Opinion
Broussailles
politiques et débroussaillements
diplomatiques
Le lente
libération de l'Europe
Manuel de Diéguez
Dimanche 12 juin
2011
1 - L'aube de
l'Europe
Beaucoup de bons esprits soutiennent que
l'Europe demeurera vassalisée jusqu'à la
moelle et que, de toute nécessité, elle
ne pourra que le devenir sans cesse
davantage. Il me semble que cette erreur
de jugement ne saurait prospérer,
tellement les signes avant-coureurs de
la sortie du gouffre sont nombreux,
manifestes et d'une signification dont
il convient de souligner la nature et la
portée. Du reste, ces heureux présages
s'inscrivent tous dans un devenir
continu du monde, donc dans une
évolution de fond dont la logique
enserre la planète depuis la chute du
mur de Berlin.
Comment
la descente aux enfers de notre
civilisation obéirait-elle à une
fatalité et se poursuivrait-elle
indéfiniment, alors qu'au basculement
lent et irrévocable de l'empire
américain dans l'essoufflement militaire
et l'agonie monétaire répond l'ascension
de la Chine, de l'Inde, de l'Amérique du
Sud et même de l'Afrique? Le sûr
glissement de Washington hors de
l'enceinte de son ancienne prééminence a
reçu un coup d'accélérateur géant avec
la mise en marche des "masses arabes",
dont le débarquement dans l'arène de
l'histoire vivante a d'ores et déjà
permis à la Turquie, à l'Egypte et au
Brésil d'engranger les premiers fruits
de leur positionnement à la charnière
d'une mutation sans exemple de la
géopolitique vassalisatrice inaugurée en
1945 par une Amérique alors triomphante.
Le
protocole est un enregistreur des
glissements de terrain de la politique
comparable à l'échelle de Richter des
sismologues. Alors que le Président Bush
II était venu dévaster les platebandes
de Buckingham Palace avec des
hélicoptères de sa police de choc et de
son service d'ordre souverain, M. Obama
y est venu en visiteur de marque à
initier à l'étiquette de la cour. Ayant
levé son verre en direction de la reine
après avoir prononcé son toast, Sa
Majesté a ignoré ce geste, le "God save
the Queen" a suivi et la reine a enfin
levé son verre en l'honneur de son hôte
afin que les rites royaux reprissent
leur cours naturel après l'entorse du
néophyte au cérémonial d'usage. Quelques
jours plus tard, M. Barack Obama a reçu
Mme Merkel en grande pompe à Washington,
mais plus il la couvrait de médailles,
plus la Chancelière comprenait qu'il
n'appartient qu'au souverain de
couronner ses vassaux et que si
l'Allemagne avait fait partie des
membres permanents du Conseil de
Sécurité, si elle avait disposé du droit
de veto et si son pays possédait le
hochet fascinateur de la bombe atomique,
son territoire ne demeurerait pas occupé
elle par deux cents garnisons
américaines et que les humiliantes
somptuosités de la condescendance
n'auraient pas été de mise à son égard.
2 -
Les religions et la civilisation
L'âme de
l'Histoire s'est toujours exprimée par
la substitution du mouvement à
l'immobilité. Pendant des décennies,
l'Europe a souffert d'un double
piétinement, celui de l'attente
impatiente de la chute du communisme et
celui qui parquerait pour longtemps
encore quatre cent millions d'Arabes
dans la forteresse de leurs rites
religieux. Tout ce qui bouge est vivant,
tout ce qui demeure arrêté court au
sépulcre. Les philosophes du XVIIIe
siècle savaient encore que la religion
va toujours de pair avec la décadence de
la philosophie et que "le moment où
l'on voit la foi chrétienne établie par
toute l'Europe est celui de la barbarie
la plus complète de tous les peuples."
(Baron de Grimm)
Aussi le
printemps arabe récoltera-t-il de grands
succès et subira-t-il de terribles
revers au gré de l'histoire
philosophique des partis religieux qui
piloteront les Etats-majors de la foi,
mais jamais plus l'Islam des cerveaux ne
connaîtra la paralysie et le grippage
des encéphales pétrifiés par des dogmes
intangibles, parce que le désert de
sable et de poussière qui a si longtemps
retardé la résurrection des sciences
exactes en Europe n'est plus à franchir
par les fidèles du Coran. Un Islam
revivifié par le retour à la lecture de
ses grands philosophes d'autrefois, un
Islam remis dans la course de la pensée
scientifique moderne aura une distance
bien moindre à parcourir dans l'ombre de
ses mosquées que la théologie catholique
de notre siècle, qui n'est pas près de
réfuter la croyance à des prodiges
matériels et à la pluie de miracles
grossiers auxquels le mythe de
l'incarnation de l'absolu entraîne les
esprits: la religion de la croyance
stupide en la substantification d'une
divinité en promenade sur la terre et en
la métamorphose du pain des boulangers
en chair d'un dieu se trouvera bien plus
radicalement et plus rapidement éjectée
de la civilisation de l'intelligence
qu'un islam provisoirement fossilisé,
mais dont les ressources intellectuelles
demeurent intactes.
