Pourquoi êtes-vous
appelés à décourager galanterie française? Parce que la question
posée sur tout le territoire national est rien de moins que de
préciser la nature théologique ou civile de la dignité de la
femme de chez nous. Quel est l'objet sur lequel l' honneur
féminin doit porter? Faut-il lui loger une divinité dans la
tête? Faut-il la contraindre à afficher des signes extérieurs
soit de sa chasteté, soit de la disponibilité de ses appas, ou
bien faut-il éduquer l'Eve moderne à l'école des sciences et de
la philosophie, au risque de nous voir damer le pion dans nos
assemblées et jusque dans nos académies? Laisserons-nous
Aphrodite rivaliser avec nos écrivains, nos physiciens, nos
chimistes, nos astronomes ? Décidément, il n'est pas à craindre
que vos délibérations étalent aux yeux de tout l'univers la
médiocrité et même l'insignifiance dans lesquelles la République
est tombée sous ce gouvernement, et cela deux siècles seulement
après le discours fameux de Royer-Collard du 26 thermidor 1797
et celui du 29 prairial de l'an V de Camille Jordan.
Ce dernier était monté à cette tribune afin
de vous rendre compte des conclusions de la commission sur la
liberté des cultes qu'il avait présidée et dont il avait dirigé
les travaux tantôt avec douceur, tantôt d'une main de fer selon
que les questions posées à la République étaient graves ou
futiles. A votre tour, vous élèverez le débat au-dessus de la
raison politique en bas âge dont s'inspire la République
acéphale que beaucoup d'entre vous combattent avec tant de
courage; et vous vous demanderez en tout premier lieu ce qu'il
est advenu du cerveau de la religion catholique deux cent treize
ans seulement après Camille Jordan et Pierre-Paul Royer-Collard.
A-t-elle perdu la tête ou gagné en esprit pour avoir égaré la
soutane en chemin? Pense-t-on mieux le corps à l'air ou
encapuchonné des pieds à la tête? A quelles difficultés et à
quelles fécondités nouvelles de l'âme et de l'esprit de la
France la République est-elle appelée à faire face en raison de
l'ascension de l'islam à l'air libre ou enturbanné sur le
territoire de notre nation et dans toute l'Europe du début du
IIIe millénaire?
3 - La vocation spirituelle de la
République de la raison
Mais il y a plus sérieux encore. Vous devez vous demander ce
qu'il adviendra des relations que l'esprit de justice de la
nation entretiendra avec la liberté de la pensée rationnelle née
du XVIIIe siècle et dont la Révolution entendait féconder
l'héritage. Y a-t-elle échoué ou réussi à demi? Pour
l'apprendre, demandez-vous quels sont les droits de la recherche
anthropologique de demain, demandez-vous ce qu'il adviendra de
la réflexion révolutionnaire sur la condition simiohumaine qui
s'amorce au sein de nos sciences dites "de l'homme", mais
qui sont demeurées si timides et sur lesquelles l'éducation
nationale a pris tant de retard. En un mot, quelle est votre
politique de la raison du monde et qu'adviendra-t-il du destin
cérébral de notre espèce dans une civilisation qui ne saurait ni
retourner aux balivernes des cosmologies mythiques de nos
ancêtres, ni conjurer le nihilisme si la France devait échouer à
nourrir l'ascension spirituelle et le souffle des grandes âmes.
Car le génie de la France fécondait le pacte pascalien de
l'angoisse avec la foi, de l'épouvante sacrée avec le silence de
l'immensité, de l'alliance de l'espérance avec la connaissance
rationnelle de l'univers, du traité que la science de l'époque
croyait avoir conclue avec les moissons futures de
l'intelligence.
Loin de vous la tentation de cacher à la
République de la raison le tragique de la question de
civilisation qui vous est posée ; loin de vous la tentation de
soustraire aux regards d'une démocratie de la pensée le
spectacle qui s'offre à la raison et à l'esprit de justice qui
vous inspirent. Vous refuserez d'abaisser le débat auquel
l'intelligence de la France vous appelle, vous ne convierez pas
les Bridoison et les Diafoirus à débiter les rengaines d'une
scolastique de la démocratie. A l'instar des orateurs de la
Révolution, qui se sont bien davantage colletés avec le roi du
ciel qu'avec le roi de France, vous voici appelés à en découdre
dans l'arène de la République avec le ciel de demain. Si la
tragédie politique qui s'annonce devait affaiblir la vaillance
et l'intelligence de quelques-uns d'entre vous, nous savons tous
que la France de la lucidité demeurera majoritaire dans cette
assemblée et que vous ne quitterez pas les planches où
l'histoire s'apprête à jouer les Eschyle et les Shakespeare de
votre siècle.
4 - La voix des
Sirènes
Certes, elles se
pressent en grand nombre aux portes du temple de la Liberté, les
voix tentées par les dérobades que la peur peut inspirer au
législateur. Mais notre siècle n'est pas encore tombé dans une
ignorance ou une méconnaissance telles de la nature même des
religions et des critères qui en cernent la définition que nous
aurions oublié de nous mettre à l'écoute des corps de doctrine
que l'ambition de leurs docteurs expose aux regards du public et
qui fonde leur prétention multiséculaire à des connaissance
qu'elles veulent avoir reçues du ciel. Nous gardons tous en
mémoire que les cosmologies mythiques fondent leurs faux savoirs
sur des dogmes reçus tout d'une pièce des mains d'une divinité.
