Décodage anthropologique de l'histoire
contemporaine
Obama assis entre
deux selles
La raison prophétique et la raison
pratique
Manuel de
Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 13 avril
2013
1 - Les
oracles de Chronos
Que penser des commentateurs patelins à
l'affût des négociations de théâtre dont
on raconte qu'elles vont s'ouvrir sur la
scène du Moyen Orient, que penser des
marionnettes aux mains jointes pour la
prière, que penser des Etats empressées
de paraître officier dans le temple des
idéalités de la démocratie, que penser
des gouvernements aux allures de grands
prêtres habiles à jouer les maîtres de
ballet sur la scène des illusions de la
Liberté, que penser des confesseurs aux
belles âmes, que penser des bénédictions
rutilantes et des ciboires bien frottés
de la politique mondiale? Tout ce beau
monde rassemble trois catégories de
comédiens bien connus du répertoire des
vaudevilles et que l'on voit monter
depuis des siècles sur les planches,
tellement la nef des fous du Moyen Age
est devenue celle du rêve démocratiques.
Et pourtant, cette
tragi-comédie ensemence un champ de la
réflexion sur notre astéroïde fatigué de
ses autels. Les désastres de l'Histoire
fourniraient-ils à la raison du grain à
moudre, les leçons de la mort
fertilisaient-ils les champs? Comme il
est fécond de passer la charrue de
l'esprit pratique, puis celle des
prophètes sur les labours de Clio, comme
il est utile de se demander si le temps
de l'histoire se fertilise sous le soc
des artisans patentés ou sous celui des
esprits prospectifs!
2 - Tibère et
Séjean
En 1870, Bismarck
usait des ressources naturelles de la
raison utilitaire - il était rationnel,
disait-il, d'exploiter la victoire des
armes et de ravir bien vite l'Alsace et
la Lorraine au vaincu. S'il avait usé du
canon à longue portée de la raison
prophétique, il aurait su qu'il jetait
dans les sillons de l'histoire le levain
de la guerre de 1914, parce qu'il était
évident que la France ne se laisserait
pas amputer à jamais de ces deux
provinces et que le glaive humilié des
Gaulois viendrait tôt ou tard retourner
le verdict de Siegfried.
En 1940, la raison des mécaniciens de
Clio était du côté de Pierre Laval et du
Maréchal Pétain, mais le Général de
Gaulle s'était vissé à l'œil une longue
vue qui lui présentait un tout autre
paysage: il fallait, disait-il, jeter un
regard sur la scène dans toute son
étendue, il fallait changer de théâtre
et donner un autre titre à la pièce, il
fallait loger sur les planches le
gigantesque arsenal industriel de la
démocratie mondiale et défaire les
tricots du pragmatisme des fantassins de
la politique, parce que Chronos prend
ses rendez-vous à l'écoute de sa propre
tête et consulte la logique cachée sous
le tissu des évènements - et les
décisions de sa cervelle sont lisibles
sur son agenda si seulement vous
apprenez à en lire les pages par-dessus
son épaule.
Transportez un instant l'encéphale de
Chronos à Rome, à Athènes, à Alexandrie
ou ailleurs. Que disait l'histoire au
petit pied à Tibère par la bouche de
Séjean, le Préfet de sa garde
prétorienne ? Que Rome grouillait de
comploteurs, que la vie de l'empereur
était le bien le plus précieux des
citoyens et que les légions cantonnées
hors des murs de la ville seraient plus
utiles à la sécurité de l'empire si
elles protégeaient Tibère des poignards
plutôt que de bivouaquer dans les
champs.
3 - Les guerriers
d'Israël
Que murmurait Chronos à l'oreille de
Rome? Que les légions en vadrouille dans
les rues de la ville deviendraient les
maîtresses de l'empire, que les
Sénateurs de feu la République avaient
la tête mieux vissée sur les épaules que
les courtisans et les flatteurs dont les
faveurs de César caressaient la vanité
et remplissaient l'escarcelle, qu'un
peuple condamné à ne rencontrer que des
hommes en armes à tous les carrefours
perd bientôt l'allure et la fierté
citoyennes, que la tyrannie est en
marche quand un casque au bout d'un
bâton soumet la République à une
soldatesque oisive.
Et que dit Clio à Obama ? Que s'il ne
chausse pas au plus vite les bésicles de
Chronos, il jouera les Séjean au service
du roi David, que s'il ne se visse à
l'œil que la lentille des myopes de la
politique, l'histoire tombera dans le
gousset des flatteurs et des courtisans
d'Israël. Lisons la confirmation de ce
piège dans l'oracle de Chronos qui vient
de tomber sur nos téléscripteurs.
