Europolitique
Comment l'OTAN tue
la souveraineté de l'Europe
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 16
septembre 2012
1 - Que répondra
M. Hubert Védrine?
Le
Président de la République a demandé à
M. Hubert Védrine, ancien Secrétaire
général de l'Elysée et Ministre des
Affaires étrangères de 1997 à 2002, de
rédiger un rapport rétrospectif et
prospectif sur les conséquences
diplomatiques tolérables ou
inacceptables de la décision du
précédent chef de l'Etat de replacer à
titre perpétuel et en temps de paix la
France et son armée sous le commandement
d'un général américain. On sait que,
depuis 1949, les nations entre
lesquelles le territoire de l'Europe se
partage ont perdu au profit de leur
libérateur de 1945 la prérogative
essentielle de la souveraineté: les
Etats dont les armées et les
gouvernements obéissent aux ordres d'un
empire étranger, alors qu'aucun nuage
n'apparaît à l'horizon ne sont pas
indépendants aux yeux du droit des "gens",
c'est-à-dire des "gentes", des
ethnies.
On sait également qu'en 1989 le régime
soviétique contre lequel la
subordination militaire du Vieux Monde
avait été provisoirement décrétée, est
subitement tombé en poussière, mais que
la vassalité politique de notre
Continent s'est néanmoins perpétuée.
Aujourd'hui, près de cinq cents
garnisons venues de cinq mille
kilomètres se trouvent placées à jamais
sous un sceptre immuable et dont
l'autorité s'est éternisée au point
qu'elle s'inscrit désormais dans nos
constitutions - de sorte que la question
est posée de savoir si les régimes
démocratiques peuvent se trouver
asservis au messianisme dont le mythe de
la Liberté porterait le sceptre d'un
empire débarqué d'au-delà des mers.
Dans
cette tragédie politique, il est urgent
de se saisir de documents rédigés de la
main de l'occupant et dont le contenu ne
sera jamais divulgué aux populations.
Mais M. Védrine a rappelé récemment
qu'on ne donne pas à lire aux enfants
des écoles les analyses secrètes des
diplomates du plus haut rang et les
commentaires stratégiques signés de la
plume des maréchaux. Et pourtant, la
frontière demeure fort mal tracée entre
des mystères qui ne sauraient se trouver
dévoilés aux masses et le droit de
connaître le contenu exact du terme de
souveraineté que revendiquent
l'opinion publique et les corps
électoraux des démocraties. Comment
interdire aux peuples domestiqués par
leurs propres dirigeants de profaner le
temple de leur Etat asservi si les
citoyens et eux seuls se trouvent élevés
au rang de souverains aux yeux du droit
international?
Je vais donc m'efforcer d'ignorer ces
entraves et copier mot à mot un mémoire
que Machiavel, Vergennes, Richelieu et
Talleyrand viennent de rédiger de
l'encre qu'on leur connaît et d'adresser
du haut du ciel au Président de notre
République.
Mais il se trouve que la science
historique d'aujourd'hui s'est placée
dans le contexte anthropologique et
méthodologique d'une annonciation qui
bouleverse l'échiquier des champions des
soixante quatre cases. Au messianisme
judéo-chrétien des deux derniers
millénaires a succédé une eschatologie
démocratique dont la sotériologie et la
chronologie s'alimentent des révélations
d'une religion de la Liberté. A ce
moteur planétaire du salut et de la
délivrance, le collectivisme marxiste,
bien que défunt, l'Islam évangélisateur
et le prophétisme idéaliste américain
apportent le carburant d'une vie
onirique, doctrinale et rédemptrice de
l'humanité non moins universelle que la
précédente. Or, ni notre politologie, ni
notre science de la mémoire n'ont rédigé
le cogito d'un humanisme
quadridimensionnel et eschatologique.
