Qu'est-ce que philosopher?
Caligula et son cheval
Aux sources de la tyrannie
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 13 mai
2012
La semaine
dernière j'avais interrompu mes
rétrospectives imaginaires pour une
rétrospective réelle, celle qui
récapitulerait les enseignements a
posteriori d'un contre-exemple de
chef d'Etat :
- La
chute de M. Nicolas Sarkozy Les
enseignements à tirer d'un
contre-exemple de chef d'Etat,
5 mai 2012
(Section Actualités).
C'est dire que la question se trouvait
d'ores et déjà posée de savoir pourquoi,
depuis Périclès, le régime démocratique
n'est jamais parvenu ni à se donner un
rassembleur, ni à forger une élite de
guides capables de piloter les nations
dans les tempêtes de l'histoire.
L'analyse anthropologique d'une aporie
de cette taille s'impose plus que jamais
à l'heure où la Ve République devra
faire face à l'ouragan qui jette dans le
néant une monnaie privée d'ossature et
de musculature politiques. L'élite
dirigeante de la France et de l'Europe
terrassera-t-elle l'orage qui se prépare
et qui pourrait précipiter encore
davantage une Europe complaisante dans
la vassalisation volontaire à l'égard
d'un Nouveau Monde? Mais la montée en
puissance de la Chine, de l'Inde et de
la Russie donne à l'Occident sa dernière
chance de reprendre l'initiative à
l'échelle internationale. La France
nouvelle sait-elle qu'aucune renaissance
ne sera possible sans une accélération
du réveil politique imposé par l'urgence
de conjurer le naufrage monétaire.
Car les dirigeants du Vieux Continent se
trompent s'ils croient sauver la barque
du naufrage à ramer encore davantage
sans boussole, sans capitaine et à
contre-courant qu'à l'heure où la gloire
de l'euro aurait dû soutenir leur
courage?
Mes
analyses rétrospectives prennent
davantage d'actualité avec l'arrivée de
la gauche au pouvoir, me semble-t-il,
parce que le réveil politique de
l'Europe se produira au cours du
quinquennat de M. Hollande ou jamais. A
Chicago, le 24 mai, les Etats-Unis
poseront la première pierre d'un nouveau
mur de Berlin dont l'ambition naïvement
avouée enserrera la planète de la foi
démocratique dans une enceinte
transnationale chargée de remplacer la
dissuasion nucléaire obsolète par un
bouclier plus mythique encore que le
précédent, mais conçu sur une assise
anthropologique plus solide. Quelles
seront les méthodes d'expansion dernier
cri de la religion de la Liberté, celle
qu'appelle précisément l'effacement
nucléaire de la France. On demande des
spectrographies d'un messianisme qui
remplacera les armes d'hier par celles
d'une sotériologie à l'allure pacifiante
et évangélisatrice.
Plus que jamais, l'anthropologie du
sacré a pour vocation de connaître les
profondeurs de l'inconscient politique
des rédemptions verbales de notre temps.
L'Eglise était parvenue à conduire
l'expansion de son mythe du salut à
l'aide d'armes de guerre imaginaires et
ancrées seulement dans les têtes. Mais
pour comprendre la mutation de la scène
internationale de la démocratie du salut
sur la scène internationale de demain,
il faut en légitimer les prémisses à
l'aide d'une spéléologie du nouveau
réalisme de la tyrannie, ce qui me
mobilisera ce 13 mai, puis le 20. Le 27
mai seulement, la question
d'anthropologie politique de
l'évacuation des troupes américaines de
l'Allemagne et de l'Italie mettra la
France du nouveau réalisme international
à l'heure de vérité pour l'Occident.
1 -
La logique de
Shakespeare
Nous voici parvenus au récit de l'étape
la plus décisive de l'histoire d'une
simianthropologie générale, qui, selon
la presse internationale unanime, place
l'Ecole de Paris au premier rang de la
réflexion contemporaine sur l'avenir
cérébral de notre civilisation.
-
La planète de
la folie,
29 avril 2012
-
Un regard du
dehors est-il possible ?
