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Réflexions sur l'identité des peuples
Machiavel au paradis
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Lundi 9 novembre 2009
Le pauvre hère de texte ci-dessous se trouvait à mi parcours et
mon entretien avec Machiavel dans le ciel suivait son chemin
lorsque j'ai été hospitalisé . Si saint Martin ne m'avait jeté
un manteau sur les épaules, mon interview n'aurait pu se trouver
conduite à destination. Je remercie l'hôpital Saint-Martin de
Caen d'avoir mis à ma disposition les moyens de communication
les plus modernes, tant pour diffuser ce texte que pour le
ramener sur la terre.
*
La
commémoration mondiale du vingtième anniversaire de la chute du
mur de Berlin fournit à la simianthropologie critique et à la
psychanalyse de l'espèce scindée entre le réel et le songe une
occasion à son tour rêvée de faire le point de la pesée du
cerveau semi animal dont la géopolitique présente le spectacle
sur la scène internationale.
Cinq
conséquences majeures découlent de la chute symbolique d'un mur
bien réel. La première n'est autre que la première démonstration
depuis la Réforme de ce que si vous donnez le pouvoir aux anges
et aux séraphins d'un évangélisme politique, cette classe de
prétendus innocents aux mains pleines se dotera d'un catéchisme,
donc d'une doctrine du salut et de la damnation et que si vous
contestez la puissance et la gloire du royaume des cieux qu'elle
sera réputée avoir transporté sur la terre, vous verrez une
armée de tanks et de canons débouler parmi les bienheureux pour
leur rappeler que tout ciel porte bientôt un couteau entre les
dents.
La seconde
conséquence, c'est que l'euphorie du retour au capitalisme a été
fort brève. Les vices mortels de ce régime se sont aggravés dans
un sens que Marx n'avait pas prévu: les banques ont oublié leur
rôle de payeurs d'intérêts modestes aux déposants et de prêteurs
à un taux plus élevé aux entreprises pour se métamorphoser en
jongleurs au sein d'une bulle financière mondiale qu'on a
coutume d'appeler la Bourse.
Du
coup, la troisième conséquence a été la redécouverte que les
sociétés simiohumaines sont composées d'individus fort
diversement cérébralisés. Depuis les origines, l'histoire est
régie par une classe qu'on appelle aujourd'hui les notables et
autrefois les patriciens, et par une masse qu'on appelle
maintenant le peuple souverain et autrefois, la plèbe. Mais,
naturellement, la classe dirigeante demeure fort inférieure,
cérébralement parlant, à celle des savants de tous ordres, qui
constituent en quelque sorte le nouveau clergé, celui du savoir.
La quatrième
conséquence de la chute du mur de Berlin a été la réapparition
des mentalités doctrinales et parareligieuses au sein des
sociétés censées être devenues rationnelles et laïques, ce qui a
mis en évidence le branchement du sacré sur le "temporel". En
effet, les huit propriétaires d'une foudre nucléaire
prestigieuse, mais inutilisable sur un champ de bataille, donc
mythique par définition, ont tenté d'interdire à une nation de
soixante-quinze millions d'habitants de se doter de fulminations
tempétueuses et bibliques. On a alors assisté au transfert des
procès en hérésie du communisme au capitalisme et à la
reproduction exacte des méthodes inquisitoriales qui mettent
l'accusé dans l'impossibilité de se défendre face aux détenteurs
d'une orthodoxie établie a priori et proclamée intangible par
les juges du tribunal. Cette quatrième conséquence de la chute
du mur de Berlin a fait débarquer le procès de Galilée sous sa
forme moderne sur une planète que le marxisme allait conduire au
désastre économique et que le capitalisme appelle maintenant à
courir vers le même abîme, mais sous des formes différentes.
Dans ces conditions, la cinquième conséquence de la chute du mur
de Berlin est le basculement du monde dans une politique
consciente de ce que l'heure est venue de peser l'encéphale
d'une espèce qui, soixante-dix ans après la mort de Freud et
cent trente sept ans après celle de Darwin, n'a pas commencé de
découvrir qu'elle demeure inachevée et qu'il n'y a pas
d'histoire éclairante, donc éclairée si nous ne fabriquons pas
la balance à peser la boîte osseuse du singe cérébralisé. C'est
pourquoi j'ai pris la ferme résolution de demander à un mort
illustre, un certain Machiavel, ce qu'il pense de l'état actuel
de l'évolution de notre boîte crânienne. Mais comme l'illustre
Florentin est devenu le conseiller théologique de la démocratie
mondiale auprès du Père , il m'a fallu faire appel à un
serrurier du royaume des cieux pour me faire ouvrir les portes
de l'éternité
*
1 -
Le conseiller théologique de la démocratie mondiale
2 - Exclusif : Machiavel me parle de
l'Europe
3 -
Nouvelles révélations de saint Machiavel. Epoustouflant
4 - Quelques rudiments de
théopolitique
5 -
L'esprit d'inquisition débarque dans la politique mondiale
6 -
L'articulation du théologique avec le politique
7 -
Les ratés de la religion de la Liberté
8 -
L'avenir d'une arme moribonde et l'avenir théologique d'Israël
9 -
La Palestine, gibet du monde
10
- Qui va peser le peseur?
1 - Le conseiller théologique de la
démocratie mondiale
Je
ne vais pas lanterner le lecteur par un récit détaillé des ruses
auxquelles il m'a fallu recourir pour obtenir une interview de
Machiavel dans le ciel. Sans doute les spécialistes du grand
Florentin seront-ils curieux de connaître le nom de l'ange des
serruriers auquel j'ai fait appel et qui a bien voulu forcer
pour moi les portes du royaume des cieux. Il ne serait pas sans
intérêt non plus, me semble-t-il, de percer le secret des âpres
négociations, comme on dit, qui ont décidé le Créateur à offrir
à l'auteur du Prince l'opportunité de mener à
titre posthume une carrière diplomatique digne de son génie. On
sait que l'illustre penseur se tient désormais aux côtés de son
souverain dans le vide de l'immensité. On sait également que la
promotion du grand humaniste a conduit l'illustre commentateur
de Tite-Live à exercer une fonction fort nouvelle parmi les
ressuscités, celle de conseiller théologique de la démocratie
mondiale; on sait enfin que, depuis lors, la gestion des
relations publiques entre le ciel de la foi et celui de la
Liberté politique s'est institutionnalisé. Aussi disposons-nous
d'un service de presse épaulé par un centre d'information de
réputation mondiale, de sorte que l'histoire des conciliabules
et des tiraillements entre Machiavel et le roi du cosmos ne
cesse de faire le tour du monde sur les téléscripteurs.
Mais trêve
d'atermoiements: venons-en au vif du sujet, qui est de percer
les secrets des relations mystérieuses que la planète de la
politique entretient avec le sacré démocratique et dont la
collaboration insolite de Machiavel avec le ciel nous apporte le
témoignage quotidien.
