Les défis de l'Europe
Le petit Nicolas
Sarkozy illustré (2)
L'agonie d'une civilisation
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 11 mars
2012
Le petit Nicolas
Sarkozy illustré
est un manuel d'anthropologie simple,
pratique et rédigé pour être mis avec
profit et dès le plus jeune âge entre
les mains des enfants. Il est utile à la
République qu'ils y apprennent très tôt
à observer de leurs propres yeux et à
poser eux-mêmes l'intelligence, la
culture et l'esprit civilisateur des
chefs d'Etat grands et petits sur les
plateaux d'une balance garantie par
l'autorité des meilleurs lexicographes.
Depuis
plus d'un siècle, nous disposons d'un
dictionnaire dont le titre s'est gravé
en lettres d'or au fronton du temple de
la langue française - le Petit
Larousse illustré. Mais les
linguistes ne renvoient qu'au langage,
tandis que Le petit Nicolas
Sarkozy illustré étudie les
relations que la politique entretient
avec la civilisation, l'histoire avec la
raison et l'action avec la pensée. Or,
il y a deux millénaires et demi, les
Grecs ont fait de l'intelligence
dialectique et de la réflexion logique
les instruments des civilisations
cérébralement supérieures ; et, depuis
lors, la civilisation mondiale se mesure
au degré de connaissance rationnelle
dont l'humanité témoigne à l'égard
d'elle-même. Mais comme on ne saurait
acquérir aucune science réelle de notre
espèce sans se demander comment elle se
forge des dieux sur l'enclume de son
histoire et comment elle les craint, les
vénère et les charge de l'instruire, de
la guider sur la terre et, en retour, de
la mettre à l'abri des verdicts de la
mort, les civilisations se hiérarchisent
selon la place qu'elles ont occupée sur
une échelle dont les barreaux illustrent
le degré d'avancement ou le retard
qu'elles ont pris dans la connaissance
anthropologique des personnages
cosmiques qu'elles ont enfantés.
Le petit Nicolas
Sarkozy
illustré diffère donc de l'apprentissage
des mots de la langue française en ce
qu'il s'agit d'informer l'enfant de la
nécessité de modifier au préalable la
rétine sur laquelle notre espèce se
réfléchit depuis des millénaires ; et
comme le regard que nous portons sur
nous-mêmes nous est dicté par notre
encéphale, c'est la rénovation du
logiciel de cet organe qu'il faut
déclarer d'utilité publique. Il
appartient au Ministère de l'Education
nationale d'attirer l'attention du corps
enseignant sur une publication qui
servira d'instrument pédagogique et
d'introduction méthodologique à la
science des Etats dont le peuple
français attend depuis longtemps la
publication en librairie.
Mais
pourquoi avoir choisi d'élever M.
Nicolas Sarkozy au rang de paradigme,
d'archétype éloquentissime et de
spécimen irremplaçable de la
souveraineté de la nation ? La
nécessité, pour le corps électoral,
d'acquérir une connaissance nouvelle et
abyssale des évadés actuels du règne
animal avait-elle besoin de ce matériau
expérimental? C'est que la connaissance
du cadre mental dans lequel il convient
de peser les relations que l'histoire
entretient avec la raison en appelle aux
caricatures gigantales. Créon, Gulliver,
don Quichotte, Macbeth, le roi Lear,
Orgon, le père Grandet, le Dr Faust,
autant de documents anthropologiques,
mais également de caricatures de génie,
parce que, si vous ne forcez pas le
trait, jamais vous ne connaîtrez le
personnage miniaturisé qu'il vous faut
apprendre à regarder droit dans les yeux
et qu'on appelle l'humanité.
Cette vérité est tellement irréfutable
que Zeus, Mars, Chronos ou Neptune
appellent au décryptage du type de
caricatures grossissantes que la
civilisation gréco-romaine a illustrées.
Puis, les trois dieux uniques dont
l'incohérence théologique a pris la
relève de celle de leurs prédécesseurs
se sont révélés à leur tour des
caricatures politiques de leurs
créatures. Il en résulte que les dieux
sont des metteurs en scène des
difficultés insurmontables que le droit
pénal séraphique ou torturant des
humains rencontre sur la terre.
