Analyse
M. Barack Obama est-il un homme d'Etat (1)
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Samedi 13 mars 2010
L'heure de vérité au Moyen-Orient:
Le retard scientifique de la classe dirigeante mondiale
Introduction
Note :
En raison d'une panne de l'hébergeur, l'introduction au texte de
fond dont le titre figure ci-dessus ne se trouve pas encore sur
le site de Manuel de Diéguez. La crise du Moyen-Orient
constituant un tournant décisif de la politique mondiale,
j'adresse cependant une copie de l'introduction aux grands
portails qui publient régulièrement les analyses du philosophe .
Aline de Diéguez.
Ah ! qu'il est difficile de feindre sans cesse la vertu
! ( Quam vero difficilis virtutis diuturna simulatio !)"
(Lettre de Cicéron à Atticus du 16 octobre de l'an 50 av.
notre ère).
1
- Le Dieu de Molière et d'Elvire
2
- A la recherche du véritable échiquier
3
- De l'anachronisme en politique
4
- Le renouveau de l'archéologie biblique
1 - Le Dieu de Molière et d'Elvire
L'obscurantisme d'hier était théologique, celui d'aujourd'hui
repose sur le refus de la raison politique et des sciences
humaines d'étudier le contenu psychogénétique des croyances
religieuses. C'est pourquoi, bien que la réflexion ci-dessous
fût rédigée depuis plus d'un mois, j'ai estimé qu'il était non
seulement préférable, mais indispensable d'attendre, pour la
mettre en ligne, qu'une démonstration spectaculaire du retard
scientifique et philosophique de la classe dirigeante mondiale
d'aujourd'hui vînt soutenir les premiers pas de l'anthropologie
critique de demain.
La rencontre projetée il y a trois semaines par la Maison
Blanche entre M. Netanyahou et M. Mahmoud Abbas sous l'égide de
M. Mitchell vient à point nommé illustrer mon propos. Ou bien
Israël parviendra à entraver le déroulement de cette mascarade
supplémentaire par le recours à des provocations religieuses
calculées sur l'esplanade des Mosquées de Jérusalem et en
d'autres lieux sacrés de l'Islam, ou bien le ridicule de ces
pseudo négociations apparaîtra enfin de lui-même aux yeux
dessillés de la terre entière. En effet, il existe un "conseil
des colons" qui, prévient-il, n'acceptera un démantèlement
tout provisoire de quelques colonies seulement en Cisjordanie
qu'à la condition expresse que les suivantes se trouveront enfin
légitimées d'avance par un droit international mis à la botte du
pilleur.
C'est dans cet esprit, du reste, que M. Barack Obama vient
d'autoriser Israël à construire cent douze immeubles de plus sur
le territoire palestinien, ce qu'Israël a immédiatement
interprété comme une autorisation déguisée de déloger mille six
cents Palestiniens de plus de Jérusalem Est - mais le journal
Haaretz révèle qu'il s'agit seulement de la partie
émergée de l'iceberg : ce sont cinquante mille logements
nouveaux que M. Netanyahou a programmés "à l'insu de son
plein gré" dans la partie arabe de la capitale.
Comme à l'accoutumée, la Maison Blanche a aussitôt protesté et
même un peu moins mollement que d'habitude, mais il n'est pas
sûr, pour autant, que M. Bernard Kouchner, qui avait
chaleureusement approuvé les expulsions précédentes aurait
réitéré l'allégeance de la France à Israël s'il en avait eu le
temps; car on sait que M. Biden alors en visite à Jérusalem, a
désapprouvé Israël avec une énergie tellement insolite qu'il a
été imité par l'Europe de Mme Ashton et même par l'Angleterre de
M. Milliband. Puis les onze membres de la Ligue arabe ont exigé
rien de moins que l'annulation pure et simple de ces expulsions,
ce qui signifie qu'une fois de plus les négociations globales
sur un futur Etat palestinien sont mort-nées. Un partenaire en
guerre contre les principes du droit international rappelle que,
depuis les origines, les conquérants n'ont que faire des lois.
