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Opinion
L'islam et
l'avenir de la civilisation mondiale
Qu'est-ce qu'un
prophète ?
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 13 février 2011
Editorial
Le
4 juin 2008, au Caire, M. Barack Obama était allé droit au cœur
de la question de l'alliance de la politique avec la culture qui
fait la trame de l'histoire du monde. La planète allait-elle
féconder quinze siècles de la civilisation musulmane ou bien les
peuples du Coran allaient-ils se trouver frappés d'un retard
intellectuel qui les ferait glisser progressivement dans
l'oubli?
On
sait que le lobby juif américain est aussitôt parvenu à
occulter, puis à effacer jusqu'au souvenir de cette vision
planétaire de l'avenir de l'humanité. Puis, le 4 décembre 2010,
Tel-Aviv a réussi à faire renoncer expressément les Etats-Unis
aux principes qui fondent la démocratie mondiale :
l'autorisation a été accordée à "Tsahal" de conquérir la
Cisjordanie et d'affamer une ville d'un million et demi
d'habitants.
Si
ce chancre n'avait trôné au cœur du monde, les révolutions de
Tunis et du Caire auraient-elles mis en scène le miracle qui
s'est accompli sous les yeux du monde entier? Mais M. Barack
Obama aura-t-il en mains les cartes qui lui permettront de
redonner vie à son rêve ou bien Clio ne distribue-t-elle jamais
les cartes une seconde fois? Les Etats-Unis ont beaucoup perdu
de leur prestige au sein de l'Islam depuis 2008; et M. Jean
Daniel a pu rédiger un éditorial sarcastique dans lequel il
proposait de décorer M. Benjamin Netanyahou du ruban de "l'homme
de l'année" pour avoir terrassé et humilié le Président des
Etats-Unis aux yeux du monde entier.
Mais à la suite du renoncement de l'Amérique aux valeurs qui
définissent la démocratie et à sa promesse de bénir les futures
conquêtes d'Israël - on ira jusqu'à opposer le veto aux
propositions des hérétiques qui prétendront les délégitimer -
l'assemblée des Nations Unies et l'Europe avaient timidement
relevé le gant. Puis le 14 janvier 2011 a connu une subite
mutation de la stratosphère. Maintenant, les jours de Benjamin
Netanyahou sont comptés du seul fait qu'il sera physiquement
impossible à la démocratie américaine et mondiale de jouer la
carte d'un destin prometteur de la civilisation musulmane et,
dans le même temps, d'autoriser Israël à poursuivre en toute
légitimité ses conquêtes sous le drapeau taché de sang de la "seule
démocratie du Moyen Orient". Les semaines et les mois qui
viennent diront si la planète civilisée saura donner son élan et
sa vitalité à la seconde Renaissance, celle qui dépassera les
promesses et l'éclat de la première.
Pour ma modeste part, puisque je
viens de commémorer les dix ans de ce site qui est entièrement
consacré à évoquer les multiples faces de cette tâche :
-
Dix ans de la
simianthropologie politique sur le net,
26 décembre 2010
qu'il me soit permis de rappeler
quelques jalons et d'ouvrir quelques pistes. Sur quels chemins
l'Europe a-t-elle des chances de tracer la voie à la pensée
mondiale de demain ? La route n'est-elle pas entièrement barrée
du seul fait que l'avenir de notre astéroïde ne sera pas
religieux au sens dogmatique et doctrinal? Un "philosophe"
chrétien demeurera un carré rond, puisqu'il est impossible de
trouver un argument philosophique pour renoncer aux droits de la
raison et pour en laisser le monopole à une divinité. Il se
trouve également que le premier des philosophes était un athée,
qui s'appelait le Bouddha et qu'on nommait l'Eveillé,
précisément parce qu'il cherchait les voies de l'illumination
spirituelle dans la critique des idoles.
Mais le drame de l'Occident n'est -il pas l'extinction pure et
simple des "philosophes" informés du contenu des documents
anthropologiques abyssayx qu'on appelle des théologies? Puisque
tous les connaisseurs d'une religion en sont devenus les
fidèles, comment apprendraient-ils à les observer du dehors?
C'est dire que si le dialogue de la civilisation mondiale de
demain avec l'islam passait par l'esprit d'éveil qu'on appelle,
plus simplement, la lucidité et que l'Occident des mystiques
appelle le "non-savoir" ou la "nuit de l'entendement" depuis la
Renaissance, l'an 2011 sera celui du débarquement de cet
humanisme-là dans la civilisation mondiale.
Qu'il me soit permis de recourir
à une première inspection des lieux et à l'esquisse d'un
inventaire.
1 - L'islam et le
réveil de la raison mondiale
Le Monde du 8 février 2011 s'étonnait du mutisme
des intellectuels français face à un événement aussi planétaire
que les révolutions tunisienne et égyptienne et attribuait ce
silence à leur embarras, mais également à l'inculture religieuse
de l'intelligentsia européenne. Le lendemain, sur France Inter,
Bernard Guetta était seul à souligner que la jeunesse égyptienne
n'était pas descendue dans la rue pour brandir la charia des
Frères musulmans, mais au nom des valeurs de la démocratie.
