Les Défis de l'Europe
La République et
les enjeux intellectuels de l'histoire
Septième lettre ouverte au Président de
la République
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 8 décembre
2012
Comment vous raconter Guantanamo?
(suite)
M. le
Président ,
1 - La France et
la raison
Devant
la page blanche d'une septième et
dernière lettre ouverte au chef de
l'Etat socialiste et laïc que les
Français ont porté pour cinq ans à leur
tête, je songe aux relations que je
voudrais vivantes que la France
entretiendra avec la marche et le destin
de la pensée mondiale. La nation de la
raison prendra-t-elle le relais et la
relève de l'ambition du siècle des
Lumières? Un tournant décisif attend
l'histoire de l'intelligence parce qu'il
n'appartiendra qu'au peuple du
Discours de la méthode de faire
débarquer une discipline nouvelle, la
spectrographie anthropologique et
critique des mythes religieux dans la
première civilisation dont l'audace aura
tenté de donner sa portée à la pensée
logique et de fonder les savoirs fiables
sur la cohérence de l'argumentation qui
les soutient. Car enfin, si nos neurones
intellectifs sont en cours de formation
continue, notre intelligence demeure
grippée et nous devons tenter de
décrypter l'animalité spécifique,
c'est-à-dire cérébralisée de notre
espèce.
Par
bonheur, la postérité intellectuelle des
encyclopédistes français domine
désormais la politique des Etats et des
nations sur les cinq continent; et, dans
le même temps, la réflexion sur la bombe
atomique s'est placée au cœur de la
géopolitique de l'apocalypse. Les
chancelleries appellent ce tournant
anthropologique de la science de la
guerre une "conversion de la pensée
stratégique mondiale à la dialectique
nucléaire". Quelles relations la
stratégie de l'apocalypse religieuse
entretient-elle avec le mythe de la
Liberté?
Le degré de maturation de la
connaissance anthropologique et
philosophique des ressorts et des
rouages psychiques de la foudre
exterminatrice auquel vous conduirez la
raison de la France au cours de votre
quinquennat décidera de la place que
vous occuperez dans l'histoire cérébrale
de notre astéroïde; mais si, en ce début
du troisième millénaire, vous ne
répondiez pas à l'attente des boîtes
osseuses sommitales du pays, aucune
autre peuplade que la nôtre ne se
substituera à la cogitation
d'avant-garde de notre République, parce
que seuls les descendants de Voltaire,
de Renan, de Descartes, de Molière, de
Diderot, de Montaigne sont appelés par
leur culture démythificatrice à
approfondir la spectrographie politique
des théologies. Sinon la raison mondiale
ne sera pas conduite à un démontage
précis de l'inconscient religieux qui
commande la foudre nucléaire dans les
esprits.
2 -
Votre théologie de l'épouvante
Comme
vous le savez, M. le Président, le
premier historien rationnel de la
religion chrétienne fut un oratorien
français, Richard Simon, né la même
année que Louis XIV, en 1638, et qui
mourut trois ans avant le roi, en 1712,
millésime de la naissance de l'auteur du
Contrat social et du
Discours sur l'inégalité. En
ce temps-là, la science historique ne
s'étaient pas encore réduite un récit
acéphale des floralies culturelles de
tout l'univers, mais la tête chercheuse
d'une pensée trans subjective et
critique. L'histoire critique du
vieux Testament de Richard Simon
parut en 1678 et son Histoire
critique du nouveau Testament en
1689, un siècle exactement avant la
prise de la Bastille. Dans son
Dictionnaire universel d'histoire et de
géographie de 1842, approuvé par
l'archevêque de Paris et par
l'université, puis censuré par le
Vatican, Marie-Nicolas Bouillet en
faisait un grand éloge. Aussi, dans les
éditions suivantes, dûment "revues,
corrigées et autorisées par l'Eglise"
, pouvait-on lire que Richard Simon fut
"exclu de soncorps pour l'opiniâtreté
avec laquelle il soutenait des opinions
paradoxales et même des erreurs
manifestes, qui suscitèrent les savantes
critiques de Bossuet et des solitaires
de Port-Royal, qui firent condamner son
œuvre par le Saint-Siège".