J'ai donc demandé sans détours et de but en blanc au grand
théoricien de l'art de gouverner les corps et les têtes, de me
raconter globalement et pour les besoins un peu simplistes de la
presse quotidienne comment il a fait le siège du Créateur de
l'univers, comment il l'a convaincu de confier à la
responsabilité exclusive de son éminent génie d'historien la
direction générale du département de prospective de la
théopolitique, quel rôle ses assistants et ses collaborateurs
jouent depuis lors à ses côtés et si le secrétariat de la
communication et de la diffusion planétaire de la doctrine du
salut par la démocratie se réserve la gestion et
l'administration journalières de la Justice et de la Liberté du
monde.
- En vérité, dit
le grand visionnaire, tout s'est déclenché à Paris le jour où M.
Nicolas Sarkozy a paru tout soudainement décidé à ouvrir une
réflexion sérieuse sur l'identité de la nation française, mais
dont il a aussitôt minusculisé l'ambition en limitant le champ
de la pensée à l'exaltation de la terre, du chant national, de
la langue, de la laïcité. On ne pouvait ouvrir plus imprudemment
les vannes d'une vraie réflexion qu'en limitant la discussion
aux légumes du jardin, parce que l'identité réelle d'un grand
peuple est la sœur jumelle et même la sœur siamoise de son
identité intellectuelle, morale et politique et parce que
l'examen de l'identité cérébrale des peuples conduit à jeter les
livres scolaires dans le feu afin de peser non seulement l'Etat
et ses institutions, mais la classe dirigeante et la démocratie
tout entière, ce qui nous conduit tout droit à l'abîme,
c'est-à-dire à la pesée du genre humain tout entier. Or, on
cherche la balance dont les deux flambeaux s'appellent
l'histoire et le destin.
-
Et vous pensez la trouver ici?
-
Comme vous le savez, la démocratie mondiale n'est qu'un pâle
décalque du ciel de la Liberté et de la Justice des juifs, des
chrétiens et des musulmans. Je me suis donc appliqué à expliquer
au Père éternel qu'à Téhéran et ailleurs M. Nicolas Sarkozy
avait jeté sur la table les cartes de ce mimétisme atavique
entre le ciel et la terre que les circonstances fournissent à
son ciel une occasion exceptionnelle de demander aux Français si
leur identité collective et celle de leur République idéale se
réfléchissent fidèlement, primo, dans le miroir du
népotisme qui fleurit à la cour de leur prince, secundo,
dans le miroir de la justice de cour que ce prince met au
service de sa famille, tertio, dans le miroir des
dépenses somptuaires de la cour. C'est ainsi que j'ai suggéré et
même conseillé avec une ferme insistance au Créateur d'ajouter
séance tenante à la liste des péchés capitaux celui d'attenter à
l'identité du pays et de graver sur l'heure ce crime nouveau et
vieux comme le monde dans le code pénal de la France et sur le
fronton de toutes les mairies et de toutes les église du pays,
ce qui lui a fait comprendre, en théologien forgé par l'épreuve,
qu'il n'y a pas d'identité des peuples démocratiques ou
chrétiens qui ne soit celle du culte d'une éthique .
2 -
Exclusif : Machiavel me parle de l'Europe
-
Je vois, répondis-je, que la démocratie mondiale est devenue
le théâtre nouveau du conflit multimillénaire entre le
"spirituel" et le "temporel", comme on disait autrefois. C'est
confesser que vous occupez le poste le plus central de la
stratégie du ciel et de la terre. Mais comme notre connaissance
scientifique et philosophique de l'homme et de son histoire
depuis l'origine de notre espèce s'est un peu approfondie depuis
votre décès il y a quatre cent quatre-vingt deux ans, comment, à
vos yeux, le plus vieil échiquier de la politique et de la
morale s'est-il modifié sur notre astéroïde?
Et lui, un peu
sèchement:
- Je ne dispose
que d'un petit quart d'heure pour répondre à vos questions - et
encore, c'est beaucoup dire.
-
Et moi, du tac au tac: "Raison de plus de ne pas barguigner
davantage".
-
Sachez d'abord, me dit-il d'un ton un peu adouci que si ma place
est ici, c'est parce que, depuis le fond des âges, l'éthique qui
pilote l'histoire conjointe de l'identité des peuples et de leur
logique est l'oracle éternel de toute politique sur cette
planète et, par conséquent, la clé du destin de toutes les
nations de la terre. Voyez la logique interne qui commande
l'immoralité de la corporation des pharmaciens américains et de
l'industrie pharmaceutique de cet empire : elle interdit à M.
Barack Obama de jamais améliorer le sort des malades dont la
bourse est un nid d'araignées. Voyez la logique interne qui
pilote l'immoralité dont se réclame la corporation des banquiers
et des caissiers: elle interdira pour longtemps à l'économie de
ce pays et du monde entier de retrouver les affûtiaux de la
santé florissante qu'elle s'efforçait, non sans succès,
d'afficher. Voyez la logique interne qui inspire l'immoralité
parée des colifichets du patriotisme que la corporation des
geôliers impose au drapeau étoilé de la nation américaine: elle
interdira à l'Etat d'abolir les tortures du Moyen Age dont les
prisons ont retrouvé l'usage légal. Voyez la logique interne qui
préside à l'immoralité de la notion même de "devoir national"
qui dicte sa tâche à la corporation des armuriers de la patrie
d'Abraham Lincoln - celle de remplir les arsenaux sans relâche
et à ras bords. Voyez la logique interne qui régit l'immoralité
de la corporation des guerriers, qui verrait un péché capital
dans la réduction du réseau des garnisons et dans le
rétrécissement du tissu des bouches à feu dont l'empire dévot
est tissé: c'est cela qui a contraint Washington à dresser
partout des boucliers réputés protéger la Maison Blanche d'un
ennemi tout imaginaire, puis à les retirer piteusement dans
l'espoir que le retrait de la menace vaudra récompense au
fanfaron.
Mais voyez comme
toute politique est un dosage des armes et des songes, voyez
comme les théologies sont les quartiers généraux de ce mélange
sur la terre ; et s'il en est ainsi, c'est que l'homme est un
animal onirique.
Mais savez-vous
que l'identité des nations impies se réclame à son tour d'une
éthique universelle et cela, depuis des millénaires? C'est
pourquoi il n'y a pas de morale qui ne repose en tout premier
lieu sur l'assistance aux lépreux et aux miséreux. Mieux encore:
il y a deux siècles environ, toutes les cités civilisées de la
mappemonde ont décidé d'aller si loin dans le soulagement des
souffrances corporelles des citoyens qu'elles ont aboli la
torture d'un seul élan et sur toute la terre. Pourquoi ce
déplacement de la frontière entre le civisme et l'incivisme de
la torture ou de la faim? Parce qu'à l'instant où vous décidez
de priver les pauvres des progrès de la science d'Hippocrate et
que vous faites des tortionnaires et des bourreaux les
assesseurs de la magistrature, vous frappez toutes les nations
d'une gangrène mortelle.