Mais, à ce titre, l'étoffe de la burqa n'est pas davantage liée
à la profession de foi des docteurs de l'islam que les ex-votos
des chrétiens ou leurs prie-Dieu ne sont des objets sacrés par
nature et ne font l'objet d'un culte en tant que tels. Aucune
matière n'est sainte, serait-elle de l'or pur - la burqa et la
croix, le niqab et les ciboires, les barbes et les cierges ne
sont que des signes extérieurs d'une croyance dont les manières
d'en user et de les manifester demeurent multiples et non
contraignantes.
Mais, dira-t-on
pour autant que les agenouillements et les prosternations ne
sont pas l'expression de la foi chrétienne sous prétexte qu'il
n'en est question ni dans les évangiles, ni dans les manuels de
droit canon les plus sévères, ni dans les plus graves traités de
théologie, ni dans les raisonnements les plus serrés et les
mieux cadencés de l'éloquence de la chaire? Délaissez ces
broutilles sacrées; elles n'ont que faire avec la réflexion de
fond sur les cloches qui sonnent dans les têtes. Elles ne visent
qu'à substituer des billevesées cléricales à la question de la
solidité et de la fragilité de la boîte osseuse des fuyards de
la nuit animale. N'escamotez pas la question de l'âme et de
l'esprit de la France, ne brandissez pas les frivolités des
juristes d'Allah ou des docteurs d'une scolastique de la
République.
5 - De l'évolution
du contenu des lois
Représentants de
la nation, il vous appartient de peser le sens exact des mots
dont les premiers législateurs du peuple souverain ont usé, de
préciser ce que les siècles ultérieurs font dire aux lois
promulguées dans les temps anciens, de mesurer l'évolution que
les temps nouveaux ont imposée à l'interprétation du contenu
moral et scientifique des corps juridiques hérités du passé et
de comprendre les causes et les conséquences des métamorphoses
récentes de leur sens et de leur portée, afin de faire débarquer
parmi les Cujas et les Bartole d'aujourd'hui les progrès
continus des savoirs et les mutations de l'esprit public.
En
1797, la Constitution disait en son article 354: "Nul ne peut
être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte
qu'il a choisi . - Nul ne peut être forcé de contribuer aux
dépenses d'un culte. La République n'en reconnaît et n'en
salarie aucun." Que signifie le "choix" d'un
culte, que signifie "reconnaître", que signifiait
le verbe salarier sous la plume du législateur
bourgeois de 1797?
Vous savez que Napoléon 1er, Louis XVIII, Charles X,
Louis-Philippe et Napoléon III ont tenté de modifier le sens des
termes de cet article, mais que sa première rédaction a
néanmoins été intégralement reprise par la Constitution de 1871.
Et pourtant, combien ce texte de loi se révèle flou aujourd'hui!
En 1797, l'expression "se conformer aux lois", signifiait
que la foi catholique était dominante et que, par conséquent, il
était bien impossible au législateur de ne pas accorder un
monopole à l'alliance que la politique conclut avec les
religions depuis le paléolithique, puisque les croyances sacrées
expriment l'essentiel du politique, celle de savoir qui est le
maître, quels ordres il nous donne et comment lui obéir.
Ecoutez Royer-Collard: "C'est de la législation américaine
que nous avons emprunté la plupart de nos maximes, sans prévoir
peut-être assez la prodigieuse différence de l'application
qu'elles subissent parmi nous. Là, une multitude de sectes
éparses sur un vaste territoire s'entremêle en quelque sorte
dans chaque cité et jusque dans le sein des familles. Ici, trois
religions à peine se partagent une population de vingt-six
millions d'hommes ; et, dans ce partage excessivement inégal, la
religion catholique rallie sous ses antiques bannières les sept
huitièmes des Français."
Dans cet esprit, Royer-Collard alliait encore la lucidité
politique la plus réaliste à la foi révolutionnaire la plus
ardente: "Représentants du peuple, entre tous les moyens
d'action et de salut que vous a confié sa volonté souveraine
[celle du peuple], c'est à la justice que vous accorderez sa
préférence. Gardiens de l'ordre social, c'est la justice que
vous placerez entre les intérêts discords [discordants]
et les passions rivales; hommes d'Etat, vous vous emparerez
encore de la justice, comme du plus profond des artifices et
de la plus savante des combinaisons politiques." [C'est
moi qui souligne]
Que dit
encore le Machiavel républicain de l'esprit de justice de la
France? "La destruction
du catholicisme ne pourrait s'opérer que de deux manières : ou
par l'anéantissement de tout principe religieux, ou par
l'établissement d'une nouvelle religion, qui deviendrait
aussi la religion de la majorité. [C'est
moi qui souligne] Or, ce
n'est pas trois ans après le 9 thermidor, c'est-à-dire trois ans
après l'affranchissement de la raison humaine [C'est
moi qui souligne], qu'il est
besoin de prouver que l'anéantissement de tout principe
religieux serait l'anéantissement de l'ordre social. "
En
1797, la notion de "conformité aux lois" exprimait encore
l'intérêt politique bien compris et sur le long terme d'une
République immergée dans la foi catholique. Mais quelle
modernité, déjà, dans le rappel des besoins anciens et pérennes
des peuples auxquels la religion était chargée de répondre: "Ce
n'est pas à des législateurs éclairés qu'il est besoin de redire
que jamais, non jamais, ils [les philosophes] ne
donneront le change au plus impérieux besoin de la multitude,
le besoin de croire [C'est moi qui souligne], le
besoin de s'élancer dans l'avenir, le besoin d'étendre ses
espérances et ses craintes au-delà des bornes du monde physique
et de la vie humaine".
