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Un désastre politique
La provincialisation
de la justice expliquée aux enfants
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Lundi 14 septembre 2009
1 - Petit traité des
sacrilèges
2 - L'apparition de Vautrin
3 - Il faut initier le
peuple à la connaissance des lois
4 - La politique et le
droit
5 - De quel type de
tyrannie la France d'aujourd'hui est-elle
devenue la proie ?
6 - Une première
classification des tyrannies
7 - Un subterfuge du
Parquet
8 - Le droit pénal et la
civilisation
9 - Le droit pénal,
fondateur de la civilisation
10 - Le juge civil capitule
devant les Vautrin du Ministère public
11 - Aux armes, citoyens !
12 - La suppression du juge
d'instruction
13 -
L'humanité dans le miroir du politique
14 - Le miroir de la
tyrannie
15 - Vers un
sursaut jacobin de l'esprit républicain
1 - Petit traité des sacrilèges
Les Français ignorent le droit civil et le droit public au point
que je crains fort d' ennuyer ces grands enfants par des
explications qu'ils jugeront triviales et offensantes pour la
superbe qui couronne leur souveraineté en loques. Comme
l'écrivait Paul Valéry, "la démocratie est l'art à la fois
d'empêcher les hommes de s'occuper de ce qui les regarde et de
les faire décider sur ce à quoi ils n'entendent rien".
Et
pourtant, si je renonçais à poursuivre la rédaction à l'usage
des adultes d'un petit traité de pédagogie juridico-politique
sacrilège, comment convaincrais-je mes lecteurs de tous âges
que, selon le blasphème de Socrate, l'ignorance est le pire de
tous les maux? Je vais donc sembler abaisser un instant la
grandeur du citoyen paré de la majesté de son verbe et prêter à
la France "des armes et des lois", comme disait un poète,
la voix benête des artisans de l'asservissement de la République
à un appareil judiciaire décentralisé.
Pardonnez-moi, citoyens désireux de
s'instruire et curieux , de vous raconter de cruelles broutilles
: savez-vous que les Procureurs sont censés représenter le
Ministère public, donc l'Etat de droit, et cela à l'étage des
responsabilités les plus hautes de ce dernier, celles d'un
garant incorruptible de la constitution, c'est-à-dire de la loi
qui définit la nation et savez-vous qu'à ce titre, les Parquets
sont expressément chargés par le législateur de contrôler
l'honnêteté des huissiers? Pourquoi cela, bonnes gens, sinon
parce que, sans cela, cette corporation pourrait fort bien se
truffer de malandrins et s'accorder la fantaisie non seulement
de demander à ses dupes des taxes exorbitantes au mépris des
dispositions légales, mais dresser des constats miraculés à la
simple demande de clients chicaniers, retors et menteurs, mais
fortunés.
Il
faut que vous sachiez, en outre, que si vous portez plainte
contre un huissier coupable du délit de rédiger des constats
imaginaires - les juristes appellent cela un faux en
écritures publiques - et si vous en apportez la preuve
irréfutable, l'Etat devra faire son devoir : le procès civil
sera obligatoirement retardé - on dit "suspendu" - parce
que la loi prescrit que le "pénal tient le civil en l'état",
ce qui signifie que le civil sera mis au congélateur dans
l'attente de l'issue du procès pénal, ce qu'impose la logique
interne de la science du droit, puisque l'issue du litige devant
le juge civil dépendra entièrement et exclusivement d'un point
de droit non encore officiellement élucidé, celui de la validité
ou de l'invalidité du constat censé démontrer ou non un dommage
; car ce dernier n'en ressortira pas moins au droit privé par
définition. Mais encore faut-il que le procureur veuille bien
examiner votre plainte, qu'il en pèse sérieusement les preuves
et s'il les juge criantes en diable - des photographies, par
exemple - qu'il rabroue l'huissier et lui adresse un blâme ou
même qu'il confie au besoin le litige à un juge d'instruction
qui pèsera la valeur de la plainte "à charge et à décharge",
c'est-à-dire en se mettant à l'écoute des deux parties.
2 - L'apparition de Vautrin
Mais, dans le même temps, la loi promulgue que le procureur
décide souverainement de "l'opportunité des poursuites".
Qu'est-ce à dire ? Un Etat de droit peut-il poursuivre des
malfaiteurs au vu de l' "opportunité" ou de "l'inopportunité"
de les châtier? Que signifie ce vocable dans une démocratie
digne de ce nom? Comment s'autoriser à estimer "inopportun"
d'interroger un assassin, de le confondre et de le punir? Le "bon
plaisir" du roi ne répandrait-il pas une odeur de tyrannie?
Puisque le pénal ne se négocie pas de gré à gré entre la
République et les gangsters, l'opportunité flotte entre
le despotisme et le maffieux. Elle outrage le
politique considéré dans la noblesse de sa soumission au
législateur. Balzac nous dépeint un Vautrin, ex-chef du gang des
forçats et ex-forçat lui-même, puis Ministre de l'Intérieur sous
la Restauration, qui fit de "l'Etat de droit" de l'époque
le chef du gang et le quartier général des financiers et des
voleurs de la haute bourgeoisie.
Vautrin a existé: il s'appelait Vidocq et il nous a laissé des
Mémoires sacrilèges, donc plus ensevelis dans le
silence de la piété démocratique que le traité de réfutation de
la transsubstantiation eucharistique par Béranger au XIe siècle
ne l'est demeuré sous le tapis des dévotions de l'Eglise.
Vautrin s'était si bien reconnu dans le personnage immortel de
la Comédie humaine et il en était si fier qu'il a
informé ensuite le grand romancier de certains secrets d'Etat.
Mais voyez comment, sous la Vème République, l'arbitraire va se
glisser en tapinois dans la cohérence tout idéale du droit
public : les Procureurs actuels vont porter à l'audience la
double casquette de Vautrin.