"M. Obama, ouvrez
les yeux sur les légions de Séjean en
balade dans la ville, observez le glaive
de vos guerriers de la Liberté, cessez
d'écouter les courtisans et les
flatteurs qui vous glissent à l'oreille
qu'une démocratie peut fleurir sous les
pas des légions. Séjean feint de ramper
à vos pieds - mais voyez comme les
légions de Séjean n'obéissent qu'à
Séjean ! Quel marché vous mettent-elles
entre les mains ? Quel est le piège
qu'elles s'amusent à vous tendre? Elles
troquent contre quelques sucreries les
régiments d'indigènes qu'elles ont
incarcérés en Galilée, puis elles
jettent dans leurs geôles un nombre égal
de prisonniers nouveaux, afin d'en
laisser la masse inchangée. Pourquoi,
Tibère, te laisses-tu prendre à ce jeu
de dupes, pourquoi ta vue est-elle
devenue aussi basse, pourquoi laisses-tu
ce flatteur de Séjean peupler Rome de
guerriers d'Israël? Change de lunettes,
Tibère et prête une oreille attentive
aux gardiens de l'empire qui te disent
que les opticiens des millénaires ne
sont pas les vigiles de Séjean." (Signé
Chronos)
4 - Résumé de
l'histoire des dieux uniques
Quel spectacle de
l'histoire du monde Chronos étalerait-il
sous nos yeux si Rome rentrait dans
Rome, si Rome retrouvait le regard de
Scipion sur Carthage, si Rome ouvrait
l'œil des Auguste, des Trajan ou des
Marc-Aurèle, si Rome se souvenait de ce
que le globe oculaire de Clio n'est pas
celui de la garde prétorienne de Tibère?
Au Moyen Orient, deux peuples se
disputent les mêmes arpents au nom du
Jupiter divisé entre l'un et l'autre. Le
premier prend le ciel de ses ancêtres à
témoin de ses droits et de ses écrits,
le second se réclame du ciel de son
temps. On cherche la balance à peser les
révélations de deux Olympes. Celle qui
recevra des personnages de ce calibre
sur ses plateaux est encore en
fabrication. Depuis la nuit des temps,
les hommes d'Etat n'ont pas de machine à
calibrer les têtes; mais le temps presse
et l'on s'impatiente dans les
laboratoires de la science politique.
Pour tenter
d'informer M. Obama des carences dont
souffre la politologie mondiale et celle
de l'Amérique en particulier, tournons
ensemble quelques pages de l'histoire de
Rome. Tibère a rendu l'âme, étouffé sous
une couverture. Caligula, Claude, Néron,
Galba, Othon, Vitellius tous nés des
acclamations des prétoriens, tous
héritiers de Séjean, nous font assister
aux soubresauts de l'empire agonisant,
Vespasien et Titus ont paru redonner son
souffle au géant tombé entre les mains
des émeutiers, Domitien a laissé Tacite
achever ses Annales, Trajan,
Marc-Aurèle, Hadrien accompagnent les
dernières convulsions du moribond.
Souviens-toi Obama:
depuis Tibère notre espèce a changé
d'Olympe par deux fois. Quand tu te
rends au Moyen Orient, tu y rencontres
une paire de successeurs de Zeus dont le
premier s'est voulu fidèle à la
tradition grecque - il s'est attardé à
féconder une mortelle dans un village de
Palestine. Tu sais que l'Alcmène des
chrétiens a enfanté un demi-dieu auquel
son père éternel a promis le plus bel
avenir. Mais au VIIe siècle, la
tradition païenne des dieux séduits par
la beauté d'une Eve de passage se trouve
interrompue à nouveau: Allah n'a pas de
progéniture immortelle parmi les
mortels. Entre temps, le Jahvé de Moïse
s'est tellement décorporé dans le cosmos
que tu y chercherais aussi vainement sa
charpente que celle d'Allah. Sache donc
que le simianthrope passe d'un chef
politique et militaire du cosmos au
suivant sur notre astéroïde et qu'il
n'est pas près de se reconnaître pour
orphelin de naissance dans le vide et le
silence de l'immensité. A quel maître
demanderas-tu de départager les
combattants de Jahvé et d'Allah si
Séjean a seulement changé la tenue de
ses prétoriens?
