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Qu'est-ce que philosopher ?

La civilisation de la pensée critique et l'avenir intellectuel du printemps arabe (2)
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Lundi 9 janvier 2012

Il est stérile de comparer les plaines et les marécages du christianisme avec les plaines et les marécages de l'islam. Les civilisations se fécondent à l'écoute de leurs voix sommitales. A l'heure où le printemps arabe ouvre la porte aux rectitudes altières du cœur et de la raison, à l'heure où la jeunesse d'Allah enfantera quelques têtes ivres des espérances et des droitures de l'intelligence, la seule sève commune à toutes les civilisations ascensionnelles est celle des lucidités de feu.

L'humanité est une espèce stratosphérique. A ce titre il lui arrive de se tromper de pics à escalader. Les monstres bifaces que sécrètent alors nos encéphales nous scindent sur le modèle de tous nos Etats et de tous nos tyrans, qui nous distribuent des récompenses et nous infligent des châtiments. Peu d'entre nous savent que ce sont des idoles.

L'histoire a dressé un Mont Thabor et creusé le gouffre de la mort en Palestine. Ce sommet brûlant et cette forge sanglante attendent le lancement de la civilisation du prophète vers sa nouvelle sainteté; et cet espoir enseigne que la religion de la croix et celle du croissant gravissent le mont Carmel d'une victoire de l'esprit. Mais Rome a perdu son âme et son souffle, Rome expose ses ossements dans les ténèbres où son cadavre attire les derniers bénisseurs de ses funérailles et l'islam étend ses morts sur les claies de ses rites et de ses prières. Qui allumera les torches du ciel dans ces sépulcres ? Si, comme disait Malraux, le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas, le moment n'est-il pas venu, pour l'Occident et pour l'islam, de se demander ensemble quel incendie il leur appartient d'allumer et à quel feu commun ils appellent les âmes à se consumer.

Voici ma sixième réflexion d'affilée sur l'avenir de l'islam de la raison et sur la résurrection de l'Europe de l'esprit. Je suis quelquefois tenter de retourner un instant sur la planète de Gutenberg. Mais je ne me parjurerai pas : depuis onze ans, j'essaie d'apporter ma microscopique contribution à la construction d'une rampe de lancement qui permettrait à d'autres plumes que la mienne de changer internet en piste d'envol d'une alliance de la géopolitique avec l'anthropologie philosophique. Car la Palestine est devenue l'enclume de la spiritualité du monde de demain.

En ces jours d'une nouvelle année des gibets de la "liberté", qu'il soit permis à un laïc de parler du ciel. .


1- Vous êtes à la croisée des chemins
2 - Votre public
3 - Votre vocabulaire
4 - A la recherche du vrai Allah
5 - Le mécano de la preuve
6 - L'Occident et le temps
7 - Le trépas du temps d'Euclide
8 - Les Socrate d'Allah
9 - Votre Allah intérieur
10 - A la recherche d'Allah
11 - Le singe distanciateur

1 - Vous êtes à la croisée des chemins

Si vous entrez en campagne vaillamment et bannière au vent, votre premier exploit sur les sentiers de la guerre sera de disposer des avant-postes qui vous avertiront de ce que l'espèce de bimanes à laquelle vous appartenez obéit à la pente naturelle de se laisser piloter par des sorciers et des magiciens du cosmos, tandis que tous les autres animaux disposent d'un encéphale sûr de lui, mais limité à la perception des objets qui se réfléchissent sur leur rétine.

Puis vous paierez d'audace à vous démontrer les uns aux autres que les rêves religieux du simianthrope se distinguent des armes de bord dont se sert leur corps; car nos voix enfantent des personnages qui s'adressent à nous en retour et qui nous changent en interlocuteurs courageux ou terrorisés du fabuleux et du fantastique que nous avons engendré. Puis nos songes, devenus bavards, étendent leurs tentacules jusqu'à la prétention inouïe de nous faire réciter l'origine de l'univers et la "finalité dernière" de tous les êtres vivants.

