1 -
La première exposition internationale de l' encéphale de notre
espèce
2 -
Dévotions et fourrages
3 -
Naissance de saint Tartuffe
4 -
Les signes de croix de la démocratie et l'avenir de
l'anthropologie critique
5 -
La dialectique de l'Histoire et les poupées russes
6 -
L'échiquier n° 1
7 -
L'échiquier n° 2
8 -
L'échiquier n° 3
9 -
L'échiquier n° 4
10
- Demain, la Palestine éternelle
1 - La première exposition internationale
de l' encéphale de notre espèce
A l'heure où le
blocus de Gaza met la démocratie mondiale devant le choix entre
la civilisation et la barbarie, à l'heure où les tyrannies se
parent du trophée, de la Liberté, à l'heure où la politique se
révèle une Eglise divisée entre ses psalmodies surannées et ses
missionnaires en prières, à l'heure où l'autorité emprunte les
traits d'une ecclésiocratie scindée entre sa hiérarchie en
chasubles et ses robes de bures, seule l'anthropologie
scientifique et critique tente de se présenter en témoin de
l'encéphale schizoïde des évadés de la zoologie.
Cette discipline
parviendra-t-elle à démontrer que les classes dirigeantes se
sont organisées de tous temps en un clergé avide d'exercer ses
prérogatives du haut des nues et de pratiquer une éthique
minimale sur la terre ? Prouvera-t-elle que tout sacerdoce de la
justice se donne à peu de frais une doctrine de consolidation de
son cynisme et d'auto-légitimation de ses dévotions? Car à
toutes les époques également, une mince frange apostolique se
dégage du corps massif des tenants de l'alliance frelatée que
les religions ou les idéologies scellent entre leur ciel et
leurs affaires.
A
ce titre le blocus de Gaza présente la première exposition
internationale du fonctionnement de l'encéphale de notre espèce,
et cela non point parce que l'histoire du monde n'aurait jamais
fourni de spectacle équivalent à celui d'une ville d'un million
et demi d'hommes, de femmes et d'enfants affamés sous les yeux
des prêtres du suffrage universel, mais parce que ce théâtre ne
s'était jamais présenté sous le regard de six milliards et demi
des croyants déchirés entre les prie-Dieu de leur justice et les
pots au feu de leur catéchisme. Seule l'ubiquité du son et de
l'image, seule la gratuité des places offertes à tous les
spectateurs, seule l'universalité du culte dichotomique rendu à
quelques idoles du langage, seul l'affichage verbifique des
vieux pôles du "péché" et de la "vertu" permet à l'anthropologie
critique de laisser sur place les chefs-d'œuvre ridiculement
locaux et dérisoirement datés dont Macbeth,
Hamlet, Gulliver ou don Quichotte ne
fournissaient aux lecteurs qu'un horizon borné.
2 - Dévotions et fourrages
Ce qu'il y a de fascinant, de fasciné et de fascinatoire dans le
spectacle bifide offert à la simianthropologie critique, c'est
le spectacle hallucinant, halluciné et hallucinatoire de
l'alliance du tartuffisme avec les abstractions sonores dont la
piété démocratique se nourrit. Quand Israël décide de charger
une commission d'Etat à ses ordres d'établir que le blocus
alimentaire d'une mégapole serait conforme au droit
international et que, par conséquent, l'arraisonnement, même
sanglant, d'une flotte du "terrorisme humanitaire" qui
prétendait secourir les affamés serait légitime au regard du
droit international susdit, le genre humain fait monter pour la
première fois sur les planches et sous son propre regard le
personnage bancal qu'il fut de tous temps à lui-même. Car le
résultat ordonné aux enquêteurs se trouve inclus dans l'énoncé
tautologique et impérieux de ses objectifs, puisque les faux
juristes sont chargés de "préserver la liberté d'action de
nos soldats" et de "prouver que nos actions
étaient de caractère défensif et donc justifiées".
