Décodage anthropologique en direct de
l'histoire contemporaine
M. Hollande sous
la lentille de l'anthropologie critique
Manuel de
Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 12 janvier 2013
Lettre à Mme Aurélie Philippetti,
Ministre de la Culture
Madame le Ministre,
Longtemps
les galériens de la pensée critique et
l'Etat sont demeurés à couteaux tirés
dans l'arène de la politique. Comment en
aurait-il été autrement? Quand
l'astronomie scellait avec le sacré une
alliance assermentée par une théologie
et qu'une confession de foi se voulait
l'encéphale des peuples en action sur la
terre, comment voulez-vous que la
philosophie partageât ses travaux avec
l'errance d'une humanité agenouillée?
Mais au cours des XVIIe et XVIIIe
siècles, le trône, l'autel et Voltaire
ont commencé de se protéger les uns les
autres de leurs prosternations
réciproques et l'auteur de Candide
a pu rédiger Le siècle de Louis
XIV, puis Le siècle de
Louis XV, puis défendre Calas
sans se trouver consumé sur les bûchers
de la piété. Enfin le XIXe a vu la
République se ranger sans sourciller du
côté de Darwin et le XXe siècle ordonner
à la France de rester stoïque devant
l'offensive des explorateurs les plus
redoutables du continent de
l'inconscient de la politique. Et que
dire du naufrage de l'espace et du temps
dans une multitude de dimensions non
euclidiennes de l'univers, ce qui a
laissé la Gaule de la géométrie des
ancêtres bouche cousue, mais l'arme au
pied!
Par bonheur, le XXIe siècle connaîtra
deux révolutions périlleuses pour tous
les Etats, celle d'une science
historique ouverte à la postérité de la
découverte de l'évolutionnisme et,
parallèlement, celle d'une anthropologie
critique enracinée dans les
enseignements de la zoologie. Ces
mutations trans- coperniciennes de la
psycho-biologie demanderont à la rue de
Valois une pesée de sang-froid des
relations que l'exécutif entretiendra
avec les bagnards de la dialectique,
tellement il ne sera plus possible
d'observer notre espèce sans placer
résolument les chefs d'Etat du monde
entier sous la lentille d'un microscope
accusateur. L'humanisme nouveau
radiographiera la boîte osseuse des
acteurs de la pensée collective et il
observera leur rôle de propagateurs
assermentés des erreurs partagées par un
siècle entier.
Pendant plus de cinq ans, j'ai observé
M. Nicolas Sarkozy au télescope de la
simianthropologie de demain. Mais si le
premier président de la cour de
cassation se livrait à des facéties, à
des grimaces et à des gamineries en
pleine audience, on lui rappellerait
sans doute gentiment les rites et les
coutumes qui conviennent à la majesté de
la plus haute instance judiciaire de la
France, tandis que si un Président de la
République gravit les marches de
l'Elysée en culottes courtes et sous
l'œil de verre des caméras,
l'anthropologie critique étend bien
davantage le champ de ses investigations
- sa vocation la contraint à
diagnostiquer la pathologie des Etats
décorsetés où les comportements
consubstantiels à l'exercice des
fonctions officielles ne sont plus
respectés.
Aujourd'hui M. Hollande se présente à
son tour dans le champ de vision des "grandeurs
d'établissement " de Pascal, parce
que la politique des nations est
condamnée à s'en revêtir; mais sa parure
publique appelle un autre angle de prise
de vues de la réflexion sur l'esprit
d'apparat des civilisations et sur les
relations qu'elles entretiennent avec le
style qu'affichent les cérémonies
solennelles. Car, comme il est dit plus
haut, l'heure a sonné au beffroi du
"Connais-toi" de spectrographier les
neurones des chefs d'Etat en exercice,
alors que la Ve République n'est pas
encore préparée à aborder avec
sang-froid un tournant aussi dangereux
de la recherche anthropologique sur les
ressorts intimes de l'action publique.
