La France de la Ve République souffre de ce que les hommes de
pouvoir ne se hissent désormais au faîte des honneurs que par
des procédés hérités d'un éphéméride des démocraties. Bien plus:
seule l'incapacité même des ambitieux au petit pied de diriger
une grande nation sur la scène du monde leur donne les moyens
dérisoires de séduire un instant les foules dont le vote les
portera à la tête d'un Etat trompé. Le premier mot que M.
Nicolas Sarkozy a prononcé à l'Elysée est attesté par Mme
Yasmina Reza: "Combien je touche?"
Un homme politique exercé à flatter les
masses et, de ce seul fait, dépourvu par nature de toute
connaissance profonde de l'âme véritable des peuples et de leur
droiture secrète ignorera que les nations méprisent la bassesse
d'esprit des démagogues et que seule la noblesse d'une éthique
de la politique répond à leur génie caché. C'est pourquoi M.
Nicolas Sarkozy n'exerce pas une fonction: il dirige une
entreprise industrielle et commerciale dont il préside les
négociations avec ses concurrents. Mais comme il prend également
grand soin de ménager les intérêts de l'empire dominant du
moment, il s'abstient de lui porter ombrage et s'applique à en
perpétuer l'hégémonie.
Il faut se rendre
à l'évidence et en prendre acte les yeux grands ouverts: M.
Sarkozy n'a pas conquis le pouvoir par des moyens conformes à
l'esprit des démocraties, mais par une succession de coups de
main: corruption des journalistes, allèchement des personnes
âgées dans les maisons de retraite, cambriolage du parti
socialiste et du front national, largesses de prédicateur de
foire, recours à des moyens inattendus de la "communication".
Sera-t-il remédié au naufrage de la République des séducteurs et
des flatteurs par une réforme de la Constitution qui permettrait
de retirer de l'arène les champions primés de la démagogie qui
auront affûté dans l'ombre les armes nouvelles d'exploitation
des faiblesses naturelles du suffrage universel ou bien faut-il
parier que cette expérience inédite des dangers que courent les
nations à conjurer la tyrannie par l'appel à la voix des peuples
ouvrira les yeux des Etats sur le despotisme que la démocratie
elle-même peut faire courir au monde? La France de Galba
réformera-t-elle ses institutions afin d'éviter de retomber dans
la médiocrité des Républiques parlementaires et de retrouver par
un autre chemin les mêmes carences que les ochlocraties
d'Athènes et de Rome?
Certes, les foules ne sont pas incompétentes
de naissance et par nature. Au contraire : le ressort des
loyautés natives leur appartient. Mais il est ridicule de
demander à la candeur de l'ignorance et à la bonne volonté de la
gentillesse de sélectionner les chefs d'Etat à la lumière de la
sagesse des Solon et des Lycurgue. Pour tenter de vaincre une
difficulté anthropologique aussi évidente, il faut essayer de
cerner les traits du type d'hommes d'action capables de diriger
leur pays sur la scène internationale. A ce titre, M. Nicolas
Sarkozy présente le parfait modèle de la fausse habileté dont il
suffit de prendre le contre-pied pour dresser, a contrario, le
portrait des vrais chefs d'Etat.
2 -
Qu'est-ce que le génie de l'hypothèse ?
C'est bien à tort qu'on voit dans le manque d'expérience de M.
Nicolas Sarkozy le prototype du néophyte sur la scène
internationale. Voltaire disait: "Les imbéciles n'apprennent
que par l'expérience". Mais ce n'est précisément pas sur
l'enclume de l'expérience que les vrais hommes d'Etat vérifient
leur vocation innée, mais sur celle de leurs dons naturels. Il
n'est pas de domaine où la pratique vienne davantage vérifier,
mais toujours après coup, un savoir attaché aux gènes du talent
ou du génie que celui de la haute politique, puisqu'on ne
saurait y vérifier ses dons à l'école des longs exercices
d'apprentissage auxquels la monarchie soumettait le Dauphin. De
surcroît, il en est dans ce domaine comme des sciences de la
nature, où l'hypothèse précède toujours la vérification. Il faut
savoir déjà ce qu'il faudra soumettre à l'épreuve du temps pour
seulement expérimenter à bon escient - ce que les enfants
eux-mêmes savent depuis qu'on leur enseigne l'Introduction
à la médecine expérimentale de 1865 de Claude Bernard.