22 avril 2012
-
Les danseurs
de corde
, 15 avril 2012
Revenons
un instant aux difficultés
insurmontables que soulevait la
discipline la plus flottante, la plus
embarrassée et pourtant la plus banale
en apparence, j'ai nommé la science
historique. Comment un savoir
tellement facile qu'il paraissait se
fonder sur la simple mémorisation des
évènements pouvait-il raconter, d'un
côté, des évènements banals à pleurer et
dont l'intelligibilité supposée ne
faisait appel qu'au sens commun le plus
enfantin et, de l'autre, sur des
narrations qui renvoyaient depuis
longtemps le lecteur au jugement de
Shakespeare selon lequel il s'agissait
d'une tragédie "pleine de bruit et de
fureur racontée par un idiot"?
Ce verdict s'est placé comme de lui-même
au premier rang des travaux de l'Ecole
de Paris, parce que Shakespeare ne
soutient pas seulement qu'il s'agirait
d'un charivari ou d'un tohu-bohu
incompréhensibles aux oreilles du
tribunal de la connaissance, mais que
tout ce vain tumulte nous serait raconté
pêle-mêle par un sot "de bécarre et de
bémol", disait Pantagruel, de sorte que
même dans le cas où la narration nous
deviendrait intelligible, encore
faudrait-il vaincre le ridicule de
demander obstinément à un infirme mental
de décrypter le tissu de nos jours.
Mais, dans le même temps, non seulement
Shakespeare l'abyssal lance un défi à
l'entendement futur de l'historien de
bonne foi et de bonne volonté, mais il
suggère que si Clio parvenait, comme il
est dit plus haut, à se rendre
réellement explicatrice de ce qu'elle se
raconte, elle défierait des secrets
tellement cachés qu'il nous faudrait
apprendre à décoder un film dont la
pellicule nous renverrait au cinéma
muet. On cherche le cinéaste aveugle,
sourd et sans voix auquel nous devons le
récit des aventures du genre simiohumain
depuis la création du monde. C'est
pourquoi l'Ecole de Paris s'est dit: "Si
la science historique aveugle et sourde
des ancêtres accédait enfin à la
compréhensibilité des siècles écoulés,
ou bien cette reine de la durée
détrônerait la monarchie précédente,
celle de la philosophie, ou bien la
philosophie véritable deviendrait un
décryptage anthropologique de
l'histoire."
2 - La folie
selon Shakespeare
Bien
plus, si Clio en venait à nous démontrer
que notre espèce serait née folle à lier
et qu'elle le restera, jusqu'à la fin du
monde, elle ferait à jamais du
simianthrope la proie incurable d'un
défilé de mondes délirants par nature et
par définition. En revanche, parvenir à
rendre l'absurde intelligible, ce serait
faire passer la science de la mémoire du
rang d'une discipline à la bouche cousue
à celui de la seule science digne de
l'attention soutenue d'une dynastie
vieille de vingt-cinq siècles, celle
qui, repetita placent, chemine
d'Empédocle à Nietzsche et d'Epicure à
Kant. De plus, le génie de Shakespeare
serait allé droit au cœur de la pesée
contemporaine de la simplicité d'esprit
du genre simiohumain, parce qu'il semble
nous dire, avec cinq siècles d'avance,
que les fuyards du monde animal ne
quittent le royaume des ténèbres dans
lequel ils se trouvent relégués que
s'ils parviennent à s'éclairer un
instant des lumières de leur
intelligence à venir; car, nonobstant sa
spécificité, la maladie dont souffre le
genre humain se révèle d'origine
zoologique. Mais si la maladie mortelle
dont le simianthrope est atteint se
révélait décidément cérébrale au premier
chef, elle nous tendrait la clé du seul
animal à demi intellectualisé que
connaisse la nature ; et, dans ce cas,
tenez-vous bien, le récit historique
sérieux aurait pour tâche de nous
initier au sens caché, mais seul
heuristique, de ce récit de Suétone: "Il
donnait à son cheval, Incitatus,
une écurie de marbre, un râtelier
d'ivoire, des housses de pourpre, des
colliers de pierreries, une maison et
des domestiques pour traiter avec
magnificence les invités à l'écurie."