Le petit Nicolas
Sarkozy illustré
se révèlera plus
utile encore à la nation en ce qu'il
permettra à l'instituteur d'expliquer
aux élèves de la République les
relations que l'homme d'Etat visionnaire
entretient avec la démocratie d'un coté
et le génie littéraire avec des
personnages universels, de l'autre. Si
le Général de Gaulle, par exemple, se
collète avec le même sable des arènes du
temps que les géants du symbolique se
collètent avec des destins exemplaires,
ce petit dictionnaire de la politique de
haut vol aidera les Français à armer le
civisme de la génération montante d'une
raison plus unifiante que celle dont la
gérance a conduit à la parcellisation et
à l'éparpillement des sciences humaines
du XXe siècle.
1 - Le réel et le
mythe
Les philosophes du déclin des empires
qui traiteront de l'engloutissement de
la civilisation de la pensée qu'on
appelait l'Europe observeront le sceau
de l'inexorable qui aura marqué de son
empreinte une logique de l'agonie de la
raison occidentale. Certes, il s'est
nécessairement révélé utopique de tenter
de convaincre l'auditoire immense des
peuples du suffrage universel d'élire en
connaissance de cause un guide politique
de l'Europe ; certes, on ne métamorphose
pas le messianisme sonore des
démocraties en éclaireur de l'histoire
cahotante du monde. Mais que les élites
de ce continent aient applaudi à leur
tour le bruitage verbifique d'un délire
destiné à égarer les masses signifie que
la classe dirigeante elle-même était
devenue la dupe d'un leurre scolaire
qu'on enseignait avec méthode aux
enfants dès les bancs de l'école et qui
enténébrait leur entendement leur vie
durant. Une éducation nationale
évangélisée dans l'œuf s'était rendue
complice d'un simulacre politique aussi
doctrinal que celui de l'enseignement
confessionnel antérieur à la loi de
1905.
Mais le bréviaire des droits que l'homme
est censé exercer au paradis des
démocraties aurait pu conserver
longtemps ses vertus catéchétiques si,
tout au long du XXe siècle, la pensée
rationnelle n'avait pas pris conscience
de se trouver à un tournant
anthropologique qui la contraignait à
approfondir la connaissance scientifique
du genre simiohumain. Il s'agissait
d'une mutation des sacrilèges qui
conduirait à des analyses spectrales de
la politique mondiale; et seule la
divinité en exercice fournissait une
effigie anthropologique à profaner
fructueusement. Depuis Darwin les
sciences humaines ne pouvaient plus
progresser sans se livrer à un
décryptage du regard qu'elles croyaient
porter de l'extérieur sur notre espèce,
donc sans une refonte de leur
distanciation intellectuelle pour
jardins d'enfants. Il fallait apprendre
à psychanalyser les documents pithéco-anthropologique
qu'on appelait encore des théologies.
2 - La
civilisation du scannage de "Dieu"
Si les
Grecs avaient étudié Zeus ou Athéna en
anthropologues de leurs divinités, leur
connaissance du genre humain aurait été
supérieure à celle d'Euripide dans son
Iphigénie à Aulis; si les
politologues et les psychologues des
monothéismes actuels étudiaient Jahvé,
Allah ou le Dieu trinitaire en
radiographes des idoles dont se pourvoit
une espèce carnassière, l'humanisme
occidental prendrait deux siècles
d'avance sur celui de la civilisation
encore théocentriste du XXe siècle. Mais
alors, la raison moderne se révèlerait
blasphématoire ou mourrait de peur. La
survie de l'intelligence rationnelle
dépendra de l'audace de son saut dans
l'inconnu ; et l'autopsie des dieux
d'hier et d'aujourd'hui servira de
tremplin à une géopolitique de
spectrographes des sacrifices de sang.
C'est dire que si le poison des
idéologies sotériologiques dont se
nourrissaient les démocraties
messianisées par leur langage ont pu
prendre un instant la relève mondiale
des catéchèses dites révélées
d'autrefois, si le même discours
pastoral dont usaient les religions
établies, si la même totémisation du
discours de la foi, si les mêmes
simulacres, faux-fuyants et
défaussements du sacré que ceux qui
régissaient les dévotions d'autrefois
ont pu débarquer pour un temps dans le
royaume des abstractions rédemptrices,
et dans la sotériologie de l'abstrait
que professaient les théodicées, comment
ne pas en appeler à un regard métasimien
sur les civilisations dites avancées et
sur leur mythologie vocalisée par la
démence de leur vocabulaire?