3 -
Les premiers pas
Les
signes avant-coureurs de ce que l'Europe
vassalisée par la présence de l'étranger
sur ses arpents se trouve sur le point
de briser ses chaînes sont d'autant plus
criants qu'ils épousent l'actualité
politique et militaire jour après jour
et que s'ils paraissent encore
superficiels, c'est seulement parce
qu'on oublie trop aisément que le train
du quotidien n'est jamais que
l'expression au ras des flots de
mouvements cachés dans les profondeurs
de la mer. La livraison, par exemple, de
Mistrals réels, donc armés à la Russie
est l'expression d'une rupture à ciel
ouvert avec l'esprit de soumission et de
démission qui inspire les décadences
politiques et qui se perpétue longtemps
encore après avoir paru interrompues: il
y avait des mois que les Etats-Unis
affichaient ad ostentationem leur
réconciliation censée définitive avec
Moscou, alors que, dans le même temps,
le mot d'ordre adressé en secret aux
vassaux demeurait inchangé: on ferait
grésiller sous la cendre et l'on
perpétuerait discrètement l'antagonisme
hérité de la guerre froide. De même,
Paris et Londres n'ont capitulé qu'en
apparence devant la volonté brutalement
affichée dans les coulisses par la
Maison Blanche de prendre seule en mains
le commandement militaire d'une
intervention en Libye censée partagée
avec ses "alliés" sous les faux-fuyants
de l'OTAN. Mais les deux capitales
persévèrent à mépriser le sceptre sous
lequel elles se trouvent officiellement
ficelées et elles n'ont pas tardé à
rallier à la cause de l'Europe un
Kremlin plus que réticent, au début, à
une conduite des opérations militaires
autonomes et même autarciques de Paris
et de Londres.
En
vérité, la France et le Vieux Continent
se trouvent pleinement en mesure de
prendre une longueur d'avance sur les
évènements prochains et de jouer pour le
moins les cartes d'un futur immédiat sur
le terrain: ils disent d'une seule voix
à la Chine et à la Russie qu'elles n'ont
pas intérêt à demeurer plantées sur le
quai, alors que le train de l'avenir
partagé d'une démocratie mondiale
européanisée et de l'islam moderne est
sur les rails. Le temps n'est plus où
l'Elysée réduisait l'ambition de la
France à se tenir dans le "cercle de
famille" atlantiste.
4 - Des causes de
la vassalité de l'Europe
De quel
recul intellectuel l'anthropologie
critique dispose-t-elle à l'égard de
l'histoire semi secrète de la
vassalisation titanesque que l'Europe a
acceptée et souvent voulue depuis 1945?
Pour comprendre les ressorts d'une
capitulation aussi longue des
intelligences et des volontés
politiques, il faut remonter aux causes
durables de la disqualification
progressive des termes mêmes de
nation et de nationalisme à
partir d'une date charnière, celle
précisément que le "printemps arabe" a
remise brutalement en mémoire. Ce rappel
a provoqué un beau précipité, comme
disent les chimistes. Mais pour tracer
la voie d'une méthode rigoureuse
d'analyse de la chute du Vieux Continent
dans l'abîme et de sa sortie du
sépulcre, il faut se demander en tout
premier lieu quelle est l'origine
historique de la dévalorisation
constante du nationalisme européen
depuis 1870 et de la perte de crédit de
plus en plus irréversible d'un pôle
guerrier de l'histoire et de la
politique qu'on croyait éternel.
On sait que le déclin de la thématique
nationaliste au sein d'une science
politique pourtant immémoriale est
résulté de l'engloutissement subit de la
guerre dans un tragique sans gloire et
de nature à interdire définitivement aux
Etats les plus civilisés de recourir aux
lauriers de l'héroïsme sur les champs de
bataille. La politique militaire de
Bismarck face à l'Autriche, au Danemark
et à la France était encore rationnelle
en ce qu'elle demeurait indispensable au
retour des beaux restes de l'empire
romain germanique sur la scène
internationale. De même, il était
inévitable, donc "nécessaire", que la
France humiliée reconquît l'Alsace et la
Lorraine au prix du trépas d'une
génération. Mais la guerre mondiale de
1914 à 1918 a illustre un basculement
fatal des hostilités dans la stérilité
des galons de la mort.
Du coup le vieil adage des képis selon
lequel la guerre ne serait que la
"continuation de la politique par
d'autres moyens" est tombé dans la
gueule de l'apocalypse. La
disqualification des mâchoires anciennes
du réalisme politique a interdit de
calculer les profits et les pertes au
sein d'une dramaturgie des conflits
jusqu'alors soumis à des repères
"raisonnables". Le désastre de
l'arithmétique des cadavres est devenu
définitif à l'issue de la seconde guerre
mondiale, qui a aussitôt conduit à un
mythe de remplacement des crocs
d'autrefois selon lequel une démocratie
planétarisée par le triomphe de son
prétendu pacifisme serait placée à
jamais sous le sceptre des Etats-Unis
d'Amérique, dont le messianisme
conquérant éliminerait du champ de
vision, donc de la pratique de
l'histoire universelle le vieil acteur
qu'on appelait la guerre.
5 - Le retour du
cyclope d'Homère
Naturellement, la nature ayant horreur
du vide, l'ignorance naturelle des
peuples édentés a précipité la
mappemonde sous deux houlettes
antagonistes, mais nationalistes en
diable et toutes deux déguisées en
protectrices sacrées de la paix, celle
du "paradis soviétique", donc du
débarquement de l'évangile marxiste sur
la terre et celle de la bannière
étoilée. Jusqu'en 1989, la planète
entière s'est pelotonnée ici sous
l'enseigne d'une délivrance par la
faucille et le marteau, là sous une
sotériologie de la liberté universelle.
Lorsque
l'eschatologie greffée sur la catéchèse
prolétarienne s'est évanouie sur les
autels de l'utopie, l'orthodoxie
rédemptrice s'est entièrement déplacée
en direction d'un libéralisme
carnassier; mais comme les deux camps se
réclamaient d'une seule et même
annonciation de la délivrance et du
salut, l'une acéphale, l'autre
réhabilisatrice de la loi de la jungle,
l'histoire du monde est devenue pseudo
apostolique à l'école de ces deux
modèles d'une même décapitation para
religieuse de la science politique.