Pourquoi le cerveau en devenir de notre
espèce est-il viscéralement branché sur
des mondes fantastiques, pourquoi cet
animal est-il un rêveur de naissance,
pourquoi mêle-t-il l'imaginaire au réel
depuis qu'il est tombé du berceau de la
zoologie?
Décidément, il serait utile de corseter
la question posée à M. Védrine d'une
problématique et d'une épistémologie
ambitieuses de radiographier le fabuleux
mental.
2 - L'inconscient
religieux contemporain
Si, à partir de 1945, l'expansion
diplomatique, militaire et idéologique
de l'empire américain a été foudroyante,
ce ne fut pas au titre d'une conséquence
physique de la victoire de la démocratie
sur l'Allemagne nazie: il y a fallu
l'élan, alors jugé irrépressible, d'un
messianisme marxiste plus étroitement
calqué sur le mythe chrétien que celui
de 1789. On pensait que l'avènement du
paradis sur la terre était tout proche
et que - comme il avait été prévu dans
les Evangiles - le salut de la planète
passerait inévitablement par une
sanctification des pauvres aussi
définitive qu'irréversible. C'est
pourquoi le marxisme fut une guerre
religieuse entre les souterrains
anthropologiques du catholicisme et du
protestantisme, donc entre deux
psychophysiologies du salut qui se
réclament de fondements génétiques
inconciliables. Le mythe est commun,
mais celui de la délivrance campée sur
la terre jure avec le séraphisme de son
compagnon d'armes dans le ciel.
Certes,
la guerre pragmatique et idéologique
entre les riches et les miséreux avait
écrit un millénaire de l'histoire de la
Grèce et de Rome. Mais, cette fois-ci,
et pour la première fois dans l'histoire
de l'imagination messianisée et
conceptualisée de l'humanité, les plus
gros bataillons du monothéisme se
donnaient l'extinction de la pauvreté
pour levier de leur mythe; et pour la
première fois également, un Etat armé du
glaive des idéalités de la démocratie
était censé se mettre au service des
innocents aux mains pleines et prendre
le sauvetage du genre humain à bras le
corps. Les marxistes étaient les
nouveaux Jésuites du Paraguay. Leur
Saint Esprit s'appelait le "processus
historique". Le christianisme des
théologiens soutenus par l'esprit du
droit romain et par le génie pragmatique
du peuple de la Louve était longtemps
parvenu à endiguer les ravages du rêve
originel d'une égalité entre les hommes,
que L'île d'Utopie de
Thomas More avait régénéré; mais la
vision mythologique et abstraite de
l'histoire n'avait été que refoulée par
le Vatican. Les nouveaux évangélistes
glorifiaient le songe inaugural des
marxistes. Il était plus difficile à un
riche, disait l'éloquence de la chaire,
d'escalader les nues qu'à un chameau de
passer par le trou d'une aiguille.
3 - La
sotériologie démocratique
Comment, dès le XVIe siècle, la
sotériologie calviniste américaine
a-t-elle réfuté les béatitudes d'un
monde gréco-latin christianisé à l'école
des pauvres, comment l'Amérique
protestante a-t-elle combattu la
sacralisation des nécessiteux? Par une
réhabilitation théologique du profit des
marchands. La banque genevoise avait
métamorphosé la rentabilité austère et
pieuse de l'argent prêté en un
témoignage tangible des grâces
particulières de la divinité crucifiée à
l'égard des élus d'une potence. Le
capital généreux se changeait en pain
bénit de la foi, la sacralisation de la
sesterce faisait sécréter nuit et jour à
l'argent-roi des preuves palpables de la
bienveillance du ciel. Calvin avait fait
couler dans un moule nouveau le trafic
ostensible des indulgences d'une
éternité en louage et qui se pratiquait
exclusivement aux guichets rentabilisés
de l'Eglise romaine de la Renaissance;
et maintenant, l'industrialisation
intensive de la planète donnait sa
dimension d'hostie à un capitalisme
sanctifié par la torture d'un innocent.