Souviens-toi des légions de Pompée, de
Vespasien, de Titus. En ce temps-là,
Rome logeait encore des dieux de bois,
de pierre ou d'airain dans ses temples,
en ce temps-là, les prêtres et les
prêtresses des Célestes rendaient des
oracles écoutés, en ce temps-là les
dieux des Grecs et des Romains campaient
en chair et en os sur une haute
montagne. Puis Israël a refusé de payer
le tribut de la gratitude que les
peuples vaincus nous versaient en
échange de la protection que nos armes
et nos dieux leur accordaient avec tant
de générosité. Et maintenant, ce sont
deux divinités jumelles qui s'agitent
là-bas. Mais l'une voudrait nous intimer
ses ordres, l'autre se rebelle, l'une
arme les légions de Séjean jusque sur
nos terres, l'autre nous conjure de
désarmer les légions d'Israël sur notre
propre sol.
5 - Le
retour de Jahvé
Qui t'a placé en bout de table, qui t'a
donné à juger deux cervelles logées dans
le cosmos, celle d'Allah et celle de
Jahvé? Apprends que ton espèce est
demeurée aussi schizoïde sous le sceptre
de ces divinités qu'à l'heure où un Zeus
courroucé fronçait les sourcils et nous
menaçait de sa foudre, apprends que
l'encéphale de l'humanité est demeuré
aussi scindé sous le joug du ciel des
uns et des autres que du temps de
Tibère, apprends que les bimanes
dédoublés par leurs idoles ne sont pas
moins terrorisés que sous les éclairs et
le tonnerre d'autrefois, car ils vivent
maintenant dans la crainte d'une menace
nouvelle: aucun locataire du vide et du
silence du cosmos ne consent plus à
graver leur effigie épouvantée sur sa
rétine. Sache donc que, depuis deux
siècles, cet animal voit l'infirmité de
sa cervelle cesser soudainement de le
brinqueballer d'un Zeus au suivant. Il
n'y a pourtant pas si longtemps qu'il
vivait dans un si grand effroi qu'il se
nourrissait exclusivement du pain du
fabuleux et du fantastique que ses dieux
lui cuisinaient dans le ciel et sous la
terre, que le sol s'ouvrait sans cesse
sous ses pas et l'engloutissait dans les
flammes. Mais maintenant, il s'est
tellement planté dans le sol que ses
armes brillent moins de l'éclat de ses
délires et des rutilances de son ciel
que de ses intérêts et de ceux de ses
Etats.
C'est pourquoi
Israël a trouvé de grands avantages de
se disperser sur toute la surface de la
terre; car sans le zèle de cette masse
dispersée, jamais les fils de Jahvé ne
seraient parvenus, il y a soixante ans
seulement, à armer quelques pelotons de
guerriers et à leur insuffler l'ardente
ambition de remettre la main sur
quelques arpents laissés en friche
autour de Jérusalem. Et maintenant les
phalanges macédoniennes de Moïse ne
veulent plus en démordre: ce sont des
légions de prophètes, disent-ils, des
armées d'eschatologues inspirés, des
régiments de messies nés du souffle du
géniteur de l'univers qui rebâtissent,
les armes à la main, le temple des
ancêtres au milieu des terres en jachère
d'Allah le vaporeux.
6 - Le secret
anthropologique de la politique
Elu pour guider quelques instants
l'encéphale et les armes d'un peuple
d'au-delà des mers, tu n'es ni Claude le
titubant, ni Hadrien l'helléniste, ni
Trajan le sage, ni Marc-Aurèle le
philosophe. Qui es-tu, Obama, sinon un
roi intelligent, mais ignorant, qui
es-tu, sinon un apprenti sur la scène du
monde, qui es-tu, sinon un manœuvrier
mal informé des secrets d'un animal
dichotomisé de naissance? Sache donc que
dans la boîte osseuse des évadés actuels
de la zoologie campent désormais trois
divinités aussi provisoires que les
précédentes, sache également que cette
triple folie, quoique inégalement abolie
ou ardente au gré des climats et des
lieux n'est pas près de jamais quitter
la boîte osseuse de tes congénères,
sache que le seul Jupiter du trio qui
s'est voulu le père du demi dieu des
chrétiens n'a enfanté ni un Achille, ni
un Hercule et que son sperme, disent ses
psychogénéticiens, n'est autre que sa
parole théorisée par ses théologiens,
sache enfin qu'il lui a suffi de cinq
siècles pour acquérir les mêmes apanages
et prérogatives que Zeus et seulement
sept siècles de plus pour se rendre
entièrement son semblable au ciel et sur
la terre. Aujourd'hui, ce demi-dieu a
conquis le statut d'une divinité à part
entière, de sorte qu'il se déclare à la
fois incréé et né d'une femme dont la
parturition a suivi son cours naturel.
Comment peux-tu passer au large de si
grands vertiges, comment peux-tu te
mêler de politique si tu n'en sais pas
davantage que Tibère sur la démence
innée de l'espèce dont tu es censé
partager les délires?