Pour la première fois, les sciences
humaines se trouvent contraintes de
conquérir un regard de l'extérieur sur
la semi logique dont l'encéphale du
simianthrope s'était armé et sur les
dérobades cérébrales qui pilotent encore
de nos jours cet étrange animal. C'est
la notion même de recul qu'il faut
conquérir à nouveaux frais, ce sont les
illusions faussement distanciatrices du
passé qu'il faut apprendre à
radiographier. A partir de 1970, de
nombreux anthropologues ont commencé
d'observer en laboratoire les pieux
procédés d'arrimage à la terre et à des
mondes oniriques d'une espèce vouée à
jeter des ponts imaginaires entre le
fabuleux et le réel. Si le simianthrope
est un spécialiste des subterfuges du
concept, un personnage auto ritualisé
des pieds à la tête par les cérémonies
qui lui font une effigie pieuse et
tragique, alors il faut se décider à
observer que la méconnaissance des
fondements anthropologiques de la guerre
diplomatique entre les Etats demeure
commune aux liturgies de la droite et de
la gauche.
3 - La
psychanalyse politique du sacré
Qui ne se souvient du ridicule dont M.
François Mitterrand s'était couvert sur
la scène internationale face à un
propriétaire de ranch plus que
septuagénaire, qu'il avait convié à
monter dans une barque aux coussins
couverts de riches broderies et à se
prélasser en successeur de Louis XIV sur
le somptueux bassin de Versailles.
C'était ignorer que l'Amérique s'est
construite sur le culte de la vertu
protestante du XVIIe siècle anglais et
qu'aux yeux d'un Reagan, la France
protocolaire se présentait en coquette
vieillie, mais outrageusement enrubannée
et qui, dans les grandes occasions ne
craignait pas d'étaler ses bijoux de
cour afin de séduire un cow-boy fier du
poids de ses troupeaux.
Pour
mettre l'Europe à l'écoute de
l'imagination politico-religieuse dont
le monde actuel se veut le messie, il
faudrait un grand exploit de la science
anthropologique, celui de convertir les
héritiers endormis de la Révolution de
1789 à approfondir le rationalisme
superficiel jusqu'à la caricature d'une
France ensommeillée dans une "raison" en
panne d'introspection; et pour cela, il
conviendrait de spectrographier
l'inconscient mythologique qui pilote la
démocratie semi religieuse
d'outre-Atlantique. Un Bush, un Reagan,
un Carter, un Nixon et même un Clinton
pensent que l'Occident latin véhicule la
mentalité primitive du catholicisme
monarchique du Moyen Age. A leurs yeux,
la filiation théologique de l'Europe est
viscéralement immorale et
intellectuellement rétrograde, puisque
livrée à un culte riche en prodiges
stupéfactoires sur ses autels. Les Etats
latins demeurent tributaires,
pensent-ils, des traditions magiques qui
les ensorcellent; et c'est pour cela
qu'ils recourent aux subterfuges de la
séduction pécheresse. Car le principe
même de la séduction n'est autre, aux
yeux des anglo-saxons, que la corruption
originelle, celle dont le coupable est
le reptile de la Genèse.
Aussi les affaires internationales
doivent-elle se discuter bibliquement et
cartes sur table, c'est-à-dire entre
honnêtes protestants. Certes, la probité
calviniste demeure à l'écoute des
intérêts industriels et commerciaux des
Etats-banquiers. Mais M. Mitterrand ne
pouvait s'afficher d'une manière plus
oiseuse et décadente, donc coupable, que
de décorer des rubans et des dentelles
d'un pays papal un vertueux citoyen de
l'Amérique des privilégiés de la foi.
Mais il y a plus: le protestant est
l'élu du seul ciel certifié évangélique
des chrétiens. A ce titre, il bénéficie
des apanages et des prérogatives
attachés à une grâce particulière, celle
d'être revenu au texte des évangiles
décrassés des scories de la scolastique.