Il ne fait pas de
doute que si Hitler avait gagné la guerre, le Quai d'Orsay
d'aujourd'hui soutiendrait mordicus qu'en 1939 l'Allemagne se
trouvait en état de légitime défense face à l'agression
polonaise; il ne fait pas de doute non plus que si le communisme
avait triomphé, on enseignerait dans les écoles de la République
et sous la bannière tricolore que Staline s'était vu contraint
de déclarer la guerre à la Pologne, puis à la petite Finlande
afin de combattre les ennemis de la liberté. Mais comparaison
n'est pas raison: la domination sans partage qu'Israël exerce
sur le monde d'aujourd'hui est d'un type si entièrement nouveau
que l'histoire de l'humanité n'en fournit aucun exemple. Car
l'Etat juif a pris les devants et c'est en gardien du temple de
la démocratie mondiale qu'il ordonne, aux yeux de la planète
entière des fidèles, qu'une Commission nationale de serviteurs
du pouvoir déguisés en magistrats démontre urbi orbi que l'armée
israélienne aurait été sauvagement agressée par des secouristes
coupables du pire des forfaits : n'ont-ils pas, de leur propre
aveu, tenté, comme il est rappelé plus haut, d'apporter par la
voie maritime de la nourriture et des biens de première
nécessité aux malheureux démocratiquement encagés depuis plus de
trois ans par les soins d'une armée d'apôtres de la Liberté?
On mesure mal la
portée immense de cette volte-face de la civilisation mondiale :
pour la première fois, la conscience du genre humain se trouve
officiellement mise en demeure de renier sans retour non
seulement la distinction entre le juste et l'injuste, mais la
séparation originelle entre le vrai et le faux sans laquelle
jamais une raison universelle n'aurait pu débarquer sur la
terre.
Qu'un Etat tout
neuf, mais tenu pour légitime par le droit international, donne
des ordres à ses magistrats dans une démocratie supposée
vertueuse est un message clair, encore qu'il ne soit pas
démontré que Hitler ou Staline auraient eu la sottise de
recourir à un stratagème aussi spectaculairement mal ficelé ;
mais qu'une initiative aussi grotesque ne stupéfie, n'ahurisse
et n'esbaudisse pas tous les Etats civilisés de la planète et
que cette folie se trouve applaudie sur la terre entière par des
démocraties aux mains jointes, voilà qui contraint
l'anthropologie critique à se placer au cœur de la politique
mondiale, tellement le délire à l'état pur défie le simple récit
des greffiers, tellement il serait ridicule de raconter
l'événement banalisé et miniaturisé d'avance à l'école des
historiographes et des chroniqueurs précautionneux ; car le
protagoniste de la représentation n'est autre qu'une espèce qui
défie ses huissiers chaque fois qu'elle se donne à observer en
tant que telle et dans les conditions-limites qui révèlent sa
nature la plus cachée.
3 - Naissance de saint Tartuffe
Ce qui rend
illimité le champ du regard proposé aux spectateurs par le
déroulement de la pièce scène par scène et acte après acte,
c'est que le héros principal en est un animal dont la nature
religieuse se révèle d'origine chromosomique. C'est de naissance
que cette espèce se présente déchirée entre ses ex-votos et à
ses marmites du diable, c'est au berceau que son cerveau se
scinde entre l'ange et la bête, c'est dès l'enfance qu'elle lève
au ciel des yeux pieusement éplorés, mais secs. La scission
mentale qui caractérise les évadés de la zoologie et qui les
scinde leur vie durant entre leurs cierges et leur cuisine livre
leur conscience à un double râtelier, celui de leurs dévotions
et celui de leurs fourrages.
Mais quand la
France et d'autres Etats dits démocratiques félicitent le dément
avec empressement et le couvrent de fleurs pour avoir franchi, à
les entendre, un grand pas en direction de la loi et du droit,
il devient évident qu'une espèce cérébralement dédoublée entre
"l'ange" et la "bête" de Pascal n'avait jamais été observée d'un
œil froid. On s'imaginait qu'elle faisait la bête à faire l'ange
et vice versa, alors qu'il n'y a pas d'oscillation entre
l'animal séraphique et l'animal à la soupe, mais seulement une
soudure d'acier entre les deux psychogénétiques.
Gaza va
bouleverser l'anthropologie du tartuffisme ; car il apparaîtra
maintenant que le héros de Molière était "sincère" quand,
démasqué, il se proclamait soudainement le pire des pécheurs et
se remettait subitement à l'abri de l'ange qui lui fournissait
sa cuirasse cérébrale. Voyez la beauté du coup: le voici protégé
derechef, puisque son entourage le salue de nouveau comme un
modèle de la sainte humilité des vrais chrétiens. Que se
passera-t-il quand la fraction pensante de la planète verra la
France partager avec M. Nicolas Sarkozy les lauriers des
dévotions démocratiques de saint Tartuffe sur la scène
internationale?