3 -
Que signifie l'adjectif "critique " ?
M. le
Président, si je vous rappelle ces
lointaines origines de l'anthropologie
critique française, c'est pour le motif
que toute histoire dite "critique", donc
rationnelle, demeure nécessairement
tributaire de la grille de lecture qui
en commande l'interprétation. Il faut
donc nous demander quelles sont les
coordonnées qui fournissent les
paramètres de sa logique interne à
l'adjectif "critique". Quel est
l'échiquier cérébral sur lequel la
lecture rationnelle de l'histoire
du christianisme se construit
aujourd'hui? Sur celui qui expose les
fondements politiques et
psychobiologiques d'une religion
saintement construite sur le supplice
d'un innocent. Des récompenses immenses
et des châtiments effroyables illustrent
la souveraineté rédemptrice du sacrifice
d'un prophète immolé sur un autel de la
torture dûment dressé à la gloire et à
la vengeance de la divinité.
Or, il se trouve que, depuis des
millénaires, toute politique répond à ce
modèle de sainteté des offrandes
qu'attend un pays à sauver de ses
ennemis. Aussi, toute société humaine
glorifie-t-elle le mérite de tuer une
victime et punit-elle ce crime du même
pas, toute patrie distribue-t-elle des
rubans et construit-elle des prisons.
C'est pourquoi l'Eglise chrétienne
dispense des prébendes immortelles,
qu'on appelle les félicités posthumes et
inflige aux récalcitrants une crémation
sans fin sous la terre. Mais de quoi la
bombe atomique est-elle censée menacer
les Etats, sinon de leur pulvérisation
dans les ténèbres de la mort ? Votre
politologie de Président bien informé
des coordonnées pénales et séraphiques
d'une espèce scindée entre des
récompenses mirifiques et des châtiments
effroyables - donc vos compétences
particulières d'anthropologue instruit
du lien viscéral qui noue l'atome
guerrier à la théologie de la vie
éternelle - votre savante politologie,
dis-je, a le devoir de s'interroger sur
l'excommunication majeure dont l'arme
nucléaire présente une variante hyper
mécanisée. Cette foudre est-elle plus
crédible que celle du pape Grégoire VII,
qui expédia d'un seul coup,
instantanément et pour l'éternité les
armées d'Henry IV d'Allemagne rôtir dans
les marmites du diable?
Vous voyez, M. le Président, qu'il n'est
pas de croix de la vie politique des
Etats qui soit plus lourde à porter que
celle de fabriquer la balance de la
pensée qui pèsera l'histoire "critique"
de notre temps et qui sera qualifiée de
"rationnelle". Car la "théologie" de
l'épouvante atomique est appelée à
comparer les paramètres de la terreur
proprement religieuse, donc mythologique
par définition avec les coordonnées de
la terreur militaire livrée à un
fantastique d'acier à son tour.
4 - Une
anthropologie de la prosternation
Pour répondre à vos devoirs de
théologien de la pulvérisation atomique
de la France et du monde, vous devrez
apprendre à comparer les sortilèges
universels de l'épouvante des
populations avec ceux du suicide
matamoresque du genre humain. Sur l'un
des plateaux de la balance de la folie
de notre espèce, vous déposerez les
tonnes de sang de la terreur nucléaire,
sur l'autre, les tonnes d'hémoglobine de
l'apocalypse théologique dont l'autel
des trois monothéismes brandit le
sceptre et la foudre pieusement
associés.
Puis vous observerez au microscope les
mécanismes psychobiologiques qui ont
conduit, en 1962, le peuple américain de
tradition calviniste à élire un
Président catholique en la personne d'un
Irlandais de souche, un certain John
Fitzgerald Kennedy, qui fut assassiné en
1963. Certes, le prodige de la
transsubstantiation magique censée
fournir chaque jour aux fidèles du
christianisme romain la chair crue et le
sang frais d'un homme immolé révèle que
le fantastique de la messe présente une
clé anthropologique du manger et du
boire salvifiques. Mais quelle est la
serrure à ouvrir? Car la source première
des progrès foudroyants de la théologie
manducatoire aux Etats-Unis n'est autre
que le retour à l'épouvante originelle,
celle de la damnation cataclysmique des
pécheurs dans les flammes éternelles
d'une divinité en fureur. Or, cette
assise apostolique de l'islam et du
christianisme romain confondus rassemble
encore de nos jours plus de quatre
milliards d'êtres humains. De plus, la
férocité d'un monstre cosmique dont la
sauvagerie des ripailles de sa justice
s'exprime dans les flammes d'une
sainteté vengeresse ne fait nullement
reculer d'horreur la masse de ses
adorateurs - au contraire , la
légitimation du cyclope des nues semble
viscéralement liée à la cruauté d'une
vocation salvifique baignant dans le
sang.