Si l'Amérique se comporte partout en
maître et si elle n'a pas de rivale sur
la terre, c'est parce que l'exercice du
pouvoir est un privilège inscrit dans la
révélation d'un salut. De plus,
l'évangile purifié est rural et
champêtre, la théologie originelle de la
Liberté chrétienne est paysanne et
patriarcale. C'est pourquoi un
messianisme démocratique sans scribes et
sans clercs de Curie s'est transporté du
prophétisme rural des origines sur les
terres non moins virginales de
l'apostolat protestant. M. Mitterrand
symbolisait la pompe orientale et les
ors du temporel que le trône et l'autel
s'étaient longtemps partagés.
4 -
Les démagogues sont fatigués
On voit que la psychanalyse des trois
monothéismes et de leurs théologies se
situe au cœur de la géopolitique,
tellement l'anthropologie fondamentale
rencontre le sacré au cœur même des
Etats modernes. Mais non seulement
Nicolas Sarkozy se situe à mille lieues
d'une psychobiologie du christianisme,
mais son ignorance des arcanes
théologiques de la politique mondiale
est celle d'une Europe de l'industrie et
du commerce qui s'est séparée de la foi
monarchique du XVIIIe siècle. Du coup,
le Vieux Continent est devenu un petit
homme d'affaire calculateur et vissé à
son tiroir-caisse.
Et pourtant, cette civilisation du
désensorcellement rêve encore de
décrocher le gros lot de la foi
démocratique. Aussi l'hôte de l'Elysée
tente-t-il de recommencer le coup
politique qui lui a si bien réussi une
première fois, alors que la chasse aux
voix n'est peut-être plus ce qu'elle
était, alors que la mémoire s'est
peut-être mécanisée, donc figée dans des
enregistrements indélébiles, alors que
l'oubli a peut-être appris à traîner les
pieds, alors qu'on ne court peut-être
plus aussi facilement après le même
sucre, alors qu'on n'a peut-être jamais
bondi deux fois sur le même appât, alors
que la démagogie classique s'est
peut-être enkylosée, alors que le
"communicationnel" n'est peut-être pas
le paradis politique qu'on s'était
imaginé.
Mais l'essentiel est sans doute
ailleurs: inutile de s'en prendre à
l'effigie de M. Nicolas Sarkozy. C'est
de l'Europe décervelée, vassalisée et
infantilisée qu'il présente le
paradigme. Croyez-vous qu'un vrai chef
d'Etat pourrait, sous le regard de cinq
cent millions d'Européens avertis, jouer
impunément à l'enfant malappris s'il
s'adressait à un public d'adultes,
croyez-vous qu'il tenterait d'acheter
l'indulgence des électeurs s'ils
n'étaient taillés à son image et
ressemblance, croyez-vous que ce fruit
vert serait tellement sûr qu'on lui
pardonnera les puérilités du bas âge
s'il ne pensait que l'Europe et la
France se montreront indulgentes à son
immaturité? Telle est la véritable
portée politique de l'ignorance dans
laquelle la civilisation européenne fait
naufrage.
5 - Œil
pour œil, dent pour dent
Mais si l'inculture est la clé du trépas
des civilisations, rien ne le dépeindra
mieux que l'oubli de l'histoire du droit
dont témoigne ce fils de ses propres
échecs scolaires. Car tous les
hellénistes et tous les juristes du
monde savent que l'Hellade du VIIIe
siècle avant notre ère a réussi à
substituer la justice pénale, donc la
souveraineté de la loi à l'autorité des
vengeances privées et que les cités sont
devenues civilisatrices du fait que
l'Etat s'est trouvé élevé au rang de
magistrat dont la justice publique
symbolisait le sceptre sacralisé.
Or, M. Nicolas Sarkozy veut réhabiliter
une justice pénale qu'exerceraient les
particuliers, donc la vengeance des
victimes outragées, à la majesté des
tribunaux de l'Etat: le citoyen lésé
pourra s'opposer aux verdicts du juge de
l'exécution des peines. Mais si,
progressivement corrompue par un
monopole de vingt-huit siècles, la
justice pénale est devenue de plus en
plus laxiste et si les juges sont tombés
peu à peu au rang de fonctionnaires
indifférents au sort de l'Etat de droit,
c'est aux pouvoirs publics et à eux
seuls qu'il appartient de leur redonner
leurs responsabilités politiques
originelles. M. Nicolas Sarkozy ne dit
pas cela. "Après tout, à l'entendre, la
victime a son mot à dire, le coupable
doit redevenir la proie de sa victime."