4 - Les signes de croix de la démocratie
et l'avenir de l'anthropologie critique
Jamais encore on
n'avait vu de Sirius le singe rendu ecclésial à titre
psychogénétique, le singe rendu cultuel par un verdict de la
nature, le singe rendu sacerdotal par son évolution cérébrale
naturelle, bref le singe dévot multiplier à ce point les signes
de croix de la démocratie idéale. Pourquoi personne
n'ordonne-t-il de mettre la main au collet de l'agresseur de
Gaza? Parce que chacun se regarde en lui-même s'agenouiller
devant ses deux mangeoires, celle de l'ange qu'il voudrait être
à lui-même et celle du picotin dont sa panse se remplit. Gaza
fera débarquer les futurs confesseurs de la politique planétaire
de la "liberté" dans une culture laïque devenue exsangue, Gaza
fécondera une raison occidentale décervelée, Gaza enfantera les
spectrographes de l'animal tueur et séraphique, Gaza permettra à
un humanisme mondial endormi de retrouver le capital, devenu
souterrain, de la connaissance des secrets d'Adam que le souffle
des grands mystiques avait allumé tout au long des siècles de
popote de l'Occident, Gaza introduira la psychobiologie des
idoles dans la psychanalyse d'un Dieu auquel la politique des
démocraties sert désormais de réflecteur mondial, Gaza placera
l'animal cérébralisé et vertueusement sanglant dans la postérité
de Darwin.
Mais surtout Gaza
permettra aux sciences humaines de demain d'observer de
l'extérieur les échiquiers des "Connais-toi" d'autrefois et de
réduire les problématiques qui régissaient la géopolitique
classique au rang de jouets cérébraux. Depuis lors, nous
commençons de les enchâsser l'une dans l'autre à la manière des
poupées russes, depuis lors, le meurtre humain est en voie de se
trouver radiographié.
5 - La dialectique de l'Histoire et les
poupées russes
La politique
internationale se rend "intelligible" sur les échiquiers mentaux
qui commandent ses questions et ses réponses, puisque les
joueurs changent sans se lasser les règles qui commandent le
mouvement des pièces. Du coup, il serait impossible de s'y
retrouver si l'histoire n'avait l'intelligence de réfuter
insidieusement et par la bande les stratégies successives des
poupées russes qui s'emboîtent les unes dans les autres, comme
il sera exposé ci-dessous. Car chacune est appelée à démontrer
les apories sur lesquelles la précédente était construite. La
logique aux yeux fermés qui commande l'enchâssement des poupées
est la suivante: prenez les S 300 que la Russie tarde tellement
à livrer à l'Iran. Ces atermoiements se trouvent téléguidées à
l'école de quatre échiquiers dont l'enchaînement dans la durée
illustre non seulement le passé et l'avenir des masques
cérébraux dont use le singe parlant, mais permet, en outre, de
prophétiser le tour que prendra cette stratégie quand la
quatrième poupée se trouvera placée entre les mains du fabricant
de toutes les poupées russes du monde.
Je rappelle que
les S 300 sont des boucliers anti-missiles russes qui
détecteraient infailliblement et détruiraient en vol les
missiles nucléaires qu'Israël s'aviserait de lancer sur l'Iran.
La simianthropologie générale tente donc de fabriquer le
logiciel dont les performances électroniques résoudraient l'
équation suivante: comment Israël a-t-il construit la
calculatrice géante qui interdit à la fois à Téhéran de se
fabriquer l'arme nucléaire et de se protéger contre celle dont
Israël menace ce pays? L'exploit de la super calculatrice
israélienne demeurera énigmatique aussi longtemps que vous
n'aurez pas décrypté les secrets simianthropologiques de la
focalisation du sionisme sur un seul objectif, celui de
détourner l'attention de la planète sur un Iran à peindre en
Lucifer des pieds à la tête. L'analyse de la stratégie des
poupées russes s'emboîtera à son tour dans ce décodage.