C'est pourquoi, soixante cinq ans après
la fin de la seconde guerre mondiale,
non seulement l'Europe confessionnalisée
par la démocratie demeure vassalisée
jusqu'à l'os par quelque cinq cents
garnisons américaines sédentarisées sur
ses lopins, dont deux cents lovées en
Allemagne et cent trente sept incrustées
en Italie.
On sait
que le quartier général de l'occupant
s'est installé à perpétuité à Mons en
Belgique et que Mme Angela Merkel s'est
empressée de juger salvifique à souhait
l'extension militairement sans objet,
mais politiquement payante pour
l'étranger, d'un bouclier de missiles
américains censés protéger l'Europe
contre Personne. La substitution de
cette forme de dissuasion à la
précédente rend le nouveau cyclope
d'Homère non moins onirique que l'arme
nucléaire française et anglaise. C'est
pourquoi le premier exploit diplomatique
de M. Alain Juppé fut de réaffirmer le
principe de la défense atomique du Vieux
Monde, quelque fantomatique qu'elle fût
par nature et par définition, puisqu'il
n'existe aucun Titan militaire ni
présent, ni futur contre lequel Ulysse
serait en devoir de s'armer. Nous sommes
donc tombés dans une forme colossale de
la servitude, l'esclavage spéculaire,
dont la spectrographie en appelle à une
anthropologie du fabuleux doctrinal au
sein des démocraties, puisque le songe
d'une invasion possible du continent par
des régiments de fantassins fantômes
conduit la science historique à quitter
le territoire de la pensée rationnelle.
6 - La
vassalisation irénique
On
comprend pourquoi, trois mois seulement
après la duperie des accords des
Etats-Unis avec la Russie sur le Salt
II, l'opinion et la presse italienne se
lamentent non point de ce que les
Etats-Unis aient l'intention de
réalimenter une tension diplomatique
revigorante avec Moscou - il s'agit
d'installer en Pologne et sous le nez
des Slaves une partie des forces
guerrières stationnées en chair et en os
à Vicenza - mais de ce que ce
déplacement de troupes et d'armes à feu
prive l'Italie des profits pacifiques
d'un petit commerce de babioles. C'est
que la vassalisation irénique de
l'Europe introduit un type inédit de
passivité dans l'histoire du monde en ce
que le règne d'un empire étranger sur le
Vieux Continent s'enracine désormais au
cœur du régime démocratique de la
planète.
Que les peuples aient été rendus
inconscients du poids politique
qu'exerce fatalement la présence en
armes de troupes étrangères sur le sol
d'une nation et de ce que la
souveraineté d'un pays tombe
nécessairement en loques ou se trouve
réduite en charpie par ce type de
lauriers est une chose, mais que la
classe dirigeante des démocraties
asservies sur toute la terre n'en ait
pas conscience en est une autre . C'est
pourquoi l'analyse politique de la
sortie de l'Europe de son vasselage
requiert maintenant l'examen de nouveaux
paramètres de la compréhension de
l'histoire et quasiment une refonte des
méthodes de la science historique
transmises par la tradition tant savante
que scolaire.
-
M. Benjamin
Netanyahou et l'exercice biblique du
droit du plus fort - La sociologie
et l'anthropologie philosophique,
5 juin 2011
Car le contraste est devenu saisissant
entre la cécité politique que les masses
et les élites se partagent et l'ubiquité
magique des moyens d'information par le
son et l'image. C'est pourquoi la
science de la servitude des nations met
en évidence les apparences démocratiques
de la vassalité. Certes, de tous temps
les révolutions politiques furent le
fruit d'une pédagogie inégalement
heureuse des peuples par les soins
attentifs de leurs élites - et la
révolution française n'avait pas innové
sur ce chapitre. Mais, cette fois-ci,
les moyens de communication instantanés
des peuples entre eux permettent une
métamorphose de la nature même des
obstacles à franchir.
Quel est
le modèle nouveau du déclic des
révolutions que le "printemps arabe" a
illustré ? Premièrement, la révolte
populaire s'est non seulement propagée
avec la rapidité de l'éclair sur tout le
pourtour de la Méditerranée, mais il lui
a suffi de quelques jours pour atteindre
l'Europe. Le siècle des Lumières s'était
mis en mouvement à l'école de libelles
retentissants. Le genre renaît avec le
manifeste de Stéphane Hessel, intitulé
Indignez-vous. Malgré la
platitude du propos et la médiocrité de
l'écriture, il s'en est vendu trois
millions d'exemplaires en trois mois; et
l'on a vu l'Espagne se rassembler
symboliquement sur la Puerta del Sol
sous le signe des "Indignados" -
les Indignés. Le Siècle des
Lumières n'est pas encore de retour, les
Indignés ne sont pas voltairiens pour un
sou, mais c'est le monde politique et
économique tout entier que les révoltés
veulent apprendre à "penser par
eux-mêmes", comme disait l'auteur de
Candide.
7 - La
spécificité politique du "printemps
arabe"
Il y a lieu de relever deux autres
traits de la spécificité qui caractérise
l'évasion de l'Europe de la prison de
son vasselage politique: d'un côté, le
réveil de la jeunesse, de l'autre, la
participation officielle des Etats
démocratiques du monde entier à
l'insurrection des peuples contre un
ordre mondial injuste. Au XVIIIe siècle,
les peuples devaient encore leur sortie
subite du sommeil à des décennies
d'insolence intellectuelle des élites
minoritaires au sein de la bourgeoisie,
de la noblesse et du clergé. Mais par
des tirs brutaux et précis, les
philosophes avaient fait changer
d'univers mental aux meilleures têtes de
l'Europe, tandis qu'au XXIe siècle, une
jeunesse privée de guides reconnus et
dignes d'écoute, mais éduquée à l'école
des techniques nouvelles de
l'information politique, est descendue
en autodidacte et sans armes dans la
rue, comme si deux mille ans d'un
irénisme officialisé, celui que
professait une école du salut de
l'humanité par la torture d'un innocent,
avait gravé une potence dans
l'inconscient collectif de notre espèce
et y étaient devenus un capital
héréditaire du mythe de la libération du
monde par la souffrance récompensée.