Et pourtant, le territoire ouvert à
Socrate est devenu tellement planétaire
que l'étude de l'évolution cérébrale de
notre espèce se situe au cœur de
l'observation du champ que le
politologue d'avant-garde partage
désormais avec l'historien de notre
boîte osseuse . Comment le calibrage de
l'encéphale des dirigeants sommitaux des
nations ne se placerait-il pas au
premier rang de la pesée du politique,
puisque, sans une sûre estimation de la
nature et du fonctionnement du logiciel
central des Etats, l'anthropologie
critique quitterait sur l'heure le
territoire entier de la mémoire du
monde? J'ai donc observé M. Hollande
comme un témoin des ressorts et des
rouages de la conque osseuse de la
France d'aujourd'hui.
Pourquoi
la présente lettre au Ministre chargé de
porter les couleurs de l'intelligence de
la nation et de son esprit sur la scène
internationale? Parce que le devoir des
empoisonneurs publics - on les appelle
des philosophes - est de faire boire la
ciguë de la vérité aux citoyens. Or,
cela ne se peut que si les hautes
instances de l'Etat ont été informées au
préalable de la situation culturelle et
politique insolites dans laquelle la
pensée moderne placera le pouvoir
exécutif au sein des républiques. C'est
pourquoi il est plus décisif que jamais
de peser la responsabilité proprement
intellectuelle de conduire la politique
du Ministère fondé par un rameur de
fond, André Malraux. Par chance, cette
charge appartient de nouveau à un
écrivain. "Vous êtes du bâtiment"
disait Degas au jeune Toulouse-Lautrec
au terme d'une visite longue et
attentive de la première exposition de
l'infirme de génie. Dans la bouche de
Degas, "être du bâtiment",
c'est-à-dire se trouver informé des
chemins de la création, était le plus
décisif.
Aujourd'hui, si clopinants que soient
les premiers pas de l'anthropologie
critique dont je tente d'exposer la
problématique et les méthodes sur ce
site depuis plus de douze ans, je
demande, par le canal de votre
médiation, à la République "en
personne", si je puis dire, quelle sera
sa politique à l'égard d'une recherche
des sciences humaines dont les
examinateurs les plus avertis me disent
avec insistance que les chefs d'Etat des
démocraties deviendront nécessairement
les principaux témoins de ses
boitillements.
Certes, il est impossible de comprendre
notre époque si l'on n'a pas en tête les
étapes du lent naufrage de Rome - et
Montesquieu lui-même n'a pas retenu les
principaux enseignements de
l'engloutissement de l'empire de la
Louve. Il est donc inévitable que mes
analyses se situent sur le terrain à la
fois paradigmatique et tâtonnant de la
mort politique de l'Europe.
Mais, mon portrait emblématique de M.
Hollande ne serait pas rationnel s'il
était approbateur ou désapprobateur de
la température particulière à cet acteur
de l'histoire; simplement, je tente
d'introduire dans le champ d'observation
du philosophe et de l'historien des
effigies singulières, mais qui ne sont
pas à juger en tant qu'individus, mais
seulement en tant que signes d'une
ossature et d'une musculature
collectives. Un homme d'Etat est un
signifiant ambulant, donc un porteur de
la symbolique nationale qu'il véhicule.
A ce titre, ou bien la République
acceptera que de nouveaux documents
allument la lanterne diogénique des
sciences humaines ou bien elle
retournera, sous d'autres formes, au
siècle où Ptolémée dictait sa
signalétique du ciel à la civilisation
chrétienne.
Vous voyez, Madame le Ministre, combien
il est décisif que vous soyez du
bâtiment.
1 - L'Eglise
démocratique
Prenez la tribu la plus "primitive" que
vous pourrez trouver - il en subsiste
quelques-unes en Australie et au Matto
Grosso - et observez comment un sorcier
plus impérieux de la voix et du menton
que ses collègues se hisse au pouvoir
par les sortilèges auxquels il s'est
longtemps exercé et voyez avec quel art
il parvient à convaincre ses congénères
médusés que, sitôt élu, il fera tomber
du ciel des ondées abondantes et
fécondes. Sans doute vos constats
d'anthropologues préprogrammés vous
interdiront-ils d'interpréter la suite
des évènements; et peut-être
demeurerez-vous dans l'incapacité de
vous expliquer pourquoi les quelques
spécimens devenus relativement réflexifs
au sein de la communauté se
rassembleront à leur tour et feront
chorus avec la foule en colère, qui
reproche amèrement au magicien de ne pas
tenir ses fabuleuses promesses de
campagne; car l'azur désespérément
asséché se rit des index accusateurs
pointés contre lui.