6 -
L'échiquier n° 1
A - Une partie
diplomatique difficile
A la suite de la
chute du mur de Berlin, en 1989, les Etats-Unis avaient promis à
la Russie post-marxiste qu'ils n'étendraient pas la pieuvre
militaire composée de leurs vassaux européens jusqu'aux anciens
auxiliaires de la Russie, qui se trouvaient parqués dans
l'enceinte du Pacte de Varsovie, ce qui, pendant quarante ans,
avait mis les deux livrées face à face dans l'arène de la
politique internationale.
Naturellement, il
s'agissait d'un piège diplomatique tellement enfantin que seul
un néophyte tel que M. Gorbatchev pouvait y tomber la tête la
première. Quand Washington eut conduit ses troupes en Hongrie,
en Bulgarie, en Roumanie, en Pologne, en Tchéquie, en Slovaquie
et aux Pays Baltes, l'enfant de chœur russe avait élevé les bras
au ciel; mais lorsque, en 2008, M. G. W. Bush avait tenté
d'installer des boucliers anti-missiles en Pologne et jusqu'en
Ukraine afin de souligner sa victoire sur la Russie et
d'humilier le vaincu de la guerre froide, la branche européenne
de l'empire américain était déjà devenue un troupeau
relativement indocile, et cela au point que la France,
l'Allemagne et l'Angleterre avaient tenté de tenir en laisse le
taureau d'outre-Atlantique et de le reconduire tout écumant à
l'étable.
Aussi la Maison
Blanche avait-elle jeté ses alliés européens aux orties afin de
conclure avec la Pologne et la Tchéquie les accords d'une
vassalisation séparée. Comment jeter maintenant ces accords à la
corbeille sans humilier des bénéficiaires leurrés et amers,
candides et dépités, déconfits et ridiculisés , mais sur le
point de s'initier aux secrets de la politique internationale et
d'ouvrir des yeux dessillés sur les ressorts des empires?
M. Barack Obama
jouait une partie diplomatique difficile. Retirer le bouclier,
c'était armer ses ennemis républicains au Sénat d'une
argumentation nationaliste et patriotique redoutable, puisque la
Maison Blanche paraissait leur fournir comme à plaisir une
démonstration de la faiblesse d'esprit des Etats sitôt qu'ils
ont passé sous la bannière des évangélistes du parti démocrate.
Aussi la droite américaine se frottait-elle les mains au
spectacle d'un Président auquel il était bien impossible de
faire valoir aux yeux du peuple que l'indocilité grandissante
des auxiliaires et serviteurs de la nation de la liberté et du
salut sur la scène du monde le réduisait à battre en retraite
sur le champ de bataille d'un Vieux Continent à demi réveillé et
qui commençait non plus seulement d'ouvrir les yeux sur soixante
ans de sa servitude, mais qui en éprouvait une honte profonde.
B - " Nous
sommes nés pour la noblesse de la liberté " (Cicéron)
Placé au cœur
d'une tragédie de la lâcheté politique elle-même oscillante
entre la fatigue des serfs et leur rébellion , il était
impossible d'introduire dans les accords avec la Russie la
rédaction noir sur blanc d'une clause qui aurait interdit à
l'ex-empire soviétique d'honorer le contrat que Téhéran avait
signé en bonne et due forme avec le Kremlin pour l'achat de S300
au prix exorbitant de huit cent millions de dollars. Dans ce
cas, une Russie qui se serait montrée de plus mauvaise foi qu'un
consortium capitaliste ruinait sa crédibilité diplomatique à
l'échelle de la terre entière.
Mais préciser que
les S 300 seraient fidèlement livrés et payés rubis sur l'ongle
c'était non seulement déclencher dans le monde entier un Niagara
de protestations de la presse sioniste, mais soutenir les
efforts planétaires d' Israël pour présenter la Chine et la
Russie pour des fauteurs de guerre invétérés et tellement
terrifiques qu'ils ne craignaient pas d'armer le Diable iranien
des foudres d'une apocalypse dont personne n'était autorisé à
douter qu'elle pulvériserait le globe terrestre et le réduirait
à l'état de vapeur dans les plus hautes régions de l'atmosphère.
De plus, les Républicains américains ne manqueraient pas
d'entonner les psaumes et les cantiques de la "démocratie
véritable".