Vous constaterez ensuite que le corpus des croyances à connaître sur le bout des doigts et à l'école desquelles notre boîte osseuse se rend loquace se nomme une orthodoxie et que les codes doctrinaux du seul animal à prêter sa voix à la course impavide des atomes se perpétuent de génération en génération par le canal d'un enseignement impérieux, que nous appelons une catéchèse. Du coup, vous saurez que l'assujettissement du croyant à des comportements liturgiques imperturbables et qualifiés de rituels, est destiné à enraciner sans relâche dans son esprit des préceptes et des dogmes censés avoir été dictés par Jupiter en personne à ses porte-paroles nommément désignés.

Comment vos historiens de la troisième ou de la quatrième génération de la souveraineté des peuples - ils ne commenceront de s'exprimer que vers 2050 - se mettraient-ils à l'école de ceux d'aujourd'hui, qui se trouvent encore infailliblement informés, et de la bouche même des nantis du ciel, de la nature véritable et de la marche écrite d'avance de l'histoire universelle? Les dieux vieillis se changent en témoins inébranlables de leur propre sénescence et en garants pétrifiés de ce qu'on leur a fait dire dans les siècles passés. Aussi, à chaque époque, leur enseignement se ramène-t-il à protéger l'humanité des dangers de son indifférence à l'égard d'un souverain immuable, donc à la préserver des conséquences fâcheuses de l'oubli des ordres de son maître. Tant qu'une divinité réputée unique et censée trôner en personne dans l'infini ne se trouvera pas réfutée, il vous faudra vous rabattre à expliquer son enseignement proprement politique - et vous verrez bien quelle part vous aurez prise à son travail de législateur intouchable du cosmos et de nos sociétés.

2 - Votre public

Vous n'aurez plus le public français et même européen de Renan ou même d'Anatole France à satisfaire. Ces ancêtres avaient tenté de porter sur les dieux d'autrefois le regard que les savants ès humanité de leur temps portaient sur leurs semblables; mais la connaissance rationnelle des ressorts et des rouages cérébraux de notre espèce était encore tellement chétive et à ce point amputée du surréel céleste qui dichotomise l'encéphale de notre espèce que la lunette de leurs télescopes et la lentille de leurs microscopes ne leur montraient jamais que les fausses couches d'une raison encore dans l'enfance.

Vos lecteurs à vous étendront les ramifications de leur problématique de l'histoire et de la politique à la masse immense des chrétiens, des musulmans et des juifs essaimés sur toute la terre habitée; et ce sont eux, vos auditeurs futurs, eux qui attendent déjà de vous une connaissance du genre simiohumain moins superstitieuse que celle du Moyen Age, mais également plus intelligente que celle des descendants endormis ou tombés en léthargie du Siècle des Lumières. Vous vous trouvez à la croisée des chemins de l'humanité réflexive, celle d'où elle s'élancera vers l'avenir de la pensée ou s'en retournera au culte des idoles.

3 - Votre vocabulaire

C'est pourquoi votre premier devoir sera de rappeler à une Europe désormais privée de sa mémoire religieuse le vocabulaire oublié du sacré dont usaient les documents anthropologiques que vos ancêtres appelaient encore des théologies. Vous enseignerez à la civilisation décélestifiée d'aujourd'hui que l'on appelait créatures la masse incalculable des fidèles réputés avoir été enfantés par un géniteur et par un père mythique du cosmos, alors que les dieux précédents s'étaient contentés de mettre de l'ordre dans un chaos innommable.

Puis, vos historiens d'avant-garde entreront dans le cerveau peureux d'Adam, cet organe tellement angoissant qu'il s'en cache à lui-même la périlleuse existence; car le mangeur de la pomme des savoirs intrépides se montre tellement épouvanté par les neurones qu'ils a ramenés de là-haut qu'il en attribue la propriété et les apanages tantôt à ses Jupiter, tantôt au démon. Vous analyserez ensuite les opérations pseudo cogitantes qui permettent à tous les simianthropes délogés de leur ciel d'attacher une signification rationnelle, qu'ils appellent intelligibilité, aux explications inconsciemment oniriques qu'ils continuent de se fournir du sens du cosmos des mortels et du destin de leur charpente sidérale.