D'un côté, c'est à titre statutaire que ces fonctionnaires de la
justice ont été mis au service du pouvoir exécutif par la
République des droits de l'homme et du citoyen, de sorte que la
Cour de justice européenne entend leur retirer leur titre de
magistrats et demande qu'on les appelle des Préfets
judiciaires; de l'autre, ils sont néanmoins réputés jouir du
statut et de la dignité des juges dits "du siège", donc
bénéficiaires de la fiction d'une indépendance pleine et entière
à l'égard de l'exécutif. Dans ces conditions, un Procureur
français peut-il refuser tout net d'instruire la plainte d'un
citoyen français contre un huissier français coupable d'avoir
dressé un constat fantasmagorique?
3 - Il
faut initier le peuple à la connaissance des lois
On
n'a jamais vu une tyrannie reposer sur une autre assise que
celle d'une violation du droit public et privé, donc sur la
corruption généralisée d'un appareil de la justice mis au
service des Vautrin officialisés de la démocratie. C'est
pourquoi, mes enfants, vous devez savoir qu' une République
fondée sur les "droits de l'homme et du citoyen" tombera
tôt ou tard dans un mélange vautrinesque de la tyrannie avec la
corruption si elle se passe de vous donner de génération en
génération et dès les bancs de l'école une formation juridique
qui portera sur les principes fondateurs des civilisations.
Mais peut-il
arriver qu'un Etat s'applique subrepticement à
institutionnaliser un despotisme au petit pied et en quelque
sorte rudimentaire et, dans ce cas, quel avantage politique
compte-t-il tirer de mettre en catimini le Ministère public au
service d'un arbitraire insinuant, rampant et de tous les jours?
Ici encore, une démocratie qui n'initiera pas dès le plus jeune
âge sa population tout entière à une connaissance au moins
élémentaire des lois et de l'art d'en trahir la lettre et
l'esprit dont usent les Etats se donnera fatalement et à bref
délai la vêture d'un Etat piégé par Vautrin; et comme la
tyrannie emprunte toujours et par définition les chemins d'un
arbitraire porteur du blason de la corruption de ses juges, la
première difficulté d'une pédagogie qui contraindrait une nation
à se couronner des lauriers des juristes sera de vous enseigner
à distinguer clairement les diverses formes de la tyrannie
judiciaire que l'histoire a sécrétées et couvertes de la tenue
noire de ses magistrats, tellement les sceptres noirs de la
justice d'Etat diffèrent entre eux au point qu'il serait stérile
de brandir le drapeau d'une Liberté majusculaire ; car rien
n'est plus vain et plus creux que de couronner le peuple des
feux d'une universalité séraphique , rien n'est plus vide de
contenu que le diamant étincelant du concept de Liberté , rien
n'est plus illusoire que la tiare des abstractions
révérentielles, rien n'est plus despotique que l'oriflamme
flottant dans le vent des faux-semblants qui permettent au tyran
de se draper de généralités brillamment sonorisées à l'usage des
ignorants.
4 - La
politique et le droit
Pour conduire
tout un peuple à une connaissance réelle de ses droits et pour
lui enseigner la radiographie des bijoux de la tyrannie, il ne
suffira donc aucunement de lui inculquer le texte faussement
transparent des lois écrites afin qu'il apprenne à vous les
réciter par cœur. J'ai déjà rappelé que tout droit public et
privé ne s'éclaire qu'à la lumière de l'esprit politique qui lui
donne sa substance, et cela au point que si l'on interdit à un
cerveau d'enfant ou d'adolescent de porter un regard de citoyen
sur le droit et les lois, il comprendra si peu tout l'édifice
législatif auquel il se trouve soumis qu'il demeurera incapable
de différencier les diverses espèces de tyrans et de les
distinguer les uns des autres selon la nature particulière de
chacun. Nous allons donc tenter d'acquérir la compréhension des
volontés politiques que cachent les multiples casquettes des
despotes en nous souvenant que leurs dehors sont toujours
vertueux, ce qui permettra à l'enfant de les cerner dans la
spécificité de leur étoffe.
Mais s'il faudra
armer la jeunesse d'une intelligence attentive à souligner le
parallélisme constant entre l'esprit des lois et celui de la
politique afin de mettre sans cesse leur conjonction en pleine
évidence, cette difficulté sera-t-elle un obstacle pédagogique
ou, au contraire, un bénéfice pour l'éducateur? Par bonheur,
rien n'est plus aisé que d'ouvrir les yeux des enfants sur la
finalité tout humaine que poursuit une loi et rien n'est plus
malaisé, en revanche, que de leur expliquer la portée d'une
législation sans élever leur raison naissante à examiner
l'intention retorse qui peut inspirer le pouvoir pseudo
séraphique de l'Etat, tellement, encore une fois, la politique
et le juridique s'éclairent tous deux à la lumière de la
droiture ou de la perversion de leur signification.
Certes, la logique interne du droit lui
interdit de mettre une loi en contradiction flagrante avec une
autre. Mais ce sera, ici encore, la raison politique qui servira
de lanterne à l'enfant, parce que l'arbitraire a besoin, pour
asseoir son règne, d'introduire l'incohérence dans une
législation et cela de telle sorte que tout édifice juridique se
rendra tyrannique au prix de sa chute dans le chaos.
5 - De
quel type de tyrannie la France d'aujourd'hui est-elle devenue
la proie ?
Observons maintenant le type de tyrannie
judiciaire et de tyrannie politique conjointement planifiées -
donc intentionnelles et savamment conjuguées - qui régissent
d'un côté la violation systématique des lois et du droit dont
souffre la France d'aujourd'hui, puis, de l'autre, les carences
d'une scolarité non encore sur ses gardes et soucieuse de jeter
le voile épais de l'ignorance sur la violation des principes qui
fondent la démocratie. Quand nous nous serons initiés à l'art et
à la méthode de plonger une population entière dans la
méconnaissance du type d'arbitraire dont elle subira les effets
sans en comprendre la nature et les ressorts et, le plus
souvent, sans même s'en douter, nous aurons la réponse : il
s'agira d'une tyrannie auto apologétique dont la volonté cachée
entendra se servir de la décentralisation administrative pour
provincialiser tout l'appareil de la justice française sous les
apparences les mieux apprêtées de la piété républicaine et du
culte de l'universalité des lois.