En vérité, l'Occident de la raison et de la pensée n'a pas
encore pris conscience du paradoxe qui fera du réveil politique
de l'islam le déclic d'un réveil intellectuel et moral de la
planète, car la civilisation de l'esprit critique s'était
endormie à l'ombre de la séparation républicaine de l'Eglise et
de l'Etat; mais cette fausse paix s'est révélée un somnifère de
la philosophie. Quelles sont, d'ores et déjà, les promesses
intellectuelles d'un islam armé d'intelligence et en quête de
ses retrouvailles avec l'universalité de la connaissance de
l'humanité et de son histoire? Comment l'élan prometteur de la
jeunesse musulmane en direction d'une démocratie plus réelle que
la nôtre et plus compatible avec une foi religieuse trans-rituelle,
comment cet élan, dis-je, va-t-il modifier en profondeur
l'échiquier mental de la planète du "Connais-toi"?
Nous sommes à un tournant décisif de l'évolution en armes de
l'encéphale des évadés erratiques de la zoologie. Les futurs
historiens de notre temps diront que l'année 2011 aura commencé
par une mutation anthropologique des notions mêmes de "vérité"
et de "sens", donc par un renoncement au schématisme cérébral
qui s'était imposé au siècle précédent. Quel schématisme ? Celui
qui se caractérisait par une mise hors jeu, certes légitime, des
liturgies magiques des sorciers du catholicisme et du
luthéranisme sur la scène politique internationale, mais
également par une marginalisation politique irréfléchie
de la religion de Muhammad et de ses virtualités cognitives. De
plus, les puissances dites émergeantes se sont toutes rangées du
côté d'une vision seulement pratique de l'action politique, de
sorte qu'un siècle seulement après le divorce de la vision
politique d'avec la vision théologique du monde, la classe
cultivée et la classe dirigeante de l'Europe ne disposent plus
ni d'une connaissance élémentaire du sens historique et
psychologique que charrie le contenu doctrinal du catholicisme,
du protestantisme et du calvinisme, ni d'une compréhension de la
politique que véhicule la théologie de l'islam.
2 - L'inculture de la classe dirigeante
européenne
La première
conséquence du réveil plus rapide qu'on ne le pensait du monde
musulman, donc du débarquement d'un islam régénéré dans
l'histoire vivante de la planète sera de contraindre une
intelligentsia européenne oublieuse à reconquérir en toute hâte
la connaissance minimale des trois monothéismes dont disposaient
les encyclopédistes du XVIIIe siècle. Non point que
l'enseignement officiel des professions de foi que formulent les
religions dites du Livre soit subitement appelé à renaître au
sein des démocraties déchristianisées d'aujourd'hui, bien au
contraire; mais, du moins, le siècle de silence et de stérilité
philosophique, psychologique, anthropologique, historique,
sociologique, de la laïcité évoqué plus haut aura-t-il alerté un
Occident superficiellement rationalisé et qui aura découvert à
ses dépens les voies occultes et dangereuses qu'emprunte le
sacré dans l'inconscient si on le refoule sans l'avoir ni
compris, ni réfuté en pleine connaissance de cause.
Il faut se rendre à l'évidence: la civilisation de la pensée
scientifique n'a en rien fait progresser un décryptage en
profondeur de l'humanité. Elle n'aura compris ni les fondements
du messianisme de remplacement que fut le marxisme, ni le poids
psychobiologie du mythe de la "rédemption" qui inspirait les
principes évangéliques de 1789, ni le contenu "théologique" des
identités nationales désormais soutenues par des idéalités
enivrées par leur auto-sacralisation, ni même la notion à la
fois abstraite et séraphique de personnage historique,
dès lors que, depuis 1789, la France est devenue un acteur
mi-réel, mi angélique de l'histoire cérébralisée par son
apostolat idéologique.
Et pourtant la
laïcité aurait pu faire progresser les sciences humaines jusqu'à
leur permettre de radiographier la dichotomie cérébrale native
qui caractérise le genre simiohumain. Au lieu de porter remède à
une victoire faussement triomphale de la "raison", la laïcité
est devenue un monstre dont la dichotomie a provoqué, dans le
monde entier, un repli épouvanté de la pensée critique; et,
faute de s'engouffrer dans la brèche qu'elle avait ouverte et
qui fissurait l'empire des songes politico-théologiques du
simianthrope, elle s'est empressée de la combler. Par bonheur,
ce fut en vain - mais nous baignons dans l'humanisme acéphale
qui en est résulté.
Quel est donc le
contenu anthropologique des trois monothéismes biphasés et
pourquoi leur décérébration collective s'est-elle focalisée sur
un mythe de la "délivrance démocratique"? Comment allons-nous
féconder l'alliance politique de la planète avec l'islam
d'aujourd'hui et de demain? Comment l'échiquier culturel mondial
s'en trouvera-t-il bouleversé? Tentons de rappeler ce que la
raison planétaire actuelle saurait depuis des décennies si la
laïcité avait su se révéler un moteur universel de la raison et
de la pensée scientifique.