3 -
Dieu dans le miroir de Shakespeare
Le point
à étudier est donc de comprendre
pourquoi les contemporains censés de
sens rassis de Caligula ne l'ont pas
accusé de folie, tellement ils étaient
aussi fous que lui. Ce qui accrédite
cette hypothèse, c'est que le cheval
Incitatus n'est pas demeuré à
l'étable, il est devenu un personnage
public. Et puisque Caligula a élevé le
quadrupède et sa crinière à la dignité
de consul du peuple romain, faut-il en
conclure que la folie propre à la
tyrannie est celle qui fait osciller
l'encéphale de l'histoire des bienfaits
à la cruauté? Mais alors Dieu serait-il
l'archétype de cette alternative? Dans
ce cas, Clio illustrerait le balancement
sanglant de notre espèce entre les
floralies de son Eden et les fureurs de
l'enfer; et nous disposerions enfin des
documents simianthropologiques, qui nous
éclaireraient sur le véritable esprit de
nos trois monothéismes. Qu'en est-il de
nos miroirs théologiques s'ils donnent
son ultime profondeur au diagnostic de
Shakespeare?
Supposons que le despotisme soit la clé
du simianthrope et que, par conséquent,
les dieux que vénère cette espèce en
apporteraient la démonstration la plus
irréfutable. Réjouissez-vous, diraient
les philosophes: nous vous annonçons la
bonne nouvelle que Shakespeare sent déjà
son XVIIIe siècle et que nous savons
maintenant pourquoi Voltaire l'a porté
aux nues. Car son pessimisme préfigurait
le plus grand peintre animalier du genre
simiohumain, Jonathan Swift. Né en 1564
et décédé en 1617 - cette année-là,
Descartes avait vingt et un an et Pascal
allait naître quatre ans plus tard, en
1621 - Shakespeare a débarqué dans un
monde auquel, dans les profondeurs, la
Renaissance avait retiré sa couronne
théologique et qui allait entrer tantôt
dans la voie de l'optimisme délirant des
Leibniz, des Rousseau et des Dr
Pangloss, tantôt dans le feu des hautes
lucidités, celles du Candide
de Voltaire et du célèbre explorateur
auquel nous devons la découverte de la
peuplade innombrable des Yahous.
Aussi était-il prévisible qu'après un
demi-siècle de recherches, l'Ecole
française de simianthropologie
déchiffrerait parallèlement la
complexion psychocérébrale des trois
dieux uniques et celle des tyrans de
tous les temps - les Caligula, les
Tibère, les Héliogabale, les Hitler, les
Staline - tellement la dichotomie
mentale dont souffre l'espèce
simiohumaine deviendra fatalement le
document psycho-zoologique central sur
la folie dont la simianthropologie
mondiale a vocation de percer les
secrets de la connaissance.
4 - La
tyrannie du vengeur
Afin de
porter la science du passé et toute la
philosophie occidentale depuis Platon
sur les fonts baptismaux du décryptage
de la folie , l'Ecole de Paris a
emprunté la voie royale de se demander
pourquoi les tyrans rendent l'histoire
tour à tour paradisiaque et infernale et
pourquoi le pouvoir absolu "rend fou
absolument", comme on dit, alors que
la radiographie du pouvoir modéré ne se
montre jamais qu'une faible lanterne.
Car il
n'est pas un seul tyran qui ne soit à
l'image du Dieu de la Genèse, il n'en
est aucun qui n'ait inauguré son règne
par des torrents de bienfaits. Suétone
commence par énumérer ceux dont Caligula
a comblé les Romains. Et il enchaîne: "Jusqu'ici
j'ai parlé d'un prince, ce que j'ai
désormais à raconter est d'un monstre."
(chap. XXII) Or, la cruauté de Caligula
ne s'est déchaînée qu'après qu'il se fut
donné le titre para céleste de "César
très bon et très grand". Pour tenter
de comprendre le parallélisme entre la
tyrannie de Dieu et celle de la folie de
Caligula, énumérons les "traits les
plus saillants de la cruauté" de ce
semi-Céleste. Car à partir de son
auto-divinisation, écrit Suétone, "il
demandait qu'on frappât à coups lents et
répétés; et l'on connaît la
recommandation qu'il adressait sans
cesse au bourreau: 'Frappe de telle
manière qu'il se sente trépasser'."