Mais pourquoi
provincialiser à outrance l'appareil judiciaire d'un pays, donc
paraître libérer avec zèle la patrie du garrot napoléonien, et
cela à seule fin de mieux l'asservir à un Etat patelin, pourquoi
morceler dévotement la France, donc l'émietter aussi pieusement
que sous nos premiers rois? Bien plus : dans quel intérêt
politique une République saine d'esprit s'attacherait-elle à
multiplier les chefferies locales et à les rendre aussi voyantes
que sous la monarchie? Parce qu'une nation parcellisée et
réduite à camper sur ses arpents se couvrira de corporatismes
locaux dont l'ambition de chacun sera seulement de se donner
pour trône la dislocation même de l'appareil entier des lois.
Les privilèges souverains se font un bastion de leurs lopins.
Mais voyez
combien la minusculité de ce type de tyrannie présente de
singularités qui lui interdisent de confondre ses chromosomes
avec tout autre genre d'arbitraire, de sorte que si vous ne
l'étudiez pas à la lumière du chaos juridique particulier qu'il
engendre, jamais vous n'accèderez à la compréhension de la
volonté politique qui l'inspire et le caractérise: car seul un
Etat décentralisé et dispersé par le microscopique sera en
mesure d'éteindre tout débat politique d'ordre général et qui
porterait sur la défense des intérêts supérieurs de la nation.
Le gouvernement règnera donc sur un pays cadastralisé par ses
prés carrés, et cela avec une facilité grandement favorisée de
s'être donné le support des médiocrités villageoises, parce
qu'il est plus difficile de fonder une tyrannie focalisée par un
Etat puissamment centralisé - donc porté, par sa nature même, à
faciliter l' émergence de cerveaux sommitaux et rebelles - que
sur une tyrannie microbienne et rabougrie par une
municipalisation générale des esprits. Toute la tyrannie de
l'Etat soviétique reposait sur les privilèges minuscules
accordés au petit peuple sur ses lieux de travail et non sur
l'endoctrinement catéchétique de masse fondé sur le recrutement
du clergé de choc du marxisme-léninisme. On ne fonde pas une
tyrannie sur des séminaires, mais sur des sucettes.
6 - Une
première classification des tyrannies
L'enfant dont
l'intelligence aura été attirée dès les premières années de sa
scolarité sur la connaissance de la vie quotidienne des hommes
et des peuples insidieusement asservis apprendra à distinguer
deux types généraux de tyrannies municipalisées, mais rattachées
à une perversion propre seulement aux régimes républicains :
d'une part, celle qui reposera sur un Etat centralisé sur le
modèle bonapartiste, donc doté d'une seule tête - à laquelle il
suffira de maîtriser les phalanges supérieures du pouvoir
démocratique pour régner sans partage sur le pays - et celle,
d'autre part, qui dispersera et disséminera des milliers
d'encéphales provincialisés sur leurs jardinets et rendus
soucieux de défendre leurs apanages locaux, de sorte que leurs
platebandes n'opposeront aucune résistance organisée et
clairement motivée pour défendre les intérêts supérieurs du pays
sur une scène internationale à laquelle, du reste, ils
n'entendent goutte.
Sachez que la tiédeur de ce type de tyrannie
permettra à un Etat infantilisé du haut en bas de l'échelle
sociale d'étêter les grands partis politiques, puis de les
minusculiser et de les réduire à l'état vicarial, de sorte
qu'une provincialisation fatalement inscrite dès l'origine dans
la logique interne qui commande la décentralisation intensive
d'un Etat deviendra le levier le plus puissant du pouvoir
central, puisque celui-ci aura été magistralement délivré
d'opposants sérieux et se trouvera fatalement appelé à régner
sur une nation tombée en léthargie. La puérilité politique
succède à la tutelle des capitales.
Alors qu'une République fermement unifiée par
des institutions réellement démocratiques se trouve menacée par
des coups d'Etat qui lui font changer de tête à en couper une
seule, puis basculer dans des tyrannies armées du glaive d'une
faction ou de plusieurs, une République précautionneusement
réduite aux chefferies des notables locaux inaugure une tyrannie
à la fois molle et insidieusement infiltrée dans les masses. Il
faut un Etat lointain et occupé ailleurs pour régner seul sur
une population informe et réduite à la sottise des obéissances
invertébrées.
Mais si un peuple placé sous le joug d'une
démocratie vassalisée par sa médiocrité et sa paresse et
domestiqué en sous-main par un Etat étranger n'opposera aucune
résistance à l'infiltration parallèle des suçoirs de l'Etat dans
sa chair et à l'installation des bases militaires d'une
puissance étrangère sur son territoire et si, par conséquent, le
tyran n'aura à combattre ni soulèvement général, ni émeute
locale sur son sol, parce qu'il faut que surgisse un chef écouté
et qu'il s'arme d'organes énergiques et puissants pour vaincre
un Etat de ce type, encore faut-il que je vous explique dans le
détail, mes enfants les moyens et les méthodes qui permettront à
un pouvoir exécutif tyrannique, mais doucereux et caressant,
d'introduire progressivement les doses d'arbitraire et les
germes du chaos indispensables à la consolidation durable d'une
tyrannie spécialisée dans l'asservissement des moutons.