L'intelligibilité du monde que sécrète l'encéphale simiohumain se présente toujours à la fois ficelée à la notion de finalité pratique et d'accomplissement dans l'éternité. Le concept tout utilitaire et naïf de compréhensibilité qui dirige l'espèce de raison bifide de cet animal lui propose un grand nombre d'artifices. Le monde visible se révélant aisément prévisible à l'école du calculable, la matière passe dans son esprit pour avoir débarqué de plein pied dans le royaume de son élucidation sitôt que l'explication censée la rendre loquace lui permet de se livrer à une exploitation intensive de ses redites. Afin d'accéder au profitable, le simianthrope se fait donc de ses constats expérimentaux sans cesse répétés l'oracle universel de la vérité scientifique.

4 - A la recherche du vrai Allah

De quoi la nature est-elle censée parler toute seule à se répéter inlassablement? Pourquoi se met-elle soudainement à vous entretenir de la signification réputée l'inspirer, alors que, dans le même temps, ses devins attribuent ses bavardages à Jupiter? Et pourquoi Jupiter se précipite-t-il sur son encrier et se met-il tout courant à rédiger de gros livres dans lesquels il veut bien associer ses intérêts politiques à long terme à ceux qu'il attribue à sa créature?

Vous voici sur la piste de l'énigme qu'il vous faudra résoudre: pourquoi, vous direz-vous le sempiternel suffit-il à fabriquer du signifiant dans la tête de Jupiter et dans la vôtre confondues et comment les deux encéphales accouchent-ils parallèlement et par magie de ce modèle-là du compréhensible? Qui les a mis tous deux à l'école de la validité théologique qu'ils attribuent ensemble aux coutumes de la matière?

Pour tenter d'apprendre l'origine de la parole du sens dans le berceau du profitable, vous soulignerez l'ambiguïté dont souffre le verbe comprendre dans l'encéphale du ciel et dans le vôtre: d'un côté, ce verbe voudrait se rendre universel, de l'autre, il emprunte des chemins si astucieusement pré-aménagés en vue de sa mixture avec l'utile qu'il en vient à capturer un réel toujours valorisé d'avance au profit des deux maîtres qu'il a mis de mèche dans sa tête; et ces malheureux jumeaux cachent si bien leur gémellité derrière le décor qu'ils parviennent à rendre indissoluble l'association trompeuse du réel et du signifiant, qu'ils nouent inlassablement l'un à l'autre à l'aide d'une corde décidément un peu grosse, qu'ils appellent leur bon sens. Vous remarquerez également que, malgré la multiplicité des acceptions du substantif raison au sein de cette espèce, le vocabulaire qu'elle préconstruit sur ce pacte secret et dont elle grave les termes sur l'enclume du verbe comprendre rend la tribu hémiplégique.

Car toutes les religions sont des mangeoires célestes; et à ce titre, elles se donnent pour vocation de contrôler et de rendre le plus utile possible l'alliance indéfectible du pithécanthrope avec un pachyderme du ciel dont les autels réclament sempiternellement leur pitance. Quel effort titanesque de Naoh, Nam et Gaw de se construire un habitacle mental stabilisé par leurs dévotions et de nourrir pieusement le feu sacré de la tribu ! Mais si le surnaturel et le fabuleux perpétuellement allumés à la gloire d'un mammouth vorace des nues passent pour le combustible sacré de la foi, comment la jeunesse du monde n'attendrait-elle pas un islam fécondateur d'une pensée rationnelle d'un autre calibre? Et si votre jeunesse attendait seulement le mammouth aux portes trompeuses du même paradis et du même enfer que celui des chrétiens, comment insuffleriez-vous au monde entier le feu de votre ascension au ciel de l'intelligence? Devenez les géniteurs du vrai Allah, celui qui allume vos cœurs en Palestine.

5 - Le mécano de la preuve

Mais pour brûler sur les sentiers d' Allah, il vous faudra guider les historiens sur les chemins de la connaissance de l'inconscient idolâtre qui commande encore une rationalité occidentale prématurément qualifiée de scientifique. Car le simianthrope au parcours cérébral interrompu est un truqueur. Voyez comme il a construit son espèce de raison sur le modèle que ses premiers magiciens ont imaginé de lui fournir. Voici le montage de meccano : prenez, dit-il, un réseau de référents que vous qualifierez de moraux et que vous appellerez des valeurs, mais que vous aurez pris grand soin de choisir fort intéressés par leurs rendez-vous fictifs avec les évènements physiques que la nature sera censée leur fournir régulièrement et en abondance. Puis, vous métamorphoserez allègrement ces rencontres en preuves de leur signification, donc de leur prétendue intelligibilité en soi. La raison simiohumaine de l'Occident est expliquante sur le modèle juridifiant, de sorte que le concept de loi de la nature se valorise de se construire sur une morale civique. Mais derrière le rideau, cette éthique de singe est toujours celle du profitable, lequel se rend compréhensible, comme il est dit plus haut à l'école des magiciens de l'utilitaire.