Mais si je t'enseignais rapidement les
rudiments des songes et de la folie d'un
ciel et d'une catéchèse qu'un milliard
et demi de chrétiens se partagent à tes
côtés, peut-être saurais-tu qu'on ne
comprend pas un traître mot de la
politique si l'on ignore que tout ce
théâtre mental repose sur deux piliers
réels de l'histoire et que ceux-ci sont
aussi immémoriaux l'un que l'autre - les
récompenses tangibles et les châtiments
effrayants. Sache donc que la masse des
dieux que le monde a enfantés depuis le
paléolithique sort d'un seul et même
creuset, celui d'une espèce condamnée à
se châtier et à s'innocenter tour à
tour, et cela du seul fait qu'elle vit
en société.
Tel est le secret anthropologique de
l'alliance imprescriptible que les
mythes religieux scellent avec
l'histoire du monde, telle est la
connaissance de ton espèce sans laquelle
un homme d'Etat du XXIe siècle ne
saurait disposer du bagage cérébral
qu'exige la pratique de son métier sur
la scène internationale. Les temps sont
révolus où les empereurs romains
séparaient la science politique
proprement dite de la science et de la
pratique de leurs Olympes. Mais toi,
quelle est ta science des arcanes
psychobiologiques des fuyards de la mort
? Sais-tu seulement pourquoi Israël
refusait de loger des dieux de bois ou
de pierre des Romains dans le temple de
Jérusalem?
Si tu l'ignores,
comment saurais-tu ce que Jahvé et Allah
se racontent dans leurs tête-à-tête en
Palestine? Mais les neurones d'Adam et
d'Eve te réservent d'autres surprises
encore au Moyen Orient; et ton
expérience de l'histoire sera bien
insuffisante pour te permettre de jamais
démêler les difficultés les plus
enchevêtrées qui t'attendent à
Jérusalem. Cesse donc de t'imaginer que
ta politologie en bas âge répondrait aux
attentes de ce siècle.
7 - Qui est Jahvé
?
Le genre
humain fait usage de ses géants du
cosmos selon deux modèles principaux: ou
bien il croit en leur tutelle et leur
protection et il perd son temps en
prières plutôt que de prendre en mains
ses affaires, ou bien il ne croit plus
aveuglément en l'existence des acteurs
dont il a dressé les gigantesques
effigies dans le vide. C'est alors qu'il
te faut apprendre à les connaître
davantage, parce que leurs fidèles se
mettent soudainement au travail avec
tant d'ardeur qu'ils commencent de
ressembler sans s'en douter à la
divinité qu'ils ont façonnée à leur "image
et ressemblance", comme ils le
reconnaissent eux-mêmes. C'est ainsi
qu'Israël a endossé avec zèle l'armure
de son conquérant imaginaire à la
Knesset, tellement le géniteur rejeté a
vaincu la paresse de ses adorateurs et
se rend plus visible que l'ancien.
De même, Allah n'est
pas le même à Paris à Tombouctou, à
Tokyo ou à New Delhi, de même encore, le
dieu des chrétiens change d'esprit et
d'allure à Madrid, à Rome, à Athènes, à
Moscou, pour ne rien dire du dieu de
Luther, tellement le paysan allemand n'a
que faire des ors et de la pompe de
Byzance. Mais le dieu Jahvé, lui, a
tellement niché son armure dans son
temple qu'il ne s'en laissera pas
déloger. Sais-tu que, depuis deux mille
ans qu'il a perdu son palais, nul fidèle
ne lui offre de sacrifices dans ses
synagogues, parce qu'il ne se laisse pas
déplacer d'un pouce? Comprends donc que
si tu n'as pas de science des relations
que les nations entretiennent avec leur
propre éternité et dont leur Zeus
illustre la dégaine, il te faut rappeler
en toute hâte ton ministre des affaires
étrangères du manège où il tourne en
rond: Jérusalem n'est pas le pré où
croiser le fer avec lui.
Apprends également
que les descendants du chimpanzé
appartiennent à une espèce dont
l'encéphale sécrète des idoles, apprends
que ces idoles permettent aux sociétés
de placer une enseigne à leur tête et
d'en guider les pas d'une main ferme,
mais également de paraître suivre les
ordres des aigles qui commandaient les
légions. Mais Jahvé est le seul chef
domicilié dans sa forteresse et qui a
passé du fétiche voyageur des nomades au
guerrier campé dans ses murs.