6 - Le retard scientifique de la laïcité
française
Qu'en est-il aujourd'hui des besoins religieux de l'humanité?
Quelles modifications les nouveaux rapports des forces entre la
foi et les progrès de la science et de la pensée ont-ils imposé
aux Etats modernes? Deux siècles seulement ont passé; et
pourtant ce court laps de temps a suffi à changer la nature même
des religions, tant aux yeux des sciences dites "humaines"
que du législateur d'aujourd'hui, tellement il est devenu
irrationnel de soutenir que les religions seraient "choisies"
par leurs fidèles, comme il est dit avec une candeur désarmante
dans l'art. 354 de la Constitution de 1792. Car depuis les
encyclopédistes, toute l'intelligentsia européenne d'avant-garde
savait que les croyances sont un phénomène collectif par nature
et qu'à ce titre elles sont nécessairement inculquées aux
enfants par leurs aînés, lesquels les ont toujours reçues du
groupe à leur tour, et cela non seulement de génération en
génération, mais de siècle en siècle.
Mais si aucune religion n'est réfléchie par
l'individu, si toutes sont vigoureusement ou doucement
implantées par le pouvoir parental dans les consciences en bas
âge, ce sera toujours et nécessairement par la force des choses
qu'elles deviendront constitutives de l'identité intellectuelle
et morale de l'adulte et de son groupe d'appartenance ; et si un
enfant protestant reçoit d'autorité la vérité religieuse de la
bouche des pasteurs de Luther et de Calvin et un enfant
catholique de la bouche des prêtres romains, l'éducation
nationale aura introduit dans le monde la révolution la plus
extraordinaire, celle de laisser à chaque génération devenue
adulte le soin, si elle n'en a pas perdu la capacité, de gérer à
son propre compte le capital catéchétique enraciné dans des
têtes sans défense par les premiers éducateurs de l'âge tendre.
La pesée ultérieure des dogmes et des doctrines religieuses
souverainement enracinés par des tiers médiateurs et trompeurs
se trouvera donc strictement conditionnée par le degré de
rigueur et de pénétration de l'esprit critique que
l'enseignement des Etats laïcs aura tardivement dispensé aux
générations nouvelles. Mais l'éducation nationale européenne ne
reçoit jamais que des sujets préfaçonnés sept ans durant et à
leur corps défendant par les officiants parentaux d'un culte.
C'est pourquoi la Première République n'était pas en mesure de
répondre au vœu de Voltaire, qui demandait que l'on apprît à "penser
par soi-même". Le résultat vous le connaissez tous : un
siècle et demi après la parution de L'Evolution des
espèces de Darwin et quatre-vingt trois ans après celle
de L'Avenir de l'illusion de Freud, la loi de
1797, reprise par la IIIe République après quatre retours
précipités aux trônes et aux autels, se trouve désormais aussi
éloignée de l'anthropologie scientifique du XXIe siècle et de la
physique à quatre dimensions que l'Eglise du XVIe siècle se
voulait l'ennemie de l'astronomie de Copernic et celle du XVIIe
siècle des découvertes de Galilée.
7 - Le retard
philosophique de l'éducation nationale
Mais si le législateur du XXIe siècle ne peut plus prétendre que
les cultes seraient librement "choisis" par leurs fidèles
- et cela au nom d'une autonomie illusoire des consciences et
des volontés qui leur aurait été accordée par un décret de la
providence ou par une loi de la République - faut-il donc que
vous en reveniez aux philosophes du XVIIIe siècle, les d'Holbach
ou les Helvetius? Vous savez que, pour le premier, la
distinction entre la justice et la bonté du souverain
ressortissait à l'analyse politique de l'intérêt général des
Etats. Un roi juste était celui qui appliquait la peine de mort
à bon escient et non celui qui, par bonté d'âme, "détachait
un criminel de ses fers" et provoquait "la mort de
cinquante hommes".
Quant au baron d'Holbach, écoutez ce passage de son
Système de la nature: "En un mot, les hommes, soit
par paresse, soit par crainte ayant renoncé au témoignage de
leurs sens, n'ont plus été guidés dans toutes leurs actions et
leurs entreprises que par l'imagination, l'enthousiasme,
l'habitude, le préjugé et surtout par l'autorité, qui sut
profiter de leur ignorance pour les tromper. Des systèmes
imaginaires prirent la place de l'expérience, de la réflexion,
de la raison : des âmes ébranlées par la terreur et enivrées du
merveilleux ou engourdies par la paresse et guidées par la
crédulité que produit l'inexpérience se créèrent des opinions
ridicules ou adoptèrent sans examen toutes les chimères dont on
voulut les repaître."
Représentants du peuple, voyez comme la
question de la liberté des cultes a changé de nature ! Le peuple
français n'est plus jeté en pâture aux croyances, mais, en
contrepartie, le voici privé de connaissances réconfortantes sur
l'origine et la finalité de l'univers, le voici jeté dans le
vide et le silence de l'immensité, le voici privé de la
connaissance scientifique de l'espace et du temps eux-mêmes dont
bénéficiait l'ignorance de ses ancêtres.