7 - Un subterfuge du Parquet
Et maintenant, les petits, observez la
tyrannie à l'usage d'une nation en bas âge qu'exercera un Etat
démocratique, mais décentralisateur, donc provincialisateur,
oyez comment il protègera, par exemple les privilèges que la
corporation des huissiers a hérités de l'Ancien Régime : dans le
cas évoqué ci-dessus, le Parquet vous répondra tout uniment et
sans sourciller qu'un faux constat ne le regarde pas, parce
qu'il s'agit d'une affaire civile par nature et par définition.
Il faut n'avoir pas froid aux yeux pour faire mentir l'Etat et
la loi à ce point et sans que Rousseau s'en étrangle; car ce
qui, en l'espèce, ressortit effectivement au droit civil, c'est
seulement le dommage prétendument constaté, mais non le constat
délictueux en tant que faux en écritures publiques.
Apprenez
également, les petits, que tous les constats portent
nécessairement et exclusivement sur des dommages civils: vos
aînés n'appelleront pas un huissier, mais la police pour
constater un assassinat. Ils ont lu Simenon: le Commissaire
Maigret leur a appris que le cadavre de la victime sera
transporté à la morgue où il sera autopsié par le Dr Blanchot,
médecin légiste de son état. En revanche, dans une République
dont les citoyens seront retombés en enfance, la tyrannie
s'infiltrera par le biais d'un Ministère public effronté et qui
feindra, en regardant des adultes ignorants droit dans les yeux,
de confondre un dommage civil avec un crime ou un délit, ce qui
engendrera un chaos juridique éloquent, parce qu'il sera
démontré que le despotisme s'insinue dans l'édifice du droit par
la porte dérobée, toujours la même, d'un grossier subterfuge
qu'on glissera en pleine connaissance de cause dans la logique
juridique. On voit qu'une éducation civique résolument
républicaine enseignera aux futurs citoyens à observer de leurs
yeux le nœud étroit qui rattache l'incohérence juridique à
l'arbitraire politique et comment ces deux pouvoirs se
combattent ou s'harmonisent depuis des siècles au sein de tous
les Etats du monde, du simple fait que tout despotisme a besoin
de se corseter d'un Eden et de se rendre souriant. Hitler et
Staline étaient aimés pour leur loyauté et leur bonté, Néron
ravissait tous les cœurs à chanter avec une couronne sur la tête
et Tibère écrivait avec déférence aux Sénateurs.
8 - Le
droit pénal et la civilisation
Et maintenant, mes chers enfants, examinons
ensemble et avec des yeux écarquillés comment la tyrannie
moderne s'attachera à provincialiser la justice de la France et
à installer le pouvoir cajôleur de l'Etat au-dessus d'une masse
livrée à des corporations semi maffieuses.
Que va-t-il se passer au civil si, dans le souci évidemment tout
électoral dont témoignera le pouvoir exécutif de se ménager
l'appui des notables locaux, donc, entre autres, de consolider
les prérogatives de caste de l'influente corporation des
huissiers, le Parquet valide froidement des constats fallacieux?
Le citoyen lambda se trouvera privé du droit constitutionnel le
plus fondamental dans toutes les démocraties du monde, celui d'
"ester en justice", comme disent les juristes,
c'est-à-dire de bénéficier d'un jugement qualifié de "contradictoire"
par les spécialistes du droit civil. Pourquoi cela ? Parce que,
dans une ville moyenne, aucun avocat ne consentira à plaider
contre un huissier et contre un confrère tous deux complices
effrontés d'un malfaiteur ou d'un fraudeur.
Mais il y a plus: un avocat intrépide voudrait-il tenter de
plaider qu'il en serait empêché par le droit français, tout
simplement parce que la loi interdit aux avocats de porter
l'accusation dans les affaires pénales, donc de se substituer à
l'Etat déficient et de défier un Parquet qui n'aura pas retenu
un forfait, puisque, dans ce cas, le délit ne sera pas censé
constitué aux yeux de la loi et se trouvera soustrait d'autorité
à tout examen et débat. Voyez le cercle vicieux : le fait du
prince frappera le citoyen de l'interdiction absolue de
démontrer le délit dont il est la victime dès lors que, de son
côté, il suffira à l'Etat de refuser purement et simplement de
tenir compte d'une disposition fondamentale et universelle du
droit constitutionnel pour bâillonner la liberté. Vous avez dit
tyrannie? Si cela n'en est pas une, qu'est-ce qui le
sera?
Mais voyez
comment des instituteurs avertis et qui auront été initiés au
droit éveilleront l'intelligence des enfants: ne sommes-nous pas
revenus, diront-ils, au Vème siècle avant Jésus-Christ, quand
Périclès disait d'Athènes qu'elle était la pédagogue du monde
hellénique tout entier pour avoir imposé à l'Etat, trois siècles
plus tôt, le devoir de châtier seuls les crimes et les délits?
Si le Parquet d'aujourd'hui décide librement de l'opportunité
d'appliquer la loi ou de la cacher sous le boisseau, que
deviendra une nation rendue complaisante aux délinquants par la
volonté même de l'Etat?
Il est civilisateur au premier chef, donc par
nature et par définition, que le pénal demeure du ressort
exclusif du Ministère public ; et il est légitime qu'aucun Etat
civilisé n'autorise la société civile, toujours obligatoirement
et exclusivement représentée par les barreaux, à remplacer au
pied levé un procureur corrompu. Mais si la souveraineté que
s'arroge le Ministère public l'autorise expressément à se
soustraire aux devoirs attachés à ses fonctions par la loi et si
l'Etat lui-même lui demande maintenant d'exercer le privilège
despotique qu'il s'est accordé de rayer d'un trait de plume les
responsabilités que la constitution lui fait un devoir
d'honorer, qui assurera la défense de la civilisation du droit?
9 - Le
droit pénal, fondateur de la civilisation
Mais vous n'êtes
pas au bout de vos surprises, mes enfants : sachez qu'à l'âge
adulte et dans le cas extraordinaire où un Procureur se
déciderait à poursuivre un huissier au pénal, vous ne serez pas
habilités pour autant à vous porter partie civile contre la
fraude ou la corruption d'un fonctionnaire ou d'un officier
ministériel, tellement, ils sont grands, les privilèges nouveaux
des notables de l'Etat qui ont remplacé ceux de l'aristocratie
et que le peuple français avait abolis d'un trait de plume au
cours de la nuit d'illustre mémoire du 4 août 1789.