3 - Le christianisme immolateur
Le christianisme
est une religion immolatrice. A ce titre, son assise théologique
n'est autre qu'un déguisement tardif des sacrifices sanglants
des religions primitives. Qu'est-ce à dire ? Que les dieux
originels passaient pour des souverains naturels, omniscients et
tout-puissants du cosmos. A ce titre, Adam leur immolait des
spécimens de sa propre espèce du plus grand prix possible, parce
que les Célestes proportionnaient leurs faveurs au montant des
offrandes qu'on leur consentait. Les autels ont mis en place les
premiers "retours d'ascenseur" de l'humanité.
- A propos de la mort sacrificielle de
Jean Paul II,
12
avril 2005
Puis, notre
pauvre espèce s'est inspirée de la spiritualité de l'Egypte; et
elle s'est longtemps imaginé qu'elle rassasierait les Immortels
à un bien moindre prix si elle égorgeait force animaux de
boucherie, dont les plus massifs étaient les bœufs. Mais malgré
leur dimension et leur poids, ces quadrupèdes n'ont pas tardé à
se dévaloriser à la bourse des sacrifices. C'est pourquoi le
christianisme a rétabli le marché décorné, celui de l'assassinat
d'un congénère d'une valeur inestimable en la personne d'une
Iphigénie de sexe masculin - un prophète docile comme un agneau
qu'on immolera le plus saintement du monde au créateur et au roi
du cosmos, mais à l'école d'une procédure nouvelle, astucieuse
et fort économique, parce que la victime clouée sur un gibet
sera proclamée unique et parce que son oblation sera tenue pour
le paiement d'une dette contractée depuis longtemps et d'un
montant tellement considérable qu'on croyait impossible de
jamais la rembourser. Et pourtant, la créance avait été
acquittée in extremis et à titre définitif grâce à
l'intervention d'un substitut extraordinaire et dont la cote
remédiait par magie à la carence native du débiteur insolvable.
Naturellement,
cette trouvaille cultuelle se heurtait à une difficulté
insurmontable: comment l'humanité allait-elle offrir à son
sanglant sacrificateur une réalimentation perpétuelle et
satisfaisante de la précieuse viande à immoler? Comment empêcher
un tarissement inexorable de la marchandisation et, par
conséquent, le naufrage de toutes les religions immolatrices?
Pour prévenir un désastre cultuel aussi irréparable, de nombreux
prodiges liturgiques devenaient indispensables, mais la finalité
commune et exclusive de cette sorcellerie était d'assurer un
renouvellement inlassable de la marchandise, donc un
recommencement éternel de la mise à mort dite "salvatrice" de la
victime.
Autre
difficulté: si l'approvisionnement perpétuel en chair et en sang
du meurtre de l'autel exigeait une succession de miracles
rituels censés assurer la reconstitution corporelle de
l'offrande exposée sur les propitiatoires, comment se convaincre
de ce qu'on s'est procuré physiquement et à coup sûr la victime
à égorger, comment disposer du "vrai et réel sacrifice" dont
l'Eglise catholique brandissait la nécessité physique face aux
prétentions nouvelles et jugées sacrilèges des protestants?
Quant à renoncer purement et simplement à la réitération
sanglante de l'assassinat cultuel, comment apaiser une idole
furieuse si vous ne lui donniez rien à humer?
Du coup,
l'offrande d'un meurtre appelé à calmer l'idole en fureur sera
réputée le fruit de la métamorphose en un cadavre torturé à mort
du pain et du vin empruntés au rite juif et à l'Egypte, et cela
par l'effet tout magique qu'on attribuera à certaines paroles
approbatrices de son sort que la victime elle-même aurait
prononcées en prélude à son exécution par crucifixion sous
Tibère. Il suffirait, pensait-on, que le prêtre les répétât à
chaque immolation afin d'en renouveler sans cesse les effets
prodigieux - donc "rédempteurs", c'est-à-dire "racheteurs" ou
"salvifiques", pour emprunter le vocabulaire résigné des
glorificateurs de cette religion.
4 - De la rivalité entre le bourreau et la
victime et vice versa
Outre ses
retrouvailles cachées avec le vieux meurtre sacré des origines,
le christianisme romain a également reproduit la parturition,
bien connue des Grecs, de nombreux demi-dieux et demi-déesses:
une superbe mortelle, le plus souvent consentante, se laissait
violenter par le roi du cosmos et le tour était joué. Mais par
le seul effet de l'écoulement des siècles, le mythe grec s'est
affiné, de sorte que la victime chargée de payer le tribut à
l'idole des chrétiens sera censée etre née de la fécondation
d'une vierge dans un village de la Judée, et cela par l'effet
automatique du "verbe divin" que l'Eglise qualifiera de
"spermatique" et qu'elle attribuera à l'engrosseur.