Quelles sont aujourd'hui votre responsabilité et votre
impuissance de législateurs, d'éducateurs et de guides de la
France? Voyez à nouveau combien votre siècle s'est éloigné de
l'an V de la République. En ce temps-là, des hypothèses puériles
faisaient trembler le pays. On s'était accoutumé, comme le lui
disait déjà Royer-Collard, à regarder comme sacrées des
absurdités qu'il n'était pas permis de contester ou d'en douter
un seul instant. L'ignorance n'était pas seulement la mère des
chimères les plus folles, l'ignorance n'était pas seulement le
refuge de la crédulité, de la fainéantise et de la peur :
l'ignorance faisait le ciment même de la société. Ecoutez
d'Holbach fustiger la puissance des rites, des règles et des
coutumes : "C'est l'habitude qui engendre le respect
scrupuleux pour l'antiquité et pour les interprétations les plus
insensées de leurs pères". De là, "les craintes qui les
saisissent quand on leur propose les changements les plus
avantageux ou les tentatives les plus probables. Voilà pourquoi
nous voyons les nations languir dans une honteuse léthargie,
gémir sous des abus transmis de siècle en siècle et frémir de
l'idée même de ce qui pourrait remédier à leurs maux."
8 - L'islam et la
France
Mais quel abîme entre l'islam d'aujourd'hui
et le christianisme de l'époque! La religion de Mohammad est
parmi les moins obscurantistes de toutes, ne serait-ce que parce
qu'elle est la plus tardive et qu'elle savait déjà qu'Allah
n'est en rien appelé à se mêler d'astronomie ou de physique.
Vous n'y trouverez aucune des grandes constructions de la
scolastique du Moyen Age, aucune règlementation pointilleuse du
royaume du ciel et de celui des empires infernaux. Le musulman
est soumis à des Etats eux-mêmes ritualisés par une religion
fondée sur l'obéissance aux pouvoirs établis et empreints d'un
culte de la fatalité divine qui leur interdit à leur tour
d'enseigner l'insurrection et la révolte à leur population. La
fatalité, c'est la loi, la fatalité est à l'écoute d'Allah ,
l'histoire tout entière n'est que l'écho du destin du monde.
Royer-Collard n'était pas le seul orateur de la Révolution à
insister sur l'évidence que l'esprit de soumission est commun à
toutes les religions : la catholique, s'écriait-il, a beau se
montrer "ennemie des raisonnements humains, elle appuie
l'obéissance non sur des doctrines contestées, mais sur des
décrets de la Providence qui préside à la destinée des empires."
Vous n'avez donc rien à craindre d'un esprit de rébellion et
d'insurrection dont l'islam serait gros, puisque tous les dieux,
même ceux qui banquetaient sur l'Olympe, s'accordent à légitimer
leur propre volonté, tellement ils obéissent en retour aux Etats
qui ont bien voulu adopter leur cosmologie.
Mais voyez combien vous n'êtes pas à la fête pour autant:
Royer-Collard pouvait encore se permettre d'insister sur les
services que l'Etat et la religion se rendent l'un à l'autre . "Vous
reconnaîtrez la nécessité, disait-il, de consolider la liberté
religieuse , afin qu'elle consolide à son tour le gouvernement
qui l'aura protégée. Vous reconnaîtrez la nécessité de l'appuyer
sur des bases inébranlables, afin qu'elle rende à vous-mêmes
l'appui que vous lui aurez prêté." [C'est moi qui
souligne] En ce temps-là, les décrets de la providence étaient
encore tenus pour si évidents et s'étalaient si bien à tous les
regards que l'orateur pouvait s'écrier: "Législateurs de la
France et non de l'univers, vous détournerez vos regards des
hauteurs de la spéculation et vous les abaisserez sur ce qui
vous environne. Législateurs positifs de la police des cultes
qui existent, et non de la police abstraite des cultes qui
n'existent pas, vous ne dédaignerez pas de vous informer de
ce qui est et de recueillir les faits qui peuvent éclairer vos
délibérations. [C'est moi qui souligne]"
Les "faits" parlaient encore si haut et si fort qu'on
pouvait vous dire: "Représentants du peuple, dans la
nécessité de l'alternance que j'ai présentée, si c'est la plus
insensée comme la plus coupable des espérances que celle de
détruire une religion généralement et depuis longtemps adoptée
par le peuple, il est évident que le gouvernement qui
s'obstinerait à la proscrire courrait le risque d'en être
lui-même détruit, sinon par la violence insurrectionnelle, au
moins par l'effet plus lent, mais plus sûr, des mécontentements
populaires." Mais que sont devenues les "bases
inébranlables" qui fondaient la vie politique sur la
religion et réciproquement?
9 - Le nouvel
échiquier de la raison
Voyez, vous
n'avez plus à combattre ni le catholicisme, ni l'islam sur le
front de la foi et de la doctrine de ces deux religions, mais
seulement parce que le danger nouveau qui vous menace est devenu
plus redoutable que celui d'hier. Quel est l'échiquier sur
lequel vous avez désormais à répondre d'une situation sans
exemple et que vous n'apprendrez à regarder en face que si vous
élevez votre courage à la considération des derniers fondements
de l'Etat et de la politique? Car dites-vous bien que nous ne
sommes plus régis ni par la loi de 1797, ni par celle de 1871,
mais par celle de 1905 , qui, certes, n'a porté atteinte en
rien, dit-elle, à la liberté des cultes, mais qui a entraîné des
conséquences politiques et sociales infinies pour avoir séparé
l'Eglise de l'Etat sans qu'en contrepartie la France de la
pensée se fût engagée dans une réflexion rationnelle en
profondeur sur les religions dont la postérité des Diderot et
des Voltaire attendait précisément d'une République de la raison
qu'elle en récoltât les moissons. Car, à partir de 1958, vous
avez contraint l'Eglise catholique non seulement à confier son
enseignement à des pédagogues formés dans les écoles de la
raison et de la lucidité, mais à ne faire usage que de manuels
scolaires rédigés par des esprits pénétrés des convictions de
l'esprit de raison que la République et la démocratie
véhiculaient depuis le XVIIIe siècle.