Voyez comment l'Occident remet le sceptre de la vérité aux mains d'un animal dont le cerveau schizoïde passe pour vérifier des signifiants gravés dans le cosmos. Dans la physique classique, les constances impavides de la matière en mouvement passaient pour l'expression de la légalité de ses parcours; et sitôt que les comportements muets du cosmos étaient rendus prévisibles, donc exploitables, le faux constat surgissait selon lequel l'automaticité du coutumier enfanterait le sens, donc le rentable dûment confondu d'avance avec le compréhensible. Observez comment ce personnage déambule sur les planches d'un théâtre des signifiants: puisque la "raison" occidentale et mondiale donne rendez-vous à une ponctualité rendue mirifiquement volubile par la voix off du profitable, comment cet acteur ne témoignerait-il pas de ce que l'encéphale du simianthrope est préconstruit sur la parole qu'il octroie à l'utilitaire?

Mais il se trouve que cette sorcellerie expérimentale a été frappée d'une catastrophe épistémologique qui a rendu le judaïsme, le christianisme et l'islam étrangers à la science moderne; car, en 1904, l'Occident a découvert que le temps calculable est une face cachée et incompréhensible de la matière en déplacement dans l'espace et que la durée accélère ou ralentit la course des atomes au gré de la vitesse qui les transporte. Du vivant encore de Marie et de Pierre Curie, l'Europe des physiciens savait déjà que si je chevauchais un rayon de lumière pendant un an, la vitesse de ma course freinerait à tel point la coulée du temps dans mon corps que je retrouverais un globe terrestre vieilli d'un siècle et qui aurait giré cent fois autour du soleil ; et je débarquerais de mon cheval de lumière au milieu de la cinquième génération de mes descendants.

Si, de son côté, l'Occident attend seulement de l'islam spirituel qu'il découvre un Allah tridimensionnel en Palestine, l'islam spirituel, pour sa part, attend d'un Occident encore livré à des chronomètres parlants qu'il lui fournisse les armes de la raison trans-temporelle qui lui manquent encore - mais quelle promesse du vrai ciel d'Allah que la collaboration de l'islam avec les nouveaux Prométhée de la vitesse de la lumière ! Et pourtant, l'Occident est demeuré aveugle à la révolution de la physique mathématique qui, en disqualifiant l'alliance du "sens rationnel" du monde avec les sciences vainement tridimensionnelles d'autrefois, contraindra les Socrate de demain à se demander dans quelle anthropologie les religions enracinent la problématique de leurs idoles chues dans un temps terrestre et localisé.

6 - L'Occident et le temps

Afin de vous démontrer l'immaturité intellectuelle et spirituelle de l'Europe d'Euclide et d'Archimède, sachez que toute notre classe dirigeante et la plus grande partie de nos savants ne sont pas encore entrés dans l'univers multidimensionnel d'Einstein et que leur retard dépasse depuis lontemps celui que l'Eglise catholique du XVIIIe siècle avait prise sur l'astronomie de Copernic.