Cette nouveauté cultuelle résultait en sous-main des progrès
constants de la gnose au sein du monde antique; mais elle a
également provoqué une lente métamorphose de l'éthique politique
du boucher du cosmos, donc une mutation de la nature même du
tribut à acquitter au rançonneur des nues. Aussi, la victime
physique ne cessera-t-elle de grandir en dignité, de sorte
qu'elle finira par se confondre à son sacrificateur, non point
corporellement, mais au cœur d'une mystique de "l'esprit divin".
Il en résultera, in fine, que l'immolateur sanglant des
origines finira par s'immoler lui-même et par rendre son suicide
généreux.
Que signifie le
dieu rendu donateur à l'école de sa victime ? Qu'à force de
sacrifier une progéniture proclamée ascensionnelle et de la
hisser au rang de son propre géniteur, le christianisme
accouchera d'une philosophie universelle du sang de la
politique, puisqu' une classe dirigeante qui ne se sacrifiera
pas elle-même sur l' "autel du bien commun", comme on dit se
verra évacuée de l'arène des glaives qu'on appelle l'histoire.
Une putréfaction accélérée des fausses élites remplacera le
couteau égorgeur et " sauveur " des peuples et des nations.
5 - Le protestantisme de Luther
La seconde
religion pieusement immolatrice de l'Occident, donc fondée,
comme la première, sur le versement d'un tribut sanglant à un
créancier inlassable s'appelle le protestantisme, lequel partage
sa doctrine et son enseignement entre deux législateurs de
l'autel qualifiés de "réformateurs", Calvin et Luther. Ces
frères ennemis peinent grandement à déposer sur l'étal la même
victime "rédemptrice", donc "racheteuse" que la religion
catholique, alors que seize siècles séparent les deux
confessions, ce qui rend plus doucereuse et plus pateline la
mise en scène de prodiges aussi ahurissants que la naissance
virginale de l'offrande immolée et la transsubstantiation du
pain et du vin de la messe en chair et en sang du respirant à
occire.
La Réforme
démontre que les théologies sont tributaires des mutations
cérébrales de l'humanité et du niveau social des civilisations.
Luther tente d'amollir et de conserver les prodiges les plus
stupéfiants du catholicisme. Pour cela, il lui faut imaginer une
sorte de transsubstantiation floue, à la fois physique et
figurée du pain et du vin du sacrifice - mais une religion
sacrificielle par nature et par définition en est nécessairement
réduite à tenter de tourner en tous sens et sans résultat le
meurtre payant qui la fonde. De plus, le catholicisme dispose
d'un clergé sévèrement contrôlé et que dirige d'une main de fer
un chef ambitieux de renforcer sans relâche l'autorité qu'il est
censé avoir reçue d'une divinité - et donc, de préciser les
dogmes de l'Eglise avec une minutie de juriste romain. Or, pour
aboutir à un résultat doctrinal libéré des précisions
dangereuses des législateurs du ciel, l'esprit de liberté
politique des peuples du Nord présente un modèle social
incompatible avec le type de commandement et d'obéissance que la
loi romaine a forgé.
6 - Calvin le cartésien
Quant à Calvin,
il fait entièrement table rase du culte immolateur et de tous
les prodiges à couteaux tirés avec le bon sens que réclame une
liturgie trucidatoire, de sorte qu'au lieu de métamorphoser,
comme Luther, la victime sacrificielle en bouée de sauvetage
rebelle à sa divinisation, donc impuissante, le fondateur du
calvinisme dépose les armes sans combattre et se livre pieds et
poings liés à une divinité césarienne. Mais si vous renoncez à
la guerre avec votre maître, comment le ficellerez-vous à
l'école des rites, des prières et des offrandes de la dévotion ?
Aussi les ligotages théologiques comparés de Luther et de Calvin
illustrent-ils les fondements du problème anthropologique
insoluble qui rencontrent tour à tour le despotisme et la
liberté ; car leur nature même jette les rescapés de la zoologie
dans des apories parallèles. Ou bien l'idole supposée à la fois
bienveillante et punitive - c'est-à-dire racheteuse d'une
créance, et dangereusement incontrôlable - l'idole, dis-je,
terrorise sa créature par la gratuité satrapique de sa puissance
et de ses dons, ou bien la victime de l'autel tente de suppléer
à l'éloignement redoutable et à l'arbitraire du sceptre sommital
du cosmos, mais alors, comment calmer un Zeus qu'enivre
l'autorité tyrannique censée attachée à son rang?
Remarquez que le
Zeus sourcilleux de Calvin et le Zeus désarmé de Luther
reproduisent l'un, le modèle patriarcal de la famille des
origines, où le père disposait du droit de vie et de mort sur sa
progéniture, l'autre le modèle débonnaire du père de famille
germanique.