Mais voyez
quelles en seront les conséquences politiques et militaires; les
troupes d'occupation que l'Amérique croira avoir sainement
colloquées à tous les carrefours stratégiques de la planète se
changeront en abcès de fixation d'un cancer foudroyant. Alors,
il est à craindre que les Etats européens vassalisés par le
prétendu messie de la Liberté qu'ils ont importé d'Amérique en
1945 se réveilleront en sursaut; alors, la révolte grondera si
fort et se généralisera si rapidement que vous verrez un
dangereux tapage agiter les peuples asservis. Alors, ce sera à
vue d'œil que le gousset de leur faux rédempteur commencera de
se vider. Quel sera le premier peuple à se réveiller d'un
sommeil de soixante-cinq ans? Le Japon des Samouraïs. Puis l'on
verra les Germains longtemps assoupis par les sortilèges et les
élixirs que leur vainqueur leur aura fait boire sortiront de
leur sommeil et paraîtront d'abord abasourdis par le spectacle
de deux cents forteresses incrustées sur leur sol et armées
jusqu'aux dents depuis trois quarts de siècle. Peu à peu, ils se
frotteront les yeux de ne voir le casque d'aucun ennemi pointer
son aigrette à l'horizon. Enfin, viendra le tour de l'Italie la
paresseuse de se tâter et de se pincer; son arrogance naturelle
ira-t-elle subitement jusqu'à prétendre retrouver la possession
du port de Naples ou bien sa candeur indolente paraîtra-t-elle
surprise de découvrir, au saut du lit, que cent trente sept
divisions occupent les terres de Rémus et de Romulus?
3 -
Nouvelles révélations de saint Machiavel. Epoustouflant
- Comment,
repris-je, voyez-vous la suite des évènements défiler sur la
rétine du ciel?
- Il faut savoir
que l'effronterie soudaine ou le courroux tardif des nations
victimes des poisons de la démocratie mondiale et des tyrannies
ointes de l'huile sainte du suffrage universel menacera de vider
les caisses de l'empire avec une telle précipitation que le
toupet de la Liberté contaminera la confiance de tous les
gouvernements de la terre en l'escarcelle de l'empire. Comment
alimenteraient-ils sans fin le pactole de la monnaie de la
grâce, qui est gagée par le ciel le moins intarissable de tous,
celui de la docilité? Car, depuis Luther, l'assèchement du
trafic des indulgences a ruiné la banque de l'imagination
religieuse des peuples dans le monde. Wall Street a les yeux
fixés sur la ligne de flottaison de la raison financière qu'il
convient de protéger de la submersion. Il apparaît, aux yeux de
tout le monde, qu'elle est à fleur d'eau. Qu'adviendra-t-il des
trésoriers de l'Eglise démocratique? La Chine, la Russie, le
Japon, le Brésil et même la France monteront à l'assaut de la
monnaie sacrée. Alors la pluie d' écus de l'étranger cessera
d'inonder de son or les autels autrefois austères de la foi
démocratique; alors la ruine de l'empire fiduciaire des modernes
assèchera les marchés frelatés de Crésus; alors la rédemption
capitaliste aura du plomb dans l'aile.
-
Je comprends mieux l'étendue de vos responsabilités,
repris-je à voix basse. Mais un point de votre clairvoyance
m'inquiète: si vous fondez l'identité des peuples sur l'âme de
leur éthique, leur éthique sur le souffle de leurs idéaux, leurs
idéaux sur la confiance qu'ils gardent en leurs mythes sacrés,
tout l'édifice n'est-il pas fissuré d'avance et proche de
s'écrouler en raison de la fatigue de tous les ciels?
-
C'est pourquoi, me dit modestement l'auteur sommital, vous me
voyez siéger le plus discrètement possible aux côtés du Père
éternel que voici - et de me montrer de la main une machinerie
dorée affalée à ses côtés. S'il m'arrive, ajouta-t-il, de lui
parler à l'oreille et de lui dispenser des conseils de bon sens,
c'est que je suis parvenu - non sans mal, il est vrai - à lui
mettre dans la tête qu'il n'y a pas de paradis crédible sans une
politique relativement prudente sur la terre et, vice versa,
pas de politique de la foi suffisamment appétissante sans un
paradis bien achalandé en prébendes et en châtiments. Tout Eden
s'entretient à grands frais dans l'arène de la politique et
l'histoire située dans le ciel s'entretient à grands frais sur
la terre. C'est dire également qu'il n'y pas de paradis marchand
sans filouterie sacrée parmi les hommes, pas de filouterie
théologique sans intelligence du cirque des nations, pas
d'intelligence des semi évadés de la zoologie sans radiographie
des secrets religieux du cerveau schizoïde d'une créature aussi
pieusement qu'astucieusement scindée entre le ciel et l' enfer
de ses dévotions.
-
Et pourtant, repris-je, si vous avez scanné la boîte osseuse
des fuyards actuels du règne animal, je suis convaincu que le
génie visionnaire qui vous inspire et que vous avez mis à
l'école de la scission cérébrale qui caractérise notre bancalité
psychogénétique éclaire d'ores et déjà l'avenir politique de la
planète tout entière.
- Sans doute,
sans doute, me fut-il répondu d'un air entendu, mais comment
tenterais-je, ajouta-t-il mi-figue, mi-raisin, de vous suggérer
les fondements de la politique trans-euclienne s'il est bien
impossible, hélas, de vous initier en un quart d'heure à une
connaissance même rudimentaire des ressorts à la fois
théologiques et viscéraux de la politique à quatre dimensions,
et d'abord de celle des démocraties biphasées depuis la
réfutation du théorème de Pythagore? Ne soyez donc pas surpris
de me trouver si timidement installé à la gauche d'un Créateur
dichotomisé à son tour et sous l'œil de plus en plus perplexe du
fils schizoïde ; car l'histoire réelle des démocraties
cérébralisées et politisées sur le modèle bipolaire m'a
contraint d'éclairer quelque peu un Dieu demeuré bifide - son
grand âge l'a rendu aussi dur d'oreilles que l'univers à trois
dimensions.
Toute politique
est une théologie déguisée et toute théologie est nécessairement
scissipare. Puis il m'a donc fallu initier ce personnage coulé
dans le creuset biblique au culte de la liberté et des droits
désormais réputés se trouver attachés de naissance et
indéfectiblement à l'homme en tant qu'homme, ce qui a mis encore
davantage en évidence, si possible, non seulement que la
théologie politique est la clé de l'inconscient de l'histoire
des peuples et de l'identité cérébrale des nations, mais qu'à
leur tour les Républiques utilisent - et fort à leur insu - les
ressorts religieux inconscients de la créature, ce que, je le
confesse, ce grand maladroit en psychanalyse de Père éternel
ignorait encore, tellement les monarchies l'avaient sottement
trompé à étaler si longtemps sur ses autels l'or et la pourpre
de son ciel de polichinelle de l'éternité.