C'est du fondement même des
civilisations et de la signification de
l'histoire mondiale du droit pénal que
M. Nicolas Sarkozy fait peu de cas -
mais ici encore, on voit bien que
l'intelligentsia des cultures mourantes
se trouve prise en otage par l'ignorance
dans laquelle les élites politiques sont
tombées.
6 - La médiation
de la culture
La pâle effigie de M. Nicolas Sarkozy
nous rappelle qu'on ne saurait prendre
un vrai recul à l'égard de la
civilisation des lois que par la
médiation de la culture et que seules
d'abondantes lectures donnent à une
classe dirigeante la connaissance des
rouages et des ressorts du pouvoir. Ce
Président aura été le premier chef
d'Etat inculte de la République
française; mais précisément, c'est cela
qui en fait l'archétype de l'électorat
mondial d'aujourd'hui. Quand M. Barack
Obama autorise l'emprisonnement
arbitraire et pour une durée illimitée
des "suspects" de terrorisme, seule la
relative indépendance des cinquante deux
Etats de l'Union permet à quelques-uns
d'entre eux de se révolter face à une
rechute de la démocratie américaine dans
la barbarie antérieure à la fondation
des cités.
Si le peuple français était plus
instruit, il verrait clairement que M.
Nicolas Sarkozy sème le grain de la
tyrannie et que ses promesses à tout vat
sont nécessairement nulles et non
avenues. Mais une nation n'a pas quitté
le jardin d'enfants si elle ignore qu'au
cours de son second mandat, un Président
libéré des entraves que lui imposait son
ambition de se faire réélire jouera
fatalement au despote hors d'atteinte.
Comment des citoyens qui n'auront pas
appris l'humanité dans de vrais livres,
mais dans les catéchismes scolaires et
les pieux bréviaires de la démocratie
mondiale feraient-ils un peuple
souverain?
7 - Les nations
et les personnes
Qu'est-ce donc qui permet de loger un
chef d'Etat sur le territoire que
requiert l'exercice des responsabilités
qui lui appartiennent en propre, celles
qui, s'attachent à sa fonction et à rien
d'autre ? Question d'autant plus
difficile à résoudre que les vrais
interlocuteurs de Clio se trouvent
conviés à se colleter diversement avec
leur propre nation et leur propre
peuple, tellement les époques et les
lieux modifient les coordonnées de
l'action politique. Mais, de toutes
façons, un chef d'Etat s'entretient avec
des personnages que leur nom suffit à
identifier et qui se déplacent sur les
planches d'un théâtre plus
psycho-cérébral que terrestre. "La
France est une personne", disait
Michelet.
L'homme d'Etat voit, sent et touche de
ses mains, si je puis dire, les
personnages affectifs et mentaux que
notre astéroïde charrie autour du
soleil. Qu'est-ce qui fait d'un pays une
personne ? Pourquoi ne sont-elles qu'une
cinquantaine, les personnes présentes à
la cour des siècles et qu'on appelle des
nations? Pourquoi les âmes et les têtes
qui ne les reconnaissent pas à leur
stature, à leur vêture, à leur ossature,
à leur allure ne sont-elles pas nées
pour s'entretenir avec elles? Remarquez
que les grands Etats n'ont pas l'œil
suffisamment perçant pour que les nains
qui paradent à leurs côtés se
réfléchissent sur leur rétine; mais, de
leur côté, les nains demeurent privés de
la rétine qui sert de miroir aux grandes
nations. Pour qu'un réflecteur
réfléchisse les personnages de
l'histoire, encore faut-il savoir quels
blocs oculaires les grands miroirs
convient à assister au spectacle.