Mais pourquoi, encore une fois, avez-vous immolé toute réflexion
anthropologique sur la notion même de raison dans vos prétendues
"écoles de la raison", pourquoi avez-vous privé la raison
de sa vocation naturelle de faire progresser sans fin la raison,
pourquoi avez-vous pris autant de retard sur la raison et la
science de demain que la religion catholique d'autrefois sur
Copernic ou Darwin?
Prenez garde: si vous renonciez à la fois à
l'enseignement des religions et à celui de la raison
scientifique de demain, vous ne ferez qu'ajouter l'obscurantisme
républicain à l'obscurantisme théologique d'autrefois.
Savez-vous que, depuis plus de deux siècles - au moins depuis
Hume et Kant - la raison du monde court vers le tragique ?
Allez-vous enfanter une raison aussi catéchétique que celle des
Eglises ou bien profiterez-vous de l'affaiblissement politique
des religions dont votre siècle fait bénéficier la pensée sur la
planète pour redonner à la République sa vocation originelle
d'éducatrice et de formatrice de l'intelligence de la France?
10 - L'âme de la
raison
Si vous pensez
que l'heure n'est plus de folâtrer, si vous pensez que l'heure a
sonné de guider les peuples vers l'âge adulte, si vous croyez
que l'heure de vos horloges vous demande de dire aux Français
que la raison est la route de la solitude, si vous êtes
convaincus que les cadrans de Clio ne distribuent pas de
sucreries, si vous avez quitté l'âge folichon pour une humanité
mûrie, vous devez savoir que notre espèce se trouve larguée dans
un cosmos sans limites où seuls le silence et la nuit lui
servent d'interlocuteurs et que ces interlocuteurs-là sont plus
muets encore que les aiguilles de vos breloques. Mais si vous
voulez changer le tic tac de votre semi raison en un nouvel
évangile pour les ignorants et les sots, alors prenez conscience
de ce que vous vous trouvez à la croisée des chemins du tragique
de l'Histoire du monde où l'avenir dépendra de votre science de
l'âme même de la raison et de la pensée dont vous aurez été les
premiers accoucheurs.
Car seule une intelligence plus profonde que
la vôtre vous conduira à la connaissance des relations toujours
meurtrières que les mythes sacrés entretiennent avec la
politique. Mais vous n'avez pas encore appris à connaître les
secrets de l'assassin divin dont Robespierre vous a fourni les
clés. Et pourtant, c'est à ce tueur évangélique que vous devez
la découverte de ce que les relations étroites que son Etre
Suprême entretenait avec la guillotine étaient construites sur
le même modèle que le Dieu des chrétiens dont les tortures
infernales alourdissent les mains du sceptre de ses châtiments
éternels.
J'y reviendrai. Mais pour l'instant, voyez combien la vocation
spirituelle de la République naît de la plongée du scalpel de la
raison de demain dans les entrailles de la politique et de
l'histoire conjointes de Dieu et de sa "créature", voyez
combien la vocation de la Liberté née des échafauds vous
contraindra à armer la France de demain du message spirituel de
la laïcité que les Eglises ont clouée sur leurs potences.
Comment votre
raison conquerrait-elle un jour le rang d'éducatrice de la
France et de l'humanité si elle n'enseignait ni la Justice, ni
le droit, ni la morale ? Représentants du peuple, votre raison
n'a pas de catéchèse de la Fraternité, votre raison n'est pas
ascensionnelle, votre raison ruine l'enseignement des élévations
de la raison, votre raison ne conduit les nouvelles générations
qu'au nihilisme.
Quand je vois
cent mille désespérés de la fraternité républicaine s'assembler
à seule fin de s'enivrer en commun, quand je vois une génération
entière remplacer la drogue de l'obscurantisme par celle des
stupéfiants, quand je vois la jeunesse formée dans les écoles de
la République des léthargies de la raison se prosterner devant
des chanteurs hurlants dont elle fait ses idoles, je me dis que
vous êtes coupables de la plus grave des trahisons, celle
d'avoir ignoré la vocation spirituelle de l'intelligence et le
message apostolique de la raison elle-même.
Mais croyez-vous
vraiment que vous ferez le poids devant l'islam, même si cette
religion n' est pas théologisée au sens occidental du terme ,
même si elle n'est pas cérébralisée à outrance par des siècles
de scolastique, même si elle n'est pas doctorale et catéchétique
comme le catholicisme, croyez-vous que vous ferez le poids
devant Allah si, privés à la fois du Coran et des Evangiles,
vous interdisiez à l'héroïsme de la raison de se colleter avec
le néant? Quelle est votre éthique de l'intelligence, quelle est
votre pédagogie des cœurs si le courage adulte, celui de vous
colleter avec le silence et le vide ne faisaient pas de vous les
libérateurs et les saints de demain?