4 -
Quelques rudiments de théopolitique
- Je vous
remercie, repris-je, de m'instruire du moins des rudiments de la
théopolitique qui vous paraissent accessibles à mon entendement.
Mais si je vous ai bien compris, un prince qui serait devenu
conscient de la scission psychogénétique qui pilote et égare une
espèce née flottante entre le "temporel" et le "spirituel",
comme disaient nos ancêtres, un tel prince, dis-je, ne
devra-t-il pas savoir mieux que personne où faire passer la
frontière entre le ciel et la terre, donc entre le rêve et le
réel au sein des démocraties? Comment saurait-il à quel moment
précis l'un des deux empires empiètera nécessairement sur le
territoire de l'autre ? Comment naviguera-t-il sans cesse entre
deux récifs de la fatalité aussi redoutables que gigantesques et
dont chacun menacera de l'écraser à chaque instant?
-
Ce que je vous ai bien insuffisamment appris, reprit Machiavel,
est cependant suffisant pour vous permettre du moins de
comprendre que le secret le mieux gardé de la théologie est
l'art des deux Eglises, celle du ciel et celle des Etats, de
mettre en commun l'histoire du monde à l'école du "sens de la
vie" que leurs dieux respectifs se partagent et de faire de
leurs Olympes subrepticement associés ou conjoints les
interprètes assermentés des évènements qui se bousculent et
semblent jouer des coudes tout seuls sur la terre. Cette
association est aisée à comprendre, puisque les deux confessions
obéissent à ce que la raison pratique impose aux deux écoles du
politique. Mais les démocraties assermentées par leurs dieux à
elles - leurs idéaux idolâtrés - ont réussi l'exploit de
paraître changer tout cela : l'autorité de leurs vocables
sacrés, prétendent-elles, se serait définitivement substituée à
celle des Saintes Ecritures dont nos ancêtres se racontaient les
péripéties et les épisodes. Il en résulte que votre nouvelle
religion vous fait passer à côté de l'histoire réelle du monde,
tellement elle vous est désormais racontée tout de travers par
les prêtres de votre langage sacralisé, dont l'ignorance de la
nature du politique pilote leur vocabulaire de la rédemption
démocratique. Vous êtes devenus les otages de deux totems, la
Liberté et la Justice et vous vous perdez dans leur grammaire
cahotante et flottante.
Pour que je
puisse seulement tenter de vous raconter l' histoire réelle du
monde et l'avenir des rêves sacrés qui vous attend ou vous
guette, il faudrait que je m'applique quelques instants
seulement à vous narrer ce qui est effectivement arrivé sur la
terre et ce qui s'y passe aujourd'hui, parce que, pour
l'instant, seules les têtes politiques de demain seront en
mesure de vous en faire le récit.
- Je crois avoir
compris, répondis-je, que les problématiques servent de codes de
déchiffrement à la connaissance et que les grilles de lecture
étant collectives par nature, elles téléguident les preuves en
tant que preuves, donc la croyance en l'intelligibilité du
monde. Si je crois, par exemple, que le soleil est un dieu, il
me suffira de montrer du doigt les moissons et je dirai : "La
preuve est là, ne niez pas les faits les mieux démontrés, un peu
d'humilité intellectuelle, je vous prie!" Les peuples primitifs
montrent du doigt les fourmilières afin de montrer qu'elles sont
l'œuvre des sorciers, les peuples plus modernes montrent du
doigt la régularité des trains de la nature pour démontrer,
croient-ils, que l'univers obéirait à un ordre juridique calqué
sur le modèle des cités. Vous déclarez donc, si je vous ai bien
compris, que les évènements n'ont de sens que si l'on croit
avoir appris à les lire sur un échiquier consciemment ou
inconsciemment socialisé.
-
Parfaitement, me dit-il. Je vais donc vous raconter en quelques
mots ce que nous narrent aujourd'hui les historiens rescapés du
naufrage des théologies d'autrefois et qui errent désormais au
milieu des ruines de toute véritable science historique,
puisqu'ils ont substitué le monopole de leurs falsifications
propres du "sens de la vie" aux falsifications de
l'histoire dont les théologiens d'autrefois se réservaient
l'exclusivité.
5 -
L'esprit d'inquisition débarque dans la politique mondiale
C'est pourquoi nous courons à toute allure vers un affrontement
aussi titanesque qu'au Moyen Age et aux siècles des grandes
croisades entre les raisonnements et arguments politiques
construits sur le modèle du sacré et ceux que construit l'esprit
pratique. Nous assistons à un débarquement nouveau et sans
précédent de l'irrationnel sur la planète, ce dont M.
Ahmadinejad a pris acte en ces termes dans un discours télévisé:
"Voyez où nous en sommes maintenant. Il y a quelques années,
les Occidentaux nous disaient d'arrêter toutes nos activités
nucléaires. Aujourd'hui, ils veulent une coopération nucléaire
avec la nation iranienne. Nous passons enfin de la confrontation
à la coopération."
Pour comprendre la signification simianthropologique, donc
théopolitique du spectacle cérébral auquel la civilisation
mondiale peut se trouver conduite en raison de la scission entre
ses savoirs et ses Olympes, ses laboratoires et ses temples, ses
savants et ses prêtres, il faut observer comment la raison
mythologique commence par scinder le monde entre la vertu et le
vice - donc entre le Bien et le Mal, la piété et le péché - afin
de faire comparaître son "interlocuteur" devant son
tribunal. Le sujet se verra alors mis en accusation et jugé pour
un seul motif, à savoir une culpabilité prédéfinie en tant que
telle et placée hors de tout débat, puisque réputée d'origine
transcendante au monde et donc soustraite par définition à toute
contestation de sa légitimité.
Que le
comportement accusatoire de l'autorité de type religieux soit
inquisitorial par définition , vous en avez une démonstration
internationale sous les yeux, puisque la question de l'identité
morale, intellectuelle et politique du peuple iranien n'est pas
liée au brandissement de quelques images à fonction totémique,
mais au rang et à la nature même de l'encéphale de ce peuple,
donc au pilotage de sa dignité métazoologique en tant qu'animal
surréel et pourtant immanent au monde.
Voyons maintenant de plus près comment l'Occident a retrouvé les
méthodes et la mentalité des tribunaux de la foi, donc le
principe de l'intangibilité de la doctrine et par conséquent, de
la légitimité de signifier à l'interlocuteur qu'il lui
appartient de jouer docilement son rôle d'accusé - donc de
n'argumenter que dans l'enceinte de la problématique
précirconscrite par l'autorité absolue. TITRE: L'Iran a
apporté une réponse ambiguë au projet de l'administration Obama,
qui réclame des clarifications.
Il
en était exactement de la sorte devant les tribunaux de la foi.