Quant à l'engagement des gouvernements
démocratiques aux côtés de
l'insurrection, il résulte de la prise
de pouvoir stupéfiante d'une population
arabe qui traîne tous les Etats comme un
bœuf au bout d'une corde. Le même
phénomène avait conduit la Grèce de
l'âge des monarchies chtoniennes au
règne de l'agora, puis la Rome des
patriciens à l'ascension continue et
massive du petit peuple. Mais autant la
démocratie romaine a vu les tribuns de
la plèbe se muer en généraux césariens,
puis en démagogues impériaux, autant la
démocratie moderne exclut l'ascension
des tyrans, tellement les chefs d'Etat
que le suffrage universel hisse
brièvement au sommet des Républiques se
trouvent, du moins en Europe, réduits
d'avance au rôle d'acteurs dont les
masses scrutent heure par heure la
gestuelle ou la pantomime sur une scène
cruelle aux fantoches - celle d'un monde
démocratique éclairé d'une crue lumière.
8 - Le sionisme
Mais la
scène s'est élargie bien davantage qu'il
n'y paraît, parce que le vasselage de la
planète en appelle désormais à une
réflexion anthropologique sur la
politique et l'économie. Dans ce
contexte, il ne sera pas inutile de
retrouver un vocabulaire de la servitude
que connaissait encore le petit Larousse
illustré de 1956, où l'on pouvait lire,
comme dans le Littré", "faire
vasselage, réduire à l'état de vassal".
A ce titre, non seulement le naufrage
terminal de l'évangélisme politique dans
l'utopie marxiste n'a évidemment pas
guéri le capitalisme des vices mortels
que le prophète du prolétariat mondial
avait diagnostiqués avec tant de sûreté;
mais, depuis 1989, la maladie s'est
cancérisée au galop, de sorte que le
monde entier "fait vasselage" à
l'école d'un servage plus inguérissable
que les précédents. En vérité, le
capitalisme bancaire a inventé des
formes entièrement nouvelles de la
servitude. Aussi, la sortie de l'Europe
de la domestication se déroule-t-elle
sur deux fronts, celui du combat, jour
après jour, pour la reconquête de la
souveraineté des nations qui la
composent et celui d'une mutation
cérébrale du capitalisme quasi
irréalisable dès lors que le refus de l'idyllisme
politique des ignorants a fermé les
portes aux espérances de la sottise.
Pour observer le premier champ de
bataille du tragique, celui des
illusions perdues du roman rose , il
faut analyser la connexion continue et
réfléchie qui s'établira entre le réveil
des héros d'un monde arabe encore
désarmé et les entreprises d'un nouvel
et gigantesque occupant de la scène
internationale, le sionisme. Un
"printemps arabe" vaillant et qui
cherche son pas a aussitôt rencontré ce
qu'il est convenu, depuis des décennies,
d'appeler le "conflit
israélo-palestinien", comme s'il
s'agissait d'un litige ordinaire et dont
le droit international traiterait
couramment à l'école d'us et de coutumes
dûment recensés au sein de la science
diplomatique mondiale. Mais l'Egypte n'a
pas tardé à démontrer, et sans trop
tituber, qu'il ne s'agit en rien d'une
banale querelle locale; et l'on sait que
la terre entière se mobilise contre
Israël aussi bien par la médiation de
l'Assemblée générale des Nations Unies
que sous la pression d'une opinion
publique de plus en plus hostile au
sionisme sur tout notre astéroïde, parce
que le genre humain entend mettre fin à
un spectacle extraordinaire et sans
exemple dans l'histoire de l'humanité
depuis le siège d'Alesia par Jules
César, celui de l'encerclement de la
ville et du port de Gaza et de la
réduction de son immense population à la
famine.
Dans ce
contexte, je n'ai cessé de souligner
qu'à l'instar de toutes les vraies
sciences, l'anthropologie moderne se
veut une discipline critique et qu'à ce
titre, son ambition naturelle n'est
autre que de conquérir la problématique
qui lui permettra de connaître les
enjeux psychobiologiques qui
sous-tendent les retrouvailles d'Israël
avec les apories de la condition
simiohumaine dont témoigne son mythe
fondateur, celui de son "élection", donc
de sa mise à l'écart du reste de notre
espèce - séparation dont cette nation
entend bénéficier à titre viscéral.
-
M.
Benjamin Netanyahou et
l'exercice biblique du droit du
plus fort - La sociologie et
l'anthropologie philosophique,
5 juin 2011
C'est
pourquoi le "printemps arabe" ne
ressortit pas à la littérature
sentimentale : son réalisme se révèle
d'ores et déjà tellement prometteur
qu'il devient possible d'observer la
loupe à l'œil le rôle de frein et de
moteur que jouera involontairement le
sionisme dans le débâillonnement tardif
d'une Europe encore placée sous le joug
de l'OTAN et occupée par près cinq cents
bases militaires des Etats-Unis sur son
sol, mais irrésistiblement appelée à
faire tomber ses chaînes. Dans ce
contexte, pourquoi Israël croit-il
soudainement avoir intérêt à paraître se
ranger du côté des idéaux concrétisés
d'une démocratie mondiale longtemps
demeurée abstraite? Certes, il importe à
Tel-Aviv de ne pas persévérer à soutenir
à bout de bras des nababs submergés par
l'insurrection subite de leurs peuples.