Quant à
l'hypertrophie du culte de la vierge Marie dans le catholicisme,
il résulte de la lente métamorphose de la matrone romaine. A
l'origine, la femme latine était un bien estimable au seul titre
de sa fécondité. Plus elle avait d'enfants, plus elle était
jugée précieuse; et si elle était stérile, sa répudiation
s'imposait. Aussi était-il civique de la prêter à titre de
génitrice garantie à tel ou tel ami digne d'avoir de beaux
enfants. C'est ainsi que le vertueux Caton avait prêté sa femme
au grand orateur Hortensius. Si la femme se livrait à l'adultère
et si son mari la reprenait à son domicile, la loi le châtiait,
parce que le citoyen offensait la République à légitimer une
débauchée de vil prix.
Aussi le
christianisme romain a-t-il couru à l'autre extrême: la Vierge
catholique est une mère et c'est à ce titre qu'elle se trouve
divinisée - mais elle est censée être demeurée précieuse en tant
que vierge même après la naissance de nombreux frères et sœurs
de Jésus-Christ, parce que la pureté de la matrone romaine des
origines s'inscrit dans la continuité d'un culte civique, celui
d'une génitrice féconde.
7 - L'islam
La troisième
religion aux côtés de laquelle la civilisation occidentale sera
appelée à approfondir son "Connais-toi" est la musulmane, dont
le livre sacré s'appelle le Coran. Mais, d'ores et déjà, on
devine à quel point une spectrographie anthropologique et
critique du catholicisme et du protestantisme est nécessaire si
l'on entend vitaliser les relations que la pensée et la
philosophie de demain seront appelées à entretenir avec
Muhammad. Car ce prophète, né en 570 et mort en 632, bénéficie
de six siècles d'avance sur le catholicisme , de sorte que
Luther et Calvin se révèlent infiniment plus proches de l'islam
que de Rome. Car l'un et l'autre illustrent à leur corps
défendant l'évidence que l'avenir de la raison passera par
l'abolition des sacrifices humains que le christianisme aura
subrepticement reconstitués à l'écoute de l'inconscient qui
pilote son culte, puis qu'il aura habilement masqué sous des
prodiges liturgiques absurdes.
C'est pourquoi
l'islam rejette avec horreur les mêmes prodiges barbares que la
Réforme n'aura repoussés qu'à demi et seulement deux siècles
après les débuts de la Renaissance en Italie. C'est dire que
Muhammad conduit tout droit l'Occident de la philosophie et de
l'anthropologie critique à une réflexion abyssale sur et la
boîte osseuse des hommes de génie et de pouvoir qui se
présentent dans l'arène des siècles en tueurs politiques des
sortilèges sacrés et qu'on appelle des prophètes. J'y
reviendrai. Pour l'instant, il suffit de rappeler que Muhammad
est pleinement un homme et qu'à ce titre, il se veut dépourvu de
pouvoirs magiques.
C'est un grand
avantage, pour l'Occident embrumé, de savoir qu'un prophète n'a
nullement besoin de se légitimer à naître d'une vierge de
village, de savoir qu'on ne demande pas à son génie de
bénéficier d'une ascension théologique continue et de siècle en
siècle, laquelle l'aurait rendu confusible avec le créateur de
l'univers, de savoir qu'il n'est pas utile de le hisser au rang
de chef d'un clergé de sacrificateurs patentés, de savoir que
seules les idoles ont besoin de sorciers chargés de leur
procurer une victime censée leur rembourser une créance d'un
montant gigantesque, de savoir qu'un immortel statutairement
ficelé à l'astronomie de Ptolémée et à la géométrie réputée
immuable d'Euclide n'est pas l'Allah de Muhammad. En vérité,
l'islam se présente très tôt en médiateur des retrouvailles de
la civilisation mondiale avec Aristote et Platon - demain, avec
celle de Darwin et d'Einstein.
Qu'est-ce qui
rendra donc fécondes et pourtant difficiles, prometteuses et
pourtant laborieuses les relations de l'islam avec la
civilisation de la science et avec la raison anthropologique de
demain? Autrement dit, pouvons-nous emprunter les chemins
qu'enfantera le monde musulman d'avant-garde pour accompagner
l'essor de la pensée critique mondiale sur une planète encore
trop partiellement armée d'un regard sommital sur les mythes
sacrés de l'humanité?