En 1922 un échange épistolaire demeuré célèbre entre Bergson et le découvreur de la relativité générale de 1905 a permis d'illustrer la cécité et le retard intellectuels de nos philosophes de la science astronomique, ainsi que de toute la classe politique mondiale. Car l'auteur de l'Essai sur les données immédiates de la conscience de 1888 et de L'Evolution créatrice de 1907 se rattachait encore à saint Augustin qui, dans ses Confessions, avait soutenu que le temps était une "distension de l'âme". A ce titre, il croyait, comme tous les animaux, à la séparation, évidente à ses yeux, entre l'espace et le temps qu'Aristote appelait l'instrument de mesure du mouvement; et il reprochait véhémentement à une science devenue abusivement matérialiste de spatialiser le temps intérieur, le temps spirituel, c'est-à-dire d'observer la coulée du temps véritable comme celle d'un monde uniformément extériorisé. Pourquoi décompter les heures au seul spectacle d'un artifice de la physique, celui d'une aiguille trottant menu sur le cadran d'une horloge ? En vain Einstein rappelait-il au philosophe, alors tenu par le plus grand de son époque, que les rouages des horloges se trouvent effectivement ralentis par le déplacement de leur mécanique et que les ressorts de leurs machineries chiffrées sont physiquement paralysés par leur transport dans l'étendue à la vitesse d'un milliard et quatre vingt millions de kilomètres à l'heure.

7 - Le trépas du temps d'Euclide

Aujourd'hui encore, l'encéphale de nos savants est demeuré viscéralement tridimensionnel; et leurs neurones nous font valoir qu'Einstein aurait seulement "complété" l'astronomie de Newton, alors que l'évènement décisif à enregistrer était de nature anthropologique, à savoir que le cerveau de notre pauvre espèce se trouve "formaté" à titre psychogénétique par l'univers euclidien, de sorte que ni le "sens commun" d'Aristote, ni les "lumières naturelles" des théologiens du Moyen Age ne sont plus en mesure de nous préserver de la cécité d'un animal livré pieds et poings liés à l'inintelligibilité éternelle d'un cosmos indéchiffrable par nature à notre encéphale. L'abîme entre les verbes savoir et comprendre est devenu infranchissable.

A cela, l'Occident tridimensionnel vous répond froidement que seule la raison pratique intéresse notre espèce et que la géométrie simiohumaine d'Euclide nous permet de construire des ponts qui tiennent, tellement l'erreur à notre échelle est trop infime pour les faire s'effondrer. Mais précisément, au lieu d'élever Muhammad au rang, supposé flatteur pour lui, d'un savant en biologie, en physique ou en astronomie, l'islam spirituel a le devoir de se demander, aux côtés de l'Europe de la pensée de demain, où se trouve "Allah" l'intemporel et quelles retrouvailles de l'Europe et de l'islam avec l'avenir spirituel du pithécanthrope écriront la véritable histoire de notre boîte osseuse.

Car, par un paradoxe instructif, Bergson est le seul philosophe qui ait compris que l'évolutionnisme de Darwin posait la question de fond, celle de l'avenir spirituel d'une espèce évadée de la zoologie et que cet avenir est lié aux sociétés qu'il qualifie d'ouvertes, par opposition aux sociétés closes sur leurs rites et sur les redites de leur lettre. Bergson s'est trompé sur la nature du temps physique; mais le temps spirituel, lui, est grand ouvert en Palestine. Aussi la question fondamentale de l'anthropologie critique est-elle de se demander ce qui fait du simianthrope un animal ouvert ou fermé. Bergson qualifierait aujourd'hui de créatrice une civilisation ouverte sur le "vrai Allah".

Vous formerez donc les historiens de demain à l'école d'une raison qui frappera la classe dirigeante mondiale d'aujourd'hui d'un retard intellectuel plus difficile à rattraper que celui qui croyait "objectiver" des signifiants: l'homme plante seulement dans le cosmos des signes de sa signalétique diogénique. Si l'ouvert devenait le signe du spirituel, le vrai Allah aura pris rendez-vous avec l'avenir socratique du Moyen Orient.