Mais comment se placer sous le joug des
concepts jusqu'alors si idéalement
vaporeux de la démocratie mondialisée si
ces anges en viennent à se
substanstantifier et vous réduisent
brutalement à les prendre au sérieux? Et
pourtant, il est évident que la feinte
approbation, par Tel-Aviv, de régimes
démocratiques autrefois émaciés se
retournera fatalement contre les
ambitions territoriales du "grand
Israël".
9 - M. Alain
Juppé et Talleyrand
Pris en
étau entre des monarchies musulmanes aux
abois et la désapprobation de plus en
plus vigoureuse des chancelleries du
monde entier, qu'entreprendra Tel-Aviv
sur le terrain? On l'a compris au
spectacle du vol à tire-d'aile de
Bernard-Henry Lévy en direction du
peuple libyen, puis de sa galopade au
secours de Jérusalem menacé. Que
signifie la visite impromptue et hors
protocole de ce Pégase médiatique au
Premier Ministre israélien en personne -
et cela sous les yeux d'un Alain Juppé
ahuri de cette intrusion? Il s'agit, de
toute évidence, de doubler la politique
officielle de la France au Moyen Orient,
il s'agit de dénoncer clairement les
réticences affichées du Quai d'Orsay à
condamner l'antisémitisme du Colonel
Kadhafi, il s'agit de placer
ostensiblement le soutien encore
embryonnaire et embarrassé d'Israël aux
insurgés au coeur de la politique qui
régira les relations du sionisme avec le
monde arabe. M. Bernard-Henry Lévy est
censé avoir remis toutes affaires
cessantes un "message oral" dans ce
sens, des insurgés de Benghazi au
Premier Ministre de l'Etat juif. Mais il
ne suffisait pas de signifier au monde
entier que le peuple hébreu serait censé
combattre aux côtés du "printemps
arabe", il fallait, de surcroît, que la
Libye de demain s'affichât avant l'heure
et sans perdre un instant comme le pivot
de la future alliance de Mahomet avec
Israël le conquérant.
Mais
comment la Libye future ne
prendrait-elle pas la défense de ses
frères palestiniens. Comment ferait-elle
sécession au sein du monde arabe ?
Naturellement, un tel renversement des
alliances se révèlera un fantasme
politique, puisque l'Etat juif dont la
conquête du Grand Israël se veut la
colonne vertébrale, se montrera
nécessairement et résolument étranger
sur tout le pourtour de la Méditerranée
aux idéaux anti-colonialistes d'une
civilisation fondée sur des principes
universels, donc sur les droits des
peuples à disposer d'eux-mêmes.
L'apostolat "démocratique" d'Israël
n'est autre que celui de la conquête de
"sa" terre.
Dans ce
contexte, comment M. Alain Juppé
mène-t-il la barque de la France, quelle
est sa stratégie de la dévassalisation
progressive de l'Europe et comment
juge-t-il la situation au Moyen Orient?
Premièrement, il a clairement compris
que la difficulté à surmonter
ressemblait fort à celle que Talleyrand
avait rencontrée au Congrès de Vienne en
1815, quand les puissances victorieuses
du Premier Empire entendaient réduire la
France à un rang subalterne et la
contraindre à "faire de la figuration",
comme on ne disait pas encore. Aussi
Talleyrand avait-il déclaré d'emblée
qu'il ne participerait en rien aux
négociations et que les décisions qui
seraient prises par le congrès
demeureraient autistes aussi longtemps
que la Russie, l'Autriche, la Prusse,
l'Angleterre n'auraient pas
solennellement reconnu l'intangibilité
des principes sacrés dont leur religion
se réclamait en paroles, mais auxquels
ils attribuaient néanmoins leur victoire
- le principe de la légitimité des Etats
monarchiques et de droit divin, seul
fondement inattaquable et céleste des
négociations de paix.
C'est cela que Talleyrand leur rappelait
maintenant en théologien de leur propre
victoire sur la Révolution française, et
les alliés avaient été mis de but en
blanc devant le vide théologique
terrifiant que la France d'un mécréant
de génie aurait imposé à leur conscience
vaticane si elle s'était proclamée
présente corporellement, mais
spirituellement absente au nom du
sublime chrétien, celui du seul ciel
insurpassable, parce que révélé. Du
coup, la France vaincue sur la terre
s'était vu conviée, au nom du triomphe
de Jésus-Christ et de son père dans le
ciel, à s'asseoir à la table des grands
et à jouer pleinement son rôle de grande
puissance au sens d'une religion fondée
sur l'incarnation de la vérité divine.
La souveraineté inaliénable et céleste
des Bourbons retrouvait toute sa place
sur la terre. Puis, le diplomate du
sacré concluait avec la Prusse,
l'Angleterre et l'Autriche une alliance
souterraine qui, dans les coulisses de
la pièce, faisait de la France le pilote
invisible et tout-puissant du Congrès.
M. Alain
Juppé n'ayant bénéficié d'aucune
initiation anthropologique aux secrets
théologiques de la politique mondiale ne
dispose pas du recul d'une science des
masques sacrés qu'arbore l'humanité,
mais dont l'ex-évêque d'Autun, l'abbé
Sieyès, Richelieu et Mazarin, faisaient
d'instinct un si savant usage; mais le
titre de docteur en théologie et en
droit canon n'est plus nécessaire pour
comprendre que M. Barack Obama s'est
nécessairement conformé au type
d'ensorcellement de la vie onirique de
la politique qui régit l'inconscient
religieux d'un empire de confession
protestante. C'est donc à ce titre qu'il
s'est bien gardé de seulement citer le
rôle de la France et de l'Europe dans
son discours devant le Congrès du 25 mai
2011, qu'il a entièrement consacré à
réserver à son pays et à lui seul la
gestion du "printemps arabe" et du
conflit du Moyen Orient.