8 - La théologie de l'islam et la raison
humaine
D'un côté, le
Coran semble avoir pressenti les dangers politiques,
psychologiques et philosophiques d'une rationalisation intensive
de la théologie à l'école du temporel. L'islam ne connaît pas de
sophistique officielle et enseignée en chaire du statut et des
armes d'un entendement humain provisoire et localisé, pas de
démonstration scolastique du sexe des anges, pas de
systématisation catéchétique des relations du prophète avec
Allah, pas de généalogie critique du fameux lien de causalité
que l'Occident a élaboré d'Aristote à Hume et à Kant, pas de
pesée en séminaire de la projection psychique de la notion
d'intelligibilité sur la matière prophétisée, donc rentabilisée,
pas d'analyse du pouvoir de persuasion que le "sentiment
d'évidence" et le "bon sens" ont exercé du Moyen Age à nos
jours, pas de jardinage à l'usage des trépassés, pas de traité
canonique des aises et des tracas des habitants du paradis, pas
d'enseignement révélé de l'âge où les croyants sont censés
entrer dans l'immortalité, pas de considérations diététique sur
l'engraissement ou l'amaigrissement des bénéficiaires de la vie
éternelle, pas de réflexion sur les blessures de guerre des
héros morts sur les champs de bataille et ressuscités dans leur
beauté ou couverts de cicatrices, pas de savantes considérations
sur la gastronomie céleste et sur le jeûne de Muhammad dans les
nues, alors que depuis saint Thomas d'Aquin - ce théologien a
été proclamé "docteur angélique" de l'Eglise catholique à titre
perpétuel - seul Jésus se fait apporter des plats cuisinés dans
l'éternité afin de démontrer sans fin qu'il est bel bien
ressuscité en chair et en os et qu'il siège aux côtés de Zeus.
C'est pourquoi
la première leçon que l'Occident devra tirer du réveil de la rue
arabe sera une leçon de géopolitique, parce qu'il semble que la
jeunesse de l'islam sache déjà que le fer de lance de l'esprit
religieux n'est autre que la charité. La Révolution française
n'a pas connu de fusion émouvante entre "l'espérance, la foi et
la charité " des croyants, d'un côté, la "liberté, l'égalité et
la fraternité" des laïcs, de l'autre. Il se trouve, de surcroît,
que la jeunesse s'élève aux deux tiers de la population
égyptienne, ce qui crée un climat de joie et d'humour. L'humour
d'abord: on y a vu des manifestants rieurs et moqueurs se
couvrir la tête de casseroles face aux fusils des soldats et aux
matraques de la police. La joie ensuite: parmi les scènes qui
ont fait vibrer la Révolution du Caire, il y a ce jeune fiancé
venu avec sa famille célébrer son mariage au milieu des milliers
de manifestants à la fête. Naturellement, le peuple égyptien
aura à découvrir qu'une révolution terminée en un mois
demeurerait superficielle et n'aurait pas d'avenir.
9 - Décrypter le génie des prophètes
Mais le danger
d'un compagnonnage étroit et hâtivement improvisé entre l'islam
juvénile et la course du monde moderne vers une psychologie
abyssale est de passer à côté d'un approfondissement vertigineux
des notions mêmes de "raison" et d'"intelligence", donc de
compréhensibilité. Quand l'humanité se prosterne devant un
potentat imaginaire du cosmos, elle se livre tantôt au sort des
moines qu'anéantit une extase artificiellement programmée et
chronométrée, tantôt à l'angoisse mortelle des calvinistes jetés
en pâture à une divinité hasardeuse et au jugement gratuit, donc
imprévisible d'un potentat du salut.
Mais quid si la masse des croyants s'agenouille
ponctuellement devant un prophète? Ne court-elle pas le risque
de le diviniser et de juger plus blasphématoire de le regarder
comme un homme que de nier l'existence même de Jahvé, d'Allah ou
du Dieu trinitaire?
Mais
précisément, le fait que Muhammad ne soit ni tenu pour le fils
unique d'Allah, ni pour Allah en personne devrait inspirer
l'Occident de la pensée rationnelle, donc d'une civilisation
mondiale vouée depuis plus de trois siècles à approfondir
jusqu'au vertige la connaissance des ultimes secrets du genre
humain. Comment se fait-il que ce prophète soit un type d'homme
demeuré mystérieux et que ne connaissent encoe ni les poètes, ni
les romanciers, ni les dramaturges, ni les philosophes, ni les
anthropologues, ni les ethnologues, ni les sociologues, ni les
psychanalystes, ni les théologiens? Pourquoi ce personnage
suréminent est-il demeuré un inconnu de l'humanisme mondial,
alors qu'il n'est pas d'acteur plus puissant, plus universel et
plus fécondateur de l'histoire de la planète que les prophètes?
Mais qui connaît l'âme et l'esprit d'Isaïe, de Jérémie, de
Jésus-Christ, de Muhammad, du Bouddha? Pourquoi l'humanisme
occidental a-t-il peur de décrypter l'homme au point de reculer
d'effroi devant de génie des prophètes?Si l'islam devait devenir
le moteur central du monde pensant, ne serait-ce pas à lui de se
montrer le roi du souffle de l'esprit, ne lui appartiendrait-il
pas de convaincre le genre humain de descendre dans les ultimes
secrets de l'âme et du cœur des prophètes?