Or, M. Nicolas
Sarkozy n'est pas doté pour un sou des prédispositions
naturelles qui l'amèneraient à formuler les hypothèses
pragmatiques que formule le génie politique de haut vol, de
sorte qu'il n'imagine jamais que des expériences dont tout chef
d'Etat véritable voit au premier coup d'œil qu'elles sont
condamnées à l'échec dans la corrida qu'on appelle l'expérience,
tellement elles crient haut et fort qu'elles demeurent
étrangères à l'intuition qui guide les toréadors talentueux.
Exemple: dans l'avion qui le ramène de Moscou, il dit aux
journalistes: "Si demain on se réveille avec Israël qui aura
attaqué l'Iran, qu'est-ce qu'on fait?" Certes, il est
réconfortant que les idées erronées ne sachent pas le français,
il est rassurant que les fautes de grammaire ne voient pas la
table de jeu de la langue, il est consolant que les syntaxes
bancales ignorent non seulement le poids et le rôle des pièces
sur l'échiquier , mais jusqu'aux règles de la partie. Mais il se
trouve en outre qu'aux yeux du styliste manqué de l'Elysée, les
évènements internationaux peuvent tomber des nues et prendre
tout le monde au dépourvu. Un vrai homme d'Etat possède la
science de la fatalité. Il prophétise les catastrophes à coup
sûr, de sorte qu'il ne crie jamais au loup pour rien. M. Nicolas
Sarkozy ignore que ce coup-là d'Israël est étranger à la science
tauromachique. Il ne sait pas que la Chine et la Russie, mais
également des Etats redevenus relativement indépendants même en
Europe ramèneraient dare dare le taurillon au toril. Mais pour
les chefs d'Etat manqués, il s'agit seulement de se trouver
"dans le coup". Les domestiques veulent s'asseoir. Ils croient
que la France y perdrait à rester debout, l'arme au pied, alors
qu'on lui offre un coussin. L'Irak tendait les bras d'un
fauteuil aux vassaux: M. Nicolas Sarkozy n'en revient pas que
nous ayons laissé tout le monde s'installer à notre place dans
une servitude dont les commencements étaient bien rémunérés,
donc jugés prometteurs. Aussi s'est-il empressé, faute de mieux,
de prendre place lourdement sur le tabouret qu'on lui tendait en
Afghanistan. Même les initiatives diplomatiques quelquefois
vaillantes d'apparence de l'occupant de l'Elysée répondent
nécessairement à une pesée inexacte des forces en présence,
faute qu'un regard perçant sur l'avenir du monde les inspire. M.
Nicolas Sarkozy n'avance sur la scène qu'en lépreux agitant sa
sonnette.
3 - La petitesse peut également voir trop
grand
La crise économique de 2008 l'a vu se
précipiter sur tous les continents. Comment a-t-il pu s'imaginer
qu'il rassemblerait une coalition gigantesque contre les accords
de Bretton Woods de 1945 ? Seuls la Russie, l'Argentine et le
Mexique ont répondu à l'appel d'un G20 qui devait sonner
l'hallali contre le dollar. De même, il s'est rué tête baissée
dans une alliance des Etats riverains de la Méditerranée. Tout
le monde s'imaginait qu'une audace de ce calibre venait
couronner une politique aussi intrépide que perspicace en faveur
de Damas: Bachar El-Assad avait été l'invité d'honneur de la
France sur les Champs Elysées le 14 juillet 2008. Puis, les bras
vous en tombent de découvrir qu'il s'agissait seulement de
tenter de détourner la Syrie de son alliance avec l'Iran, de
sorte que, d'un seul mouvement, le monde arabe a tourné le dos à
une France mise des pieds à la tête au service des seuls
intérêts d'Israël au Moyen Orient.
De même, M.
Nicolas Sarkozy ignore que l'approbation, même honteuse et
larvée de la France au blocus de Gaza conduit la nation des
droits de l'homme et l'Europe à un désastre diplomatique de
longue durée, parce que jamais la politique de la planète, qui a
toujours reposé sur une éthique minimale de tous les peuples de
la terre, n'acceptera un perpétuel enfermement d'un million et
demi d'hommes, de femmes et d'enfants dans un camp de
concentration à ciel ouvert. Les caméras du monde entier sont
devenues l'œil d'un ciel de la cruauté - celui des démocraties.