Or, la
mésaventure des poings levés vers les
nues et des sorciers dépités est arrivée
à MM. Mitterrand, Chirac, Sarkozy et
aujourd'hui à M. Hollande - mais seul M.
Sarkozy avait commis la piteuse
imprudence d'avouer aux peuplades du
Matto Grosso qu'on "fait des
promesses pour être élu" et
qu'ensuite elles chargent votre hotte du
fardeau des trompeurs et des menteurs.
Mais
quel est le sens des verbes tromper
et mentir? Il est des
circonstances où les commentaires
stratégiques, économiques,
sociologiques, juridiques et même
éthiques de l'actualité politique dont
se nourrissent les conventions et les
usages culturels trompeurs d'une époque
révèlent si bien l'inintelligibilité du
torrent menteur de l'histoire que le
besoin s'impose soudainement à
l'intelligentsia - même de second rang -
de métamorphoser la problématique
banalisée, la méthode faussement
universalisée, la logique apprise et les
comparaisons factices de la raison et de
l'argumentation traditionnelles.
2 - Les vœux
pieux de M. Hollande et l'anthropologie
critique
Cependant, les vœux que M. Hollande a
fort dévotement présentés aux croyants
convaincus le 1er janvier 2013
illustrent une originalité théologique
de la piété démocratique, et cette
nouveauté catéchétique permet
d'approfondir et de nuancer la
connaissance anthropologique de la
sainteté bien récitée dans laquelle les
peuples de la liberté demeurent plongés
sous toutes les longitudes et toutes les
latitudes du globe terrestre: car c'est
exclusivement au sorcier sommital de
l'église de la justice terrestre qu'on
demande désormais de promettre à la
foule rassemblée de faire tomber des
averses de bienfaits, mais sans qu'on
lui tienne davantage rigueur qu'au
successeur de saint Pierre de ne tenir
en rien les promesses sacerdotales de
son pontificat, parce que la fonction
d'augure suprême du salut démocratique
qu'exercent les acteurs mondiaux des
grâces de 1789 est précisément de
prononcer des incantations plus
énergiquement délivrantes que celles
d'une foi exténuée par des siècles de
succulence de l'immortalité promise. Le
rôle principal du libérateur en chef
qu'on aura élu conformément aux rites
d'apprentissage du salut sera
d'orchestrer au profit des citoyens de
la raison les responsabilités
temporelles de la démocratie ecclésiale
et de répandre urbi et orbi les
prébendes éternelles du verbe de la
Liberté. La clémence pré-adamique dont
la démocratie messianique est censée
témoigner à l'égard des nouveaux
innocents aux mains pleines aura conclu
un pacte aussi auguste que le précédent
avec la parole impérieusement
évangélique du sorcier des vannes du
ciel de la Justice et de la Liberté.
3 - Le Président
de la République est assis sur un
tonneau de poudre
La preuve la plus irréfutable de ce que
la détermination apostolique et
l'éloquence doctrinale dont le magicien
en chef de la sotériologie prégustative
a témoigné dans l'abside de la
cathédrale républicaine des droits de
l'homme sont devenues effectivement les
clés d'une ecclésiocratie nouvelle au
sein des nations civilisées, cette
preuve, dis-je, n'est autre que la
bienveillance sacerdotale avec laquelle
toute la classe dirigeante est devenue
unanimement et tout soudainement
bénédictionnelle. Pourquoi s'est-elle
bien gardée, cette fois-ci, de lever un
poing vengeur vers le ciel du
convertisseur dont le tour est venu de
tenir la barre des affaires de l'Eden?
Au contraire, tout le monde s'est
prosterné devant les hosties des
idéalités endormies, mais censées en
marche sur la terre, tout le monde a
plié le genou devant le nouveau pain du
ciel, mais tout le monde sait fort bien
que le capitaine n'inversera pas la
"courbe du chômage" le moins du monde,
ce qui n'enlève rien, semble-t-il, au
mérite évangélique et au courage
catéchétique du grand prêtre, parce que
le suffrage universel ensommeillé qui l'
a placé au gouvernail des vociférations
de 1830 et de 1848, s'est mis à l'écoute
des berceuses scolarisées d'une religion
de la Liberté dûment institutionnalisée
et installée à jamais à la tête de
l'Etat.