Et pourtant, il y a plus de quinze siècles que Muhammad adresse
aux chrétiens un discours crypté et un défi que notre pauvre
psychologie n'a pas osé relever: "Votre Jésus, leur lance-t-il à
la figure, est un grand prophète. "Pourquoi la civilisation
mondiale de la science refuse-t-elle depuis quinze siècles de se
demander: "Qui c'est, un prophète?" Comment imaginer que
l'humanisme mondial conquerra jamais une profondeur et un envol,
une dramaturgie et un élan, un feu et un ciel si nous n'osons
nous demander ce que Nietzsche voulait dire quand son
Zarathoustra évoquait le "dernier homme", celui qui "vit
le plus longtemps", parce qu'il ne se demande pas ce que
sont les prophètes?
10 - Quelques pas dans la tête des
prophètes
Qu'arriverait-il
si l'humanisme occidental apprenait à se demander ce qu'il en
est de l'âme et du cerveau d'Isaïe, de Jérémie ou de de
Zarathoustra?
D'abord, tout
prophète témoigne nécessairement d' un génie insondable de la
politique, sinon, comment saurait-il que le genre humain se
donne des chefs locaux et visibles et qu'il n'imagine pas un
instant qu'il n'y aurait pas d'administrateur général au-dessus
de la tête de ses dirigeants en chair et en os? Tout prophète
porte donc un regard d'anthropologue abyssal sur ses congénères,
tout prophète les voit comme des enfants épouvantés par le
silence et le vide du cosmos. Afin de les guérir de leur
terreur, il leur donne un tuteur, un gardien, un maître et un
protecteur. N'est-il pas roboratif, pour la raison, de savoir
qu'il existe des hommes assez extraordinaires pour donner à
l'humanité les dieux dont ils ont besoin à telle heure de leur
histoire? Est-il une création plus géniale que celle-là?
Elle se révèle
même tellement vertigineuse que les prophètes se voient
contraints, s'ils veulent qu'on les croie, d'inverser les rôles
et de se faire dicter en retour par leurs dieux ce qu'ils leur
font dire. Mais qui croira que le dieu d'Isaïe ne serait pas
d'Isaïe, que le dieu de Jean de la Croix ne serait pas celui du
"prince des poètes espagnols", que le dieu du Christ ne serait
pas de lui et que celui de Muhammad ne serait pas celui de la
tête et du cœur de son prophète ? Pour tenter d'avancer de
quelques pas dans la tête des prophètes, lisez ceux d'entre eux
qui ont vendu la mèche sans s'en douter; et lisez Pascal, le
plus recommandable des initiateurs à la connaissance
anthropologique du génie prophétique. Car seul l'auteur des
Pensées a osé peindre l'espèce humaine comme des enfants égarés
sur une île déserte et qui voient assassiner leurs compagnons
l'un après l'autre par un "boucher obscur" qu'ils appellent Dieu
ou la mort.
Si l'humanisme
réflexif de l'Occident suivait en spéléologue le chemin étroit
de la connaissance du cœur et de l'esprit des prophètes, quel
recul ne conquerrait-il pas, de quelle grandeur, et de quelle
élévation nouvelles la raison du monde ne se trouverait-elle pas
dotée! L'entendement de notre espèce demeurera balbutiant aussi
longtemps qu'il ne s'ouvrira pas au tragique du spectacle qui
inspire la raison apitoyée et souveraine des prophètes. Mais
Muhammad a opéré deux mutations radicales de l'encéphale
simiohumain. Premièrement, son génie a reconduit le sacré à la
première victoire de la civilisation, celle qui avait aboli les
sacrifices humains, de sorte que l'avenir spirituel des diverses
théologies chrétiennes passera nécessairement par le scannages
des idoles et d'abord du boucher du ciel chrétien dont l'Egypte
ancienne avait aboli les sacrifices bien avant Abraham.
11 - Muhammad et les sacrifices humains
Mais alors,
allons-nous revenir aux immolations d'animaux, dont la pratique
s'était substituée aux Isaac et aux Iphigénie? Il ne faut pas
oublier que depuis Homère les sacrifices humains étaient
demeurés parallèles aux sacrifices d'animaux dans tout le monde
antique.
Si l'on compare le nombre des victimes humaines du paganisme
grec à l'âge classique au nombre de victimes chrétiennes, on en
comptera deux cent dix huit pour Poséidon, deux cent cinquante
pour Athéna , deux cent soixante et onze pour Hermès, deux cent
dix-neuf pour Apollon, trois cent soixante et un pour Artémis,
trois cent treize pour Arès, ce qui fait mille six cent quatre
vingt un sacrifiés, auxquels il faut ajouter qu'un oracle avait
livré annuellement au meurtre sacré et pendant mille ans deux
vierges de Locres à la suite de l'outrage du Locrien Ajas à
Cassandra. Je ne compte ni la purification d'Athènes par
Epiménédès, qui coûta un grand nombre de nobles jeunes gens,
tous volontaires, ni les immolations de prisonniers ennemis, que
Thémistocle réduisit à trois en prélude à la bataille de
Salamine.