Aussi n'est-ce pas "la France" qui a envoyé un navire de guerre
pour soutenir le blocus de cette ville: un simple figurant de
l'histoire, un certain Nicolas Sarkozy, a participé aux côtés
des Etats-Unis à la construction d'un mur d'acier appelé à
encercler définitivement la ville-martyre, entreprise à laquelle
il a bien fallu renoncer rapidement, la queue basse et en
catimini.
Quand Israël demande à la France d'engager
contre le Hezbollah son contingent au sein de la Finul, nos
soldats sont reçus à coups de pierres par une population
libanaise qui se réveille peu à peu et retrouve la dignité
naturelle qui s'attache à la souveraineté des Etats.
4 - De
la dignité des Etats
Nous voici au cœur de la question: le
véritable homme d'Etat est guidé par une morale, et cela tout
simplement parce que le ressort central du génie politique est
celui d'une éthique. Quelle était l'armure morale de Talleyrand
au Congrès de Vienne? La France vaincue tient aux monarchies
victorieuses le langage de la justice universelle que la
Révolution a fait débarquer dans la politique, la France vaincue
s'érige en pédagogue de l'âme du monde, la France vaincue
admoneste fièrement ses vainqueurs: ils ne sauraient, leur
dit-elle, trahir la sainteté de leur théologie, elles ne
sauraient, délégitimer le trône des rois de France, puisque leur
propre bréviaire le fonde sur les droits de Dieu. Comment la
hache de la justice divine ferait-elle tomber la croix dans le
son du même panier où le peuple a fait rouler la tête de Louis
XVI? Le bourreau de la grâce n'a pas rendez-vous avec le sang de
la guillotine. Mais si une éthique religieuse ou laïque se
révèle l'âme de toute autorité politique durable, l'homme d'Etat
digne de ce nom déclarera nécessairement la guerre à
l'immoralité de son époque, parce que celle-ci est toujours
conjointe à la tyrannie qu'exerce viscéralement la puissance
dominante du moment.
L'immoralité viscérale de M. Nicolas Sarkozy
n'est donc que l'expression de sa cécité naturelle. Quand il
replace la France sous les ordres d'un général étranger, c'est
qu'il escompte percevoir le salaire des fidèles serviteurs; et
son immoralité innée le fait s'étonner et même s'indigner de se
trouver trop chichement payé de retour - il ignore que les
maîtres méprisent encore davantage ceux de leurs domestiques que
la souplesse de leur échine exclut le plus du cercle de leurs
convives.
5 - La
loi du monde
Mais pour engager une nation de puissance moyenne dans une
politique internationale fondée sur la compréhension à long
terme de l'avenir du monde, encore faut-il savoir que les
principes de 1789, légitimés à partir de 1945 par le triomphe
planétaire des idéaux de la démocratie, n'a pas réfuté la loi
fondamentale de l'histoire , qui enseigne depuis la guerre de
Troie qu'une nation victorieuse d'une autre par la force des
armes dominera non seulement ses ennemis terrassés, mais
également ses amis et alliés, qu'elle dupera jusqu'à les
ridiculiser sur la scène du monde ; car on ne l'emporte aux
côtés d'un géant qu'au profit de ce dernier. Tacite: "Rien
n'est plus instable et fluent (fluxum) parmi les mortels qu'une
puissance dont l'éclat n'est pas le sien."
Jusqu'en 1989,
l'illusion pouvait encore paraître crédible aux enfants de chœur
de la politique internationale selon laquelle Washington aurait
débarqué à nouveau frais en Europe en 1949 à des fins vertueuses
- il se serait agi de défendre la civilisation occidentale
soudainement menacée par une nouvelle puissance militaire
mondiale, la soviétique, qu'on présentait unanimement pour plus
terrifiante et surtout pour plus proche de remporter une
"victoire finale" sur les cinq continents que les armées de
Hitler. Vingt et un an après la chute du mur de Berlin, il
ressortit à la mythologie politique qui embrume l'encéphale
rédempteur des démocraties messianisées par leurs évangiles
d'ignorer que l'Amérique du salut est devenue la seule puissance
militaire mondiale, comme M. Barack Obama a tenu à le rappeler à
bon entendeur, de sorte que la psychanalyse de la croyance
opposée relève désormais d'une science anthropologique en mesure
de se colleter avec l'histoire et la politique des idéalités
sacralisées. La géopolitique a accédé à une simianthropologie
générale que sa vocation appelle à rejeter la timidité
intellectuelle des sciences humaines contemporaines et à
radiographier les mentalités sotériologiques communes aux trois
eschatologies monothéistes et à la vocation évangélique d'une
Liberté supposée aussi apostolique que celle de Saint Paul.