Mais le temps des espérances politiques
confites en liturgies et patenôtres ne
cesse d'abréger sa course. La revanche
des rites de la messe sur l'élan
évangélique des origines a duré onze
siècles, de saint Augustin à Luther et
Calvin. Puis l'endormissement du
protestantisme dans la grande industrie
allemande et dans le culte de l'usure
bancaire a été tellement rapide que les
encyclopédistes déploraient déjà de ne
trouver aucun appui aux guerriers de la
raison du siècle des Lumières dans les
rangs des successeurs de l'ardent
iconoclaste de Genève. A peine
l'intelligence de Voltaire s'était-elle
assoupie à son tour que Karl Marx
rallumait les feux de l'utopie. Enfin la
foi du clergé mondial du salut - on
appelait le prolétariat - s'est éteinte
en 1989 à l'occasion de la chute d'un
emblème bétonné, celui de l'alliance du
rêve avec la dialectique. Puis, à peine
un quart de siècle après le retour des
icônes à Moscou et des milliardaires
russes de 1900 sur la Croisette, le rire
et la folie étouffés de l'espérance
démocratique ont fait entendre des
grondements sourds et persistants dans
les profondeurs de la terre ; et les
bénédictions pastorales de M. Hollande
l'ont montré assis sur un tonneau de
poudre.
4 - Ridicule
militaire et patenôtres
Qu'est-ce à dire ? Que, cette fois-ci,
ni l'espérance religieuse d'un "salut ",
ni la continuation du mythe de la
délivrance dans le fabuleux marxiste ne
vont rallumer l'incendie des rédemptions
qui scandent l'histoire du monde. En
revanche, une collusion gigantesque se
produira entre le réveil des nations et
les déflagrations de l'espérance
démocratique ; et le moteur de cette
synergie des explosions sera la
puissance sotériologique qu'exercera le
ridicule militaire. Croyez-moi, les
Germains de Tacite n'ont pas été
éradiqués de la surface de la terre,
croyez-moi, le ridicule de l'occupation
de toute la Germanie par deux cents
garnisons de l'étranger armées jusqu'aux
dents mettra Wotan en fureur,
croyez-moi, l'Italie de Cavour et de
Garibaldi cessera bientôt de rire au
spectacle de Pise, de Bologne, de
Florence, de Venise et de Naples
occupées et la santé de ce rire se
changera en fureur et en rage,
croyez-moi, il y aura une revanche de
l'espérance démocratique refoulée et de
l'espérance nationaliste étouffée. Alors
la coalescence de ces eschatologies à
nouveau associées fera d'une France
absente de tout appel aux retrouvailles
de l'Europe avec sa souveraineté perdue
un paquebot sans mât, sans voiles et
sans gouvernail. On ne passe pas
impunément au large de l'histoire réelle
du monde, on ne change pas au coin du
feu les promesses de 1789 en patenôtres,
parce que Clio n'est pas une abbesse aux
mains jointes pour la prière.
C'est dire qu'une histoire universelle
rythmée tour à tour par des litanies et
par des explosions de l'espérance
politique présente un cadre
anthropologique de nature à éclairer la
problématique de la vie et de la mort
alternées du simianthrope. C'est dire
également que M. Hollande se trompe de
prêtrise, de bénédictions et de sermon;
c'est dire, enfin, que l'accélération du
temps des nations démontre une précarité
nouvelle des parenthèses liturgiques -
l'heure a sonné où les bougies allumées
dans les sacristies cesseront d'éclairer
la planète des songes. Mais telle est
précisément la portée
simianthropologique des dévotions
exténuées de M. Hollande : le missel de
la démocratie tombe des mains des
orateurs du culte de la Liberté, parce
que le rabougrissement des temps morts
de l'histoire devient la clé d'une
géopolitique du trépas de l'éloquence de
la chaire. Telles sont les raisons
funéraires pour lesquelles les vœux
pieux de M. Hollande le montrent assis
entre les deux tonneaux de poudre de
l'espoir, tellement l'Eglise de la
République s'est fatiguée sur la meule
des idéalités vassalisées par
l'étranger.