Voyons donc ce qui manque à l'œil, aux
antennes et aux élitres d'un insecte
politique pour qu'il se comporte en
simple manager de la France auprès des
nations étrangères. En 2007, M. Nicolas
Sarkozy a rendu une visite-éclair au roi
du Maroc et ce voyageur pressé nous a
fait perdre une commande de Rafales sur
le point de se trouver conclue -
Washington s'est hâté de rafler ce
marché. La même précipitation d'un
représentant de commerce privé d'étoffe
nationale a caractérisé le premier
voyage du locataire de l'Elysée en
Chine. Un chef d'Etat qui ne rencontre
pas les personnages qu'on appelle des
nations ne rencontre pas non plus la
sienne. Jamais la France n'a parlé par
la voix de M. Nicolas Sarkozy. Cet
acteur sans cœur et sans tripes voudrait
se mettre à la hauteur de son job. Il
fait tout ce qu'il peut pour maîtriser
les manettes d'une vaste entreprise,
mais seule son effigie court d'un lieu à
un autre. On ne saurait capturer ce
schéma ambulant, arrêter cette esquisse
en course, se saisir de cette vêture
inhabitée. Quelle est la source de ce
déracinement originel, quelle est la
nature de cette enveloppe vêtue et
grimée, qu'en est-il des sillages
entrecroisés d'un acteur qui excelle
dans tous les seconds rôles, sauf dans
celui que la France l'a appelé à jouer?
Mais ici encore, il faut rappeler qu'une
civilisation à l'agonie n'a ni chair, ni
sang, qu'une civilisation privée de son
identité viscérale court en tous sens et
d'un emploi à l'autre dans un jeu
ridicule d'images et de sillages, parce
qu' elle a perdu sa trajectoire avec ses
entrailles, parce qu'elle erre entre le
ciel et la terre, parce qu'elle volète
comme le Sarkozy de papier qu'elle est
devenue dans son miroir.
8 - Les Titans du
ciel et les Titans de l'histoire
Quelles
sont les relations que les personnes
qu'on appelle des nations entretiennent,
d'un côté avec les immenses acteurs du
symbolique qu'enfantent les prophètes et
qu'ils appellent des dieux d'un côté, et
de l'autre, les gigantesques effigies du
genre humain dont accouchent les Titans
de la littérature ? Voilà la question
centrale avec laquelle l'anthropologie
critique voudrait se colleter. Car
enfin, le Général de Gaulle
commence ses Mémoires par
l'évocation d'un personnage figuré, dont
il n'a rencontré que l'image et qui
s'appelle "la France". C'est un
personnage incorporel et quasiment
mythologique qu'il décrit: "Toute
ma vie, je me suis fait une certaine
idée de la France. (…) Ce qu'il y a, en
moi, d'affectif imagine naturellement la
France , telle la princesse des contes
ou la madone aux fresques des murs ,
comme vouée à une destinée éminente et
exceptionnelle. (…) S'il advient que la
médiocrité marque ses faits et gestes,
j'en éprouve la sensation d'une absurde
anomalie, imputable aux fautes des
Français , non au génie de la patrie."
(Mémoires de Guerre, p. 1)
Mais si ce personnage imaginaire n'était
pas plus vivant, plus respirant, plus
convaincant que Mlle Béatrice, Mlle
Antigone, ou Mlle Iphigénie, le Jésus de
Jean ou de Paul ne serait pas plus réel
que ceux, tellement plus plats, de
Matthieu ou de Marc; et le Diogène
consubstantiel à son falot ne serait pas
le seul vrai, celui qui ridiculise la
masse immense des bipèdes que la nature
s'acharne à faire naître sans lanterne.
Mais si le génie politique rejoint le
génie des Shakespeare et des Cervantès,
ne sommes-nous pas ravis de ce que M.
Nicolas Sarkozy nous conduise tout droit
à nous interroger sur la nature des
lanternes? Quelle chance d'apprendre de
quoi un homme politique se trouve
dépourvu s'il ignore le sens même de la
question: "Qu'est-ce que la France?"
Mais le Général de Gaulle parle de la
France comme Shakespeare de Macbeth,
Cervantès de don Quichotte, Swift de
Gulliver, Sophocle d'Antigone. Que
disaient-ils à leurs personnages? Qu'ils
s'en faisaient une certaine idée, que
cette idée venait du cœur, que leur
héros était voué à une destinée éminente
et exemplaire, que la médiocrité pouvait
les guider, mais que cette anomalie ou
cette absurdité étaient de la faute des
humains, non du génie qui donne au
personnage sa nature, son élan, son
destin. Mais Socrate est un destin, et
Antigone, et don Quichotte, et de
Gaulle. Décidément le génie est
l'interlocuteur des destins.
Le génie de la France est d'incarner une
résistance invincible au naufrage du
destin d'une civilisation. Si M. Nicolas
Sarkozy était le compagnon de route du
génie et du destin de la France, il
n'aurait pas replacé la nation sous les
ordres d'un général américain et il
aurait refusé l'aventure libyenne sous
un autre drapeau que celui de la France.