Le 5 août 2010 la presse italienne annonçait que "l'aéroport
militaire de Pise deviendra le Hub national des forces armées,
c'est-à-dire l'unique base aérienne où transiteront tous les
régiments envoyés dans les différentes "missions internationales".
L'apôtre et le porte-parole de la 46ème Brigade aérienne, le
major Giorgio Mattia, déclarait dévotement que "les travaux
commenceront en mai prochain et que le Hub deviendra
opérationnel d'ici 2013". Il ajoutait que "les travaux
d'extension de la base prévoient une structure en mesure de
recevoir environ trente mille hommes complètement équipés pour
une durée d'au moins un mois." Il précisait en anglo-italien
que "la structure réunira les grands hub civils et leurs
services de check in et de check out, leurs services de prise en
charge des bagages et leurs autres services à terre dont la
gestion pourra revenir à des entreprises civiles."
Savez-vous que la
46ème Brigade a été dotée d'avions de transport C-130J de
Lockheed Martin et que la capacité de ces engins de véhiculer de
jour et de nuit des troupes et du matériel vers l'Afghanistan
s'élève à plus de dix mille décollages par an, auxquels
s'ajoutent les forces aériennes de renfort que réclame le Camp
Darby - les besoins en demeurent un secret d'Etat. Dans le même
aéroport militaire, on enregistre également un trafic civil de
quarante mille atterrissage par an.
Le chef d'Etat dont la science politique
demeurera étrangère à la connaissance rationnelle de
l'orthodoxie démocratique, donc de l'encéphale mythologique du
singe armé par sa foi n'est plus à la hauteur d'une
anthropologie critique devenue indispensable à la conduite de la
nouvelle planète des songes parareligieux. Les guerres
théologiques du XVIe siècle pouvaient laisser monter sur le
trône des monarques ignorants des enjeux psychiques vitaux que
les mythes sacrés mettent en scène sur le mode symbolique ou en
effigie; aujourd'hui, M. Nicolas Sarkozy est le Janus de
Bragmardo d'un nouveau Moyen Age de l'histoire figurée du monde.
6 - La
vassalité acceptée et la démocratie
Ce qui revêt la plus grande importance aux
yeux des anthropologues de la sotériologie cachée qui commande
au grand jour la politique internationale du salut, c'est qu'il
ne vient à l'esprit de personne de seulement soulever la
question centrale de la souveraineté effective de l'Italie sous
le soleil. Le maire de Pise, M. Marco Filipacci chante avec
enthousiasme les promesses publiques d'un nouvel essor
touristique de la région. Si les idéaux eschatologiques de la
démocratie publicitaire n'ont pas empêché la France réaliste du
XIXe siècle de conquérir par les armes un vaste empire colonial
aux côtés de la vertueuse Angleterre, on ne savait pas encore
que l'Europe née de la victoire de Salamine se laisserait un
jour vassaliser par le messianisme d'une Liberté doctrinale et
doctoralement professée sans seulement ouvrir la bouche, faute
de seulement se sentir asservie par les nouveaux confessionnaux.
Ce phénomène biblique n'est pas nouveau. Sous Tibère Germanicus
se rend à Athènes chaussé à la grecque. Il est reçu en triomphe
par les habitants: "Germanicus vint à Athènes, ville associée
à l'empire par une charte ancienne ; il l'honora de ne se faire
accompagner que d'un seul licteur." (Tacite, Annales,
Livre II, LIII) Mais le rival du vengeur des légions de Varus,
Pison, qui se verra accusé d'avoir empoisonné l'illustre Romain
et qui se donnera la mort vient sur ses pas insulter les
citoyens athéniens: "Pison, soucieux de conduire son plan à
un succès rapide, entre à Athènes qu'il terrifie par le tapage
de sa venue. Il invective les habitants dans les termes les plus
humiliants. Il blâme Germanicus d'avoir avili l'éclat du nom
romain : il ne fallait pas, dit-il, traiter les faux Athéniens
avec une affabilité excessive - les vrais Athéniens, il n'en
restait plus. Après tant de défaites, ce n'était qu'un vil
ramassis." (Ibid., LV)
Mais le comportement de Pison était exceptionnel. Comme
l'Amérique d'aujourd'hui, Rome entourait d'égards ses vassaux.