5 - M. Hollande
et la postérité de Lucien Lévy-Bruhl
L'interprétation proprement politique de
la signification religieuse cachée des "mentalités
primitives" que Lévy-Bruhl
(1857-1939) a étudiées le premier - mais
sans qu'il ait compris en anthropologue
la logique du sacré qu'elles véhiculent
- nourrit désormais l'interprétation
rationnelle des "nourritures
spirituelles". Quelle manne, aux yeux de
la discipline du devenir de la pensée
qu'on appelle la philosophie depuis
Platon! L'ambition socratique retrouvée
d'apprendre à observer l'animalité
spécifique - donc proprement cérébrale -
d'une espèce pilotée par des
métaphysiques sera le pactole de ce
siècle!
Car il
est devenu évident que si l'homme est
une bête sui generis, sa
singularité se révèlera nécessairement
de type cérébral, ce qui signifie que le
chaos auquel ses neurones se trouvent
livrés depuis le paléolithique offrent à
l'anthropologie fondamentale son seul
champ d'observation cervical et son seul
terrain expérimental; et si cette
anthropologie-là est appelée à
bénéficier des méthodes et du statut
d'une discipline en mesure de se donner
un statut réellement scientifique, alors
la philosophie de l'universel ne
conquerra le rang d'une science que le
jour où elle disposera des armes
intellectuelles qui lui permettront
d'observer du dehors non seulement
l'animalité propre au cerveau
simiohumain, mais l'origine, la nature
et les conséquences des blocages
périodiques de l'évolution de sa boîte
osseuse.
C'est dire, de surcroît, que les vœux
inconsciemment religieux que M. Hollande
a présentés au peuple français le 31
décembre 2012 se situent au cœur des
méthodes et des analyses de l'humanisme
de demain, lequel nous conviera à
connaître réellement la machine de la
pensée qu'on appelle un encéphale. C'est
également répéter que le sacré
présidentiel démontre à quel degré, dans
la régression actuelle de son évolution,
l'encéphale simiohumain recule, horrifié
par le théâtre réel du monde dont il
s'offre pourtant timidement et pour la
première fois le véritable spectacle.
Car si cet organe s'est toujours révélé
un usurpateur chevronné, il éprouve
désormais le besoin de se réveiller et
de formuler le diagnostic post
paléolithique que ses connaissances
médicales imposent sévèrement et en
toute clarté à sa nouvelle vigilance.
6 - M. Hollande
sous la lentille de l'anthropologie
critique
Face au déchirement douloureux entre les
deux faces - la soporifique et
l'éveillée - de son encéphale, le
simianthrope schizoïde se donne, d'une
part, le réconfort de consommer sans
relâche les euphorisants cérébraux que
l'Etat et son Vatican lui distribuent
sans compter et, d'autre part, le
bienfait de paraître néanmoins
solidement campé sur la terre: d'un
côté, le malade se délecte de déglutir
les médicaments psychiques que l'empyrée
des idéalités de la République lui
fournit sans relâche, de l'autre, il
endure de garder la tête froide et de
s'affairer à préciser minutieusement les
symptômes de la maladie qu'il refuse
pourtant, dans le même temps, de
combattre d'estoc et de taille dans le
temple de la démocratie.
Dans un premier temps, le champ
d'observation de l'anthropologie
critique semble donc retrouver le modèle
sacerdotal de la théologie dormitive du
péché, qui scindait, lui aussi, le
malade - qu'on appelait la "créature" -
entre une pluie de bénédictions verbales
et le rude apprentissage des travaux et
des jours dans l'univers des pénitences
et des repentances banalisées. Mais la
scission des cerveaux dont
l'anthropologie critique scrute les
arcanes se distingue radicalement de la
dichotomie au quotidien dont les
cosmologies de la mort théorisaient la
bipolarité; car la nouvelle discipline
philosophique détecte les frontières que
les timidités congénitales à l'encéphale
simiohumain lui interdisent encore
aujourd'hui de franchir - et d'abord, la
palissade dont le renversement
conduirait au sacrilège d'un examen de
la spécificité zoologique d'une espèce
animalisée par sa cérébralisation
manquée. Car ni la classe pécheresse des
élus du peuple, ni les cohortes serrées
des "économistes distingués", ni les
sociologues traditionnels, ni
l'anthropologie paralysée par les
méthodes faussement vertueuses
auxquelles elle recourt et selon
lesquelles l'homme aurait débarqué avec
armes et bagages dans le temps d'une
histoire d'ores et déjà éveillée ne
consentent seulement au blasphème de
briser leur clôture et à enregistrer les
faits atterrants que la zoologie leur
présente.