10 - La France et
la science théologique de la politique
Et
pourtant, en proposant la tenue d'une
conférence diplomatique mondiale à
Paris, afin de traiter dans la capitale
de son pays la conduite d'un univers
désormais régi par la foi démocratique,
M. Alain Juppé s'est placé en héritier
de Talleyrand sur l'échiquier de la
planète du sacré d'aujourd'hui ; et il
est parvenu à faire accorder non
seulement l'existence diplomatique au
continent européen sur cette terre, mais
il a raflé d'avance et nécessairement
une grande partie de la mise ; car il
savait bien que M. Benjamin Netanyahou
confirmerait roidement le même refus
catégorique de son gouvernement de
négocier avec le Hamas qu'il avait
signifié au monde le 26 mai dans une
semonce retentissante au Congrès
américain, alors que M. Barack Obama se
trouvait en escapade à Londres et à
Deauville. Il était donc certain
qu'Israël s'enferrerait encore davantage
dans son tartuffisme démocratique et que
la France en serait renforcée en
septembre, en raison du plus grand appui
encore de l'opinion internationale dont
elle allait bénéficier. A laisser la
bride sur le cou à Israël, la décision
irrévocable de l'Assemblée générale des
Nations Unies de fonder à toute allure
un Etat palestinien souverain en serait
hâtée et sa légitimité irréfutablement
démontrée.
Quant au risque qu'Israël accepterait,
même provisoirement et par ruse, une
négociation nécessairement sans issue
avec deux partenaires rendus
définitivement non éjectables l'un et
l'autre - les Etats-Unis et l'Europe -
M. Alain Juppé savait, comme il est dit
plus haut, qu'il s'agirait seulement
d'une obstruction de plus de l'Etat
juif, de sorte que la notion même de
succès ou d'échec diplomatique de la
France sur l'échiquier du Moyen Orient
prenait d'avance le sens diplomatique
exclusif d'imposer notre présence sur la
scène internationale. Le blocage
ultérieur et prévu des pseudo
négociations ne serait jamais qu'un
trompe l'œil diplomatique, le seul but
réellement poursuivi ayant été
pleinement atteint. Tout Ministre des
affaires étrangères obéit au premier
devoir de servir son pays sur la scène
internationale et, ce faisant, de mettre
sa vocation au service de la paix du
monde - et c'est ce rôle "apostolique"
que Talleyrand était parvenu à faire
jouer aux Bourbons vingt-six ans après
la prise de la Bastille.
Naturellement, si Tel-Aviv s'est donné
le luxe de ne pas réserver d'emblée un
accueil négatif et glacé à la
proposition du Talleyrand français,
c'est seulement comme le Quai d'Orsay
l'avait prévu jusque dans les détails,
parce que le Département d'Etat
américain allait fatalement décharger
son allié hébreu de cette corvée, ce qui
s'est produit dès le lendemain. "Le
sort de l'initiative française est
scellé à la suite des déclarations de
Mme Hillary Clinton en notre faveur"
a aussitôt déclaré Tel-Aviv. Mais la
problématique réelle dans laquelle M.
Alain Juppé a placé l'échiquier de son
pays demeurait intact, primo
parce que la France s'est installée à la
table des négociations et s'y est rendue
inamovible, comme en 1815, secundo,
parce que l'Amérique demeure paralysée
par la feinte naïveté diplomatique, à
laquelle le lobby juif la contraint,
candeur selon laquelle les parties
concernées pourraient décider de se
rencontrer en toute innocence sur les
lieux, alors que, même dans ce cas,
aucun résultat tangible ne saurait en
découler, tertio, parce qu'Israël
courra fatalement - et pour des raisons
psychophysiologiques - vers l'abîme.
-
M. Benjamin
Netanyahou et l'exercice biblique du
droit du plus fort
, 5 juin 2011
quarto,
parce que le jour viendra où les
Palestiniens se mettront tout simplement
en marche en direction de leur patrie et
sous les yeux admiratifs des cinq
continents, quinto, parce que la moitié
des Israéliens se sont déjà procuré un
second passeport afin de s'assurer un
point de chute dans la prochaine
diaspora, sexto, parce que la communauté
juive américaine s'organise afin de les
accueillir.
Certes,
des milliers d'Israéliens voient
clairement le danger; et ceux-là
descendent dans la rue pour demander la
cessation de la construction des
colonies en Cisjordanie - mais, en 70
après Jésus-Christ, le parti de la paix
s'était également et en vain opposé au
nationalisme des Zélotes. L'historien
Flavius Josèphe, qui faisait partie des
"manifestants" de l'époque, n'avait eu
la vie sauve que par l'intervention des
Romains.
11 - Un nouveau
"Connais-toi"
Mais l'on voit que la libération de
l'Europe suivra nécessairement un cours
parallèle à l'évolution des relations
que le monde arabe de demain
entretiendra avec les restes ou les
ruines d'Israël. D'un côté Washington se
trouvera longtemps encore en position
d'otage de la communauté juive
américaine; puis, les juifs de France se
trouveront entraînés à leur tour dans la
tourmente. Alors seulement un débat de
fond deviendra inévitable concernant la
double nationalité de fait dont ils
jouissent depuis la création de l'Etat
d'Israël en 1947 et qui les a soumis à
un déchirement intérieur entièrement
nouveau.