Vous
devrez donc, M. le théologien de la
République de l'atome , vous demander si
une espèce tremblante de tous ses
membres devant un fac-similé explosif de
l'enfer et vénératrice du
plénipotentiaire qui en détient les
clés, si une telle humanité, dis-je, se
trouve maintenant placée devant une
menace d'anéantissement plus crédible
que celle de l'excommunication majeure
rappelée ci-dessus. Un intellectuel
musulman m'avouait récemment:
"Puisque le Coran dit la vérité, je ne
veux pas me trouver torturé et calciné
pour l'éternité". L'omnipotence de
la torture se veut auto-légitimante. On
respecte un potentat de la mort à
proportion de la puissance de ses
rôtissoires - et la barbarie même de ses
châtiments le blanchit aux yeux de ses
croyants. Aussi les Français
respectaient-il le Général de Gaulle
parce qu'ils lui attribuaient
spontanément la trempe de les vaporiser
patriotiquement dans l'atmosphère. Mais
si la grandeur d'un souverain temporel
s'attache à sa capacité de rayer sa
propre nation de la carte, comment le
cran et la stature d'une divinité
construite sur ce modèle ne serait-ils
pas dignes à leur tour de provoquer non
seulement la vénération délirante, mais
l'adoration éperdue d'une population
rendue dévotement suicidaire?
5 - L'immunité de
l'Iran
M. le Président, voyez de quel peseur de
la France et du monde vous exercez la
responsabilité morale et politique. Si
je puis alléger quelque peu le fardeau
qui pèse sur vos épaules, je vous dirai,
qu'il n'y a pas lieu de plier l'échine,
comme je vous l'ai déjà rappelé dans ma
sixième lettre; et vous ne sauriez
ignorer qu'il n'existe plus aucun
quartier général d'aucune armée au monde
qui croie encore que la foudre nucléaire
serait une arme militaire, donc une
artillerie plus gigantale que celle de
Marignan et, qu'à ce titre, ses boulets
titanesques seraient effectivement
utilisables sur un champ de bataille
agrandi. Mais, dans le même temps, les
papes de l'atome, auxquels on n'en fait
plus accroire depuis un demi-siècle se
sont mis de mèche avec les chefs d'Etat
et les gouvernements de la mappemonde;
Le dissuadeur
dissuadé,
Esprit,
novembre-décembre 1980
Critique de
la dissuasion,
Esprit,
juin 1979
La
crédibilité de la dissuasion
nucléaire,
Esprit,
novembre 1977
et leur consortium parvient à faire
croire à tous les peuples de la terre
que l'arme atomique serait crédible sur
le globe minuscule où nous trottinons
aux côtés de la foudre que nous avons
arrachée au soleil. Et pourquoi se
garde-t-on de démythifier, ici l'arme de
l'excommunication majeure par le feu des
canonnières et là, celle des bouches à
feu des trois monothéismes, sinon parce
que le rang et le prestige des nations
et de leur ciel reposent sur une
obéissance généralisée à l'école d'une
ignorance terrorisée au canon.
Monsieur le peseur officiel des intérêts
à long terme du civilisateur du monde
qui s'appelle encore la France, comment
conduirez-vous la planète de la raison à
une anthropologie politique qui
s'inscrira dans la véritable postérité
du siècle des Lumières? L'avenir mondial
de la raison s'inscrira-t-il à nouveau
dans l'analyse des mythes sacrés
inaugurée par Richard Simon? La France
retrouvera-t-elle son universalité
intellectuelle, la France
redeviendra-t-elle la messagère de
l'avenir mondial de l'intelligence, la
France reconquerra-t-elle le rang de
guide cérébral de l'humanité?