Si les juges avaient entendu Galilée grommelant: "Et pourtant
elle tourne", l'hérésie se trouvait irréparablement
démontrée par l'aveu, parce que la question n'était nullement de
savoir si elle tournait ou non sur son axe, mais si la réponse
était conforme à la définition ecclésiale de la vérité. Les
Etats-Unis veulent tester le régime iranien, c'est-à-dire savoir
si, oui ou non la terre est fixe ou tourne sur elle-même à ses
yeux. "La réponse iranienne est jugée très décevante par les
Occidentaux. Elle ne satisfait pas aux conditions posées le 21
octobre par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)
à l'issue de discussions à Vienne." Autrement dit, personne
ne soulève davantage la question de la légitimité des juges
qu'au Moyen-Age. Le tribunal se contente de froncer les sourcils
de l'orthodoxie: "Mais la marge de manoeuvre est incertaine,
et le temps compté. Les Etats-Unis donnent des signes
d'impatience et réclament de l'Iran "des clarifications".
"Nous avons besoin d'une réponse formelle", a déclaré,
jeudi, le porte-parole du département d'Etat, Ian Kelly.
Vous remarquerez
que, dans les procédures inquisitoriales italiennes de mon
temps, les magistrats faisaient preuve de la même patience , de
la même apparence de charité, de la même volonté de secourir le
pécheur, de le soustraire, si possible, aux flammes éternelles:
la vérité religieuse dispose de la tranquillité d'âme et de la
sérénité d'esprit des convictions absolues. Comme l'accusé joue
sa peau, on lui témoigne une apparence de respect, on lui
concède un semblant de liberté, mais s'il se révèle relaps et
renégat, que voulez-vous que nous y fassions, le démon se sera
emparé de sa proie.
Je
force le trait, mais voyez comme les princes de mon temps à
Florence préfiguraient la guerre d'aujourd'hui entre l'esprit
d'orthodoxie et l'esprit politique, qui demeure paradoxalement
désarmé face au vocabulaire du sacré. D'abord, l'orthodoxie
actuelle se fait du souci: "Selon les responsables français,
britanniques et israéliens, ces travaux-là -
l'enrichissement de l'uranium - n'ont jamais cessé,
contrairement à ce qu'avaient avancé en 2007 les agences de
renseignement américaines."
La
presse a évoqué la "diplomatie de M. Nicolas Sarkozy"
face aux "agissements nucléaires" de Téhéran. Un Etat de
soixante-quinze millions d'habitants peut se trouver accusé "d'agissements"
impies par définition, alors que huit Etats, dont Israël, avec
ses cinq millions d'habitants, disposent d'une arme incohérente
par nature, puisqu'elle ne saurait jouir du double statut d'une
arme de guerre et d'une arme de l'apocalypse. Mais, dans le même
temps, l'autorité empruntée des coalisés de la foi est
branlante, puisqu'une orthodoxie au sein de laquelle apparaît un
désaccord sur les dogmes n'est plus une Eglise, mais une
entreprise politique à ciel ouvert. C'est pourquoi il faut que
vous appreniez à bien distinguer le débat théologique proprement
dit, donc doctrinal, du débat politique.
6 -
L'articulation du théologique avec le politique
-
Il me semble, dis-je, que cette frontière est également
observable dans toutes les têtes, puisque M. Obama joue sur les
deux tableaux, tandis que M. Nicolas Sarkozy agit en homme
politique au sein d'une organisation mentale de type
exclusivement religieux. Pouvez-vous préciser l'enjeu
théologique et m'éclairer sur son articulation avec l'enjeu
politique?
- Fort bien, dit
Machiavel. L'enjeu théologique est vieux comme la Genèse: il est
interdit de consommer la pomme du nucléaire qui mûrit sur
l'arbre de la connaissance, lequel se trouve maintenant planté,
comme vous le savez, dans l'Eden des démocraties. Mais pourquoi
est-il interdit d'acquérir le savoir, alors que, selon Socrate,
l'ignorance serait la source de tous les maux? Parce que si les
gouvernements ne savaient pas d'avance d'où vient l'univers, qui
l'a fabriqué et organisé, quelles règles et quels principes
commandent l'action humaine, et surtout comment l'encéphale de
l'espèce doit se trouver préconstruit pour fonctionner sous les
ordres d'un chef du cosmos, comment voulez-vous que les Etats
disposent d'une autorité reconnue et incontestée afin d'assurer
la discipline et l'obéissance des peuples? Si l'Iran se rendra
intouchable quand il disposera du succédané de l'omnipotence
divine qu'on appelle maintenant le pouvoir de dissuader, comment
voulez-vous que les huit autres Olympes continuent de se
partager la planète? La notion de dissuasion est donc non
seulement le cœur de la théologie et de la politique, mais un
cœur dont les battements innervent à la fois les Etats et les
Eglises.
-
Parmi les têtes politiques, repris-je, vous savez que les
unes prétendent que M. Nicolas Sarkozy est d'origine juive et
qu'il serait au service des intérêts d'Israël dans le monde ;
les autres soutiennent que les Iraniens ont un encéphale
microscopique et qu'ils sont à peine évadés des forêts, de sorte
que si l'on mettait la bombe entre les mains de ces chimpanzés
du monde moderne, ils se rueraient bêtement sur leurs voisins et
s'amuseraient à les pulvériser , sans se dire un instant qu'il
existe huit Zeus armés de la même foudre, et d'abord Israël.
Comment interprétez-vous ces deux positions?
-
M. Nicolas Sarkozy est né entre 1950 et 1960. Cette génération
s'est trouvée baignée dès le berceau dans un monde biphasé entre
le camp du Bien, représenté non seulement par Israël, mais par
la civilisation à la fois capitaliste et messianique de
l'Amérique. Certes, la presse relève que les autorités
israéliennes elles-mêmes reconnaissent que la France fait tout
ce qu'elle peut pour Israël et jusqu'à entraîner au besoin
l'Europe entière dans le sillage d'Israël: on romprait au besoin
les liens transatlantiques au profit de Tel-Aviv: "M. Sarkozy
s'est fortement agacé du refus de son homologue américain de
mentionner le site secret de Qom lors d'une réunion du Conseil
de sécurité consacrée au désarmement nucléaire. Pendant des
mois, Paris avait pressé Washington de dénoncer l'existence de
ce site clandestin. L'administration américaine n'y a consenti
que lorsque les Iraniens avaient déjà avoué. Le ministre
français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, a récemment
insisté devant des journalistes sur le risque d'une action
militaire israélienne."