Exemple : Pompée avait réduit les Hébreux à faire allégeance à
l'empire. Leur roi, Hérode, fut appelé à se faire applaudir par
le Sénat. La communauté juive de Rome s'élevait déjà à plus de
quatre mille têtes. Elle fait fête à son roi vassalisé. De nos
jours, la communauté allemande applaudit la chancelière de sa
servitude quand elle se voit honorée par une invitation de la
Maison Blanche. Elle y prononce un discours de domestique en
livrée devant le Congrès, alors que son pays demeure occupé sans
raison par deux cents camps militaires américains ; et quand
cette grâce accordée aux bons serviteurs s'étend à la France, le
Président de la République se rend à son tour à Washington
accompagné de juifs français de renom, afin de faire taire par
leur seule présence des rumeurs désobligeantes selon lesquelles
notre pays ne soutiendrait pas Israël corps et âme, alors que
les vœux des Etats-Unis et de Tel-Aviv sont étroitement
conjoints. On sait que M. Gaino avait raté le départ de l'avion
de M. Sarkozy et que M. Lévitte, qui accompagne tous les
déplacements diplomatiques du chef de l'Etat, en a profité pour
faire gommer in extremis quelques aspérités diplomatiques
qui subsistaient dans un discours du successeur du Général de
Gaulle au Congrès que M. Guetta a jugé indigne.
7 - Le
nouveau fleuve de l'histoire universelle
C'est à l'image
la servitude de l'Europe d'aujourd'hui que la démocratie grecque
de l'époque de Tibère ne savait même plus que la nation d'Homère
se trouvait soumise à un empire étranger. C'est dire que la
formation intellectuelle et morale des hommes d'Etat du Vieux
Monde exige une pesée de leur boîte osseuse à laquelle M.
Nicolas Sarkozy se prête tout particulièrement, tellement il
ignore visiblement que la dignité des nations est liée à leur
insoumission politique et que la grandeur d'un homme d'Etat se
mesure au combat qu'il mène contre le maître du moment.
Qu'on en juge: si, soixante cinq ans après
la paix de 1945, il est conforme aux vrais intérêts politiques
de la France que les camps de base des armées du Nouveau Monde
occupent le Japon, l'Italie, l'Allemagne et que l'OTAN étende
son empire jusqu'aux frontières de la Russie, on oubliera que la
Chine, la Russie, l'Afrique et l'Amérique du Sud sont en route
vers leur destin de grandes puissances et que leur ascension est
irrésistible. Mais dès lors qu'on se place à nouveau sous le
commandement du César lointain dont on avait secoué le joug un
demi-siècle auparavant, on ramera à contre courant du fleuve de
l'Histoire. Le Hérode français ne nourrit en rien l'ambition de
prendre toute sa place dans l'épopée qui soulève le monde. Mais
le César de la démocratie mondiale le traite avec mépris. On
regarde de haut le comparse qui vous flatte, on le salue d'un
hochement de tête condescendant au conseil d'administration de
la planète. Il ne s'agit,pour le locataire de l'Elysée, que de
toucher les jetons de présence d'un actionnaire suffisamment
respectueux des prérogatives du maître pour mériter qu'on jette
quelques pièces dans son escarcelle. Si vous ne faites
l'histoire du monde, elle vous laissera au bord de la route.
Clio n'attend pas les traînards.
Le véritable homme d'Etat enseigne que si
personne n'est prophète, c'est qu'il suffit d'ouvrir tout grands
les yeux du bon sens pour prendre rendez-vous avec l'Histoire
réelle du monde. Certes, le train de Clio est fantasque. Mais
les sûrs chemins de la logique nous montrent le vrai destin des
Etats.