Mais les
fauves ne sauraient observer la règle
d'or des coups "lents et répétés"
qui régit la justice infernale : les
damnés ont beau rôtir à petit feu sous
les ordres du tortionnaire en chef du
cosmos, leur immortalité rend leurs
souffrances éternelles. Caligula, lui,
ne bénéficie pas du long mijotement de
ses victimes: "Comme l'engraissement
des bêtes féroces réservées à un
spectacle de cirque coûtait trop cher,
il désigna les coupables qu'on leur
donnerait à déchiqueter. Debout au
milieu de la galerie où l'on parque les
fauves, il passa en revue la foule des
criminels et les fit conduire au
supplice du premier au dernier."
(Chap. XXVII ) Il faut conclure de ce
document théopolitique que la férocité
proprement simiohumaine et proprement
divine se veut réfléchie au ciel comme
sur la terre, donc dégustée aux fins
d'assouvir une rancœur à ressasser sans
fin, celle-là même qu'illustrera le Dieu
de Dante.
5 -
Tibère
L'exemple du doux Tibère répondra
également au modèle caligulesque et
dantesque de tous les tyrans, donc du
Créateur du monde à son tour. A l'âge de
trente six ans, en pleine gloire
militaire, notre gentil héros se retira
à Rhodes dans une maison fort modeste, à
seule fin, je vous le jure, de ne pas
présenter un obstacle politique éventuel
à l'ascension planifiée des deux fils
d'Auguste. Du reste, ce dernier a
confirmé le fait dans son testament
patrimonial et politique confondus. "Puisqu'un
sort funeste m'a enlevé mes fils Caius
et Lucius, j'appelle Tibère à l'empire
et j'en fais mon héritier pour les deux
tiers de mes biens."
Suétone
prend soin de rappeler que Tibère n'a
pas obtenu aisément d'Auguste et de son
entourage l'autorisation de quitter la
cour - il avait dû recourir à une grève
de la faim qui dura quatre jours. Le
même historien nous donne à lire
quelques extraits éloquents des lettres
d'Auguste à Tibère. J'en extrais deux
passages: "Quand j'entends dire
qu'une suite ininterrompue de travaux
t'a épuisé, je frissonne de tout mon
corps. Ménage-toi, je t' en supplie. (…)
Peu importe que ma santé soit bonne si
la tienne se trouvait en danger. Je prie
les dieux, s'ils ne haïssent point le
peuple romain, qu'ils te gardent en
bonne santé, aujourd'hui et pour le
reste de tes jours."(Tibère, chap.
XXI)
Pourquoi le tyran assouvit-il une lente
et succulente vengeance? C'est qu'il a
accumulé les échecs et les humiliations.
Il faut beaucoup de temps au malade pour
rendre thérapeutiques les souffrances de
ses victimes et pour les soumettre à la
durée torturante dont il a lui-même
souffert sa vie durant. Seul le pouvoir
absolu vous rend maître de la mort
distillée goutte à goutte et qui vous a
crucifié vous-même jour après jour.
Caligula tentera de faire exécuter les
légions de Germanie qui, un quart de
siècle plus tôt, s'étaient révoltées
contre le commandement de son père
Britannicus. En ce temps-là, il était
l'enfant chéri de l'armée, mais il avait
dû s'enfuir des camps avec sa mère - ce
qui avait couvert de honte les légions
rebelles et les avait ramenées à la
discipline militaire. Tibère, lui, ne
s'est jamais remis de ce qu'Auguste
l'avait contraint de répudier sa femme
adorée et de la lui livrer en mariage.
Il pleurait à chaudes larmes chaque fois
qu'il la revoyait - il a même fallu le
soustraire résolument à sa vue. Ses
relations avec Julia, sa seconde épouse
et fille d'Auguste, étaient rapidement
devenues tellement tendues que le couple
s'était séparé.