Mais qu'est-ce
que cela si l'on songe aux dizaines de milliers de moines
chrétiens qui ont agonisé dans les monastères, depuis la sœur de
Pascal jusqu'à Thérèse de Lisieux, la dernière sainte que son
suicide par une tuberculose volontairement contractée a élevée à
un rythme accéléré au rang de docteur de l'Eglise, alors que le
poète Jean de la Croix a mis trois cent trente cinq années pour
être élevé au rang de docteur de l'Eglise. C'est qu'une religion
dont la foi se focalise sur un sacrifice sanglant fournit à la
guerre un réservoir d'immolés potentiels. C'est pourquoi sainte
Thérèse de Lisieux est devenue l'héroïne de la Croix dont
l'immolation volontaire avait illustré d'avance le sacrifice
patriotique aux yeux des poilus massacrés dans les tranchées -
et c'est cette anticipation religieuse qui lui a valu une
canonisation rapide à l'heure où la loi de 1905 avait empêché de
célébrer à Notre Dame un Te Deum au Dieu de la France
victorieuse en 1919.
Muhammad a aboli
non seulement les sacrifices humains, mais les sacrifices des
bestiaux; car l'offrande d'un mouton n'est pas, dans son esprit,
l'offrande du cadavre d'un animal à Allah, mais le symbole d'un
partage de la chair de la bête avec les pauvres et d'une
communion dans la charité des fidèles rassemblés. On l'a bien vu
au Caire, quand les télévisions ahuries du monde entier ont
filmé des révolutionnaires prosternés la face contre terre, puis
courir embrasser les soldats et les policiers qui les
menaçaient. Jamais une religion immolatrice ne produira ce type
de prodige politique. Certes, les chrétiens croient manger la
chair et boire l'hémoglobine de la victime tuée sur l'autel -
mais, du coup, ils se condamnent à communier avec une divinité
faussement pacificatrice, puisque c'est de la viande et du sang
qu'ils se partagent - et c'est en vain qu'ils s'épuisent à
changer des substances d'origine animale en "pain du ciel".
Certes, il était impossible au VI e siècle, de supprimer
radicalement et d'un seul coup les sacrifices traditionnels
d'animaux; mais la réduction subite des offrandes matérielles
conduisait la religion à une lente extinction des égorgements
cultuels. Il ne s'agit, dans l'islam, que de perpétuer le rite
juif annuel de l'immolation de l'agneau le jour de Pâque - celui
de la commémoration de l'exode.
12- Le "Connais-toi" de demain
Que dit le
"Connais-toi" des Socrate de demain? Que tout prophète vit dans
le silence et le vide de l'immensité, que tout prophète sait que
le cosmos n'est dirigé par personne. Mais l'Eveillé n'a-t-il pas
arraché ses congénères aux entrailles des ténèbres ? Pourquoi
les Isaïe, les Jésus, les Muhammad gardent-ils, au plus profond
de leur génie, l'œil héroïquement ouvert sur l'abîme, alors que,
dans le même temps, ils font aux hommes le don d'illuminer le
néant? Pourquoi les prophètes sont-ils les premiers saints de
l'athéisme?
Tel est l'ultime
avenir d'une religion qui détient les clés des classes
dirigeantes de demain, celles qui sauront que le "feu spirituel"
naît de la nuit. Mais seul Muhammad a créé les conditions
cultuelles de l'épanouissement de l'athéisme ascensionnel de
demain. Je ne vois pas qui d'autre a rendu les fidèles
responsables devant un Allah intérieur, qui d'autre a retiré la
victime humaine et animale des offertoires un millénaire avant
Calvin, qui d'autre a disqualifié les rites et les liturgies,
qui d'autre a rayé les clergés d'un trait de plume. Si
l'Occident entend approfondir la connaissance de l'homme, qu'il
se mette à l'école du cerveau et du cœur élévatoires de tous les
prophètes. Alors, quelle débandade des petits secouristes des
idéalités de la démocratie!
Mais si
l'offense au prophète est ressenti comme un sacrilège plus grave
que l'athéisme, la cause en est peut-être que l'inconscient des
croyants leur fait la grâce de les avertir de ce qu'il n'y a pas
de Jahvé caché dans le dos d'Isaïe, pas d' Allah caché dans le
dos de Muhammad, pas de dieu qui assassinerait la victime d'une
potence derrière Jésus-Christ. Peut-être l'inconscient religieux
des peuples est-il prophétique sans le savoir, peut-être
assure-t-il la promotion des prophètes, parce qu'il sait
qu'Isaïe est seul responsable du Jahvé qu'il a privé du bois ou
de la pierre des idoles, que Jésus est seul responsable du Dieu
qu'il n'a pu empêcher de laisser choir à nouveau le pain et le
vin de la communion dans sa propre chair et son propre sang, que
le Bouddha est seul responsable du vide et du silence qui a
conduit ses fidèles à faire vrombir leurs stupides moulins à
prières, que Muhammad est seul responsable de n'avoir pas
réussi, du moins de son vivant, à initier l'humanité à l'âme et
à l'esprit des prophètes. Mais alors l'islam montre le chemin à
la planète du "Connais-toi" de demain.
Publié le 13 février 2011 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
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