8 -
Brève histoire du pouvoir politique
On ne comprendra
l'accident de parcours dans l'histoire de la France que fut le
bref passage de M. Nicolas Sarkozy à la tête de la nation que si
l'on s'initie aux données d'une anthropologie scientifique et
critique de nature à rendre compte des comportements collectifs
du chimpanzé politisé. Pourquoi le capital psychogénétique de
cet animal le livre-t-il aux verdicts alternés de la tyrannie et
d'une autorité démocratique qui le conduit à la liquéfaction?
Depuis les origines, notre espèce connaît
deux formes principales de gouvernement, le démocratique et le
monarchique. Mais comme le simianthrope est ingouvernable, la
royauté a disparu en Grèce avec l'apparition de la civilisation
citadine et du commerce maritime, qui étaient incompatibles avec
le culte des dieux chtoniens. Puis le christianisme de style
romain n'a ressuscité la royauté somptuaire que par un accident
de l'histoire, parce que les rites et la liturgie du sacrifice
d'une victime humaine à l'idole se prêtaient à l'étalage de la
pompe qui préside aux cultes orientaux: il fallait que la
civilisation du Capitole recourût à un monarque solennellement
intronisé par le nouvel Olympe et entouré de la cour d'un clergé
à sa dévotion, parce que le combat de Rome pour sa survie
passait par l'appel à un Dieu nouveau. Seul un sacré titanesque
lutterait avec efficacité contre l'effondrement de la morale
publique et privée du monde de l'époque, seul un Jupiter
cosmique sauverait du naufrage l'empire des légions. Mais le
placage tardif sur l'Europe des Anciens d'une cosmologie
religieuse héritée du Vieux Testament, puis artificiellement
articulée avec les constructions dialectiques des derniers
philosophes grecs n'était pas porteuse du véritable avenir de la
politique.
Les rois
retrouvés sous le signe de la croix ont permis d'alimenter
pendant quelques siècles les régimes sacralisés par une
monarchie divinisée - donc par le prestige religieux du trône -
qu'au prix d'une dogmatique en acier trempé. Aussi la Révolution
française n'a-t-elle pas tardé à redonner aux Etats du Vieux
Monde le régime populaire et semi-laïc des Romains, qui se
fondait sur le pouvoir anxieux et instable des patriciens livrés
aux assauts inlassables de la plèbe. Puis des meneurs armés de
la maigre troupe de leurs partisans et jaloux de partager un
territoire de plus en plus étroitement cloisonné ont enfanté un
type d'Etat incapable de résister à un conquérant puissamment
armé. Vercingétorix n'était parvenu qu'au prix du sang gaulois à
rassembler autour de sa personne des chefferies locales
indisciplinées. Si la France de l'époque avait été capable
d'unir ses forces, jamais Jules César ne serait parvenu à
assiéger Alésia et à dresser dans son dos des fortifications
suffisamment dissuasives pour repousser tous les assauts des
chefs gaulois accourus mollement et in extremis au secours d'une
forteresse encerclée et inévitablement réduite à la famine.
Il faut comprendre que la démocratie
française s'est calquée sur le modèle romano-gaulois retrouvé :
on y voit, comme sous Jules César, des chefs de clans se
disputer entre eux afin de conquérir aux dépens les uns des
autres une autorité sans vigueur ni légitimité réelles sur une
masse partagée entre des chefs de file éphémères. La cinquième
République a tenté à son tour, mais sans succès, de remédier à
la maladie incurable des Gaulois, parce qu'inscrite,
semble-t-il, dans les gènes d'une espèce que sa vocation tribale
réduit à se diriger à l'école d'artifices locaux et passagers
par nature. L'édification, à partir de 1962, d'un Etat de
synthèse et relativement centralisé répond au même modèle semi
monarchique que celui des Etats-Unis. Dans un régime politique
de ce type, le chef d'Etat de passage voit son autorité
progressivement sapée, puis ruinée en toute légitimité
démocratique par des groupes de pression dûment accrédités par
le mythe de la Liberté et censés exprimer la volonté d'un peuple
proclamé souverain. Un suffrage universel subrepticement
sacralisé est un trône diffus et insaisissable dont M. Nicolas
Sarkozy illustre les dérives jusqu'à la caricature.