Aujourd'hui encore, la lutte pour le
pouvoir entre les républicains et les
démocrates américains se fonde sur deux
théologies de la pauvreté rivales l'une
de l'autre et fondées sur l'inconscient
théologique qui pilote la politique de
Washington. Aussi le premier coup
d'éclat de l'expansion d'après guerre de
l'empire du dollar a-t-il trouvé son
terreau doctrinal dans l'épouvante
soudaine des possédants
d'outre-Atlantique. Propulsés sur le
devant de la scène, des régiments de
prolétaires angélisés à l'école de Karl
Marx se massaient aux frontières de
l'Europe. Les armées staliniennes de la
foi, jouaient aux séraphins délivreurs.
Une rédemption terrorisante glorifiait,
l'arme au poing, les étapes les plus
sanglantes des victoires musculaires sur
le paupérisme mondial.
Dès
1949, la rechute de tout le genre
simiohumain - l'intelligentsia mondiale
en tête - dans un finalisme para
religieux a permis à Washington de
retirer ses brebis les plus exposées aux
glaives du "petit père des peuples" et
de les rassembler autour de son propre
évangélisme. On sauverait péniblement le
sceptre des plus vieilles nations de
l'Europe, on afficherait pieusement les
principes statiques du droit
international de l'époque, lequel se
fondait, depuis le traité de Westphalie
de 1648, sur l'interdiction imposée à
toutes les nations d'intervenir par la
force des armes dans les affaires
intérieures - donc également dans les
théologies - des unes et des autres.
Cuius regio, ejus religio - à chaque
dieu ses arpents, à chaque lopin son
Olympe.
4 - Une coquille
vide
Naturellement, l'alliance atlantique de
1949 n'était qu'une coquille vide,
puisque l'ambition de l'empire
victorieux était d'assurer la domination
théologique exclusive de la Maison
Blanche sur un monde à délivrer du Mal.
En fait, un Vieux Continent censé avoir
triomphé de Hitler se trouvait
entièrement placé sous l'autorité
apostolique du souverain dont le dieu
Liberté tenait le sceptre d'une main
aussi messianique que dévotement
démocratique.
Quand le
Général de Gaulle s'était donné le luxe
diplomatique ahurissant de proclamer la
fidélité pleine et entière de la France
à l'alliance atlantique de l'époque,
alors qu'en réalité, il annonçait
l'émancipation pure et simple de la
nation de la tutelle militaire
américaine, le protecteur d'outre
Atlantique avait paru pris au piège du
mythe de la Liberté: s'il couvrait
d'éloges empressés le fidèle "allié"
demeuré à ses côtés et la maintenance
d'une République vassalisée depuis 1946
au sein d'un traité rendu illusoire dans
le temporel; s'il feignait de qualifier
de réelle une alliance réduite,
dès 1949 à l'affichage du blason de la
Liberté, il ne trompait plus en rien les
chancelleries et les états-majors du
monde entier, tellement, en ces temps
reculés, tout le monde savait déjà
qu'aux yeux du pragmatisme de
Washington, l'essentiel n'était
nullement de hisser le drapeau d'un
traité lénifiant, mais d'assurer la
subordination efficiente et automatique
des Européens à une sotériologie
mondiale et réduits à tenter de sauver
le pavois de leurs idéalités mythiques
sur des champs de bataille choisis au
gré du souverain.
5 - L'étoffe et
les coutures d'une livrée
Comment se fait-il qu'en 1966, les
anthropologues d'avant-garde savaient
depuis longtemps que les marionnettes
plastronnantes des démocraties
européennes évoluaient sur les planches
d'un théâtre mondial, celui du rêve
démocratique censé en marche dans tout
l'univers, alors que, dans le même
temps, personne n'observait la loupe à
l'œil le personnage central de la pièce
et les difficultés que cet apôtre
rencontrait de jouer son rôle de sauveur
sur la scène internationale? Observons
l'acteur du salut en action . Nous avons
déjà souligné que si, touché au vif, il
cédait à la tentation de s'indigner
vertueusement d'une défection
profanatrice de son messianisme et d'un
défi sans fard à sa vocation de
convertisseur universel, il démasquait
publiquement la duplicité inhérente à
l'orthodoxie démocratique - et sa colère
même contre un général coupable
d'hérésie démontrait à la face du monde
combien la vassalisation rampante de
l'Europe s'habillait d'un babillage
dévotieux.