11 - La France et Allah
Comme nous sommes loin des babioles de la piété, comme nous
sommes proches de poser à la France la question de la vie
spirituelle de la raison républicaine! Représentants du peuple
souverain, je vous conjure de quitter en toute hâte l'établi de
vos soucis quotidiens, de déserter à toute allure vos tracas
électoraux, de délaisser sans plus attendre les petits potagers
de la République et d'élever vos cœurs et vos têtes à la
question la plus urgente, celle de l'enseignement du ciel de la
raison dont la devise de la République n'a que trop tardé à
accoucher. La liberté ne serait-elle pas un sérieux sujet de
réflexion, ne ferait-elle pas l'objet d'un enseignement "spirituel",
l'égalité assècherait-elle vos cœurs, la fraternité
n'aurait-elle pas un mot à dire à la démocratie de
l'indifférence aux semailles de la raison?
Ce n'est pas l'islam qui vous menace, mais
vos fausses dévotions, ce n'est pas Allah que vous avez à
combattre avec les pauvres armes que vous avez trouvées dans le
berceau de la laïcité de 1797. Votre véritable ennemi n'est
autre que votre mépris du genre humain. Comme vous le cachez
bien sous les vêtures de vos idéalités! Mais la décérébration de
la laïcité, c'est le naufrage du véritable esprit républicain.
Vous avez abandonné la tâche des premiers instituteurs de la
IIIe République, ces hussards de la foi en l'homme et en
l'avenir de la raison. Ils avaient compris, eux, que la
Révolution est une religion par elle-même, une religion de
l'universalité du genre humain, une religion de l'esprit de
raison, une religion de la vocation ascensionnelle de la pensée,
une religion libérée des clergés, des garrots et des dogmes, une
religion sans théologie de la peur, sans idole de l'épouvante
sacrée, sans couperets de l'orthodoxie, sans bûchers de la
terreur, sans échafaud divin, mais une religion au vrai sens du
terme, une religion de la dignité et de la liberté du genre
humain. Non le Coran ne se présente pas dans l'arène de la
culture française et de la civilisation occidentale comme un
adversaire de la liberté et de la justice républicaine, mais
comme une école des cœurs, non le Coran ne présente pas à Allah
le cadavre d'un homme dévotement consommé sur ses autels, mais
une brebis, celle-là même des premiers chrétiens.
Dans le Dictionnaire critique de la Révolution française,
la tête pensante de François Furet, Mona Ozouf, écrivait: "La
première religion révolutionnaire avait tout bonnement été la
religion chrétienne et singulièrement la religion catholique.
Les fêtes fédératives avaient incarné l'alliance de la ferveur
religieuse et de la ferveur révolutionnaire. Elles avaient mêlé
le Te Deum et le serment civique. Elles avaient porté les
nouveau-nés sur l'autel de la patrie , sous la voûte des épées
dressées par la garde nationale, accroché la cocarde tricolore à
leurs langes et célébré un double baptême, catholique et
révolutionnaires. Elles avaient entendu des curés prononcer des
sermons qui étaient aussi des ordres du jour. L'église gallicane
qui tenait dans ces cérémonies un rôle central, célébrait la
parenté de la Révolution et de l'évangile, ou encore, comme
l'écrivait Fauchet, l'accord de la religion et de la Liberté.
" (p.605)
Mais si l'Eglise gallicane concélébrait la "parenté de la
religion et de l'évangile" ou encore "l'accord de la
religion et de la justice", si on évoquait un "Jésus
patriote", si on allait jusqu'à "redéfinir le Royaume de
Dieu", voyez comme l'islam français de demain vous dicte
d'ores et déjà l'avenir de votre "police des cultes", le
destin de votre intelligence des religions, la direction de
votre philosophie de l'Etat et de la République, l'axe de votre
pédagogie de l'âme et du cerveau de la démocratie ! Pourquoi
l'Islam vous conduira-t-il à enseigner une fraternité plus haute
et plus pure que celle des Eglises, pourquoi l'islam vous dit-il
que tout votre effort de donner à la République son élévation et
sa vie spirituelle sera un appel à ne pas laisser la France
retomber dans les dogmes et les superstitions d'une religion du
tribut et de la rançon?
Représentants du
peuple, croyez-vous vraiment que vous légifèrerez sur la burqa
dans un désert et sans que le dialogue de la France avec l'islam
véritable débarque dans le débat public? L'heure est venue de
vous informer des faits, comme disait Royer-Collard, l'heure est
venue pour vous de compléter votre science politique d'une
connaissance rationnelle de l'islam. Car la France officielle
d'aujourd'hui ne connaît plus le contenu d'aucun religion, ni
même du catholicisme. Mais la République vous dit qu'à vous
mettre sur les yeux le bandeau de l'ignorance laïque, c'est la
démocratie que vous mettez en danger. Par bonheur, Royer-Collard
et d'autres députés de la première République, vous donnent
l'exemple d'une lucidité hautement politique du sacré.