A sa manière, l'anthropologie critique
va beaucoup plus loin dans le décapage
de la finitude simiohumaine que les
mythologies religieuses ; car cette
discipline prend le relais de Cervantès
et de Swift qui, précisément à la faveur
de la première désacralisation de la
théologie catholique, se sont révélés
les ancêtres des anthropologues actuels
de l'animalité propre à notre espèce: le
Quichotte démasque l'orgueil et la
vanité qui inspirent l'envol du saint
manqué dans un univers des idéalités qui
servaient de piédestaux au quichottisme
des chevaliers errants; et Gulliver est
tantôt un géant parmi des nains, tantôt
un nain parmi les géants mais, dans les
deux cas, il demeure un Yahou,
c'est-à-dire une bête dotée d'une
imperceptible étincelle de raison.
7 -
L'Etat actuel du malade
A sa manière, l'anthropologie critique
prend également le relais des anciens
hérétiques de la finitude simiohumaine,
en ce qu'elle relève le défi des
pionniers d'une spéléologie dont les
animaux vocalisés faisaient l'objet. Les
saints du scalpel d'Isaïe n'avaient pas
froid aux yeux; mais leurs profanations
de vomisseurs des sacrifices de sang
sont demeurés inoffensifs, parce que
leur bistouri n'a que partiellement
disséqué le cerveau dédoublé des fils
séraphiques et ensanglantés du couple
originel. Pour l'instant, les maux
attachés à leur déréliction et que M.
Hollande se propose de guérir à l'école
des incantations universelles de la
démocratie - donc des idoles
auto-propulsives qu'on appelle
maintenant des idéalités - ne sont pas
encore recensés et exposés dans la
crudité de leur psycho-pathologie sur
l'étal des offertoires et des
propitiatoires d'autrefois; le chômage
n'est pas encore reconnu pour une
conséquence sacrificielle de la
mécanisation implacable de la production
des biens et de l'inégalité de la
rémunération de la main-d' œuvre sur le
globe terrestre, l'enflure de l'autel
des Etats n'est pas encore une nosologie
ecclésiale et dûment diagnostiquée en
tant que telle par la Faculté,
l'immolation des victimes des
établissements de crédit n'est pas
encore connue comme une pathologie
financière, la disqualification continue
du niveau cérébral moyen de l'humanité
par des logiciels plus puissants que les
encéphales les plus prodigieux
d'autrefois n'est pas encore tenue pour
une mécanique cyclopéenne appelée à
éclairer la caverne du Moloch où s'agite
une espèce de plus en plus désespérée
par la gigantesque instrumentalisation
technologique de ses exploits.
Je ne signale ces quelques passerelles
en direction d'une lecture
anthropologique des théologies que pour
faciliter l'entrée des vaillants
chirurgiens de notre espèce dans le bloc
opératoire du "Connais-toi". Car
l'anthropologie post-théologique leur
fournira la balance nécessaire à une
première pesée du cerveau biphasé des
chefs d'Etat; et cette discipline les
leur donnera à observer au titre de
paradigmes de la schizoïdie collective
du siècle. Sur l'un des plateaux, ils
disposeront l'hémisphère onirique, sur
l'autre, l'hémisphère pragmatique et ils
enregistreront leurs difractions et
leurs mélanges. Car la fonction
cérébrale des chefs d'Etat les appelle à
illustrer publiquement la vêture des
spécimens les plus répandus de
l'histoire et de la politique des songes
sur la scène des représentations
oniriques du monde. Mais, pour cela,
l'analyse anthropologique de leur
gestuelle devra préciser l'état actuel
de leur bipolarité native, afin de
découvrir ensuite seulement les causes
qui rendent incurables les infirmités
originelles dont souffre une espèce
oscillante entre deux mondes
inconciliables. Les chefs d'Etat
incarnent spectaculairement cette
brisure parce qu'ils se révèlent, de
siècle en siècle, les corsetés du
cerveau nécessairement collectif qui
pilote une espèce dichotomisée de
naissance entre le monde et un langage
qui la précipite fatalement dans le
surréel et l'abstrait - j'approfondirai
ce point le 19 janvier.