Pour
tenter de répondre à cette question,
observons en premier lieu les raisons
pour lesquelles ni les Etats-Unis, ni
Israël ne songent un seul instant à
renouveler en Iran l'exploit solitaire
et tonitruant d'Hiroshima et de Nagasaki
au Japon en Iran. Certes, me direz-vous,
la plupart des animaux qui vivent en
hordes et qui témoignent d' un embryon
d'identité collective ne tuent pas la
bête de leur propre espèce qui s'avoue
vaincue et qui tend sa gorge à son
vainqueur. Mais, en l'occurrence, le
calcul politique et la science
stratégique les plus rudimentaires se
joignent à l'instinct de conservation
des loups. Si des villes iraniennes se
trouvaient atomisés en temps de paix,
les séquelles de la civilisation lupine
se réveilleraient si bien que non
seulement la grandeur de la Perse en
serait rendue plus éclatante, mais les
restes de cette illustre nation se
lanceraient plus que jamais dans la
fabrication de la seule arme reconnue
efficace du sauvetage de la planète. Car
tous les pays du monde auraient
soudainement compris que la voix de la "conscience
universelle" valide toujours l'ordre
politique le plus vigoureusement
défendu. Une civilisation réveillée par
l'humiliation et la honte étincellerait
de toute sa mémoire glorieusement
retrouvée.
6 - La balance et
ses plateaux
M. le
Président, si notre presse avait à juger
et à condamner un Etat démocratique
proclamé coupable d'avoir tenté d'éviter
son anéantissement, l'hypothèse soumise
à votre attention est celle du sort de
l'idée de justice au sein de la
civilisation des droits de l'homme.
Savez-vous que le sceptre bienveillant
de la monarchie française n'avait pas
songé à pénaliser la critique publique
des décisions des tribunaux et que ce
licol pèse lourd sur notre civilisation
de la Liberté? Un Jean de la Fontaine,
un Racine, un Rabelais, un Molière de
notre temps exerceraient-ils leur plume
à secouer ce joug? On cherche un roi qui
aurait les pieds sur terre et la tête
sur les épaules. Comment
l'appellerons-nous? Je vous propose de
l'appeler sa majesté le bon sens et je
vous suggère de déposer sur sa tête la
couronne de la raison politique d'une
France débâillonnée. Savez-vous que
Descartes a fait du sens commun
libéré de ses entraves la clé du génie
philosophique et que tout son
Discours de la méthode est une
apologie de la réfutation des
mythologies à l'école des évidences du
monde. Certes tout cela s'est écroulé
avec l'univers à trois dimensions de nos
ancêtres. Mais la politique, elle,
s'obstine à demeurer tridimensionnelle
jusque dans le fantasmagorique.
Je vous convie donc à vous approcher de
quelques pas encore du trône du bon
sens. Car, l'empereur de la pensée qu'on
appelle la logique vous enseigne que le
pacte conclu entre l'excommunication
majeure de l'Eglise et l'excommunication
majeure de l'atome fonde un nouveau
monothéisme de la foudre et que cette
Sainte Alliance se trouve attestée par
les saintes Ecritures. Du haut de leur
pyramide, vingt siècles de théologie de
l'apocalypse vous contemplent.
Or huit papes de l'atome prétendent
encore en découdre avec l'Iran; mais on
se rit jusque sur les bancs de l'école
du monopole vacillant de ce cénacle de
vieillards. Certes, M. Rocard a prétendu
que la bombe atomique française nous
coûte les yeux de la tête; et il a
aussitôt provoqué une levée de boucliers
de tous les patriotes indignés de ce
qu'on prétendît priver la Gaule de
l'arme suprême censée garantir non
seulement la défense effective du pays
dans la stratosphère, mais sa survie
dans le royaume des morts.