Ecoutez-les d'ici
enfoncer leur clou en choeur: Voyez, M. Barack Obama, comme nous
avions cent fois raison de refuser de nous retirer de la partie
Est de l'Europe où, depuis 1989, nos armes glaçaient d'effroi
les ennemis potentiels de la Liberté: vous avez ruiné en un
tournemain notre règne et notre puissance dans cette région
stratégique de la mappemonde, et cela sans aucune contre partie,
puisque la Russie n'a pas perdu une seconde pour occuper la
portion centrale du globe terrestre que vous avez sottement
abandonnée aux glaives de nos ennemis. Vous nous reprochez
l'esprit guerrier qui inspirerait l'hégémonie politique que nous
exerçons sur la planète depuis 1945; mais voyez combien nous
étions de sens rassis, puisque Moscou ne connaît que la force
des armes et se rit de votre légèreté d'évangéliste de pacifiste
et de rêveur de l'empire."
Comment un M.
Barack Obama tout piteux aurait-il indigné et stupéfié le peuple
américain par l'aveu que l'Europe rechignait à porter plus
longtemps la casaque des vassaux, que les képis se chargeaient
en vain des galons de la démocratie impériale, que l'uniforme
américain ne faisait décidément plus recette sur la terre et
qu'en échange d'un silence discrètement convenu entre les
parties sur la livraison des S 300 à l'Iran, Moscou s'était
discrètement engagé en coulisses de ne plus appeler bruyamment
les démocraties garrottées à la désertion, alors que, même en
Allemagne, on avait entendu pour la première fois des députés du
Bundestag crier sur les toits que les légions allemandes en
Afghanistan et en Irak étaient une honte pour les Germains.
N'avait-on pas vu un latiniste impénitent monter à la tribune
pour appeler la nation aux retrouvailles avec la souveraineté de
ses ancêtres?
Comment arrêter
la marée de l'insoumission si Cicéron venait à la rescousse des
défenseurs de la liberté allemande, avec le rappel de sa célèbre
apostrophe au Sénat qu'on trouvera dans la péroraison de sa
troisième Philippique: "Rien n'est plus détestable que le
déshonneur, rien n'est plus honteux que la servitude. Nous
sommes nés pour la noblesse de la liberté : ou bien nous la
conserverons, ou bien nous mourrons dignement avec elle." Tel
est l'échiquier sur lequel la première poupée russe présentait
ses atours.
7 - L'échiquier n° 2
Si nous observons
maintenant les charmes affichés de la seconde poupée russe,
celle dans laquelle nous allons introduire la première tout
habillée et parée, quel échiquier nouveau de la politique
internationale apparaîtra-t-il au regard de nos anthropologues
de l'Europe asservie et quelle problématique un peu plus étendue
attirera-t-elle l'attention de nos habilleurs de poupées?
En premier lieu,
il faut se répéter que toute géopolitique repose nécessairement
sur une logique impérieuse et que toutes les logiques sont
construites sur le modèle décrit par Platon. Car ce philosophe
s'est montré si peu prisonnier de la géométrie d'Euclide de son
temps, qui n'allait trépasser qu'en 1904, qu'il écrit à peu
près: "Voyez comme cette discipline déroule des raisonnements
rigoureux et nécessairement à l'abri de toute contradiction
interne, puisqu'elle fonde son autorité sur des axiomes
soustraits à l'examen tant par nature que par définition, de
sorte qu'il suffit de suivre docilement et pas à pas les
conséquences naturelles de ses postulats pour construire une
mathématique d'une logique interne irréfutable."
Sur l'échiquier
précédent, les règles de la partie se trouvaient fatalement
prédéfinies de telle sorte que le décret central qui assurait la
cohérence mentale de la politique mondiale se trouvait soustrait
à l'examen, ce qui plaçait d'avance l'Iran chiite au cœur de la
géométrie de l'époque. Que disait le théorème de Pythagore alors
régnant sans partage? Que la raison universelle exigeait qu'il
fût interdit à jamais aux Persans d'enrichir leur uranium, tant
aux fins de produire de l'énergie électrique à leur compte
qu'aux fins de s'armer par leurs propres moyens de la puissance
alors sottement accordée à une arme suicidaire; car, disait-on,
l'accession de ce pays à la maîtrise de la foudre suprême
menacerait "l'équilibre politique au Moyen Orient".
Or, les
couturiers de cette poupée-là demeuraient aussi cachés aux
regards des géomètres euclidiens de la politique que ceux de la
poupée précédente ; car si l'échiquier de l'Histoire
tridimensionnelle sur lequel ils mettaient leurs théorèmes
artificiels en scène était devenu visible, on se serait aperçu
que tout le monde jouait dans une cour d'école.