Mais, depuis le siècle des Lumières, la
raison française se trouvait informée du
fonctionnement moliéresque des masques
sacrés qu'arbore le langage simiohumain
. Elle savait donc également que le
refus énergique de faire plier l'échine
de la nation française et de la
soumettre aux ordres d'un commandement
étranger pouvait passer pour une
dérobade ou une désertion aux yeux des
obéissants, tellement les sociétés
pieusement asservies à l'école de leur
propre tartuffisme politique semblent
marcher la tête haute et porter
fièrement la bannière de l'histoire
réelle du monde. Un mimétisme heureux de
sa servilité sert de ressort à une
vassalité fière comme Artaban.
Au lendemain de la première guerre du
Golfe, les nations européennes dites
souveraines étaient censées se trouver
honorées par le spectacle de leur
alignement sur le perron de la Maison
Blanche Les plus hauts représentants de
leurs Etats se trouvaient rangés à la
queue leu leu autour du Président des
Etats-Unis triomphant. La servitude des
peuples se calque sur leur effigie
glorieusement réfléchie sur le baudrier
de leur maître. Demain, un Tite-Live, un
Suétone, un Tacite raconteront à nos
descendants étonnés le rangement des
nations du Vieux Monde sous la houlette
de leur minusculité auto-magnifiée.
Quand l'histoire universelle est devenue
cinématographique et télévisuelle, on
cache sous le tapis l'histoire réelle
que vous racontait Thucydide.
6 - Les jeux de
la candeur avec la vanité
Prenez le spectacle de la ruée filmique
des démocraties du monde entier en
direction de Kaboul où le roi du ciel
courroucé de la démocratie cherchait le
coupable du regard, un certain Ben
Laden: depuis plus de vingt ans ce
suspect avait été identifié par les
services secrets de l'empire.
L'emballement d'une opération de police
qui rassemblait la planète tout entière
contre un seul individu avait placé
d'avance sous un éclairage instructif le
refus ultérieur de la France de se
raconter une seconde fois le scénario
d'un récit démocratique dont
l'orthodoxie commençait d'éveiller des
soupçons: M. Jacques Chirac n'avait pas
cédé à l'indignation vertueuse de tous
les dévots de la démocratie en partance
pour l'Irak. Cette indocilité désinvolte
avait démontré au monde entier que la
cécité vertueuse des Etats démocratiques
résultait de leur crainte de se trouver
accusés d'hérésie par l'inquisiteur
général de l'orthodoxie démocratique. Il
faut porter la chasuble des piétés
politiques d'une époque. Or celles-ci se
trouvent placées sous le sceptre du
maître de la morale internationale du
moment.
Huit ans
plus tard, M. Nicolas Sarkozy décidait,
comme il est rappelé plus haut, de
replacer la France "des armes et des
lois" sous le commandement suprême
du ciel américain. Le prétexte invoqué
par l'Elysée était plus naïf que
délibérément trompeur : M. Nicolas
Sarkozy pensait sans doute que le pays
des droits de l'homme jouirait du double
avantage de mettre un terme à sa
marginalisation supposée croissante sur
la scène internationale des croisés du
mythe de la Liberté et de conserver son
autarcie diplomatique à un prix devenu
plus modique, puisque l'Allemagne et
l'Italie demeuraient entièrement entre
les mains de leur vainqueur de 1945 sur
leur propre territoire, tandis qu'il
n'était pas question de réinstaller
précipitamment les bases militaires de
l'occupant évacuées en 1966 du
territoire national. Quel est le statut
d'un vassal désormais soustrait à la
force du glaive sur ses arpents et
quelle est la pression diplomatique,
assurément immense qu'exerce, en
revanche, la puissance des armes
américaines sur Rome et sur Berlin?
