité. Mais si vous
observez de Sirius l'infirmité de
l'encéphale simiohumain d'aujourd'hui,
qui est demeuré de type onirique, vous
verrez que l'empire américain ne se
trouve ni sur un porte-hélicoptère
japonais, ni dans les geôles des
tortionnaires de Guantanamo, ni dans le
système d'allumage d'un bouclier
anti-missiles installé au cœur d'une
Europe frappée de ridicule, mais
seulement dans les crânes. Si la Russie
ne prenait pas un siècle d'avance dans
la pesée anthropologique de la boîte
osseuse de la bête, vous ne ferez pas,
de votre coup de maître en Syrie, le
point de départ de la nouvelle
navigation de l'histoire.
Certes,
vous avez démasqué la ruse du bimane
schizoïde qui cache son ambition
guerrière sous le masque de son amour
pour tout le genre humain. Mais si vous
vous laissez égarer par les feux de
Bengale que lance la semi raison
politique des rescapés de la nuit
originelle, si vous négligez l'évidence
que l'empire américain ne trône que dans
les conques osseuses de ses otages, si
vous négligez d'observer que les moutons
de Panurge ne sauraient recourir à un
autre artifice cérébral qu'à une menace
nucléaire imaginaire, vous ne
comprendrez pas la signification
anthropologique du refus des Etats-Unis
de tenir la conférence internationale
prévue en 2010 à Helsinki dans le plan
d'action du document final de la
Conférence d'examen du Traité de
non-prolifération d'armes de destruction
massive. Cette conférence reportée à
2012 n'a finalement pas eu lieu.
C'est
l'ancien inspecteur des prétendues armes
chimiques de Saddam Hussein en Irak, M.
Hans Blix, qui rappelle que cette
conférence risquait de détourner
malencontreusement l'attention de la
communauté internationale du seul
"problème iranien" et de la reporter
dangereusement sur Israël, qui a signé,
mais n'a pas ratifié la convention de
1993 et qui possède un arsenal chimique
redoutable. Vous connaissez les raisons
de l'obstruction des Etats-Unis aux
contrôles sérieux proposés par la Syrie:
il s'agit de permettre exclusivement à
Israël de posséder des armes chimiques.
Vous savez également qu'en mars dernier
des produits chimiques ont été tirés sur
les civils de Khan al Assal à Alep et
que la Syrie a vainement invité les
Nations Unies à déléguer une commission
d'experts pour enquêter sur les
responsables , mais que les Etats-Unis
ont empêché la venue de ces
spécialistes, parce qu'il était trop
clair que la rébellion syrienne en était
responsable.
Il faut
veiller avant tout à préserver d'un
examen rationnel le mythe sur lequel
Israël prend appui et selon lequel
Téhéran menacerait le globe terrestre
d'une pulvérisation radicale, mais qui
laisserait pourtant ce pays
miraculeusement hors d'atteinte et
indemne. On prétend que les gardiens de
la Révolution voulaient se rendre
orphelins de l'humanité impie tout
entière afin de s'atteler tout seuls à
la tâche de repeupler la terre de
fidèles du Coran.
7 -
"Qui veut faire l'ange fait la bête"
(Pascal)
Si
l'empire américain se tapit sous les
crânes et seulement sous les crânes,
vous voyez que, faute d'une
spectrographie de l'animal au crâne
dichotomique, l'histoire demeurera une
scène superficielle et fort éloignée de
rendre intelligibles les mondes
oniriques qu'habite la bête biphasée.
Car, j'y reviens, si l'empire américain
se tapit sous les crânes bipolaires. Sa
folie y est-elle autant en sûreté que
l'était le mythe non moins bifide de
l'excommunication majeure dans les
boîtes osseuses du Moyen Age? Encore une
fois si l'on n'apprend pas à briser les
barreaux de la geôle qui enferme le
cerveau dédoublé du genre simiohumain
d'hier et d'aujourd'hui, jamais la
mappemonde scindée entre le profane et
le sacré n'entrera dans la connaissance
rationnelle des mondes fantastiques. La
simianthropologie est la seule
discipline qui inaugurera une mutation
décisive des gènes de la raison
scissipare d'aujourd'hui.
Mais
voyez, M. le Président, comment
l'histoire intervient à point nommé et
semble prendre toujours au bon moment le
relais de l'essoufflement du mythe du
ciel et de l'enfer. Certes, la science
historique actuelle ne dispose pas
encore d'une anthropologie critique
capable de radiographier un animal
condamné à vivre dans le fabuleux et qui
y joue le jeu de ses Eden et de ses
rôtissoires alternés. Mais quel
spectacle que celui de l'évangélisme
universel qui se serait tout subitement
emparé de l'humanité et qui l'aurait
saintement armée jusqu'aux dents en
Syrie! Quelle conversion soudaine de la
bête à la sainteté d'un concept!
Car
enfin, la guerre de Damas a beau servir
de rideau de fumée à l'expansion
rampante d'Israël en Cisjordanie et à
Jérusalem, de rideau de fumée à la
stratégie de la vente bon marché du gaz
du Qatar à l'Europe, de rideau de fumée
à votre propre devoir politique de
défendre les intérêts, la dignité et le
prestige de la Russie en Syrie et en
Méditerranée, il n'en demeure pas moins
évident qu'un énigmatique masque d'ange
aura unanimement cache le vrai visage du
monde. "Qui veut faire l'ange fait la
bête", dit Pascal. Comment un phénomène
aussi universel serait-il explicable si
le bimane sui generis qu'on appelle le simianthrope n'avait besoin de se
transporter en imagination dans des
fantasmes tantôt infernaux et tantôt
célestiformes. Cette dichotomie
d'origine psychogénétique n'est pas la
clé de l'animalité spécifique des évadés
partiels de la zoologie, donc la clé
anthropologique de l'inconscient à deux
faces de l'animal. Cette boîte osseuse
guide l'histoire et la politique
bancales du monde.
Apprenons donc à remplacer l'encéphale
des faux évadés de la zoologie par une
conque cérébrale que nous aurons appris
à peser; car si la simianthropologie
moderne échouait à conquérir une
connaissance rationnelle du singe
locuteur, l'Amérique d'un César de la
Liberté aurait encore de beaux jours
devant elle.
La
semaine prochaine je tenterai
d'approfondir quelque peu une
anthropologie qui placerait l'histoire
et la politique de la Russie dans la
vraie postérité du siècle des Lumières.
Le 21
septembre 2013
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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