Pourquoi les
négociateurs qui avaient signé les accords entre le Nouveau
Monde et Moscou et qui avaient conduit ces Etats à édicter des
sanctions économiques contre l'Iran jouaient-ils les yeux bandés
et sur un préau minuscule, alors qu'il leur aurait fallu se
demander au préalable de quelles étoffes ils avaient habillé
leur poupée pour que personne ne se demandât pourquoi le
nucléaire militaire iranien serait apocalyptique, alors que
celui d'Israël était un enfant de chœur, et cela quand bien même
Tel Aviv ne cessait de montrer les dents à la Perse, et pourquoi
il suffisait qu'une nation se procurât une arme inutilisable à
deux sur un champ de bataille pour qu'on l'autorisât à se
pavaner fier comme un Artaban de basse-cour ? Pourquoi tout le
poulailler se prosternait-il alors devant sa crête et ses ergots
?
On voit que la
seconde poupée de la politique internationale occupe un tout
autre échiquier que celui de la première et qu'elle s'exerce à
une tout autre problématique de la paix et de la guerre; mais on
voit également que ses falbalas doivent demeurer invisibles à
leur tour et que le danger est grand qu'une troisième poupée
russe vienne cacher la seconde sous de plus larges frous-frous.
Car si l'Inde, le Pakistan, Israël s'égosillent dans la cour du
nucléaire aux côtés des Etats-Unis, de l'Angleterre, de la
France, de la Chine et de la Russie, quel intérêt ces deux
dernières nations avaient-elles de payer leur tribut à une
géométrie dont l'arc de triomphe s'appelait le théorème de
Pythagore?
8 - L'échiquier n° 3
A - Les
hésitations des tremblants
Quels seront les
vêtements et les revêtements de la dialectique dont s'habillera
la troisième poupée russe, celle dans laquelle nous allons loger
la géopolitique infirme des deux premières, qui prétendaient
interdire à l'Iran aussi bien de s'armer que de se défendre,
alors que nous sommes entrés dans la physique à quatre
dimensions depuis Einstein et dans la politique
quadridimensionnelle depuis Hiroshima? Répétons-le on ne saurait
mettre une poupée russe en terre et célébrer ses funérailles que
si l'on observe l'échiquier obsolète qui alimentait sa
problématique . Et maintenant, nous savons que le mouvement des
pièces est toujours commandé du dehors par un personnage qui
encercle le champ d'action précédent. Pour déshabiller nos
princesses successives de la raison politique, il faut donc à
tout coup disposer d'un appareil d'optique suffisamment
perfectionné pour suivre de près les mouvements les plus cachés
des poupées enchâssées dans le coffret de la dialectique de leur
époque. Or, tout le théâtre des deux premières poupées se
disloque quand la troisième enterre sans fleurs ni couronnes
leur problématique rapidement devenue trop étroite et observe à
la jumelle le nouvel horizon sur lequel l'Histoire s'est
ouverte.
Observons donc
les coordonnées du drame: pourquoi la Chine et la Russie
n'ont-elles pas emboîté le pas à la Turquie et au Brésil, dont
le coup de massue de leur accord séparé avec l'Iran avait
ébranlé le sceptre fatigué des cinq premières puissances
nucléaires du monde et démontré à la terre entière que le bois
en était rongé jusqu'au cœur? C'est que ces deux puissances à la
démarche encore mal assurée ont eu une réaction frileuse et même
apeurée: si elles montaient trop précipitamment dans le train en
marche, ne risquaient-elles pas de perdre pour longtemps
quelques apanages péniblement acquis en 1945? Ne valait-il pas
mieux prendre ses précautions et s'assurer au préalable qu'on
allait gagner au change? Si l'on se plaçait trop tôt aux côtés
des protagonistes d'une planète à nouveau en marche, le rôle
dirigeant qu'on exerçait en compte à demi auprès des guides
occidentaux de l'Histoire ne serait-il pas compromis.