Mais M. Nicolas
Sarkozy n'est pas un serviteur d'Israël que le suffrage
populaire aurait porté par malencontre au pouvoir. C'est un
homme d'Etat privé de profondeur d'esprit. Il est sincère dans
ses convictions, comme le sont tous les croyants. Or, la
politique étrangère est le territoire de l'art de gouverner sur
lequel il est impossible de s'avancer sans profondeur d'esprit,
parce que le myope n'y voit pas ce qu'il fait. Comment
voulez-vous piloter un Etat si vous ne voyez pas sur quelle
trajectoire sa situation géographique et son identité propre l'a
placé? Aujourd'hui, l'alliance de la Syrie avec l'Iran est plus
inébranlable que jamais, l'Egypte elle-même a refusé de
participer à une rencontre avec le Ministre des affaires
étrangères d'Israël - il s'agit d'un ancien videur de boîte de
nuit - la Turquie prend la tête de l'Europe de demain et lui
montre avec éloquence le chemin en s'alliant avec l'Iran, la
Russie, la Chine et l'Inde - bref, en prenant la place que la
France aurait pu prendre . Le monde change de pôle et le manque
de profondeur d'esprit de M. Nicolas Sarkozy l'empêche de le
comprendre.
Sur le second
point, le retard cérébral de la classe dirigeante européenne et
mondiale n'est pas tel qu'une fraction significative de cette
élite croirait à la thèse du chimpanzé que vous avez évoquée
plus haut. La seule question féconde aux yeux de l'anthropologie
critique - que j'appelle une simianthropologie - est de
découvrir pourquoi Israël parvient à répandre dans le monde
entier la croyance à une réaction zoologique du peuple iranien.
Un tel prodige n'est possible qu'en raison de la complicité de
quatre-vingt quinze pour cent de l'humanité actuelle avec la
vocation messianique non seulement d'Israël, mais surtout de la
démocratie mondiale, qui est tenue pour salvifique, rédemptrice
et eschatologique. C'est sur cet immense retard cérébral du
simianthrope actuel que joue Israël en toute sécurité et avec la
science que vous savez.
Aujourd'hui, le capitalisme s'est bel et bien révélé ce que Marx
en avait dit; mais que faire si l'autre alternative , celle d'un
songe évangélico-politique, conduit fatalement au désastre
économique? Nous sommes enfin entrés dans le débat de fond,
celui de la pesée de l'encéphale de notre espèce. Tout le débat
avorté de 1917 à 1989, puis entre 1989 et aujourd'hui, tout le
débat sur le développement du cerveau du simianthrope actuel va
se placer au cœur d'une véritable connaissance de notre espèce
mi-onirique, mi-politique. S'agit-il d'un retard irrémissible,
ou bien les "agissements nucléaires" d'un accusé enfermé
dans une géopolitique de l'aveu nous donnent-ils une occasion
unique de progresser dans la connaissance de l'état de notre
boîte osseuse un demi millénaire seulement après ma descente
chez les morts?"
7 - Les
ratés de la religion démocratique
- Comment en
sommes-nous arrivés là?
-
Examinons les faits : Israël se situera pour longtemps au cœur
du destin onirique de la planète dite des "droits de l'homme",
parce qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'empire
américain avait réussi l'exploit extraordinaire de prendre seul
et en toute hâte la tête de la croisade de la planète tout
entière pour la décolonisation précipitée des peuples conquis
par les nations dominantes d'autrefois, ce qui avait conduit
Washington à déclarer la guerre à ses anciens alliés, la France
et l'Angleterre, au motif que ces deux nations, secondées par
Israël, s'étaient coalisées afin d'interdire au Colonel Nasser
de nationaliser le canal de Suez. Mais Paris et Londres avaient
rapidement battu en retraite, principalement en raison des
menaces de pulvérisation atomique que Washington et Moscou leur
avaient conjointement adressées, mais également en raison de
l'épuisement du Royaume-Uni, que la guerre contre le nazisme
avait laissé exsangue. La débandade des tories à la Chambre des
Communes avait été sans remède, parce qu'elle avait été conduite
par la poigne des travaillistes de l'époque, qui avaient trouvé
des accents révolutionnaires pour prendre la revanche des
valeurs de la démocratie, disaient-ils, sur le vieux Churchill
et sur son pâle successeur, Anthony Eden.
Israël a compris
sur l'heure que les pièces avaient changé de codes sur
l'échiquier du monde; et l'on a vu ce petit Etat prendre tout
seul et résolument en mains les relations nouvelles et qu'il
fallait rendre catastrophiques de l'Amérique avec le monde
arabe. Non seulement les gouvernements successifs du peuple
hébreu ont réussi l'exploit de mettre en place, d'organiser, de
faire fonctionner et surtout de financer sur tout le territoire
du Nouveau Monde le plus gigantesque réseau d'influence
politique et militaire de tous les temps, mais il est parvenu,
de surcroît, à faire bénéficier sa main-mise sur le pays du
statut juridique que les droits nationaux réservent aux
entreprises privées de leurs ressortissants. Seul le Saint Siège
avait réussi, avec l'ordre des Jésuites, à installer ses agents
sur le territoire de tous les autres Etats aux fins d'y défendre
ses intérêts politiques et religieux au détriment de ceux de ses
hôtes. On sait que les Jésuites ont formé les élites françaises,
tant nobiliaires que du tiers état pendant près de deux siècles.
Voir -
Certus odor
dictaturae, Deuxième Lettre ouverte aux Français juifs de mon
pays,
7
septembre 2009
-
Certus odor
dictaturae, Lettre ouverte aux Français juifs de mon pays,
1er septembre 2009
Naturellement le
prestige politique et culturel de la civilisation américaine
dans le monde musulman n'a pas tardé à s'en trouver compromis et
souvent anéanti, parce que la géographie interdisait au peuple
hébreu de s'étendre sur un autre territoire de la planète que
sur celui de l'Islam. Comme on ne pouvait ressusciter les
colonisateurs - la France et l'Angleterre - il ne restait qu'à
rendre islamophobe l'Amérique tout entière. Il a fallu un demi
siècle à l'empire américain pour comprendre qu'il avait perdu
son rôle de croisé mondial de la Liberté et d'ange Gabriel au
cœur sur la main, parce que la mappemonde de la rédemption par
la décolonisation commençait de changer de pôle politique à
l'écoute de la Russie, de la Chine, de l'Inde et de l'Amérique
du Sud , qu'on appelait les puissances montantes.
-
Vous enseignez maintenant au Père éternel que les évènements
changent radicalement de sens historique selon l'échiquier sur
lequel on situe leur interprétation. Vous lui enseignez
également que la créature a toujours tenu la main et guidé la
plume de son prétendu géniteur. Mais si l'histoire sainte
truquait tout autant et seulement autrement l'histoire des
peuples et celle de leur identité nationale que la théologie des
démocraties de la Liberté s'attache aujourd'hui à changer le
tissu et l'éthique de Clio, comment le démontrez-vous?