8 - Du sacrifice
d'Iphigénie à celui des agneaux et des
moutons
Certes, tu n'es pas le premier homme
politique à se colleter avec l'ignorance
de son temps au chapitre des secrets des
Etats dans l'enceinte desquels cet
animal se rassemble en nations. Depuis
le XVIe siècle, les protestants et les
catholiques s'imaginent qu'un homme
solidement fixé par les mains et les
chevilles sur une potence de bois sec et
saignant de toutes ses plaies au soleil
serait un tribut de grand prix et de
bonne odeur à présenter à une divinité
renifleuse et dont les narines seraient
si délicieusement chatouillées par cette
chair mêlée de ferraille qu'en échange
de ce plat odorant, elle accorderait son
soutien indéfectible ou son secours le
plus inébranlable à la foule de ses
maîtres-queux.
Mais, parmi les quémandeurs, les uns
s'imaginent, de surcroît, boire
effectivement le sang enivrant et manger
la chair toute crue, mais comestible de
la victime égorgée sur l'autel, tandis
que les autres y voient un assassinat
sacrificiel seulement figuré et dont ils
se contentent de déposer le symbole
ensanglanté entre les mains de leur
boucher des nues. Or, les saints
prosternements de cet animal scindé par
les couteaux de ses idoles n'ont jamais
été sérieusement étudiés par les
simianthropologues du sacré. Mais toi,
tu devrais en savoir davantage - sinon
comment trancherais-tu à bon escient
entre Jahvé et Allah au Moyen Orient?
Par bonheur, la
tâche qui attend ta politique se trouve
allégée du fait que Jahvé et Allah ont
aboli les trucidations payantes des
spécimens les plus coûteux de leurs
sujets et en ont remplacé la viande par
des agneaux chez l'un et des moutons
chez l'autre. Mais les entretiens entre
les deux Jupiter du Moyen Orient
tournent au dialogue de sourds, parce
que ces divinités ne parlent pas la même
langue, ne lisent pas les mêmes
ouvrages, n'écoutent pas les mêmes
annonciations, ne respectent pas les
mêmes coutumes, n'habillent pas leurs
fidèles de la même façon et ne leur font
pas pratiquer les mêmes rites
sacrificiels, tellement les dieux sont
des tueurs dont les complexions diverses
renvoient à des hommes et à des nations
différemment construits.
Et pourtant, l'espèce schizoïde se
présente en tous lieux et à toutes les
époques sous des identités cérébrales
bipolaires et seulement
intellectualisées selon des recettes
multiples et changeantes. Et toi, encore
une fois, que sais-tu des métamorphoses
encéphaliques des hommes et des Etats si
tu ignores pourquoi les simianthropes se
croient réfléchis sur les rétines de
quelques globes oculaires logés dans le
cosmos et pourquoi ces animaux se
prosternent devant les statues de leurs
dieux gigantifiés dans le vide?
Mais je te propose d'emprunter un
raccourci. Les Juifs se disent les uns
aux autres qu'un géniteur du cosmos
parlant l'hébreu les aurait
présélectionnés de toute éternité et les
aurait appelés à régner un jour sur
toute la terre habitée. De leur côté,
les musulmans sont persuadés que les
succès innombrables de Muhammad sur les
cinq continents sont la preuve physique
de la vérité dont témoignent leurs
récitatifs. Mais les deux divinités
partagent la conviction des hommes
politiques, qui prétendent unanimement
que leurs exploits heureux seraient des
démonstrations tangibles des volontés du
ciel à leur égard. Trancheras-tu entre
Allah et Jahvé à seulement peser les
succès de l'un et de l'autre sur la
terre ou chercheras-tu un autre sceau du
vrai et du faux?
9 - Le
pragmatisme et la politique
Il y a
soixante-cinq ans, en 1948, l'année même
de la naissance de l'Etat d'Israël,
j'écrivais, dans un maladroit essai de
jeunesse sur l'histoire du nihilisme
depuis la Renaissance jusqu'à Albert
Camus et à son Mythe de Sisyphe:
"Je qualifie de pragmatique toute
pensée qui se juge à la lumière du but
qu'elle poursuit, notamment celui de
consolider l'ordre social et les valeurs
collectives du moment. Le pragmatisme
renverse les fondements de la pensée
logique : il commence par peser les
conséquences d'une proposition à l'aide
de critères soustraits à l'examen, puis
il la déclare vraie ou fausse selon ses
conséquences heureuses ou négatives.
Cette confusion entre l'éthique et la
science met en place les "mensonges
utiles" qu'évoquait Frédéric Nietzsche ,
mais elle pilote la vie pratique tout
entière et fonde la sagesse de toutes
les nations et de tous gouvernements."