Mais voici un peu de baume au coeur pour
l'éducation nationale de demain : les Procureurs se trouveront
placés sous la surveillance non seulement du corps enseignant,
mais également d'un Ministère de la culture responsable de
l'avenir de la civilisation française et chargé de la défendre
contre l'Etat lui-même si besoin est, tellement personne ne se
place davantage au cœur de la patrie de la raison et de la
Liberté et nul n'a davantage besoin de se trouver sans cesse
rappelé à l'ordre qu'un Ministère public menacé par sa propre
ignorance et sa propre sottise. Vous me direz que le Conseil
constitutionnel est chargé de cette mission. Mais que peut-il
s'il n'a pas lu les grands écrivains et les philosophes?
Souvenez-vous,
mes enfants, de ce que la substitution de l'Etat de droit écrit
à la vengeance privée est la pierre angulaire sur laquelle la
cité civilisatrice a été bâtie au VIIIè siècle avant notre ère,
quand les villes grecques ont substitué l'autorité d'une
politique du droit au règne aveugle de la vendetta généralisée
et ont réussi l'exploit, inouï à l'époque, de faire triompher le
principe selon lequel le citoyen qui se sera couvert de sang
afin de se faire justice ne sera plus absous et sera jugé à son
tour. Mais ce sont les grands écrivains qui ont inspiré les
progrès du droit; et dites-vous bien, mes enfants, que l'acte de
baptême de la civilisation de la justice n'a été rendu possible
qu'en raison de l'extrême sévérité des lois pénales des
origines, parce que seule leur rigueur a pu convaincre des
citoyens jusqu'alors sans défense et contraints de recourir à la
force de leurs bras qu'ils trouveront bien davantage leur compte
à remettre leur protection armée entre les mains des tribunaux
qu'à se fier à leurs propres poignards.
C'est pourquoi le
droit du citoyen de faire appel au pouvoir solitaire dont seul
un Etat civilisé sera autorisé à user afin de servir de bouclier
légal à la population contre les voleurs, les assassins , les
malfaiteurs , puis la plaie des huissiers falsificateurs, ce
droit, dis-je, se trouve désormais inscrit dans la Constitution
à titre de fondement à la fois juridique et culturel de tous les
Etats du monde. Et seuls, depuis lors, les peuples habilités à
faire valoir leur identité d'acteurs d'une histoire devenue
culturelle sur la scène internationale sont légitimés par le
droit international public.
C'est pourquoi
une nation privée de l'autorité d'un pédagogue suprême n'a pas
de gardien de l'esprit des lois face aux fourmis innombrables de
la Lettre.
10 - Le
juge civil capitule devant les Vautrin du Ministère public
Nos intellectuels n'ont pas encore été éduqués sur les bancs de
l'école. Leur ignorance du droit et des lois est apparue au
grand jour lorsque le Président Mitterrand a usé de l'
expression "le droit des gens" : tous se sont imaginé
qu'il invoquait le droit des personnes, alors qu'il s'agit des
Etats, les gentes, les peuples. C'est pourquoi nos
Procureurs trop dociles aux intérêts de la basoche sont
coupables de prendre appui sur l'ignorance de nos élites
elles-mêmes pour se changer en fossoyeurs d'une civilisation
intellectualisée par le droit.
Sachez, mes
enfants, qu'il n'y a plus d'Etat, donc plus de droit
international public si les faits qui motivent les procédures
devant les tribunaux civils peuvent être librement imaginés par
des huissiers spécialisés dans la littérature de fiction, donc
si les procès ne trouvent leur assise que dans la réalité
balzacienne du monde des Vautrin de la politique. Les huissiers
d'autrefois étaient des maçons assermentés, et c'était sur leurs
attestations garanties par l'Etat que l'édifice du droit était
solidement construit. S'ils se font désormais les fabulistes du
droit, la civilisation des lois capitule tout entière.
Mais voyez comme
il suffira d'une disposition prise quasiment en cachette par un
pouvoir exécutif provincialisé pour ruiner tout l'édifice du
droit public et privé, puisque le citoyen soumis au type de
tyrannie qui résultera fatalement du renoncement d'un Parquet
local à exercer les fonctions à la fois juridiques et
culturelles que la loi lui impose se verra condamner d'office au
civil faute d'avoir pu se faire représenter par un avocat devant
le tribunal, puisque, comme je l'ai rappelé plus haut, ni le
barreau local, ni celui de Paris ne sont autorisé à plaider un
délit, alors que Démosthène lui-même ne saurait innocenter son
client s'il lui est interdit de démontrer la fausseté de l'acte
d'accusation.
Mais alors, regardez bien comment la justice civile française
s'est d'ores et déjà résignée à se présenter bâillonnée devant
le Parquet et combien son indépendance de principe est devenue
toute formelle: quoique dûment informé de la plainte du
justiciable, le tribunal fermera résolument les yeux et
déclarera, pieds et poings liés, que la procédure aura été "réputée
contradictoire", fiction selon laquelle le procès sera censé
avoir été conduit à son terme en pleine conformité avec la loi
et avec le droit constitutionnel français.
11 - Aux
armes, citoyens !
Mais pour
enseigner dès l'âge scolaire aux futurs citoyens à radiographier
le pouvoir politique vassalisé qui guide la tyrannie moderne des
notables, il faut que l'arbitraire auquel la République actuelle
livre la justice de province s' éclaire à la lumière des
motivations secrètes qui commandent l'appareil judiciaire d'un
Etat que son amollissement même arme des piques et des épines de
la médiocrité. Pour le comprendre, observez la loupe à l'œil
comment les huissiers ont obtenu, comme sous la royauté, le
privilège exorbitant de taxer librement le montant de leurs
exploits sur tout le territoire de la République, alors que,
dans le même temps, une France aux yeux mi-clos persiste le plus
officiellement du monde à charger des Parquets endormis de
contrôler leurs tarifs.