8 - Les Socrate d'Allah

La radiographie anthropologique du concept de "sens rationnel du monde" révèle qu'il s'agit d'un porte-signe de l'hémiplégie dont souffre le verbe comprendre et dont le simianthrope actuel projette la claudication sur la ruée de la matière; car il ne suffit pas de rendre le cosmos dûment prophétisable à notre échelle et de le livrer à la coulée énigmatique du temps pour le rendre intelligible. L'identité semi animale de notre espèce s'inscrit dans les codes cérébraux oraculaires qu'elle se construit et qu'elle appelle des problématiques. C'est ainsi que le primitif perdra la vie s'il a égaré son gri-gri, tellement le réseau de signifiants, subjectifs par définition, qui pilote cet animal exprime les relations portatives qu'il entretient avec les esprits de ses ancêtres censés se cacher sous l'écorce des arbres. Mais si la symbolique du talisman, de l'amulette ou du fétiche bavards s'est substantifiée dans le gri-gri pythique, le physicien classique sera l'orphelin de feu la loquacité euclidienne de l'univers - il aura perdu son gri-gri à lui, c'est-à-dire le prétendu sens "rationnel" que le tri-dimensionnel projetait sur le monde physique d'autrefois; et il ignorera que le monde actuel demeure construit sur une sorcellerie qui s'imagine rendre explicative l'expérience sans cesse confirmée par des calculs dûment vérifiés en tant que tels et par l'observation inlassablement répétée des évènements. Et si vous ne savez pas que le vrai monde n'est jamais celui qui se présente à votre regard, mais celui qui se cache derrière le spectacle, que vaut votre savoir?

Bien que le temps soit devenu la face incompréhensible de la matière, bien qu'il n'y ait plus d'intelligibilité naturelle du cosmos depuis que toutes les églises du sens commun ont fermé leurs portes, les calculs exacts à notre échelle ne passent pas encore pour réfutés - ils sont toujours censés faire tenir aux équations de la quatrième, de la cinquième ou de la sixième dimension le même discours "classique" que les gri-gris trépassés d'Aristote. Mais pourquoi la meule de l'expérience terrestre persévèrera-t-elle néanmoins à faire tenir aux redites coutumières des atomes la parole du sens que prononçait la logique oraculaire d'Euclide - celle du prétendu "sens rationnel de l'univers" en longueur, largeur et profondeur de Descartes? Parce que les signifiants que nous projetons sur le monde sont demeurés aussi comestibles que les prébendes nourricières que nos sacrificateurs d'autrefois offraient sur leurs autels à leur mammouth du ciel.

Observez donc les nouveaux devins de l'alimentaire simiohumain, voyez-les traquer dans les entrailles de leurs équations la parole de la raison ventrale réputée venir au rendez-vous des mathématiques. Les picotins dociles que mâchonne l'expérience sont ceux d'une raison censée tapie dans le cosmos. Mais tout sens est nécessairement une projection de l'humain sur un monde muet et rendu "parlant" par des artifices du langage. Depuis que les "lumières naturelles" du simianthrope se sont éteintes, les chiffres dont cet animal consultait les entrailles sont devenus silencieux comme des carpes. Leur exposition sur les plateaux de la balance de l'utilitaire nous font honte. Mais qui fait parler haut et fort l'expérience bien rémunérée, qui sonorise le cadavre de la bête immolée sur les offertoires, qui donne une voix aux rabâchages du cosmos, qui rend la matière bavarde sous le masque volubile où le sacré s'écrie: "Au commencement était le Verbe", sinon le Messire Gaster de Rabelais?

Il vous appartiendra de connaître les traits et la complexion d'une espèce réfléchie depuis des millénaires dans ses copies célestifiées qu'on appelle des idoles. A cette fin, vous enseignerez aux futurs historiens socratiques à se rendre pensants à l'école de l'observation du singe vocalisé et qui fait tenir des discours au fléau de la balance muette sur les plateaux de laquelle il dépose des preuves truquées en sous-main.

9 - Votre Allah intérieur

Mais alors, de quel feu de vos cœurs le vrai Allah se nourrit-il, à la flamme de quelle sainteté Allah va-t-il s'allumer en vous, quel est le rendez-vous de cette divinité avec le sommital qui vous éclaire et que vous dit-il de sa lumière en Palestine ? S'il est miséricordieux, la foi qu'il dicte à ses fidèles ne saurait obéir à la peur des tortures éternelles de l'enfer qu'il brandit sottement. Ecoutez-le à Gaza. "Me prenez-vous pour une bête féroce? Croyez-vous que le cosmos soit la proie du sauvage sous les traits monstrueux duquel vos pinceaux osent me peindre?