Mais paradoxalement, leur schizoïdie est
comparable à celle qui frappe toute
l'élite intellectuelle et politique de
la France depuis 1945, puisque
l'aliénation atlantiste se révèle d'une
force et d'une constance quasiment égale
à celle que l'Allemagne aurait exercée
si Hitler avait gagné la guerre. Il ne
faut pas oublier que la Gaule est née de
l'occupation romaine et que
l'inconscient de notre nation en demeure
marqué depuis deux mille ans. Aussi le
franchissement des obstacles que le
Vieux Monde ne manquera pas de
rencontrer sur le chemin caillouteux du
desserrement progressif de l'étau de sa
propre vassalité, ce franchissement,
dis-je, dépendra de l'armure cérébrale
que la politologie mondiale se sera
façonnée à l'écoute d'une anthropologie
du sacré.
Il
faudra donc approfondir au préalable une
science demeurée superficielle, celle de
la connaissance des arcanes de
l'encéphale politique d'une espèce que
son évolution a scindée schizoïde à
titre héréditaire. Cela signifie qu'une
révolution politique de grande envergure
et qui tentera de rendre intelligible
l'histoire du XXIe siècle empruntera une
fois de plus et nécessairement le chemin
d'une révolution proprement cérébrale.
Cette nécessité a déjà été expérimentée
par deux fois: il a fallu changer
radicalement de cosmos pour remplacer
les dieux anté-homérique par le casque
et la lance de la déesse des
philosophes, Athéna, et un second séisme
mental s'est révélé indispensable pour
substituer aux trônes de droit divin une
monarchie non moins flottante et
onirique que la précédente, celle d'une
raison censée autonome, mais
ridiculement supposée majoritaire par
nature. Néanmoins, le mythe d'une raison
censée inspirée par le souffle
para-divin des majorités présente encore
de nos jours l'avantage décisif de
délégitimer du moins et définitivement
tous les ciels antérieurs.
Ce sera la découverte de l'impossibilité
psychobiologique d'Israël de jamais
renoncer à la vocation messianique,
sotériologique et rédemptrice inscrite
dans ses gènes - donc l'impossibilité,
pour ce peuple, de se confiner un jour
dans les frontières étroites et
définitives d'un Etat fossilisé par son
cadastre, qui contraindra M. Alain
Juppé, Mme Clinton, le Hamas, le Fatah
et les élites dirigeantes du monde arabe
de demain de se demander de ce qu'il en
est du cerveau biblique du "bûcheron
d'Isaïe".
-
M. Benjamin
Netanyahou et l'exercice biblique du
droit du plus fort,
5 juin 2011
Pourquoi
le peuple élu n'est-il sédentarisable
que sur la terre mythique qu'il a
demandé à son idole de lui accorder?
12 - Une question
à poser aux écologistes
Mais
c'est dire également que l'Europe de la
pensée critique de demain, celle qui
sera vouée au décryptage anthropologique
de la généalogie des dieux, ne se
libèrera de la servitude politique
attachée à la tutelle américaine depuis
1945 que si une révolution post
cartésienne la conduit à une mutation
des mentalités économiques actuelles .
Pour l'heure le progrès mondial des
techniques ne dépend encore que fort peu
de découvertes proprement scientifiques,
mais presque exclusivement des
conditions économiques de leur accueil
ou de leur rejet par telle ou telle
société, tellement l'essentiel demeure
le jugement que les investisseurs
financiers portent sur leur rentabilité
immédiate ou à brève échéance.
C'est
ainsi que, dès 1945, il aurait été
possible de produire l'électricité à
usage civil par le moyen de centrales
nucléaires infiniment plus économiques
que les centrales au charbon ou au fuel.
En Allemagne Werner Heisenberg avait
refusé d'expérimenter plus avant la
désintégration de l'uranium au-delà de
ce qu'on appelait la "masse critique".
Il était même allé secrètement rassurer
le grand Niels Bohr, son premier maître:
lui vivant, lui avait-il dit, jamais
l'Allemagne de Hitler n'entrerait dans
la voie qui aurait fatalement conduit le
pays à remettre une arme atomique entre
les mains d'un dictateur. Aussi les
savants allemands de bonne foi qui
l'entouraient avaient-ils été stupéfiés
et terrifiés par l'explosion
d'Hiroshima, qui leur démontrait qu'une
démocratie dûment évangélisée par ses
idéalités avait fait froidement le choix
militaire inverse du leur. On sait que,
depuis lors, la démocratie séraphique et
la tyrannie cynique se partagent la même
arme, comme Bunuel l'avait prédit avant
tout le monde. Mais il aura fallu
attendre le choc pétrolier de 1977 pour
que l'Europe se convertît massivement à
l'exploitation industrielle d'un type de
domestication pacifique de l'atome
devenu impératif pour des motifs
exclusivement économiques.
Ce n'est
pas le lieu d'évoquer plus avant et en
historien de l'atome un aspect de la
question devenu anachronique aux yeux
des physiciens d'aujourd'hui. Je
m'excuse de renvoyer mes lecteurs que le
sujet intéresserait aux trente deux
colonnes que j'ai bien modestement
consacrées dans l'Encyclopedia
Universalis de 1972 à exposer ma
philosophie de la physique mathématique
et ma définition de la notion, alors
demeurée inconsciemment théologique, de
"loi naturelle", puisque mes vues de
l'époque sont aujourd'hui unanimement
partagées par la communauté scientifique
internationale.