Dans un premier
temps, le Ministère public a eu l'habileté de déléguer aux
Présidents des tribunaux civils le soin de contraindre ces
officiers ministériels à s'en tenir aux prix qui fixent le
montant de leurs actes: il suffisait de présenter une
réclamation écrite au Président du Tribunal de l'endroit pour
qu'il ramène d'autorité leurs émoluments au niveau décrété par
l'Etat. Mais, il y a quelques mois, on a vu les
décentralisateurs décréter un moyen astucieux de laisser la
bride sur le cou à la corporation: le citoyen lésé devra
demander à un autre huissier de présenter dans les règles une
assignation coûteuse au Président du Tribunal afin qu'il veuille
bien rétablir les tarifs légaux.
Vous me direz que cela lime et rogne astucieusement le pécule
des plaideurs réticents à vider leur escarcelle, parce qu'encore
faudra-t-il que le jeu en vaille la chandelle, donc que des
dépenses inutilement répétées pour seulement accéder à l'écoute
de Bridoison ou de Raminagrobis ne devront pas s'élever
au-dessus des frais déjà abusivement multipliés par le premier
huissier. Vous n'y êtes pas, bonnes gens: peut-être ignorez-vous
que, dans les petites villes, un huissier plus solitaire que
Crusoé tient seul les cordons de la bourse - car il dispose du
monopole absolu de dresser des constats. On appelle ce pactole
la "compétence territoriale".
Vous ne trouverez
donc aucun officier ministériel, serait-ce à mille lieues à la
ronde qui serait habilité à exploiter la mine d'or des
assignations à adresser au Président du Tribunal de l'endroit.
Peut-être ignorez-vous également que, dans les villes moyennes,
une seule paire d'huissiers dispose de l'écusson de la
légitimité requise et que ces jumeaux refusent tout net de
mettre leurs goussets partagés en difficulté. Peut-être
ignorez-vous également que dans les villes plus peuplées, vous
aurez affaire à trois sbires des protêts et quelquefois à
quatre, de sorte que la République a réussi à laisser trottiner
nos bretteurs de la chicane sur le pré carré des privilèges dont
les plaideurs de Racine nous ont fait connaître les glorieux
faits d'arme.
12 - La
suppression du juge d'instruction
Les instituteurs prendront soin d'instruire les enfants du sens
politique de la suppression du juge d'instruction et de leur
apprendre à décrypter dès le plus jeune âge l'art des Etats de
jeter de la poudre aux yeux des ignorants. Certes, ce magistrat
s'est bien souvent montré un despote sorti tout droit de la
manche de Napoléon. Souvenez-vous du procès Villemin, dans
lequel un juge d'instruction juvénile et vaniteux avait jeté en
prison pour de longs mois une mère désespérée par l'assassinat
de son enfant, puis, devenu une vedette du petit écran, avait
publié à grand tapage un livre à sa gloire, titré Le petit
juge, souvenez-vous de l'affaire d'Outreau où tant de
notables ont été jetés pêle-mêle en prison sans un minimum de
bon sens, souvenez-vous du Directeur de Libération
envoyé cul nu devant le juge, souvenez-vous de celle qui fêtait
ses victoires au champagne, souvenez-vous de ceux qui forçaient
les portes de l'Elysée. Mais savez-vous que 3% seulement des
affaires leur sont confiées et qu'il leur est interdit de
s'auto-saisir, de sorte que c'est toujours l'Etat qui les lance
à la poursuite du gibier et qui leur fournit la somptueuse
vènerie des chasses à courre de la justice démocratique.
La
vérité est ailleurs: il y a quarante sept mille avocats en
France. Pour tenter de survivre, cette armée souvent famélique
demande mille cinq cents euros au minimum pour seulement
présenter à la signature du Président du Tribunal les accords
conclus entre les conjoints sagement décidés à se séparer sans
mêler la machine de l'Etat au règlement de leurs affaires de
ménage. Les prérogatives des robes noires vont s'étendre à
l'assistance de leurs clients dès leur arrestation. Mais vous
imaginez bien que les délinquants sans le sou - ils sont
assistés par des avocats désignés d'office et fort mal payés par
l'Etat - n'y trouveront aucun avantage, tandis que les notables,
soutenus par un avocat souvent hors de prix, disposeront d'une
toute autre influence auprès de ce grand notable de l'Etat
qu'est le procureur. C'est pourquoi Mme Guigou , ancienne Garde
des Sceaux, déclare que nous assistons à la fin du mythe de
l'égalité des citoyens devant la loi, tandis que M. Robert
Badinter écrit : "L'argent sera le nerf de la guerre (…).
L'efficacité de l'avocat dépendra de ses relations avec le
procureur." (Le Monde, 2 septembre 2009).
L'Etat provincialisateur fait coup double: d'un côté il classera
sans suite les affaires les plus gênantes pour lui, ce qu'il
fait déjà et depuis fort longtemps, puisque les juges
d'instruction sont empêchés de se saisir eux-mêmes, comme il est
rappelé ci-dessus, de l'autre, les barreaux locaux et les
notables verront leur confraternité naturelle renforcée avec des
procureurs auxquels vous savez que la Cour européenne de justice
a d'ores et déjà retiré leur titre de magistrat.