Proclamé empereur, notre Tibère s'est
échiné en vain et pendant de longs mois
à redonner sa grandeur et ses
prérogatives au Sénat de la République;
mais les membres de cet illustre corps
ont fini par le contraindre en termes
fort rudes de se décider à exercer les
pouvoirs attachés à la puissance
impériale, tellement le commandement des
armées et les relations diplomatiques
avec les rois des peuples asservis
dépassaient le champ visuel et les
capacités des petits patriciens romains.
Néanmoins, Tibère avait longtemps
résisté à la rapacité des flatteurs qui
accusaient sans pitié de crime de
lèse-majesté et faisaient exécuter des
citoyens réduits, en outre, s'ils
succombaient en justice, à verser le
tiers de leurs biens à leurs bourreaux.
Mais il a fallu la trahison de Séjean,
qui avait toute sa confiance et qui lui
avait donné des preuves irréfutables de
sa fidélité pour que la tyrannie lente,
patiente et inexorable prît son cours
naturel chez Tibère.
6 -
Des tyrans et des dieux
Héliogabale a connu le même glissement
vers l'alliance indéfectible que la
folie proprement religieuse conclut
nécessairement avec les tyrannies
d'ici-bas: lui aussi s'est fait
proclamer fils du soleil et de la lune,
tellement le modèle parfait de
l'omnipotence est toujours celui d'un
Olympe tueur. Quant à Néron, il avait
été aimé et adulé de tous. On ne cessait
de l'encenser de se produire au théâtre,
de briguer la couronne des chanteurs et
des citharistes, d'offrir au peuple
romain jeux et banquets à profusion et
de lui distribuer des tonnes de
sesterces. Après qu'il eut fait
assassiner sa mère par un centurion - il
avait échoué à la noyer en haute mer,
parce que la malheureuse s'était sauvée
à la nage - le Sénat l'a comblé de
félicitations de ce que les Célestes
l'avaient protégé. La pauvre était
censée avoir attenté à ses jours, mais
il avait déjoué le complot avec le
secours de tous les dieux de Rome.
Les
tyrans modernes ont suivi le même
itinéraire : le premier, en Europe,
Hitler a construit des autoroutes, lancé
la "voiture pour le peuple", la
Volkswagen, fait radiographier
les poumons de tous les pauvres du pays
afin de prévenir la tuberculose - cette
maladie faisait alors d'immenses ravages
dans la population. Quant à Staline, il
était adoré jusqu'à l'ivresse. On se
souvient du culte que le monde entier
rendait à ce saint délivreur de
l'humanité : tous les Etats du monde
s'étaient entêtés à ignorer les goulags
jusqu'au jour de 1956 où le rapport
Krouchtchev avait authentifié celui de
M. Walter Citrine, ambassadeur oublié
d'Angleterre à Moscou en 1936. La
démonstration des ressorts de la
béatification du simianthrope dans le
temporel que Staline a fournie à toute
la terre habitée demeure d'autant plus
éloquente que sa mort a provoqué un
deuil immense et que les cinq continents
ont retenti des jours durant des
lamentations éplorées d'une humanité
inconsolable d'avoir perdu le plus grand
héros du salut de tous les temps, le "petit
père" des peuples de la Liberté.
7 - Le
camp de concentration de Dieu
Si l'on
ambitionne de raconter l'anthropologie
critique élaborée par la célèbre
Ecole de Paris, il faut chausser les
lunettes de la fatalité politique qui
conduit à la tyrannie les fournisseurs
de paradis au ciel et sur la terre; et
pour cela, il suffit d'observer le
transport ultérieur des Caligula et des
Héliogabale dans un ciel que le
christianisme allait peupler d'anges et
de séraphins. Si un Dieu nouveau pouvait
succéder à celui dont Nietzsche a
constaté le décès - rassurez-vous, les
enfants, cette catastrophe vous sera
épargnée - il est certain qu'il se
scinderait à son tour et instantanément
entre un Eden de ses bienfaits et un
enfer de ses tortures éternelles, parce
que les fruits politiques de la
perfection divine sont nécessairement
plus cruels que ceux des tyrans de ce
bas monde, dont la bâtardise n'en
fournit jamais que des effigies
affadies.