12 - Les richesses
spirituelles de l'Islam français
Qu'est-ce à dire ? Sachez que l'islam est la
première religion qui ait compris le péril politique et
spirituel que les clergés hiérarchisés et tenus d'une main de
fer par leur chef font courir aux Etats, la première qui ait mis
chaque fidèle face à face avec un Allah intérieur, la première
qui ait tenté d'enseigner à tout un peuple les germes de la
solitude réservée aux grands mystiques. Les chrétiens de haut
vol, les saint Jean de la Croix, les Me Eckhardt, les Nicolas de
Cues n'ont fait que retrouver la semence des âmes brûlantes du
feu de leur propre incandescence. Savez-vous que saint Thomas
d'Aquin a découvert sur son lit de mort l'inexistence de tout
Dieu extérieur à la conscience? Savez-vous que l'islam présente
les conditions de la floraison des incendiaires de la raison de
demain?
Certes, dans un
premier temps, une religion privée de clergé se trouve condamnée
à ritualiser les masses et à les soumettre à une piété quasi
conventuelle. Dans les pays arabes, les fidèles accourent de
tous côtés comme des fourmis à l'appel du muezzin. Mais en
France et en Europe, l'islam ne pourra changer durablement
chaque musulman en moine et en prêtre solitaire d'Allah. Il en
résultera une cléricalisation passagère de cette religion. Mais
cette dérive ne sera que passagère et jamais elle ne se rendra
comparable à la sacerdotalisation viscérale du christianisme
antérieur à la Révolution et à la Constitution civile du clergé.
Quand la grégarisation impérieuse de la foi se sera éteinte dans
des proportions suffisante pour qu'une élite française de
l'islam ensemence les hautes âmes de Muhammad, la France de la
raison de demain découvrira les sources de la spiritualité
occidentale qu'attend le IIIe millénaire, celle qui retournera
le couteau de la raison dans la plaie des religions immolatoires.
Depuis les temps les plus primitifs, les cultes se sont fondés
sur l'offrande sanglante d'un homme ou d'une Iphigénie sur
l'étal des sacrifices à une idole. Mais si vous vous donnez six
mois seulement après la promulgation de votre loi sur la burqa
pour éclairer l'entendement embrumé des spectres ambulants qui
ne représentent en rien l'islam de l'esprit, où sont vos
pédagogues? Comment enseignerez-vous autre chose qu'une laïcité
acéphale, sans feu et livrée à des idoles que la raison
elle-même aura sécrétées?
Vous voyez des ombres funèbres croiser votre
chemin et vous n'avez pas de science de la conscience, vous
voyez des sépulcres vivants promener la faux des Parques dans
une France tombale et vous n'avez pas de vie de l'esprit à leur
offrir, vous voyez la mort même habiller de vêtements funèbres
une religion pourtant fondée sur l'immortalité de l'esprit et
vous ne savez que dire à ces spectres, parce que votre humanisme
n'a pas de regard sur les fondements de la dignité humaine. Vous
êtes responsables de la grandeur spirituelle de la France et
vous avez perdu les armes de l'âme qui vous permettraient de
vous porter à la hauteur de votre mission.
L'islam de demain
ne vous dira pas seulement que la charité chrétienne n'était
qu'un marché de dupes, que la charité chrétienne conduisait à un
commerce du salut et de l'immortalité, qu'elle vendait aux
guichets des cieux des titres de crédit sur l'éternité. Mais
vous êtes les précurseurs de l'avenir cérébral d'une religion
qui se libèrera rapidement de chaînes d'ores et déjà moins
lourdes que celles du christianisme. Si vous apprenez une
laïcité plus haute et plus pure que celle des hommes d'un gibet,
vous guérirez la République et l'Etat de la désespérance qui les
guette - sinon, craignez de précipiter derechef la civilisation
mondiale dans les ténèbres.
Voyez comme votre apostolat est à l'école
des leçons que vous tirerez du meurtre sacré des chrétiens,
voyez comme votre noblesse spirituelle s'ouvrira aux
intelligences et aux cœurs riches de l'attente de leur feu. Ce
sera du silence et du vide que vous recevez les secours, ce sera
du néant que vous nourrirez la vie spirituelle de la raison.
Mais mon propos n'est pas de vous entretenir davantage de la
science des âmes qu'attend la République. En revanche, si vous
entendez sonner le pas d'un humanisme plus profond, vous
comprendrez que la pensée française doit se mettre à
l'avant-garde de la réflexion de ce siècle sur le dieu tueur.
Quelle sera la piété de votre intelligence?
13 - La cruauté du scalpel de la raison
et l'autel de " Sainte Guillotine "
En vérité, la première République avait fait
de vous bien davantage que les représentants du peuple
souverain: vous étiez les dignitaires et les prêtres de la
Liberté et votre vocation spirituelle répondait à un appel. La
France était votre royaume d'ici-bas et de là-haut. Mais pour
dépasser l'idole du tribut à la mort, il vous faudra recourir à
des ressources encore inconnues de la pensée rationnelle
elle-même, il vous faudra apprendre à faire battre le cœur d'un
clergé de l'âme et de l'esprit digne de la République, il vous
faudra mettre la France à l'écoute de sa propre devise. Comment
y parviendriez-vous si vous n'aiguisiez le couteau de la raison
de demain, si vous ne perciez le secret de l'échafaud de Dieu,
si vous n'appreniez à autopsier le sacrifice que les chrétiens
offrent à leur trépas, si vous ne vous éleviez au rang des
chirurgiens de la fureur et de la sauvagerie de leur Dieu? /p>
Qu'était-il au plus secret de vous-même, le Jupiter du gibet et
de la potence, le Dieu de la guillotine qui s'appelle
l'Histoire? Par bonheur, vous serez aidés dans votre exploit
chirurgical par des autopsies de la religion de la Croix dont le
culte de l'Etre Suprême vous aura fourni un paradigme
anthropologique presque parfait. Pourquoi Robespierre a-t-il pu
s'écrier devant la Convention: "Je ne connais que deux
partis, celui des bons et celui des mauvais citoyens".