8 - L'école de
Paris
Pour tenter de décrypter le
fonctionnement des gènes d'une maladie
cérébrale d'origine et de nature
psychobiologique - celle qui frappe d'un
dédoublement aporétique le vocabulaire
des chefs d'Etat actuels, comme
autrefois celui de l'ère théologique de
l'évolution de notre espèce -
existe-t-il un chemin de la pensée
critique dont le tracé conduirait à une
pesée rationnelle de la géhenne
cérébrale qu'habite un animal devenu
l'otage de sa propre bipolarité mentale?
Autrement dit, conquerrons-nous un jour
le surplomb cérébral, donc l'extériorité
distanciatrice dont notre intelligence
demeure en attente? On sait que depuis
le début du IIIe millénaire, les
anthropologues de l'école de Paris, dont
j'ai si souvent et depuis tant années
évoqué les travaux sur ce site, ont
commencé d'imposer à la science
politique mondiale et à la mémoire
historique des évadés partiels du règne
animal le recul d'une double évidence -
bis repetita placent - à savoir qu'un
bimane en cours d'évolution de son
ossature ne saurait, dans le même temps
proclamer d'ores et déjà pleinement
achevée la boîte osseuse dont son
squelette se couronne.
Douze
ans plus tard, la question a débarqué
physiquement dans la politique des
Etats-Unis avec la nomination de John
Kerry et de Chuck Hagel respectivement
au Département d'Etat et au Pentagone;
le motif officiel de ce choix n'est
autre que le rapport de leur carcasse
avec le réel et d'abord avec le trépas
de leurs congénères sur les champs de
bataille. Pour eux, "la guerre n'est
pas une abstraction", a dit M.
Barack Obama. Mais si l'anthropologie
critique soupèse le cerveau des
guerriers de l'âge nucléaire, comment ne
démontrerait-elle pas l'inanité de la
connaissance prétendument rationnelle
d'une bête tellement désarmée qu'elle
cherche en tâtonnant à se donner un
regard sur elle-même. Et comment cette
bête conquerra-t-elle l'intelligence des
rouages et des ressorts de sa demi
raison? Car le simianthrope fait encore
si maladroitement usage de sa propre
bipolarité cérébrale qu'il cherche en
vain le microscope qui lui permettra
d'observer, d'Aristote à Kant, les
composantes zoologiques du verbe
comprendre et d'isoler en laboratoire la
substance cérébrale que son intelligence
tronquée de cet animal appelle
l'intelligibilité du monde et de
lui-même? Toute la zoologie conjugue
fatalement ce verbe de travers, toute la
zoologie trébuche nécessairement sur le
théâtre de son langage, toute la
zoologie se trompe inévitablement de
système d'éclairage de sa parole et de
marque de fabrique des ampoules qu'elle
allume sur les planches de son
vocabulaire; et si, aux yeux du
Pentagone, la guerre elle-même se montre
enfin en suspens entre le réel et
l'abstrait - le biologique et le
psychique - il est temps de faire
débarquer la politique du nucléaire dans
la radiographie de l'encéphale
simiohumain.
Quelles sont les
bougies, les mèches et les chandelles du
discours qu'allume une bête sonorisée à
l'école de ses dictionnaires, donc mise
à l'écoute des oracles trompeurs que ses
énigmes lui glissent à l'oreille?
Il fallait donc, se disent les
anthropologiques de l'école de Paris,
s'interroger sur le genre de lumières et
de feux dont se sert un mammifère encore
privé de la balance qui lui indiquerait
le poids de ses vocables.