Mais tout écrivain de génie ne sait-il
pas que si son héros trahit son destin,
il quitte la scène aussitôt et les pieds
devant? Alors son sépulcre s'appelle
l'oubli; et dans ce tombeau-là, seule la
mort compte les trépassés de la mémoire
du monde. M. Nicolas Sarkozy a
rendez-vous avec les hommes sans
lanterne, sans destin et sans voix; et
le personnage qu'on appelle la mort n'a
pas de visage, de mémoire, de cervelle -
son seul interlocuteur est le silence de
l'histoire.
9 - Les symboles
en marche
Si M. Nicolas Sarkozy n'était coulé dans
le moule de l'Europe étriquée, sans âme
et sans voix de son temps, il saurait
qu'on n'humilie pas la Turquie à jeter
en prison des Français, même de mauvaise
foi, qui se mettraient en tête de nier
le massacre des Arméniens, qu'on humilie
pas sottement le Mexique pour les beaux
yeux de la compagne d'un gangster, qu'on
ne range pas bêtement tout le Quai
d'Orsay en ordre de bataille pour la
libération à grand tapage de quelques
infirmières bulgares, qu'on ne joue pas
stupidement sur l'échiquier de la
politique mondiale comme on tourne les
pages d'un livre d'images, qu'on ne se
sert pas de la scène du monde pour
pêcher des voix, parce que les nations
sont à elles-mêmes des symboles en
chemin. Mais pour savoir cela, il faut
avoir rencontré des personnages figurés,
il faut converser avec des acteurs plus
réels que ceux dont la chair et le sang
veulent nous faire croire que les
vivants sont des ossatures en mouvement,
il faut avoir rencontré l'histoire dans
un monde de l'éthique et de la volonté
et qu'on appelle des nations.
Mais à qui la faute si M. Nicolas
Sarkozy n'a pas le regard, le pif, les
esgourdes d'un chef d'Etat, à qui la
faute si les démocraties ignorent que le
cerveau de notre espèce n'est pas devenu
polyvalent de s'être compartimenté à
outrance, qu'un joueur d'échecs n'a pas
les dons d'un commerçant, même médiocre,
que le génie des mathématiques vous
frappe souvent d'une cécité politique
sans remède, que le théologien de la
grandeur de Zeus n'a pas de regard pour
la psychologie et la politique de la
divinité qu'il adore, qu'un démagogue
n'a jamais rencontré un peuple et une
nation et qu'il court seulement après un
fantôme dont il lorgne le trône.
10 -
Ainsi parlent les Etats
Pour jouer un rôle dans le surnaturel de
chair et de sang qu'on appelle
l'histoire, inutile de disposer d'une
riche maisonnée et d'un haut lignage,
inutile de vous promener sur vos terres
en géographe de l'intemporel, inutile de
vous raconter votre passé de compagnon
d'armes de Cyrus ou d'Artaxerxès. Si
vous n'avez pas conduit des expéditions
trans-charnelles dans le royaume des
civilisations, si vous n'avez pas laissé
une trace heureuse dans l'empire des
voix, des écrits et des monuments, si
vous n'avez pas gravé de votre sceau
l'univers des écrits, vous n'occuperez
pas en poète la place des souverains de
la mémoire du monde. Ainsi parlent les
Etats. Car ces personnages sont à
eux-mêmes l'esprit humain en marche sur
la scène du monde. Jamais M. Nicolas
Sarkozy ne s'entretiendra avec les
pavois et les blasons de l'âme et de la
pensée que sont les nations.
C'est
pourquoi tous les Etats du monde ont
éclaté de rire le jour où M. Nicolas
Sarkozy a escaladé en culottes courtes
les marches du palais de la République,
c'est pourquoi les chancelleries du
monde entier se tenaient les côtes au
spectacle du Président de la France
courant dans les rues de New-York avec,
sur la poitrine, un écriteau où l'on
pouvait lire New-York Police
Department. Mais, encore une fois,
ce gnome se serait-il trompé de scène,
ce pitre aurait-il pu occuper un emploi
étranger à son statut politique si
l'Europe, elle aussi, ne logeait son âme
dans le temple de l'argent, si la
France, elle aussi, ne faisait de ses
dernières amours une pièce de théâtre,
si cette civilisation n'était à l'école
d'un M. Nicolas Sarkozy qui a décidé
d'envoyer l'un de ses fils conquérir un
grade dans l'armée américaine?