Pourquoi a-t-il pu demander à la République d' "écraser
toutes les factions du poids de l'autorité nationale pour élever
sur leur ruine la puissance de la Justice et de la Liberté"?
Pourquoi les accusations devant le Tribunal révolutionnaire
portaient-elles leur arrêt de mort imprimé d'avance à la suite
de la formule usitée, afin qu'il n'y eût plus qu'à y inscrire le
nom du condamné ? Pourquoi les crieurs chrétiens d'une
République chrétienne criaient-ils en riant: "AAchetez la
liste de ceux qui ont gagné à la loterie de "sainte guillotine"?
14 - Le Dieu des assassins
Pour l'apprendre vous vous demanderez quelles relations la
religion entretient avec la terreur de l'autel. Je crois que
seule Mona zouf a pressenti, il y a plus de deux décennies, la
parenté profonde du culte de l'Etre Suprême avec l'échafaud du
sacrifice. Voyez comme son génie a pressenti, dès 1988, les
découvertes ultérieures de la psychanalyse anthropologique de
l'immolation chrétienne ! Citant le rapport de Floréal sur la "religion
révolutionnaire", elle rapporte ce passage: "Asseyez-vous
sur les bases immuables de la justice et ravivez la morale
publique(c'est-à-dire ayez une religion d'Etat). "Tonnez
sur la tête des coupables et lancez la foudre sur vos ennemis"
(c'est-à-dire ayez la guerre et la Terreur). On sent ce qui
raccorde les deux séries d'impératifs. Il n'est pas facile de
faire accepter la Terreur à des hommes qui croiraient qu'une
force aveugle frappe au hasard le crime et la vertu, qu'il n'y a
aucune réparation à attendre de la postérité, bref, qui
souscriraient aux "désolantes doctrines de Chaumette". Il
est encore moins facile de signer personnellement l'œuvre de la
Terreur. Pour faire tolérer cette nécessité et en gommer toute
marque personnelle, quelle meilleure caution et quel meilleur
abri que la Providence ? L'Etre Suprême n'est nullement alors
une fantaisie incongrue, mais le moyen adapté d'accoter la
Terreur à une orthodoxie. " (p. 609-610)
Vous avez bien lu: "Accoter la Terreur à une orthodoxie"!
La "marque personnelle" de l'innocence de Dieu
serait-elle le gibet saintement rançonneur, le tribut de la
potence, le prix du sang récompensé par le guichetier de
l'immortalité ? Représentants du peuple, si vous entendez armer
la République de la vie spirituelle dont sa devise est grosse,
si vous entendez redonner son élan ascensionnel à une laïcité
que vous avez rendue acéphale, si vous entendez que l'homo
democraticus retrouve le souffle ascensionnel de
l'inexistence de Dieu dont l'ombre prolongée est celle de son
idole, si vous entendez faire monter le pain des sacrilèges dans
le four des incendiaires de leur déréliction, il vous faudra
apprendre à autopsier le saint boucher des sacrifices, le
souverain de la terreur sacrée, le tortionnaire des trépassés
dont Robespierre a retrouvé le sceptre et le tribut, la "caution"
et l'"abri", lui qui a accoté le dieu des enfers au
couteau effilé de la sainte guillotine. Mais pour cela, ce sera
l'âme cachée de la dévotion qu'il vous faudra apprendre à
l'écoute de la sainteté de vos blasphèmes.
Représentants
d'un peuple de profanateurs, prenez conscience de ce que
l'intelligentsia mondiale d'aujourd'hui demeure aussi éloignée
de connaître les arcanes de l'univers physique de son temps que
le siècle de saint Augustin avait oublié le principe
d'Archimède. Savez-vous que le mystère est de retour au cœur de
la matière, savez-vous qu'il s'est logé parmi les atomes,
savez-vous que la vitesse de la lumière court comme un furet
dans une durée qu'elle ratatine, savez-vous qu'un corps en
mouvement est plus court qu'un corps à l'arrêt, savez-vous que
les particules élémentaires tombent dans le temps, puis
retournent au néant, savez-vous qu'un corps en mouvement se rend
plus court qu'un corps appesanti par son immobilité, savez-vous
que l'univers n'a pas quatre dimensions seulement, mais des
centaines qui nous demeurent inconnues, savez-vous que la
géométrie d'Euclide et la logique d'Aristote ont trépassé il y a
cent six ans de cela, un jour de 1904 et que nous ne leur avons
pas trouvé de tombeau, savez-vous que l'infini fait de vous des
insectes voués à poser des clôtures ridicules autour de leurs
lopins?
Voilà de quoi
donner à l'islam vivant de demain et à la France de la raison un
autre pain du vertige que celui du culte d'une idole à nourrir
de chair et de sang; voilà le nouveau royaume de l'intelligence
qui vous attend par delà les gibets que le dieu des chrétiens
dressait dans vos têtes. Puisse la République apprendre d'un
Dieu absent le regard de sa raison sur le meurtrier d'un
innocent et sur les pieux assassins agenouillés devant ses
autels.
Publié le 12 mai 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
Les textes de Manuel de Diéguez
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