Dites-vous bien qu'à l'école de
l'omnipotence de son prédécesseur, le
créateur nouveau nommerait sur l'heure
un coadjuteur aussi attaché à perpétrer
ses forfaits que celui de son père et
qu'il se hâterait de livrer de
génération en génération des centaines
de millions de ses fidèles grésiller
sous la terre, parce qu'il n'est pas de
géopolitique sans châtiment; et ne
doutez pas que des milliards de ses
courtisans se prosterneraient de siècle
en siècle devant les hommes de main du
nouveau Caligula du ciel, celui dont les
docteurs sont qualifiés d'angéliques
quand ils saluent bien bas la sainteté
de ses tortures.
Le dieu unique d'aujourd'hui a donc
suivi pas à pas le même chemin que
Néron, Tibère, Caligula ou Héliogabale
qui, au début de leur règne ont comblé
leurs créatures des bienfaits d'un Eden
de l'obéissance à leur autorité. Mais
sitôt que leurs sujets devenus
suspicieux ont tenté de s'instruire de
la véritable nature des volatiles de la
piété et de se méfier des trajectoires
des anges et des séraphins de leur
créateur, celui-ci s'est tout subitement
métamorphosé en un tyran héliogabalesque,
et ses vengeances ont bénéficié en un
éclair des cruautés soudaines d'une
éternité déchaînée L'Ecole des
simianthropologues de Paris fut la
première dans le monde qui ait pris des
milliers de clichés des tortures
qu'exerce la justice divine depuis deux
millénaire et qui ait observé leur
généalogie sur la pellicule de
l'évolution cérébrale du chimpanzé.
8 -Qui
es-tu, Caligula?
Le Dieu
des chrétiens n'est pas le seul
archétype théologique de la tyrannie et
de la cruauté du ciel des simianthropes
qui ait bénéficié de la réflexion de
l'Ecole de simianthropologie de Paris.
On sait que, de leur côté, les
chercheurs allemands et anglais se sont
spécialisés dans l'examen le plus
minutieux des raisons pour lesquelles
tout homme est nécessairement habité par
le tyran universel dont il dresse le
portrait célestifié dans les nues -
sinon pourquoi cet animal se
fournirait-il sur la terre la réplique
ou le décalque de lui-même qu'il hissera
ensuite sur tel ou tel Olympe?
C'est
que la logique interne qui commande des
pieds à la tête l'espèce de politique
des évades actuels de la zoologie se
révèle toujours et nécessairement
schizoïde du seul fait que l'ordre
public repose en tous lieux et à toutes
les époques sur des récompenses et des
châtiments inévitablement alternés.
Aussi Caligula souffre-t-il de ce que
son code pénal, toujours oscillant entre
les deux pôles du genre simiohumain, se
montre moins céleste, donc moins atroce
que celui du sacré. Mais, depuis la nuit
des temps, il appartient à Zeus et à lui
seul d'installer la cruauté résolue de
sa justice politique dans toutes les
têtes ; et puisque tout Olympe se trouve
investi d'un pouvoir solitaire et
illimité, le tyran découvre aussitôt les
limites traumatisantes que rencontrent
sa bonté et ses tortures savamment
calibrées. De plus, la révélation de la
double incapacité du despotisme à courir
sans relâche aux extrêmes de sa fureur
et de sa bonté le conduit nécessairement
à l'échec. Nous verrons, la semaine
prochaine, comment les tyrans du ciel et
de la terre échouent ensemble à
conquérir leur félicité dans l'éternité.
Admirons, à ce titre, le génie
foudroyant du jeune Camus: en 1938, à
l'âge de vingt-cinq ans seulement, ce
visionnaire, encore incompris de nos
jours a rédigé son fameux Caligula,
qui ne fut édité qu'à la Libération, en
1944, puis représenté pour la première
fois au théâtre Hébertot, le 26
septembre 1945. A peine sorti de
l'adolescence, le futur auteur du
Mythe de Sisyphe avait compris
les rouages et les ressorts qui
commandent les tyrannies du ciel et de
la terre, mais également la mécanique
simiohumaine de la politique et de
l'histoire universelles, et cela, à
l'Ecole, lui aussi, des premiers
simianthropologues de Lutèce.
Le 13 mai 2012
Reçu de l'auteur
pour publication
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