Une fois de plus, César a franchi le Rubicon. Cicéron à Atticus
: "Je vois venir une lutte si terrible qu'il n'y en eut
jamais de pareille dans le passé."
Les ultimes rebondissements du drame étaient inscrits d'avance
dans le scénario : de toutes façons, puisque les Etats-Unis
revendiquaient le pouvoir de "proposer" tout au long de
la représentation des compromis truqués aux deux parties et de
déclarer coupable de bloquer ou de faire échouer les prétendues
négociations la partie qui se montrerait récalcitrante à en
cautionner le grotesque. Comme les colonies sont toutes
illégales par nature et par définition, comment déclarer sur
l'heure que seuls les Palestiniens se trouveront cloués d'avance
au pilori de la vertu et proclamés hérétiques jusqu'à l'os au
cours du déroulement du procès, puisque, par son contenu même
tout "compromis" sera mis en scène au détriment de la victime
désignée de longue date par le sacrificateur vertueux. Mais il
sera difficile en diable, cette fois-ci, aux comédiens les plus
illustres de la conscience internationale de jeter le voile de
leur fausse piété sur les planches, tellement les jeux
diplomatiques les plus artistiques n'ont jamais qu'un temps. On
se demande, en outre, pourquoi Israël refuse le risque de perdre
sa feuille de vigne dans ces gesticulations, alors qu'aux yeux
de l'histoire des simagrées, le banc d'infamie n'attend que les
deux principaux acteurs du vaudeville, les Etats-Unis et M.
Barack Obama, seules victimes que la postérité de Tartuffe
jugera de taille à faire se tordre de rire le dieu de Molière et
d'Elvire.
2 - A la recherche du véritable échiquier
Et pourtant il n'est pas encore démontré que l'univers des
cierges et des prières d'une piété démocratique vieille de deux
siècles seulement va basculer du côté des dévots sincères de la
civilisation de la liberté, parce qu'Israël conserve toutes ses
chances de décrocher la timbale de David et de sa fronde.
Comment se fait-il que l'Etat hébreu craigne maintenant une
mutation subite de l'opinion publique mondiale et qu'il s'affole
au point de reculer devant l'épreuve de quatre mois de
négociations truquées à son seul avantage? S'agirait-il d'un
signe alarmant de ce que, comme disaient les dreyfusards, "la
vérité est en marche"?
C'est le moment comme jamais de prendre date sur le fond et de
mettre en évidence les carences intellectuelles dont souffre la
politologie décorative d'aujourd'hui face à un cas d'espèce dont
l'histoire n'offre aucun exemple. L'homme de Cro-Magnon a vaincu
l'homme de Néanderthal, les Etrusques ont vaincu les Italiotes,
les Espagnols ont vaincu les Incas, les Anglo-saxons ont vaincu
les Peaux-rouges, mais toujours en catimini et loin des caméras
de la conscience universelle. Pour la première fois dans
l'histoire des traditions politiques de la planète, le glaive se
trouve contraint d'arborer le masque du droit.
Aussi est-il devenu possible d'entr'ouvrir la lucarne d'une
analyse de la pauvreté cérébrale d'une politologie officielle
encore privée de toute connaissance rationnelle et
rigoureusement théorisée de l'inconscient psycho-religieux des
peuples et des nations. Il y fallait rien de moins qu'un
engagement aussi inconscient que rudimentaire des Etats-Unis de
s'enferrer aux yeux de tout le globe terrestre dans une
démonstration spectaculaire de la panne actuelle de l'évolution
cérébrale de notre espèce.