(De l'Absurde, éd. du
Triolet,1948, p. 105-106)
De
quelle forme de la raison pratique
feras-tu usage au Moyen Orient ? Songe
que si le soleil tourne effectivement
autour du globe terrestre du fait que
l'homme "perdrait infiniment de
dignité dans l'univers", selon
Nietzsche, dans le cas où la terre
girerait piteusement autour d'une étoile
naine, il te faut en conclure que Jahvé
se trémousse autour d'Allah ou Allah
autour de Jahvé. Vois, Obama, combien la
politique est demeurée un enfant au
berceau, puisqu'elle ne porte pas encore
de regard du dehors sur les idoles qui
se promènent en rangs serrés sous l'os
frontal de la bête onirique: car c'est
bel et bien cette question-là, vois-tu,
qui a débarqué dans l'arène de l'homme
d'Etat de notre temps - et tout
Machiavel n'y changera rien.
Mais il semble que aies tranché la
question d'avance et sans examen,
puisque ton pays déverse chaque année et
sans y comprendre goutte des milliards
de dollars dans les caisses d'Israël. Tu
crois donc que la vérité penche du côté
de Jahvé l'invincible et tu cours à
grandes enjambées dans les bras du
vainqueur. Apprends donc à peser le
pragmatisme en tant que tel, donc à
radiographier les critères du vrai et du
faux dont un autre pragmatisme fait
usage, place donc la critériologie
utilitaire des ignorants sur le plateau
d'une interrogation plus savante.
Car si tu jugeais
qu'il vaut mieux commencer par apprendre
quelque peu à penser, si tu estimais que
la vérité n'est pas nécessairement du
côté du plus riche et du mieux armée, tu
changeras la plateforme même et toute la
méthode des raisonnements exclusivement
pratique de ton pays; et tu découvriras
une autre assise de la notion même de
vérité - et tu tenteras de mettre cette
vérité-là au cœur de la politique
mondiale .
10 - Un raccourci
Comment libèreras-tu
Rome et le monde des légions de Séjean ?
Car c'est dans l'enceinte de la Maison
Blanche que campent maintenant les
légions d'Israël. Je te propose un
pragmatisme dont l'éthique te
permettrait de retrouver le chemin de
notre planète au prix d'un
approfondissement modéré de ta
connaissance du genre humain: tu te
demanderais en tout premier lieu s'il
est pragmatique de légitimer le retour
sur ses terres d'autrefois des lointains
descendants d'un peuple dispersé, dès
lors qu'il lui faudra, pour cela, en
chasser les habitants, en emprisonner et
en torturer toute la population et lui
faire une guerre d'extermination pendant
plusieurs générations, et cela, dans le
vain espoir de terrasser à jamais son
histoire, son âme et sa raison.
Vois comme le pragmatisme politique
change tout subitement de camp, de
preuves et de convictions selon la
portée du télescope de l'homme d'Etat,
vois comme mon raccourci philosophique
t'évite de descendre à une trop grande
profondeur dans la connaissance des
arcanes de la politique et de l'histoire
des nations et des encéphales. Car
maintenant, ton pragmatisme au petit
pied te permet du moins de te poser la
question élémentaire de savoir s'il est
physiquement possible d'exterminer un
peuple par la seule force des armes et
sous des flots de dollars. Car enfin, si
l'alliance de ce Pactole avec l'acier de
tes canons courait à l'échec,
qu'adviendra-t-il de toute ta
philosophie de la vérité politique? Que
vaut un pragmatisme fondé sur la
légitimation des victoires seulement
musculaires?
Songe sans cesse à Séjean, songe sans
relâche à Tibère. L'empereur était-il
encore en mesure de poser la question de
la vérité politique au Sénat et au
peuple romain ou bien la raison
pragmatique qui commandait l'art de
gouverner se heurtait-elle déjà aux
limites de ses méthodes et de son champ
de réflexion? Sache que le destin de
l'empire de la Louve ne dépendait plus
des succès du glaive romain sur les
champs de bataille, mais, comme de nos
jours, d'un approfondissement
vertigineux de la connaissance de
l'histoire de notre espèce, parce que
seule une spéléologie de la politique
aurait permis à Tibère de redonner son
assise à la vérité!