Voir :
-
Science
et philosophie,
(Encyclopaedia Universalis)
1974
13 - Une option
nouvelle
Mais aujourd'hui, un nouveau tournant a
été pris : la Suisse et l'Allemagne ont
décidé les premières de renoncer
progressivement à exploiter la
désintégration de l'uranium enrichi et
la majorité des Français a tout de suite
fait le même choix, parce que le danger,
premièrement, d'exposer la planète à des
catastrophes comme celles de Tchernobyl
ou de Fukushima, secondement,
l'imprudence d'accumuler une masse
immense de déchets qui demeureront
radioactifs pendant des siècles, ces
deux périls, dis-je, placent la science
mondiale à une nouvelle croisée des
chemins. Ou bien un consortium de
banquiers et d'industriels incultes
domineront les institutions des
démocraties modernes et l'encéphale
sous-informé des classes dirigeantes,
pour ne rien dire des députés attentifs
seulement à assurer leur réélection et
cette ploutocratie réduite à quelques
têtes imposera aux Etats la mise en
service de centrales nucléaires au seul
bénéfice de leurs intérêts financiers à
court terme - ou bien, on recourra avec
des mines d'écologistes en prières à la
fabrications d'éoliennes et de panneaux
solaires, alors que tous les physiciens
de la planète savent fort bien qu'il
serait possible de produire de
l'électricité à un prix de revient sans
concurrence par le simple recours à la
mise sous pression de la vapeur d'eau
qui permettait aux locomotives
d'autrefois de tracter des milliers de
tonnes à une vitesse qui, en Angleterre,
s'était élevée à deux cents kilomètres à
l'heure dès 1937.
Mais
faute d'une philosophie démythifiée et
désacralisée de la théorie physique,
toute la communauté savante demeurera
fascinée par la découverte des ultimes
secrets de l'atome; et elle éprouverait
le sentiment d'une régression
technologique inacceptable si elle
revenait à la vapeur d'eau des ancêtres.
Et pourtant, les faits sont aussi
simples qu'irréfutables: si vous
chauffez de l'eau à l'aide d'une source
d'énergie dont la consommation obéira à
une simple progression arithmétique
- celle de l'énergie électrique produite
par le réseau civil - alors que
l'énergie accumulée par l'augmentation
immense de la pression de l'eau
vaporisée sera géométrique, donc
exponentielle, vous produirez une
puissance incalculable par nature. Qui
peut soutenir que si dix tonnes d'eau
portées à ébullition par la combustion
du charbon dans des réservoirs étanches
suffisent à produire l'énergie
fantastique dont usaient les locomotives
du XIXe siècle, cinq cents tonnes ou
davantage vaporisées par le courant
électrique dans des cuves d'acier cent
fois plus résistantes que celles des
machines à vapeur ne produiraient pas
une énergie incalculable? Comparez
seulement l'énergie produite par
l'explosion continue de l'essence dans
le moteur de votre voiture avec celle de
l'étincelle électrique microscopique qui
la déclenche et vous obtiendrez une
relation mathématique encore calculable,
donc inférieure à celle, infinie, de la
vapeur mise sous pression dans
d'immenses centrales hydrauliques. Il
faut donc que vous considériez cette
dernière comme une manière d'explosion
ralentie, persévérante et d'une
puissance illimitée.
14 - Le prurit de
la frustration technologique
Quant à
la prétendue régression vers un
obscurantisme technologique,
l'assemblage sur des lieux appropriés
des pièces les plus pesantes de
gigantesques réservoirs d'acier dans
lesquels la pression de la vapeur
dépassera des centaines de fois celle
des réservoirs tubulaires des
locomotives à vapeur des XIXe et XXe
siècle, elle exigera un savoir-faire à
acquérir. De plus il faudra recueillir
la vapeur sous pression au sortir des
turbines et la condenser afin de
disposer continument d'eau bouillante à
réinjecter dans les cuves afin de
limiter au maximum la consommation de
l'eau et de maintenir la masse de la
vapeur à un niveau de compression
relativement constant. Mais qui ne voit
que la quantité d'électricité produite
demeurera nécessairement proportionnelle
à la simple résistance des cuves, ce qui
donnera aux centrales à vapeur un avenir
dont on ne voit pas les limites. On a
oublié que le XIXe siècle a découvert la
première énergie mécanique infinie, donc
supérieure à la puissance de l'explosion
atomique elle-même.
-
Modestes
propositions post-nucléaires,
20 mars 2011
-
Un meurtre d'Etat,L'assassinat
d'Oussama Ben Laden,
15 mai 2011
-
Civilisation
et raison, L'Europe des dieux morts,
13
mars 2011
Aussi la
vapeur sous pression n'a-t-elle été
abandonnée que pour des motivations
économiques erronées: l'invention du
moteur électrique a fait croire à tort
que la production de l'électricité
serait rendue presque gratuite et à
jamais par l'exploitation d'immenses
barrages hydrauliques dont la
rentabilité compenserait rapidement le
coût exorbitant à première vue de
l'électrification du réseau ferroviaire
mondial. Mais les barrages n'ont bientôt
plus suffi à satisfaire les besoins sans
limites de la consommation civile; et si
la terreur nucléaire fait danser le
monde sur un volcan, il faudra bien se
décider pour une solution moins
dispendieuse que le vent et le soleil,
qui quadruplent le prix de revient du
nucléaire. Une fois de plus, ce sera
l'économie qui fera entendre raison à la
civilisation dite de la raison. Aussi
tout cela s'est-il d'ores et déjà
déclenché, tout cela est-il en marche,
tout cela va-t-il son chemin,
simplement, parce que la sortie du
sommeil de quatre cent millions d'Arabes
rend parallèle le désassujettissement
politique de l'Europe et le
désassujettissement des peuples d'Allah.
Publié le 12 juin
2011 avec l'aimable autorisation de
Manuel de Diéguez
Les textes de Manuel de Diéguez
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