Je vous demande d'écraser de tout le poids de votre sainteté le faux dieu dont la fureur est à l'image de la bête que vous êtes demeurés à vous-mêmes. C'est vous, le colosse qui s'acharne sur un microbe coupable, à vos yeux, de ne pas s'être suffisamment prosterné la face contre terre devant le trône cruel et grotesque qui n'appelle que votre mépris. Apprenez à toiser de haut les idoles sculptées à l'image de vos carnages, enseignez à votre Allah une éthique supérieure à celle que vous vous récitez, faites comparaître votre Allah contrefait devant le tribunal des juges de vos idoles. Pourquoi les idolâtres de son temps ont-ils tué Isaïe ? Parce qu'il avait fait dire à Jahvé: "J'ai horreur de vos sacrifices; et vos mains dégoulinantes de sang sur mes parvis me dégoûtent." A vous de faire dire à Allah par la voix de l'ange Gabriel: "Vous allumez le feu de votre foi à l'école de votre terreur; la sainteté vers laquelle vous courez la peur au ventre me dégoûte, votre adoration épouvantée, sachez que je l'ai en horreur."

10 - A la recherche d'Allah

Si la magistrature suprême d'Allah vous appartient, si Allah est le feu de vos âmes, si Allah vous attend en Palestine, quel sera le combustible de votre éthique? L'anthropologie critique enseigne aux futurs historiens des ténèbres que le paradis et l'enfer sont nés des mystères d'Eleusis. Au terme des cérémonies initiatiques, des portes d'airain s'ouvraient avec fracas et les horreurs du Tartare apparaissaient aux regards des néophytes terrifiés. On raconte que tout retentissait du bruit des chaînes et des cris des malheureux; on raconte que les furies armées de fouets s'acharnaient sur des coupables pâles et tremblants. Puis, les néophytes étaient conduits vers les bosquets délicieux que les chrétiens ont copiés des parcs et des prairies riants de la Perse. Une clarté pure brillait dans le "paradis" - l'étymologie du mot grec "paradis" signifie à côté et à l'abri du parc effrayant où l'on lâchait les tigres et les lions que les grands chassaient au péril de leur vie. Les trois religions du livre se sont collé aux oreilles les écouteurs du ciel et de la géhenne du Dante de la vengeance céleste à Eleusis, qu'on appelait le hiérophante, en grec l'orateur sacré.

Décidément, je crois que vous n'avez pas encore trouvé le vrai Allah en Palestine et à Gaza. A sa place, je ne vois qu'un ridicule metteur en scène de son "ciel" et de son "enfer", je ne vois qu'un grossier démagogue de la gloire que l'atrocité de ses tortures est censée combler, je ne vois que l'idole en apprentissage dont vous vous rassasiez. Quelle est l'effigie pieusement enragée d'une créature qu'assouvissent le sang, les larmes et les supplices dont son dieu insatiable se repaît? Est-ce vous ou Allah, les minutieux et les avares de votre ciel, est-ce vous ou Allah qui réclamez de vos victimes un paiement proportionné aux autels ensanglantés que vous dressez à la sécheresse de vos cœurs, est-ce vous ou Allah qui comptez vos sous de si près, est-ce vous ou Allah qui immolez vos frères en Palestine, est-ce vous ou Allah qui présentez leur pitance aux offertoires géants sur lesquels vous sacrifiez vos frères à Gaza?

Le vrai Allah n'est pas le banquier de votre piété, le vrai Allah n'est pas le trésorier de vos dévotions, le vrai Allah ne remplit pas sous la terre des geôles plus vastes et plus cruelles que celles d'Israël, le vrai Allah n'est pas le sacrificateur en chef du cosmos, le vrai Allah n'entretient pas les feux de votre enfer intérieur, le vrai Allah n'est pas le serviteur d'un animal épouvanté de naissance par le vide qui l'étrangle, le vrai Allah n'est pas l'administrateur d'une thérapeutique de la torture, le vrai Allah n'est pas le solitaire sacré du cosmos, l'idole qui n'aurait plus personne ni dans son dos ni au-dessus de sa tête, le vrai Allah vous fait brûler son effigie, le vrai Allah vous dépeint en microbes apeurés et qui rejettent sur les épaules d'un Atlas gigantesque la terreur qui les habite sous le soleil. Mais qui vous dit que votre peur n'accable pas votre faux Allah, qui vous dit que vous ne calmez pas une idole à lui donner vos corps à torturer? Le tyran des nues que vous mettez en scène fait de vous des otages de vos crimes.