13 -
L'humanité dans le miroir du politique
Si, dès les bancs de l'école, l'instituteur
s'attachait à faire tomber les écailles des yeux des futurs
citoyens, il deviendrait républicain que l'éducation nationale
rappelât chaque année à l'ensemble du corps enseignant que sa
mission est celle d'une sentinelle de la civilisation française
et que toute tyrannie, qu'elle soit spectaculaire ou larvée,
prive le peuple de l'exercice des droits attachés à la personne
humaine par le génie civilisateur de l'humanité. Comme elles
seraient patriotiques, les directives pédagogiques d'une
République qui inclurait dans ses devoirs et sa vocation
d'expliquer aux enfants qu'un Etat despotique parviendra
toujours à donner le change et à sauver les apparences du droit
et de la liberté aux yeux des ignorants et des sots et qu'il est
aisé de couvrir l'arbitraire des vêtements dorés des procédures
solennellement privées de contenu réel, parce que réduites à la
parade d'une danse rituelle!
Sachez, mes enfants, que sous la République, les Romains avaient
osé vulgariser l'expression : vervecum in patria, la "dans
la patrie des imbéciles", et qu'à ce titre, vous avez
le droit de savoir que vous appartenez déjà à la génération des
arrière-petits-fils de Darwin. Que vous enseigne l'auteur de
L'évolution des espèces? Qu'une nation livrée à une mauvaise
justice retombe parmi les sorciers. Songez également, mes
enfants, que les magiciens ont découvert , il y a des milliers
d'années, que les sortilèges et les amulettes sont les clés du
pouvoir politique, parce qu'ils permettent de masquer aux yeux
des sots la violation ou la négation pure et simple de l'esprit
de la loi.
Quand un Parquet du pays des contes d'Alice décide en toute
souveraineté que la fraude ou la corruption d'un huissier n'est
qu'une histoire à dormir debout dans une démocratie vouée au
culte des merveilles de la Liberté et qu'il est sacrilège de
profaner l'innocence native dont bénéficie la justice dans
l'Eden de la civilisation des droits de l'homme, on verra tout
l'appareil du droit civil prendre appui sur les dérobades et les
défaussements en chaîne d'un "Etat de droit" tartuffique
des pieds à la tête; et les fausses dévotions républicaines se
calqueront sur le modèle des piétés contrefaites que le génie de
Molière ou le Stendhal du Rouge et le Noir ont
immortalisées.
Mes enfants, l'éducation nationale a le
devoir de vous enseigner les rudes vérités que les grands
écrivains du monde entier et de tous les temps ont couchées noir
sur blanc sur le papier et que l'on vous cache dans les plis
d'une catéchèse républicaine pudibonde. Rêvons d'une génération
éclairée dès son plus jeune âge d'un regard en mesure d'observer
à la fois l'histoire du droit et de la politique dans leur
crudité, l'histoire des Etats et celle des cerveaux dans leur
tragique, l'histoire barbare de la croyance en une divinité
scindée entre son ciel et sa chambre des tortures sous la terre.
Formons donc des pédagogues-anthropologues dignes des plus hauts
blasphèmes de l'inte et qui porteront un regard profanateur sur
deux perversions étroitement conjointes, celle de la politique
et celle du droit public attelées au même corbillard. Alors
seulement la jeunesse de France radiographiera la justice de la
nation à la lumière d'un parallèle saisissant entre le
tartuffisme juridique, le tartuffisme politique et le
tartuffisme des fausses piétés - et toute notre haute éducation
nationale se rendra panoramique à l'école d'une anthropologie
abyssale, tellement la tyrannie s' enracine au plus profond de
l'humanité et des Etats!
Et maintenant,
allons au plus secret des catéchèses faussement vertueuses et
tentons d'initier les enfants à l'apprentissage des ultimes
arcanes du politique. Quel est le tissu de Swift? La politique.
Le tissu de Shakespeare? La politique. Le tissu de Cervantès? La
politique. Le tissu de Molière, de Rabelais, de Balzac? La
politique. Quels sont leurs sacrilèges? Que disent-ils à nous
tendre le miroir dans lequel ils nous demandent d'apprendre à
nous regarder droit dans les yeux?
14 - Le
miroir de la tyrannie
Ils nous disent que seul un scannage de l'Etat provincialisateur
nous permettra de découvrir l'intérêt essentiel qui l'appelle à
s'aliéner de nombreux citoyens sur tout le territoire de la
République et cela au seul profit d'une impunité et d'un
arbitraire destinés à culminer dans la complicité des Parquets
avec la corporation des huissiers et des barreaux locaux. Ce
choix politique n'est-il pas incompréhensible à première vue,
donc irrationnel et même suicidaire aux yeux du tyran lui-même
si l'on ne s'arme d'un microscope et d'un télescope étroitement
associés? Car il faut savoir que l'influence des notables grands
et petits s'est toujours révélée décisive et qu'eux seuls
fondent les régimes politiques sur la durée, parce qu'il
n'appartient jamais qu'à eux d'entretenir un climat propice à la
légitimation du pouvoir d'Etat et de le rendre inexpugnable.
Mais pourquoi ces
blasonnés se sont-ils montrés de tous temps les bastions et les
forteresses des gouvernements tenus pour légitimes? Ils ont tué
Romulus, puis ils ont prétendu qu'il était descendu du ciel pour
légitimer leur autorité toute neuve et prophétiser à leur seul
avantage le glorieux avenir des Romains. Ce sont eux encore qui,
quelques siècles plus tard, ont livré la République des Quirites
aux Caligula, aux Néron et aux Tibère. Que font-ils qui leur
appartienne en propre à l'heure où la France flotte sur la scène
internationale et hésite à saisir son avenir et celui du monde à
bras le corps? Voyez comme ils s'attachent à rassurer un peuple
rendu d'ores et déjà tout passif, voyez comme ils cautionnent
maintenant leur propre ignorance et la cachent sous l'apparat
attaché aux colifichets de leur honorabilité de façade.