9 - Le
naufrage des identités nationales à la fin de l'empire romain
Or, cette liquéfaction subit un infléchissement inédit quand le
monde entier produit un mélange des populations comparable à
celui de la fin de l'empire gréco-romain. Dans leur
Histoire de la littérature grecque en six in folio,
parue à la fin du XIXe siècle et encore inégalée, les frères
Alfred et Maurice Croiset évoquent en ces termes l'Europe
christianisée du VIe siècle - "Cette masse était trop
mélangée, trop hétérogène. Hommes de toutes origines et de
toutes races, Egyptiens, Syriens, Cappadociens, Phrygiens menés
par des fonctionnaires romains, que pouvaient-ils mettre en
commun, sinon des sensations ou des instincts très simples?
Fêtes publiques, jeux, spectacles et pantomimes, voilà ce qui
pouvait les émouvoir, non les idées. D'ailleurs, indifférents
aux affaires publiques, habitués à vivre en troupeaux humains,
quels grands courants de pensée ou de sentiments auraient-ils pu
se développer parmi eux?"
Dans ce contexte,
M. Nicolas Sarkozy dispose paradoxalement d'un échiquier de
l'irréflexion politique propice à l'émergence d'une rivalité à
l'échelle planétaire entre les élites notabiliaires et les
masses. Nous assistons à l'ascension d'une ochlocratie mondiale
et d'un pouvoir oligarchique internationalisé à son tour. Ce
type de guerre entre la xénophobie instinctive des foules et une
médiocrité municipale progressivement étendue aux cinq
continents offre à M. Nicolas Sarkozy un tremplin idéal, si je
puis dire, pour faire choir au second plan et même pour
entraîner dans l'oubli la substance même de la politique, à
savoir la conduite de la France sur la scène internationale.
10 - M.
Nicolas Sarkozy sur la scène internationale
Dans l'hexagone,
ce champ de bataille se présente sous des traits particuliers.
La gauche est décédée avec M. Guy Mollet. Puis un précurseur de
la démagogie planétaire, M. François Mitterrand, est parvenu à
remettre en scène pour quelques semaines - le temps de gagner
les élections présidentielles - une gauche encore nourrie aux
hormones de l'utopie marxo-chrétienne. Mais la chute de la
sotériologie marxiste ayant définitivement privé la gauche de
tout programme eschatologique et rédempteur, M. Nicolas Sarkozy
est armé comme personne pour faire durer encore un instant un
régime trop éphémère par nature pour ne pas sombrer sous peu.
Par bonheur, il s'est d'ores et déjà aliéné
sans retour toutes les demi-élites de la droite et du centre,
tellement son incapacité viscérale à incarner la nation trans-hexagonale
crève les yeux. On a vu ce gamin se tordre de rire dans le
carrosse de la reine d'Angleterre, on a vu ce galopin chiper au
Premier Ministre de Roumanie le stylo à plume d'or avec lequel
il signait les accords conclus entre les deux Etats, on a vu cet
enfant taper sur l'épaule de M. Barack Obama, on a entendu ce
môme l'appeler son copain, on a vu ce marmot envoyer des SMS au
cours de sa visite au Saint Père - où il avait invité un acteur
comique des plus vulgaires - on a entendu ce caïd de cour
d'école comparer sa propre ambition politique à celle du pape de
poser son séant sur le trône de Saint Père, on a vu ce bambin
envoyer des messages au cours d'une allocution du roi d'Arabie
Saoudite, on a vu ce garçonnet faire la fête au Fouquet's, on a
vu ce nourrisson tenter d'installer son fils de vingt-trois ans
à la tête du quartier des affaires de la Défense, on a vu ce
gosse vengeur et haineux traîner un ancien Premier Ministre en
justice pour un "délit" qu'ignore le code pénal, on a vu ce
mioche se prélasser sur le pont du yacht d'un milliardaire, on a
vu ce marmouset se promener dans le parc d'attraction Walt
Disney, on a vu ce moutard soutenir un ancien Ministre du Budget
qui avait fait salarier sa femme par l'administrateur de la plus
grande fortune de France afin de l'aider à frauder le fisc.