Mais voyez le masque ambigu dont le substitut gigantal de votre solitude vous affuble dans les nues; car il semble bien que vous entendez tirer le plus grand bénéfice de la taie de la fausse sainteté que vous vous mettez sur les yeux. Décidément si votre faux Allah s'empresse de prendre sur ses épaules la solitude qui vous ronge et que vous fuyez à toutes jambes, quand commencerez-vous de vous voir réfléchis dans le miroir que votre idole vous met sous le nez?

L'anthropologie critique que vous mettrez entre les mains des historiens pensants de demain ne sera pas seulement un appareil d'observation de l'intelligence à l'œil de lynx que vous allez enfanter: cette discipline verra de ses yeux le joug de votre épouvante fidèlement réfléchi dans le miroir le plus limpide et le plus sûr, celui du faux Allah que vous exposez sur les places publiques en Palestine et à Gaza. Mais sachez que votre idole sauvage, vaniteuse et stupide, c'est vous qui la sécrétez. Puisse l'effigie de ce génocidaire vous aider à descendre de quelques marches dans les profondeurs de votre histoire et de votre politique!

-Comment enseigner sa souveraineté au citoyen (3) - Le discours interdit, 18 décembre 2011

11 - Le singe distanciateur

Quel sera l' ultime recul intellectuel d'un animal à la cervelle léthargique et comment radiographiera-t-il les documents semi cérébralisés que son encéphale sécrétait de siècle en siècle sous l'appellation de théologies ? Vous êtes condamnés à légitimer l'ambition la plus cachée du XVIIIe siècle, celle de faire débarquer la connaissance des idoles dans les sciences humaines du XXIe siècle. Voyez comment votre future anthropologie critique mettra en évidence la distanciation extrême à laquelle le singe devenu semi pensant est susceptible de parvenir, voyez comment la science de votre éveil interrompra trois millénaires de l'histoire du sommeil de la raison occidentale.

Mais, direz-vous, qu'adviendra-t-il des premiers clercs radicalement séparés du reste de nos congénères? Serons-nous assignés à résidence dans le cloître du vide, serons-nous les premiers saints du néant, serons-nous les ascensionnels du cosmos appelés à briser la dépendance ancienne d'un animal que terrorisaient les oracles qu'il avait fétichisés?

Je n'en sais rien. En revanche, je suis sûr que vous ne vous écarterez plus de la route que les trois derniers millénaires ont ouverte à vos travaux et dont le tracé vous impose de suivre le rude itinéraire; car les premiers historiens ont vainement tenté de faire comparaître la science historique de tous les temps devant le tribunal suprême de leur intelligence; et comme les ultimes secrets de l'univers étaient censés se trouver entre les mains des dieux, les Hérodote et les Xénophon voyaient partout une divinité jalouse attendre les hommes et les empires pour les précipiter dans l'abîme. Mais quand il devint manifeste que les dieux n'étaient pas fort savants et que leurs oracles ne rendaient pas réellement explicative la mémoire embarrassée de leur créature, celles-ci se sont résignées à décrypter leur passé à la seule école de la connaissance partielle et piteuse d'eux-mêmes qu'ils avaient acquise de leurs sanglantes mésaventures.

C'était oublier sottement que si les hommes se réduisent à errer dans le cimetière de leurs dieux morts, ils se privent des connaissances qui leur permettraient d'apprendre les secrets qu'ils avaient cachés sous l'effigie de leurs divinités. Vous vous trompez depuis Thucydide à négliger la dissection de vos dieux trépassés, vous vous trompez à laisser vos catafalques à l'abandon - si vous ne visitez les nécropoles du sacré que vous êtes devenus à vous-mêmes, jamais vous ne déchiffrerez les siècles de votre errance, tellement vos dieux, c'est vous, tellement vous êtes tour à tour les architectes et les fossoyeurs de vos ascensions et de vos naufrages à l'ombre ou à la lumière de vos effigies divinisées.

Je salue les obstacles qui vous attendent. Puissent vos projections sur grand écran de l'animal sidéral placer la philosophie de demain dans la postérité spirituelle et politique de Socrate, puissent vos dieux morts vous conduire au dévoilement des ultimes ressorts de l'animalité humaine.

Le 9 janvier 2012

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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