En vérité, la vanité d'une diplomatie mondiale fondée sur le
refus obstiné des Etats de se poser les vraies questions, se
trouve d'ores et déjà démontrée de manière solennelle et
irréversible. En nier la stérilité, c'est tenter d'invalider sur
les cinq continents un théorème de Pythagore demeuré irréfutable
dans la physique à trois dimensions. Seules les religions
peuvent s'offrir le luxe de ne jamais mettre en doute
l'existence de leur divinité ; le politique, en revanche, obéit
à quelques règles élémentaires de l'entendement. Essayons donc
de disposer les pièces du jeu sur leur véritable échiquier.
3 - De l'anachronisme en politique
Cette tâche nous sera facilitée du fait que le consentement
momentané et du bout des lèvres des nations arabes à une
nouvelle mise en scène diplomatique à l'échelle de la planète
n'avait d'autre finalité que de ne pas ridiculiser davantage et
d'entrée de jeu le néophyte censé aux commandes de la Maison
Blanche. Le 11 mars, la Ligue arabe unanime mettait Israël au
pied du mur et M. Mahmoud Abbas lui-même se trouvait contraint
de renoncer à entrer dans la comédie des soi-disant pourparlers.
Nous allons donc assister à la mise en évidence non seulement de
l'inaptitude foncière des ressources et des recettes des
chancelleries du monde entier à comprendre la nature même des
problèmes psychogénétiques posés par l'Etat d'Israël et leur
caractère insoluble par nature et par définition, mais également
à la démonstration urbi et orbi de ce que, dans le cas où le
peuple hébreu serait demeuré sagement au piquet derrière ses
frontières de 1948, la greffe d'une nation parlant une langue
d'ailleurs et prosternée devant une divinité étrangère à celle
de l'endroit ne prospèrera jamais au siècle de l'ubiquité de
l'image et du son.
Que le peuple juif entende, de surcroît, ressusciter l' Israël
biblique - Renan en a démontré l'affabulation mythologique il y
a près d'un siècle et demi - encourage le simple bon sens à
réfuter la croyance, para-religieuse à son tour, selon laquelle,
dans vingt, trente ou cinquante ans, la démocratie mondiale
réussira à s'agenouiller, aux yeux du droit international public
et des droits de l'homme face à l'expansion continue d'une
colonie dont les fondements demeureront nécessairement allogènes
aux principes et aux lois de la démocratie mondiale. Jamais les
arguments théologiques allégués par des textes sacrés datant de
deux millénaires et demi ne délégitimeront l'éthique universelle
qui inspire la déclaration des droits des peuples à disposer
d'eux-mêmes.
4 - Le renouveau de l'archéologie biblique
Telle est, du reste la raison secrète du réveil international de
la philologie scientifique, de l'archéologie biblique et de la
science historique inaugurées avec la Renaissance et poursuivies
au XIXe siècle avec les Renan, les Loisy, les Guignebert. Mais
l'intelligentsia mondiale ignore encore qu'il ne reste pas
pierre sur pierre de l'historicité des récits de l'Ancien
Testament auxquels Renan lui-même croyait encore partiellement
(Voir La Bible et l'invention de l'histoire,
Mario Liverani, 2003 et 2007, Trad. Ed. Bayard 2008).
L'effondrement, encore caché aux yeux du public instruit, des
sources historiques de la conscience messianique du " peuple élu
" ne fait qu'illustrer, au cœur du retour au réalisme politique
du monde contemporain, le poids considérable du passé onirique
des peuples et à quel point une histoire internationale privée
de toute connaissance rationnelle de l'inconscient religieux de
l'humanité se trouve livrée à l'échec sous nos yeux. C'est
pourquoi j'ai esquissé une première analyse anthropologique du
sens politique du mythe chrétien de l'incarnation d'une divinité
dont le Moyen Orient nous offre un champ d'expérimentation
saisissant. La seconde partie de mon analyse des fondements de
l'anthropologie critique sera mise en ligne le 21 mars.
C'est sur la balance du sacré qu'il fallait peser l'inculture de
l'Amérique et de M. Barack Obama ainsi que les conséquences du
retard antécopernicien des civilisations latine et anglo-saxonne
sur les sciences humaines du XXIe siècle.
Publié le 13 mars 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
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