11 - Les armes de
la raison de demain
Te voici à la croisée des chemins de la
connaissance de l'humanité et du monde:
car si tu entends bel et bien poser la
vraie question à la planète de ce siècle
- celle de la légitimité de l'existence
d'Israël sur la scène des Etats - tu
rencontreras les mêmes obstacles que
Tibère face aux légions de Séjean, parce
qu'Israël campe en armes au cœur du
droit international et de la
géopolitique à nouveau aussi étroitement
confondues qu'au premier siècle de notre
ère. Tibère ne pouvait dire à Séjean ce
qu'Hadrien sera le premier en mesure
d'avouer aux descendants de Cincinnatus:
"Quirites, sachez que l'expansion de
l'empire romain est achevée, sachez
qu'il nous faut nous résoudre à tracer
des frontières que nous nous interdirons
de franchir, parce que si nos armes
devenues oisives faisaient de Rome
elle-même leur dernier bastion, nous
introduirions dans l'Etat la gangrène
qui retournerait la gloire de nos
légions contre nous et nous détruirait
au sein de notre dernière et inutile
forteresse."
Ecoute-moi, roi d'un jour: l'empire à la
bannière étoilée a couru jusqu'au terme
de ses conquêtes. Si Israël se gave de
tes sesterces, Rome se donnera à dévorer
de l'intérieur et si Séjean triomphe à
Washington, l'empire deviendra à
lui-même un chancre voué à
s'auto-consommer jusqu'à la moelle.
Ouvre les yeux sur ce qui arrive aux
nations quand la raison du monde a
changé d'échiquier et de calibre, porte
tes regards sur l'étendue de la
connaissance du genre humain qui se
présente à ta vue, résigne-toi à passer
de Ptolémée à Copernic - sinon
l'Amérique empruntera le même chemin que
Rome a suivi sous la plume de Tacite et
Suétone, puis à l'écoute de l'auteur de
L'histoire auguste, qui
s'est déguisé sous vingt pseudonymes.
Mais si tu entends précéder les lumières
de demain, sache du moins à quel prix
les audaces de l'intelligence s'achètent
les armes de la raison de demain.
12 - "Jusqu'à
quand, Catilina, abuseras-tu de notre
patience?"
(Cicéron)
Tu le
sais, Obama, mais tu gardes le silence
face aux légions d'Israël présentes en
armes dans l'enceinte du Sénat. Tu
n'oses changer de planète et pourtant
l'expérience te l'a enseigné cent fois.
Souviens-toi de Mitchell, que tu
envoyais sans relâche semoncer l'homme
de Tel-Aviv et qui revenait déposer à
tes pieds les derniers bouquets de
l'humiliation de l'Amérique et du mépris
pour ta nation du géant de Tel-Aviv,
souviens-toi de l' abaissement de ta
personne le jour où le roi des Juifs est
venu haranguer le Congrès sous ton nez,
souviens-toi de l'abaissement de
l'empire le jour où cinquante sept
acclamations debout ont salué la parole
de vérité et de la justice du monde
réputée couler de la bouche du prophète
qui te haranguait, le livre d'Esther à
la main. Souviens-toi, Obama, du jour où
tu t'es enfui sous les cris des légions
de Séjean, souviens-toi de l'heure où
l'Egypte a pris un instant ta place au
gouvernail du monde - car c'est la
nation du Nil qui a mis un terme
provisoire à la guerre d'Israël contre
Gaza assiégée. Certes, ton ministre des
affaires étrangères de l'époque, Hillary
Clinton, est venue paraître sceller en
ton nom un accord où "fulgurait ton
absence", comme disait Tacite; puis,
tu as porté sur les fonts baptismaux de
ta servitude le nourrisson de ta carence
et c'est en solitaire sur la scène
internationale et aux côtés seulement d'
Israël que tu as refusé d'accorder à la
Palestine le titre et le rang d'un
Vatican dont la souveraineté se réduit à
celle d'un "Etat observateur". Jusqu'à
quand, Obama, les légions d'Israël
occuperont-elles Washington sous les
yeux du monde entier, jusqu'à quand le
spectacle de l'impuissance de Rome sur
toute la terre habitée t'offrira-t-elle
le même spectacle que celui des légions
de Séjean sous Tibère?
Souviens-toi comment
le flatteur mettait l'empereur en garde
contre ses assassins, souviens-toi
comment le meurtrier de Gaza a fait
payer sur tes deniers une gigantesque
machine à catapulter des missiles sur ce
pelé et ce galeux du monde qu'on appelle
Gaza. Obama, si les hommes sont aveugles
et s'il est impossible de leur ouvrir
les yeux avant l'heure, pourquoi
reprends-tu le combat sur de faux
paramètres, pourquoi recours-tu aux
syllogismes d'une scolastique et d'une
sophistique de la démocratie selon
laquelle le colonialisme et
l'asservissement des peuples ne seraient
plus permis qu'à un seul Etat, celui
d'Israël?
13 - Des
ruisseaux de sang frais
Ce n'est
plus un Mitchell, c'est ton ministre des
affaires étrangères en personne que tu
envoies négocier à Tel-Aviv jour et
nuit, mais pour rire et dans le vide.