Dans ces conditions, une diplomatie
française conduite au seul profit des ambitions d'Israël au
Moyen Orient a si bien disqualifié ce mouflet que le seul
terrain où il avait encore quelques chances de plaire au peuple
était celui de bénéficier du suffrage identitaire d'une nation
disloquée sur le modèle décrit plus haut par les frères Croiset
au début du XXe siècle; et une politique de ce type n'était
rendue possible, comme il est rappelé plus haut, qu'en raison de
l'incapacité viscérale de la gauche de jamais donner un
nationalisme et un patriotisme vigoureux pour colonne vertébrale
à un socialisme mondialisé auquel la folie hitlérienne a donné
le prétexte de le disqualifier pour longtemps encore sur la
scène du monde.
Quant aux élites
notabiliaires du centre et de la droite, elles demeurent aussi
étrangères par leur tournure d'esprit au génie diplomatique des
Talleyrand que les députés issus de la défaite de 1870 devant
l'Allemagne de Bismarck. Comment faire passer la Gaule de
Vercingétorix à une Gaule transparlementaire si les
représentants du peuple sont nés pour s'affairer à l'office?
11 - Les
cochers de service
Le Général de Gaulle avait donné rendez-vous à la Chine et à la
Russie trente ans avant l'effondrement du marxisme. Aujourd'hui,
il saurait que le capitalisme se réformera ou mourra et qu'il
appartiendra à la Ve République d'apprendre le rôle que joue la
dialectique dans les voyances supérieures de la politique. La
France ouvrira-t-elle une école d'initiation à la conduite des
Etats? Interdira-t-elle aux petits démagogues de briguer la
magistrature suprême? Platon s'étonnait déjà de ce qu'on
vérifiât la compétence des cordonniers, mais non celle des chefs
d'Etat. La France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et même
l'Angleterre savent-elles seulement qu'elles se trouvent dans la
position d'Athènes face à l'empire Perse? Se souviennent-elles
seulement des Lysias, des Andocide, des Thucydide, qui ont
vainement tenté d'ouvrir les yeux des cités grecques sur la
nécessité de s'unir face aux Xerxès et aux Artaxerxès? C'est
dans le sang et les massacres qu'Alexandre a fondé une
civilisation grecque à vocation mondiale éphémère, mais sans
laquelle Athènes n'aurait pas fécondé l'empire romain.
Le véritable homme d'Etat voit clair comme
le jour que si l'Europe ne devenait pas le pôle civilisateur de
la puissance politique mondiale dont la Chine, la Russie,
l'Inde, La Turquie, le Brésil, le monde arabe et l'Afrique
forgent les armes sous nos yeux, notre continent en sursis ne
sera plus qu'un vassal. M. Nicolas Sarkozy figure parmi les
cochers de service de la diligence en location qu'on appelle
encore le Continent de l'intelligence.
Appartiendra-t-il
à l'Europe de féconder le monde à l'école même de sa mort? Cette
civilisation renaîtra-t-elle parce qu'elle était née pour
conduire l'humanité vers son avenir cérébral ? Les autres
civilisations ont péri à la suite de leur expulsion de
l'histoire vivante. Espérons que celle-là remportera demain ses
véritables victoires pour s'être tournée depuis vingt-cinq
siècles vers l'avenir des guerres de la raison, espérons que
celle-là se voudra à jamais le guide de l'intelligence d'une
humanité trop partiellement évadée de la zoologie.
12 -
Gaza
La balance à
peser l'éthique politique de la planète se trouve à Gaza et il
se trouve que cette pesée-là exige qu'une question sacrilège
entre toutes soit enfin posée cartes sur table: oui ou non
l'empire américain tient-il encore les rênes de son destin entre
ses propres mains ou n'est-il plus que le satellite d'Israël sur
la scène internationale? Le monde entier semble être tombé dans
les rets d'un petit Etat qui se refuse fermement à signer le
Traité de non prolifération des armes nucléaires et qui s'agite
frénétiquement afin de faire condamner par la voix de la
conscience dite universelle une arme atomique dont la possession
par une puissance rivale menacerait son hégémonie dans la
région. Si cette situation était vérifiée, le premier pas d'un
véritable homme d'Etat européen serait de comprendre que l'enjeu
de la politique est devenu plus éthique que jamais et que les
dirigeants privés de morale seront éjectés de l'histoire.
Le 26 septembre,
nous écouterons la conférence de presse que le spectre du
Général de Gaulle tiendra devant la presse étrangère et qu'il
consacrera aux relations que la planète d'aujourd'hui entretient
avec la morale des Etats.
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