- Voici :
supposez seulement que l'empire américain retrouve un jour son
prestige et son influence anciens dans un monde arabe aux yeux
duquel il avait pris les traits d'un Messie de la
décolonisation, Israël reconquerrait-il pour autant le royaume
de Salomon? Pour départager le récit surnaturel du récit
temporel, il faut commencer par vous demander laquelle des deux
interprétations répond le mieux au statut psychobiologique d'une
espèce théologisée de naissance par sa schizoïdie cérébrale, qui
la fige dans des représentations doctrinales du monde et la
lance dans l'inconnaissable. Pour cela, vous observerez en
premier lieu que deux stratégies seulement s'offrent désormais à
la théopolitique des fidèles de Jahvé. La première remonte aux
chimpanzés, qui savent fort bien se proclamer menacés par un
ennemi imaginaire pour sortir leurs griffes et montrer leurs
crocs. La seconde est plus proche des comportements collectifs
propres aux fuyards tardifs de la zoologie, ce qui rend leur
examen simianthropologique considérablement plus instructif aux
yeux des interprètes récents des millénaires de l'évolution
cérébrale de notre espèce.
Pour comprendre ce point décisif, écoutez ce que dit maintenant
l'Etat Israël entre quatre yeux aux dirigeants du plus puissant
empire du monde. "Depuis soixante cinq ans, je soutiens
pleinement et de toutes mes forces la domination sans partage
que vous exercez sur l'Europe, depuis soixante cinq ans, je vous
ai aidés fidèlement à asservir ce continent tout entier et
définitivement, depuis soixante cinq ans, j'ai mis une
civilisation brillante à l'école de votre glaive et à l'écoute
de votre évangile, depuis soixante cinq ans, je cautionne, je
légitime, je sanctifie votre saint empire au profit d'une
occupation militaire perpétuelle qui se trouve désormais
inscrite dans les constitutions de vos vassaux ; sans moi, votre
puissance serait vaine et s' effondrerait en un instant.Cessez
donc de vous imaginer que vous occupez l'Europe par l'effet d'un
miracle de la démocratie, votre idole, cessez de croire que vos
valets ont couru de leur plein gré se placer sous votre bannière
en Irak ou en Afghanistan. Votre laquais Rasmussen n'est pas
dupe de la solde que vous lui versez, il sait que je suis là.
Sans Israël, vous ne sauriez par quel territoire transporter vos
armes en Afrique et au Moyen Orient. Songez seulement que si
l'Europe tournait maintenant ses regards vers le pôle ascendant
du monde de demain et si je l'encourageais à marcher d'un bon
pas en direction des puissances qui domineront le monde avant
vingt ans, vous pourrez toujours vous vanter d'avoir conquis
quelques lopins de Mohammad sur les rives de la Méditerranée,
vous en serez réduits à jouer les manchots sur la scène
internationale et jamais plus les circonstances ne vous feront
passer pour les sauveurs du monde. Songez que vos légions
occupent encore fermement l'Allemagne et l'Italie, songez que le
port de Naples vous appartient, songez que, sans la docilité des
descendants de Salamine, la Méditerranée retomberait bientôt
entre les mains de ses riverains, songez que les descendants de
l'empire romain se réveilleraient et vous crieraient d'une seule
voix: "Mare nostrum, mare nostrum! Voyez, déjà le Japon
ne ravitaillera plus vos navires de guerre à partir du mois de
janvier! Ecoutez la sonnette d'alarme que je tire pour votre
salut."
-
Mais croyez-vous vraiment aux chances de succès d'Israël?
- Il est évident
que l'Etat juif perdra cette bataille sur les deux fronts, mais
nous ne savons pas encore comment. Sur le premier point, le
nucléaire vit ses dernières heures. Même Washington s'est décidé
à soumettre au monde entier le projet d'abandonner cet
agonisant. L'état actuel de l'évolution de la boîte osseuse de
notre espèce exclut d'ores et déjà qu'elle se vaporise
aveuglement dans l'atmosphère. Si vous mettez l'arme de leur
suicide entre les mains de deux macaques simiohumains instruits
d'aujourd'hui, ils rengaineront sagement leur foudre.
-
Vous jugez donc que l'Iran disposera nécessairement de l'arme
moribonde?
- Cela ne fait
aucun doute, parce que chacun sait qu'il sera encore longtemps
d'usage de la brandir bêtement. Le songe nucléaire ressemble à
celui que l'Eglise romaine a laissé mourir de sa belle mort,
celui de l'excommunication majeure. Bientôt, seuls les derniers
orangs-outangs pousseront leurs terribles hurlements aux
frontières de leurs forêts.
8 -
L'avenir d'une arme moribonde et l'avenir théologique d'Israël
J'observai,
sidéré, le visage attachant du premier philosophe de la
politique; et je me disais que cet homme-là avait appris le
monde à commenter les dix premiers livres de Tite-Live, comme il
le reconnaît lui-même. Or, dans ces premiers livres, le grand
historien avait chanté l'avenir glorieux des Romains, mais
douté, pour ne pas dire plus, de l'autorité des auspices et de
leurs poulets. De plus, ce Voltaire de l'Antiquité avait
démontré les ruses des premiers patriciens, qui avaient tué
Romulus de leurs mains, puis l'avaient fait dévaler du ciel et
lui avaient mis d'exaltantes prophéties dans la bouche afin de
donner l'aval des dieux à leur nouvelle puissance sur la plèbe
romaine, qui avait besoin de conserver dans le ciel le dieu
qu'elle avait adoré sur la terre. Sûrement, me disais-je, ce
grand mort a appris, il y avait un demi millénaire de cela, à
regarder les hommes et leurs dieux avec les yeux du simiologue.
Il reprit d'une voix plus chaude et plus rieuse.
- Voyez la vanité
des rodomontades du monde entier à l'égard de la foudre stérile
de l'Iran: ce peuple est devenu tellement conscient de ce que
l'arme nucléaire n'est qu'un pétard mouillé, mais qu'on ne
saurait, pour autant, pousser l'insolence démocratique jusqu'à
refuser à une grande nation la dignité suprême de mettre un
sabre de bois sur sa hanche et de parader avec un pommeau d'or
fixé à la ceinture qu'il aura suffi aux plus ardents des
guerriers de Téhéran de feindre au grand jour de renoncer à
l'arme d'un prestige de pacotille pour que les partis du centre
et de la gauche, saisis d'une sainte ardeur, prennent le relais
de la défense tonitruante de ce colifichet de l'honneur
national. Voyez la France : elle aussi s'était bien gardée de
signer le traité de non-prolifération de l'apocalypse onirique
avant d'avoir conquis le prestige de maîtriser une mythologie
inutilisable sur un champ de bataille. Les seuls Etats condamnés
à renoncer au mythe fascinatoire du jugement dernier sont les
vaincus de la dernière guerre: l'Allemagne, l'Italie et le
Japon. Quant à Israël, s'il refuse, lui, de signer son
renoncement à une apocalypse pour les singes, c'est seulement
parce qu'il lui faut, le pauvre, faire semblant de s'en trouver
dépourvu - sinon, comment se donnerait-il le rôle de l'innocent
menacé, comment convaincrait-il le monde entier de fermer les
yeux sur son expansion territoriale continue en Cisjordanie?