C'est le bilan de cette situation
stratégique nouvelle et originale en
apparence qu'il importe d'analyser de
plus près si l'on entend rendre
exemplairement instructive
l'incompétence réelle ou apprêtée
qu'illustraient les enfantillages
diplomatiques de M. Sarkozy sur la scène
du messianisme démocratique
international de l'époque.
7 - Qu'est-ce que
la haute trahison ?
A la suite du coup d'éclat de 1966 du
Général de Gaulle, les cartes n'avaient
pas réellement changé de place sur
l'échiquier du monde. La planète du
mythe de la Liberté se trouvait plus en
porte-à-faux que jamais entre la
sotériologie séraphique et para
confessionnelle des démocraties du salut
et le réalisme politique des empires en
action sur les champs de bataille de
l'histoire réelle. La croisade du Beau,
du Juste et du Bien avait du plomb dans
l'aile jusque dans les livres d'images à
l'usage des enfants. Dès lors que la
France se retrouvait piteusement placée
sous le sceptre de Washington, l'empire
à la bannière étoilée ne pouvait, comme
il est dit plus haut, lui payer en
retour le prix d'une docilité retrouvée,
mais devenue plus ambiguë et plus
bancale qu'auparavant. Impossible de
paraître combler l'enfant prodigue des
plus riches présents de la servitude
sans mettre l'empire dans une position
désespérée face à tout le reste de la
classe, impossible de paraître châtier
les obéissants ou de les payer bien mal
de leur pelotonnement sur leurs lopins.
Aussi, dès le premier jour de la
repentance télévisuelle de la France, M.
Nicolas Sarkozy découvrait-il avec une
stupéfaction peut-être non feinte que la
subordination pieuse des Européens à
leur maître d'outre-Atlantique se trouve
inscrite dans le rituel et l'étiquette
en usage à la cour. Quelle que soit leur
taille sur la scène internationale, les
"alliés" se trouvent rangés par ordre
alphabétique autour de leur chef, parce
que toute hiérarchie affichée entre les
convives anéantirait une mise à égalité
de tout le monde par le protocole.
Soudainement étonné et vexé par une
démonstration visible à l'œil nu et fort
inopportune - il ne la croyait pas
criante à ce point - de la
rétrogradation diplomatique de la France
aux yeux du monde entier, M. Nicolas
Sarkozy a demandé que la nation de
Descartes fût placée à la droite du roi
pour quelques heures et à titre
exceptionnel - mais il était trop tard
pour que cet artifice trompât les
télescopes des cinq continents sur
l'abaissement d'un commensal que le fier
refus gaullien avait remis debout.
8 - La
réforme du 29 juin 2007
Il convient de revenir un instant à la
question de la responsabilité en droit
des chefs d'Etat républicains, alors
que, depuis 1789, les peuples sont
devenus, du moins en principe, les seuls
souverains aux yeux des Constitutions
démocratiques. Or, quand bien même M.
Nicolas Sarkozy ne disposait, hélas,
d'aucune connaissance de la véritable
nature des relations diplomatiques que
les grandes nations entretiennent entre
elles - le démagogue a nécessairement
d'autres chats à fouetter que de se
spécialiser dix ans durant dans la
théorie et la pratique de la dureté qui
préside aux relations internationales
même en temps de paix - il est difficile
d'imaginer qu'aucune tête instruite des
réalités de la politique étrangère au
sommet de la hiérarchie des
fonctionnaires du Quai d'Orsay n'aurait
renseigné le chef de l'Etat; et il n'est
pas davantage crédible qu'aucun stratège
de haut rang n'était conscient des
compétences requises et des
responsabilités attachées par la
Constitution à la fonction guerrière du
Président de la République.