Vois comme Israël a renvoyé le chef de
la diplomatie américaine à ses moutons:
"Les négociations, oui, les signes
de bonne intention, non."
Autrement dit, négocions, mais sache
qu'il n'y a rien à négocier. On se paie
ta tête, Obama. Mais si tu ne demandes
pas pourquoi le Président des Etats-Unis
est devenu un objet de risée et de
railleries, à qui la faute? Car Israël
t'a dit: "Le département américain
n'a pas d'appréciation exacte de la
profondeur du différend entre les deux
parties." Saisiras-tu cette
perche? Diras-tu au monde entier que le
différend entre les chats et les souris
est de "nature" et qu'il est
inutile d'en mesurer la "profondeur"?
Diras-tu au monde que la morale et
l'esprit pratique ne logent pas dans le
même récipient? Diras-tu qu'il y va de
l'éthique de l'humanité et que le droit
du glaive ne saurait se trouver légitimé
au cœur de la civilisation mondiale, au
nom de la nation d'Abraham Lincoln ?
Vois comme les lunettes de l'homme
d'Etat ont débarqué dans la postérité de
Séjean! Car, à l'exemple de Tibère, tu
ne saurais poser à Séjean la question de
savoir ce qu'il en est de la bête au
cerveau schizoïde que la nature
s'obstine depuis des millénaire à faire
vivre tout ensemble sur la terre et dans
les nues. Mais, il se trouve que la
tâche qui attend la raison de ton temps
est autrement plus difficile à
entreprendre et à conduire à son terme
que celle qui aurait éclairé Tibère sur
les secrets des empires: c'est le genre
humain tout entier qu'il te faut
apprendre à décrypter si tu entends
t'initier aux secrets cérébraux qui
gouvernent la bête eschatologique,
messianique et rédemptrice.
14 -
Le télescope des observatoires de Dieu
Voici un peuple qui,
depuis trois millénaires projette dans
les plus hautes régions de l'atmosphère
le plus gigantesque animal politique de
tous les temps. Vois comme cette bête
est construite à l'image et ressemblance
d'Israël, vois comme ce guide suprême de
l'univers, vois comme cet empereur du
vide et du temps, vois comme ce
souverain du silence et de la nuit
regarde le microbe qui siège à la Maison
Blanche et qui frétille sous la lentille
du microscope d'Israël! Observe cet
Hercule fou, et ce démiurge des
sucreries éternelles, et ce roi des
tortures infernales, et ce tortionnaire
dément, observe ce saint boucher campé
dans le néant sans limites et sans voix.
C'est avec lui, Obama, que tu te
collètes.
Or, de
ce Titan-là, nous n'en connaîtrons les
rouages et les ressorts que dans un
siècle. Mais observe l'encéphale de la
bête biphasée, sinon toute ta politique
piétinera aux portes d'une science
inachevée des descendants du chimpanzé,
laisse du moins le grain de raison qui
t'habite suivre à la trace la postérité
politique de Séjean; sinon tu perdras ta
place parmi les laboureurs de demain.
Creuse quelques sillons dans ce champ et
récolte quelques moissons dans ce
désert, sinon l'histoire te dira que tu
n'as pas répondu à Séjean.
Mais supposons que
tu restes planté là, que va-t-il
arriver? Israël se rira de toi et se
rira du monde, Israël courra le glaive à
la main sur les terres que son géant du
cosmos est censé avoir mis entre ses
mains, Israël courra à l'abîme - et
demain une nouvelle diaspora campera
dans l'enceinte de la fureur du monde.
Qui es-tu, Obama? Je
monde entier a jeté à la casse les
statues d'Auguste, de Trajan, d'Hadrien
et de tous les autres dieux qui
trônaient dans les temples du peuple
romain. Mais toi qui ne confesse aucun
Dieu, apprends du moins à connaître
celui que tu feins d'adorer et dont tu
ignores la doctrine et les écrits,
l'origine, l'histoire et le sens. Car si
tu ne sais rien de la bête dont la
cervelle grouille de divinités courant
dans toutes les directions, je crains
que tu ne deviennes l'otage du Dieu sans
visage et sans voix des guerriers
d'Israël, je crains que tu n'apportes, à
ton tour, le tribut de sang frais à
boire et de viande à dévorer à ce
dieu-là.
Décidément, si la science politique
mondiale ne bénéficiait pas d'une
mutation de ses neurones, nous ne
saurions ni qui nous sommes, ni où court
le monde - et le sang confondu de Jahvé
et d'Allah courra en ruisseaux de
Jérusalem à Washington.
Le 13 avril 2013
Reçu de l'auteur
pour publication
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