C'est pourquoi un
rapide survol des prémisses de la troisième problématique des
poupées exige un examen du potentiel de leur échiquier et des
virtualités de leur logiciel. La Turquie exploitera la situation
de la manière ci-après: premièrement elle considèrera, certes,
qu'elle paraîtra abandonnée par la Chine et la Russie, donc
isolée au milieu du gué et dangereusement affaiblie par une
solitude qui semblera réduire un instant son alliance avec le
Brésil à une province impuissante de la géopolitique. Mais,
secondement, elle se souviendra de ce que Pizarre n'a conquis l'
Amérique que pour avoir incendié sa flotte et s'être interdit le
retour. Ce n'est jamais que l'épée dans les reins qu'on avance
avec vaillance et à coup sûr, parce que c'est seulement à ce
prix que l'espace s'ouvre à perte de vue devant les nouveaux
conquistadors - des alliés trop encombrants ne font jamais que
boucher l'horizon.
B - Le monde à
l'heure de Pizarre
Mais comment
avancer résolument et d'un bon pas dans un champ débroussaillé à
souhait et sous un ciel éclairci? D'abord les Etats-Unis étaient
sur le point de lever le camp en Irak et l'heure de leur fuite
de l'Afghanistan était proche de sonner au beffroi du bon sens.
Dans ces conditions, il fallait prendre le contrôle du nord de
l'Irak, alors occupé par les Kurdes et se mettre en mesure
d'exploiter ses immenses richesses en pétrole. Puis, il fallait
consolider encore l'alliance fraîchement conclue avec l'Iran, et
pour cela, lui laisser le centre et le sud du pays. De plus, si
une nouvelle flottille de la Liberté courait sous pavillon turc
au secours de Gaza et si Israël menaçait Ankara de l'arme
nucléaire, ou bien l'alliance des vassaux de l'Amérique se
verrait contrainte par les traités de protéger la Turquie -
l'article 5 de leur Charte y pourvoyait - ou bien leur sceptre
achevait de se révéler d'un bois vermoulu et, dans ce cas,
quelles retrouvailles inespérées avec la Chine et la Russie à
fêter dans les rues? Enfin, avec l'aide du Pakistan, puissance
nucléaire et partenaire stratégique de la Turquie depuis
longtemps, la route était toute tracée pour devenir à son tour
une puissance nucléaire, et cela bien plus rapidement que
l'Iran.
Et puis, quel
ridicule diplomatique pour les huit puissances nucléaires, de
prétendre mettre un terme à la prolifération d'une arme
inutilisable par nature sans commencer par s'en défaire
elles-mêmes et conformément à leur propre et solennel
engagement? Que de garants de l'impossibilité d'arrêter le
fleuve de l'histoire ! Car le Hezbollah et la Palestine
attendaient avec impatience d'entrer dans la danse, tellement le
blocus de Gaza se révélait un paradis politique du seul fait
qu'il faisait basculer du côté d'Ankara le sceptre de la
conscience universelle; le vrai Pizarre, c'est l'éthique même du
monde, le vrai Pizarre n'est autre que le héros qui, depuis les
origines, met le feu à ses vaisseaux, le vrai Pizarre est
l'incendiaire dont les flammes consument le bois pourri de
l'Histoire. Mais alors qui portera un regard de feu sur les
trois poupées, qui dépassera la problématique des poupées, qui
dévoilera l'ultime échiquier, celui de l'histoire dont seule
l'anthropologie critique connaît les ressorts?
9 - L'échiquier n° 4
Voici que le
maître des poupées entre en scène. Il n'y va pas par quatre
chemins. Celui-là n'est pas une poupée, celui-là ne se laisse
cerner qu'à l'école d'un regard sans frontières. Alors, les
anciennes pièces du jeu ne savent plus où donner de la tête.
C'est l'Histoire qui se charge de démonter tout le théâtre.
Quelle dialectique des poupées, quelle problématique des
poupées, quelle arène des poupées invoquer quand Clio débarque
sur les planches et bouscule les personnages de la pièce, quand
Clio renvoie toute la représentation à d'autres règles de la
partie?
Et voici que les
vieilles poupées se mettent en tête de partir en guerre,
qu'elles s'arment en hâte et de pied en cap, qu'elles prétendent
envahir le Liban, qu'elles bombardent et affament la population
de Gaza, que leur glaive usé s'exerce à un dernier carnage,
qu'elles chantonnent dans l'arène de la mort - mais déjà le
regard de l'l'Histoire porte sur le faux théâtre des poupées.