Aussi la
décision de M. Nicolas Sarkozy de
ranger, aux yeux d'un peuple français
censé plongé dans une profonde ignorance
politique, la décision de reléguer,
dis-je, les relations internationales
sous la rubrique émouvante des liens
familiaux, fut-elle une initiative
nécessairement solitaire. Mais la
tentative de faire croire à la
population entière d'une vieille nation
que les relations diplomatique entre les
Etats seraient d'ordre sentimental
doit-elle se trouver définie en droit
public de crime de haute trahison et
châtiée en vertu de la réforme de la
Constitution du 23 février 2007, qui
définit en son article 68 les conditions
de la destitution du président de la
République et les modalités de la
procédure devant la Haute Cour? "Le
Président de la République ne peut être
destitué qu'en cas de manquement à ses
devoirs manifestement incompatible avec
l'exercice de son mandat. La destitution
est prononcée par le Parlement constitué
en Haute Cour."
9 - L'éducation
des peuples souverains
J'ai
déjà rappelé que le "droit des gens"
est celui des "gentes",
c'est-à-dire des peuples en guerre ou en
paix et que M. Chirac, qui connaît la
logique interne et le langage des
juristes internationaux, avait tendu à
M. Nicolas Sarkozy un piège tellement
redoutable que le locataire de l'Elysée
a prudemment attendu le mois de mars
2012 pour en promulguer un décret
d'application obsolète par nature - on
ne destitue pas un Président de la
République trois mois seulement avant la
fin de son mandat, alors que le vrai
tribunal, celui du suffrage universel,
siège déjà sur les places publiques de
la citoyenneté. Mais comment se fait-il
que personne n'ait osé soulever, même à
titre formel, la question menaçante de
l'invalidation possible de M. Nicolas
Sarkozy? C'est qu'aujourd'hui encore, le
peuple français n'est pas informé des
responsabilités afférentes au crime de
trahison dont la constitution de 2007
l'a tardivement investi sur la scène du
monde.
Jamais,
M. Nicolas Sarkozy n'aurait pris le
risque de s'adresser benoîtement au bon
cœur et à l'esprit de famille des
Français, jamais il n'aurait osé leur
annoncer sans rire que le retour de la
France sous le gracieux et gentillet
commandement militaire d'une puissance
étrangère ressortissait à son devoir
familial de se ranger du côté de
Washington. Mais les Français ne se sont
pas esclaffés et aucun journal ne s'est
indigné. Comment remédier au statut
mythologique de la notion de
souveraineté appliquée aux peuples
démocratiques depuis 1789? Comment
retirer la France du sac ridicule dont
Mascarille s'est enveloppé et dans
lequel la République ne reconnaît pas
l'auteur du Misanthrope?
Depuis le mois de mars 2001, je plaide
pour que la pédagogie politique et
l'éducation civique des nations modernes
leur fasse découvrir leur constitution
dès les bancs de l'école; sinon, non
seulement la politique mondiale se
réduit à une pièce de boulevard, à un
roman sentimental ou à un film en
couleurs à l'usage des enfants, mais une
nation de plus soixante cinq millions
d'habitants peut se trouver tournée en
dérision aux yeux du monde entier par un
chef d'Etat angélisé et autorisé à ce
titre à lui raconter des histoires à
dormir debout. Non, les petits, ne vous
pelotonnez pas autour d'un père de
famille bienveillant et souriant à
souhait dans le ciel de la démocratie,
ne faites pas jouer à la République un
rôle de bouffon sur la scène
internationale, retirez Marianne d'une
mascarade planétaire.
La
semaine prochaine, j'analyserai de plus
près les difficultés politiques
auxquelles se heurtera, dans les
souterrains, une dévassalisation de
l'Europe désormais en marche, mais qui
attend encore dans les coulisses que les
peuples lui donnent efficacement
rendez-vous.
Reçu de l'auteur pour
publication
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