Quant à l'autre
stratégie des matamores de leurs gosiers, voyez comme ils
courent à l'échec : jamais l'Europe ne demeurerait sous la
tutelle d'Israël si l'empire américain renonçait à sa laisse et
à son collier, jamais l'Europe ne persévèrerait à susciter
l'hostilité des Etats arabes et de la religion de Muhammad dans
le monde entier si le Nouveau Monde descendait au fond du
gouffre où la chute du dollar le précipitera.
-
Mais alors, poursuivis-je, qu'en est-il du rendez-vous de
notre espèce avec la logique théologique qui pilote ses gènes?
- Il sera
religieux, le drame qui attend le peuple juif, me répondit ce
grand homme, parce que, depuis les origines, la théologie est la
clé du monde et elle le restera. C'est pourquoi Israël s'est
condamné à clouer éternellement la démocratie mondiale sur la
croix de son péché originel, celui d'être né du viol des
principes universel du droit international au profit . De
génération en génération et à son corps défendant, l'Etat hébreu
sera, sur tout notre astéroïde, l'épine dans le pied de la
civilisation du droit Le rappel lancinant de l'illégitimité d'un
Etat fondé sur l'expulsion par la force du peuple palestinien du
territoire de ses ancêtres démontrera que mon titre de
conseiller en théologie de la démocratie mondiale n'est pas
usurpé. Un jour les grands Etats comprendront que notre espèce
est en cours d'évolution et qu'il est indispensable de savoir à
quelle station-service notre pauvre encéphale se trouve arrêté.
9 - La
Palestine, gibet du monde
-
Mais dans ce cas, m'écriai-je, comment pouvez-vous soutenir
la politique d'un Dieu qui croit dur comme fer qu'il existe -
alors que vous savez bien qu'il n'en est rien?
- Vous voulez
rire , dit Machiavel en relevant un sourcil amusé. Certes, le
personnage majestueusement assis à ma gauche semble une
machinerie dont les treuils, les câbles et les ressorts sont
aussi visibles que les poulets des augures dont Tite-Live se
riait. Voyez comme je fais hocher l'idole du bonnet, voyez comme
je lui fais tourner la tête à gauche et à droite à ma guise,
voyez comme je lui ouvre et lui ferme les yeux à mon gré. Mais
Dieu n'est pas ici, parce que la Florence véritable n'est pas
davantage dans les uniformes de ses policiers, dans les robes
noires de ses juges, dans l'étoffe et la hampe de ses étendards
que Rome dans les poulets du sacrifice et Dieu dans ses
ciboires. Vous aurez beau chercher Florence dans ses murailles,
ses rues et ses chapelles, jamais vous ne trouverez Florence
ailleurs que dans l'âme de ses habitants. Qui est Dieu, qui est
Florence, qui sont tous les Etats et toutes les nations de la
terre, sinon des personnages intérieurs, des acteurs cérébraux?
Et qui fait l'histoire, sinon des héros invisibles et qui
existent pleinement de ne pas se trouver dans leur chair et
leurs ossements? Et quelle est leur identité, à tous ceux-là,
sinon celle de leur éthique?
-
Mais alors, répondis-je, comment faut-il traiter de
l'existence théologique du genre humain et de son histoire?
- Si Dieu et
Florence existent dans toutes les têtes, me dit le Platon de la
politique moderne et si la démocratie mondiale est calquée sur
le culte d'une Liberté casquée, et si son casque est celui de sa
Justice, que vous enseigne cette divinité-là? Voyez comme elle
se présente en annonciatrice, en messagère, en prophétesse de
l'âme de l'humanité! C'est donc en logicien que je vois Israël
clouer l'âme et l'esprit de la démocratie mondiale sur la
potence de son reniement du dieu que l'homme s'appelle à devenir
à lui-même. Mais voyez comme l'Eglise a renoncé à conquérir le
monde le glaive dans une main et la croix dans l'autre; voyez
comme la démocratie a fini, elle aussi, par se convertir à son
existence intérieure. Combien de temps la démocratie mondiale se
laissera-t-elle clouer par Israël sur le gibet de sa propre
mort, le gibet de la Palestine?
-
Machiavel, Machiavel, m'écriai-je, votre poste de conseiller
politique de la théologie mondiale des démocraties est plein
d'embûches ! Savez-vous quelle potence vous attend?
- Certes, dit le
grand Florentin, j'ai sur les bras tout le poids d'un Vatican
des cierges et du pain bénit. Mais je suis un esprit politique;
et j'ai appris dans Tite-Live que Rome a péri quand l'âme de
Rome est devenue le catafalque des Romains. Les peuples morts
ont logé leur cercueil dans leur tête.
10 - Qui
va peser le peseur?
-
Ah! combien j'aurais voulu poser une dernière question à
l'auteur du Prince! Mais en quel coin ou recoin de
la scène me serais-je blotti pour observer du dehors le prétendu
Créateur du cosmos? Car enfin, me disais-je in petto, si la
morale politique est une actrice diablement retorse en ce bas
monde et si les gestionnaires de génie de l'identité éthique des
peuples se révèlent aussi rusés que Lucifer, leur compère, et
enfin, si l'âme que notre planète voudrait rendre éternelle est
appelée à comparaître, elle aussi, devant un tribunal de
l'intelligence dont les juges se révèlent récusables, comment un
Bien et un Mal absolus exerceront-ils la magistrature suprême de
juger à leur tour les lois et la Justice d'une divinité toujours
impotente ? Ce personnage vaporisé dans le vide n'est-il pas
aussi schizoïde en diable que ses deux assesseurs? Qui me
fournira la balance à peser sa fausse souveraineté? Quelqu'un se
cache-t-il seulement derrière toutes les carrosseries du monde?
Bien avant Nietzsche, saint Machiavel a tenté de donner un
regard d'aigle aux hommes d'Etat de son temps. Mais quelle sera
la super divinité qui dressera le portrait en pied des trois
infirmes du ciel d'aujourd'hui? Pourquoi aucun ne me dit-il,
primo, pourquoi les pauvres et les malades doivent se
trouver secourus et non plus jetés à la voirie, secundo,
pourquoi les vrais Etats doivent s'abstenir de torturer leurs
citoyens, tertio, pourquoi toutes les démocraties
modernes servent de casernes aux vainqueurs implantés sur leurs
territoires depuis la fin de la dernière guerre, quarto,
pourquoi le singe cérébralisé se scinde dès le berceau entre ses
glaives et son bel canto?
Trop tard. Un
appariteur a surgi.
-
Le temps de l'audience accordée à votre minusculité est écoulé ,
me dit-il.
Il ne me restait
qu'à remercier le maître de la politique moderne pour la grâce
dont il m'avait fait bénéficier .
J'ai déjà dit au
lecteur pressé que j'avais engagé un filou d'ange-serrurier pour
forcer les portes de l'Eden. A la sortie, mon monte-en-l'air m'a
rouvert la porte à deux battants.
Publié le 9
novembre 2009 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
Les textes de Manuel de Diéguez
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