9 - Le langage
des masques sacrés
Ce n'est pas le lieu d'exposer davantage
la nature des plateaux et du fléau de la
balance que l'école de Paris a
construite.
- Voir
les
Cinquante
neuf Nouvelles Lettres persanes,
du 3 avril 2007 au 14 juillet
2007
Je dirai
seulement que si l'homme ne dispose pas
encore de l'horloge dont le cadran lui
montrerait la succession des masques
cérébraux qui l'ont motivé au cours des
siècles et qui lui ont sans cesse fait
orchestrer des raisons tout autres que
celles qui guidaient réellement sa
musique, c'est que ce bimane se trompe
de bonne foi sur ses compositions et
qu'il se ment sans seulement s'en douter
quand il recourt aux arpèges des verbes
comprendre et expliquer.
Vous remarquerez que, de nos jours
encore, la classe politique des
symphonistes de la démocratie mondiale
se croit démocratique en toute
sincérité, vous observerez que toute la
gamme des bâtisseurs d'une Europe
d'éclopés croit de bonne foi bâtir un
continent capable de tenir sur ses
jambes, vous constaterez que les
financiers internationaux portent leurs
oratorios en bandoulière, vous prendrez
acte de ce que le géant américain
confesse, la tête sur le billot, qu'il
incarne la Liberté du monde et vous ne
vous étonnerez plus de ce que le peuple
d'Israël donnerait sa tête à couper
qu'il se trouve sur ses terres.
Il faut,
disent nos décodeurs et défricheurs du
langage, apprendre ce que parler veut
dire, donc observer ce qui se passe
sous l'os frontal d'un animal non
informé des secrets de sa cécité, non
initié à la connaissance des gammes de
son ignorance, non instruit des mystères
de sa surdité et qui rêve seulement
d'entendre ses chorales résonner au
grand jour de la vérité. Comment
apprendre à écouter ce qui voudrait se
faire entendre dans les ténèbres de la
conscience, comment enseigner ce qui
voudrait se donner à chanter dans la
nuit de l'intelligence, comment
expliquer ce qui voudrait se rendre
audible dans les "voix du silence"
de l'auteur de La Condition
humaine? Depuis vingt-cinq
siècles, non seulement cet animal
s'essaie à construire la balance de la
pensée, mais il appelle philosophie,
c'est-à-dire sagesse, l'apprentissage
d'une discipline que Socrate et
Nietzsche voulaient rendre dansante et
qui ne saurait faire un pas dans sa
musique sans qu'une lumière lui montre
le chemin sur lequel elle doit chercher
son outillage et sa voix.
10 -
Le tao de la démocratie
Peut-être la clé de la démocratie
ascensionnelle de demain est-elle dans
l'espérance d'Hokusaï, qui disait, à
l'âge de quatre-vingts ans, qu'il rêvait
encore de devenir un jour un peintre.
Mais si un peintre savait déjà ce qu'il
en sera de l'art de la peinture dont il
en est réduit à tracer le chemin et si
Socrate savait déjà ce qu'il en est de
l'art du "Connais-toi" auquel son
itinéraire le conduit silencieusement,
jamais la peinture et la philosophie
n'auraient seulement commencé de tituber
sur notre astéroïde, parce que les
disciplines de l'esprit sont en route
vers l'inaccessible dont l'attente les
éclaire dans leur nuit; et si la lumière
de l'invisible cessait de les allumer en
retour, il n'existerait pas de bête
errante sur les sentiers de son évasion
inachevable de la zoologie.
Il en est ainsi de la démocratie mal
éclairée: si aucun flambeau de
l'inconnaissable ne la guidait, elle ne
se forgerait pas une voie dans les
embarras et les embûches du mythe de la
liberté. La preuve: l'anthropologie
critique n'observerait pas l'effigie
inconsciemment sacerdotale de M.
Hollande dans le miroir brisé des
théologies si l'école de Paris n'avait
pas formulé, depuis belle lurette, une
dialectique des scansions de l'histoire
universelle qui nous éclaire sur
l'angoisse et la résurrection de
l'espérance démocratique et de
l'espérance nationaliste qui placent M.
Hollande entre deux tonneaux de poudre.
Le 12 janvier
2013
Reçu de l'auteur
pour publication
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