Quelle est donc leur inspiration millénaire
et que savent-ils d'instinct, sinon que les masses du XXIe
siècle ne sauraient disposer davantage que celles d'hier et de
demain des moyens de défendre les intérêts supérieurs d'une
nation dans une civilisation plus fragmentée, compartimentée et
livrée aux folklores que jamais ? Ce sont les hobereaux de la
politique qui garantissent le sommeil des peuples par le seul
spectacle qu'ils leur offrent de leur aisance tranquille et bien
vêtue. Leurs privilèges étriqués rendent aux Etats de l'Europe
vassalisée d'aujourd'hui l'immense service de mettre leurs
intérêts véritables en veilleuse. L'émiettement et la
parcellisation d'un continent est une pointure qui convient à
leurs pieds.
C'est pourquoi toutes les révolutions populaires ont été
téléguidées non point par les masses, mais par des notables
froissés et un instant insuffisamment choyés. Leur encolure
offensée mobilise leur petitesse tantôt au profit de quelque
prince éclairé, tantôt de quelque soudard de passage. Si un
grand homme - un Solon, un Périclès, un Scipion l'Africain - les
tient par la bride et dore leur licol, ils paraissent de taille
à donner de l'éclat et de la grandeur aux cités. Athènes,
Venise, Florence, Rotterdam, Londres, Paris ont paru porter
leurs armoiries; mais en réalité, ils ne s'agrippent jamais qu'à
leur minusculité couronnée; et c'est dans le miroir de la
petitesse de leur justice qu'il faut les regarder déambuler.
Puisse le petit manuel du tyranneau pansu nous enseigner que le
tonneau de poudre n'est jamais le peuple, mais les besaces et
les bedaines des baronnets girondins rendus un instant indociles
par des outrages passagers à leur étiquette et ambitieux
seulement de retrouver leurs tabourets.
Si notre
éducation nationale formait une génération instruite des arcanes
du droit et de la politique, les futurs historiens de la
vassalisation de l'Europe observeraient au microscope
l'ignorance et la complaisance des notables du XXe siècle, et
ils seraient éberlués de ce qu'une classe dirigeante élue au
suffrage universel par un peuple ignorant aura gardé le silence
sur l'occupation militaire de tout le territoire du Vieux Monde
par les bases militaires d'une puissance étrangère pendant
soixante-dix ans. Vous êtes les responsables de l'intelligence
de la civilisation de demain; mais si les Etats démocratiques
d'aujourd'hui ne décidaient pas de forger une génération de la
lucidité politique, les élites dirigeantes de demain seront de
la même facture que celles d'aujourd'hui et il sera bien inutile
de les accuser de lâcheté et de sottise, puisque seule
l'ignorance est la source de tous les maux.
15 - Vers
un sursaut jacobin de l'esprit républicain
Direz-vous que le type de tyrannie que sécrètent les Etats
décentralisateurs et provincialisateurs est tellement bénin
qu'il suffira d'instruire les nouvelles générations des
tyrannies plus sérieuses que celle-là et qui confient les rênes
de la nation à une puissante police politique ou à une junte
militaire ? Direz-vous que le naufrage de l'Etat démocratique
dans la provincialisation des lois est moins dangereux que celui
des baïonnettes sur lesquelles Mirabeau rappelait combien il est
difficile de s'asseoir? Dans ce cas, lisez d'autres textes
encore sur ce site :
-
II - Le paysan du Danube et le roi
de France,
15juin 2009
-
I - Le paysan du Danube et le roi
de France,
25 mai 2009
-
La France et sa justice (Bis)
,
22 décembre
2008
-
La France et sa justice,
15 décembre 2008
-
L'anthropologie critique et la
pesée des civilisations, L'Etat et la corruption de
l'appareil de la justice, 9 Lettres ouvertes à Mme
Rachida Dati, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
30 juin 2008
-
La justice
française face à l'hydre de la corruption interne
(suite) Lettre ouverte à M. François Fillon et à Mme
Rachida Dati,
26mai 2008
-
La justice française face à
l'hydre de la corruption - Lettre ouverte à un Procureur
de la République,
31 mars 2008
-
Où la justice française en
est-elle ? (suite) M. Lambda se rend devant la Cour
européenne de Justice,
11 février
2008
-
Où la justice
française en est-elle ? Lettre ouverte à un Président de
Tribunal de grande Instance,
4 février
2008
C'est que les tyrannies répondent aux formes
diverses qu'empruntent les décadences, de sorte que la
médiocrité recourt à des armes plus émoussées que celles dont
use la folie batailleuse des condottiere. Mais croyez-moi,
toutes les tyrannies ont rendez-vous avec le sang.
Mais peut-être
ai-je quelques chances de vous inquiéter davantage si je vous
confie que j'ai pris un soin scrupuleux à vérifier que, du haut
en bas de la hiérarchie, l'Etat actuel est au courant du complot
girondin, puisqu'il le pilote et y met activement la main.
Sachez donc, les enfants, que les Ministres de la Justice
successifs de la France ont décidé de donner systématiquement
raison aux Parquets locaux qu'ils chargent de classer sans suite
les constats fictifs des huissiers; sachez que la République des
droits de l'homme n'a cure de priver les victimes de la capacité
d'ester en justice.
J'oubliais les dernières nouvelles du front. Le 8 septembre
2009, le Syndicat de la magistrature publiait le communiqué
suivant: "En cas de pandémie de grippe H1N1, le gouvernement
aurait prévu des mesures qui relèvent de l'Etat d'exception :
les audiences seraient confiées à un seul magistrat, la
détention provisoire serait prolongée, les gardés à vue ne
verraient leur avocat qu'à la 24e heure de leur détention."
Citoyens, n'ignorez pas plus longtemps les
commencements timides et les lents cheminements d'une tyrannie
provisoirement armée de la petitesse d'esprit de la province.
Sinon la tyrannie des poignards vous prendra par surprise. Quand
leur heure sera venue, il sera trop tard pour combattre vos
étrangleurs. Ils sont déjà dans l'escalier. Quand ils frapperont
à vos portes, ils vous laisseront tout benêts.
Publié le 14
septembre 2009 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
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