Mais qui donc a donné son globe oculaire à l'Histoire réelle,
qui l'a précipitée sur l'échiquier véritable du temps des
peuples et des nations, qui l'a montrée déguisée en poupée, qui
a emboîté les poupées les unes dans les autres, qui leur a
accordé un champ de vision limité, sinon un souverain dont la
psychophysiologie se joue de l'emboîtage des poupées et ignore
leur pas de danse dans le cirque de la politique?
Dès le 17 juin, la Chine et la Russie ont commencé de payer le
prix de leur courte vue et de leur sottise . Un prix exorbitant:
les Etats-Unis et leurs vassaux européens ont aussitôt signé à
Bruxelles des sanctions bien plus lourdes contre l'Iran que
celles auxquelles Pékin et Moscou avaient consenti, et cela sans
seulement consulter les deux traîtresses. Ecoutez bien, mes
enfants: si vous abandonnez votre droit de veto, si vous donnez
un signe de faiblesse de cette taille, c'est le symbole de votre
puissance que vous condamnez au naufrage et vos amis d'un
instant - mais vrais rivaux- vont vous larguer d'un haussement
d'épaules. C'est ainsi, qu'à écouter les gémissements de M.
Medvedev, qui se plaignait des sanctions supplémentaires
imposées à l'Iran par l'Amérique et l'Europe, le secrétaire
d'état américain Robert Gates a ironisé à propos de la nouvelle
position russe et l'a qualifiée de "schizophrénique".
Comment la Russie
et la Chine vont-elles reconquérir leur rang, alors qu'il n'y a
plus de difficulté, pour le reste du monde, à se passer de leur
présence si l'effondrement des symboles est le signe de la mort
politique? Question: M. Poutine n'a-t-il pas réussi à éviter un
désastre diplomatique ou bien s'est-il assuré sa réélection à la
tête de l'Etat, à démontrer qu'on ne change pas aisément un
gentil professeur de droit en un homme d'Etat?
10 - Demain, la Palestine éternelle
Il va falloir observer la danse des poupées sans foi ni loi de
la démocratie mondiale, il va falloir donner nos ordres au
maître de ballet d'une justice truquée, il va falloir négocier
les rubans des bombes nucléaires et le poids de leur foudre,
parce que, dans les coulisses de l'histoire des poupées, le
dentelier de la mort n'a cure de ces jeux et rend les verdicts
d'une raison sans appel. Que dit-il aux brodeurs des
fanfreluches du destin? Que Gaza n'est qu'un leurre, que
derrière cette poupée il n'y a plus de poupées, mais la
Cisjordanie bâillonnée, la Palestine garrotée, Jérusalem
occupée. Alors, le roi qu'on appelle l'Histoire ferme le théâtre
des poupées. Que dit ce personnage aux acteurs qu'il a chassé
des planches? Qu'un peuple est un vivant en chair et en os.
Qu'il broute l'herbe du pré où il est né. Qu'il parle la langue
dont sa terre a fait monter les moissons. Qu'il se donne les
dieux et les étoiles qu'appellent son ciel et son soleil Qu'on
ne transporte pas une nation d'un pâturage à un autre. Que les
nations ne sont pas des troupeaux qu'on parque à son gré sous
tel ou tel méridien.
Le voilà, le
démiurge qui arrêtera le bal sanglant des poupées, le voilà le
souverain qui dira à Israël que les bombes au napalm de la
Démocratie ne sont que feux follets sur la terre de la Palestine
éternelle, parce que le roi du temps et des nations, ce n'est
pas le glaive de Tsahal, mais les larmes et le sang d'un peuple
de quinze cent mille corps enfermés dans Gaza. La voix du monde
n'est pas celle des négociateurs de la foudre, le sang du monde
n'est pas celui des bouchers de Gaza - la mémoire, la voix et le
sang du monde sont les langues de feu de l'esprit.
C'est pourquoi la
bombe de Téhéran se trouve d'ores et déjà exposée sous vitrine
dans le magasin de jouets où les poupées russes de l'Histoire
ont cessé de parader, c'est pourquoi la bombe russe et la bombe
américaine, et la bombe d'Israël et toutes les autres floralies
de la folie du monde se parent de broderies du passé et exhalent
un parfum oublié, parce que la herse des siècles passe outre aux
faux sourires des poupées ; voici que monde à l'horizon le
soleil de la Palestine immortelle, celle dont Israël n'aura
interrompu qu'un instant les labours. .