Autrefois, des éducateurs en prières
enseignaient leur vocation divine aux
monarques. En ce temps-là, c'était un
bréviaire à la main que les pédagogues
de la monarchie inculquaient leurs
devoirs au dauphin du souverain régnant.
Quelle est la potence sur laquelle la
Liberté politiques du monde est
désormais clouée ? Un animal bousculé
par le grand songe de la Liberté, un
animal condamné à l'asphyxie dans l'air
vicié de la démocratie européenne, un
animal dont la justice répand les
effluves d'une mythologie aussi
trompeuse et trompée qu'une scolastique,
un animal qui se cherche un ciel moins
malodorant que celui de ses idéaux
pourrissants, un tel animal n'est-il pas
également à la veille d'entrer en
apprentissage sur les chantiers nouveaux
des poisons et des remèdes de la
politique?
11 -
La nouvelle alliance
En vérité, l'élection présidentielle est
un laboratoire de la raison et de la
pensée de la France. Déjà de nouveaux
peseurs des hommes d'Etat y apprennent à
radiographier les encéphales encore
flottants des candidats ; et ceux-là
commencent de s'interroger sur la
question de savoir si le mythe de la
Liberté sombrera à son tour dans le
verbiage qui a tué les religions.
Mais
pour cela, seule une mutation cérébrale
de l'homme d'Etat moderne en fera un
anthropologue, un pithécanthropologue,
un simianthropologue. En 1961, la crise
de Cuba a fait croire à l'Amérique
entière qu'une guerre nucléaire
imminente était possible avec la Russie
- et l'on a pu assister à un spectacle
ridicule, celui de nuées d'ignorants
tout suants dans leur jardin, celui de
nuées de sots qui se construisaient
frénétiquement des abris de fortune. En
ces temps révolus les peuples hallucinés
se laissaient encore conduire à
l'abattoir sans broncher. Depuis lors,
le cinéma a répandu sur toute la surface
du globe l'effigie d'un Gulliver de la
folie, le Dr Folamour. Et les chefs
d'Etat de Lilliput ont appris que l'arme
nucléaire n'est pas militaire pour un
sou, mais seulement politique et qu'à ce
titre, elle n'est précisément pas
négligeable, parce que, disait Necker,
"Régner, c'est dominer les
imaginations", à la manière dont
l'Eglise terrorisait les armées et les
rois à brandir sur toutes les têtes la
potence de l'excommunication majeure
censée vous envoyer rôtir en enfer pour
l'éternité. Aujourd'hui, Israël a
compris la vraie leçon des trois
religions du Livre: si vous tenez des
deux mains le sceptre de la
pulvérisation de l'univers, vous
entraînerez la terre entière dans une
croisade contre le diable, à savoir
l'Iran, qui menacerait Israël de
vaporisation instantanée dans
l'atmosphère.
Ce retour universel aux terreurs du
Moyen Age a déjà convaincu la Chine de
consacrer cent vingt milliards de
dollars cette année à s'armer de pied en
cap et la Russie se promet de redevenir,
de la tête aux pieds, une puissance
militaire respectée face à l'oncle Sam,
lequel vient d'installer sur le
territoire de ses vassaux du Vieux
Continent un bouclier anti-missiles
calqué sur le modèle du défi de
Khrouchtchev à Cuba, il y a six
décennies. Croyez-vous vraiment qu'il
soit inutile de parler de tout cela aux
enfants, croyez-vous vraiment que
l'Europe des enfants de Jahvé soit mûre
pour tourner les pages de ce livre
d'images ? Motus et bouche cousue devant
les peuples de la justice et de la
liberté, silence, on tourne, disent les
metteurs en scène de l'ignorance ou de
la sottise.
Mais, dans l'ombre, quelle est la voix
qui se fait entendre ? Décidément, la
politique a changé de regard, la raison
de calibre, l'intelligence de vision -
si nous ne parvenions pas à décrypter
l'encéphale du genre humain, comment
scellerions-nous jamais une alliance
nouvelle de la politique avec la pensée?
Le 11 mars 2012
Reçu de l'auteur pour
publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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