Vous voyez, M. le Président , que si
vous n'acquérez pas de connaissance
anthropologique de l'animalité
spécifique du pilotage de la raison dont
use une espèce en évolution, donc fort
éloignée de jeter l'ancre dans la rade
qui l'attend au terme de sa navigation,
vous n'aurez pas non plus de science de
l'évolution de l'encéphale des évadés de
la nuit animale. A quelle profondeur
votre spéléologie du singe semi-pensant
doit-elle descendre si vous ne réfutez
pas la superficialité d'esprit de M.
Rocard d'un côté et l'aveuglement de la
classe dirigeante mondiale de l'autre?
Ne vous faudra-t-il pas dresser le
constat du bon sens qui vous apprendra
que la boîte à outils du financier n'est
pas celle de balance à peser l'atome
guerrier et que celle des matamores de
l'absurde trahit la raison et l'esprit
de logique de la France.
7 - Platon et la
bombe atomique de la pensée
Je m'explique : pourquoi M. Rocard ne
fait-il valoir aucun argument, ni
politique, ni militaire à l'appui de ses
seuls soucis de banquier? Pourquoi les
hurlements furieux d'une horde ignorante
ont-ils suffi à lui faire perdre la
face? Faut-il lui reprocher d'être
demeuré sourd aux arguments stupides des
stratèges et des politologues?
Nullement, parce que la première
difficulté qu'il lui aurait fallu tenter
de résoudre était d'apprendre à quelle
école il aurait dû s'initier à une
évaluation compétente de la valeur de la
raison politique contemporaine. Car si
vous ne cernez pas la vraie question et
ne précisez en rien la problématique qui
se saisirait effectivement du problème,
vous ne ferez jamais que des ronds dans
l'eau.
Je vous
rappelle, M. le Président, que la
philosophie occidentale a commencé avec
l'examen critique de l'encéphale des
généraux d'Athènes. Leurs présupposés
stratégiques leur interdisaient de
s'interroger sur la nature de la guerre,
parce qu'ils n'avaient pas accès aux
profondeurs de l'inconscient militaire
d'une bête en voie de cérébralisation,
mais dont les neurones belliqueux
demeuraient entièrement à décrypter. A
un Athénien patriote qui lui demandait
s'il devait entraîner son fils à l'art
de l'escrime afin d'en faire un bon
soldat, Socrate répondait dans le Lachès
qu'il était indispensable de découvrir
au préalable à quel tribunal il
convenait de s'adresser et que pour
cela, il fallait découvrir la
spécificité du courage militaire.
Fallait-il que la cervelle des généraux
s'articulât avec celle des bêtes les
plus féroces ou avec celle du
législateur du "courage propre à
l'intelligence et à elle seule"?
Autrement dit, devant quelle instance
judiciaire pèserez-vous la question à
décoder - celle de la nature et du
fondement de la "défense" dite
"nucléaire" - si vous n'aviez pas appris
au préalable en quoi l'homme serait
devenu un "animal rationale",
c'est-à-dire un bimane partiellement
armé d'intelligence?
Certes,
l'anthropologie dite scientifique de
notre temps, c'est-à-dire la discipline
chargée, en principe, d'observer, de
décrire et d'expliquer un genre
simiohumain dont la raison politique est
tombée en panne, s'est bel et bien
demandé, à partir du milieu du XIXe
siècle, à quel moment les chimpanzés
seraient devenus des hommes au plein
sens du terme. Mais, à l'époque, les
savants de la horde en ont jugé à partir
de la jurisprudence rudimentaire en leur
possession et dont ils ne maitrisaient
en rien les paramètres nécessairement
fallacieux, puisqu'ils étaient
convaincus qu'il leur suffisait de
consulter l'échiquier dont ils maniaient
les pièces depuis des millénaires; et
ils ont estimé, en toute naïveté, que le
premier quadrumane toisonné auquel sa
plate-forme mentale permettrait d'
allumer un feu à sa guise et de se
servir de la roue à bon escient aurait
débarqué avec armes et bagages dans
l'arène de la pensée. Mais le glissement
du cru au cuit des neurones et des
chromosomes d'une espèce animale est-il
le signal de l'apparition irréfutable de
l'intelligence en soi, celle dont les
preuves tangibles renverraient à la
faculté extraordinaire du simianthrope
de conjuguer les verbes expliquer
et comprendre?
Comme je
vous le disais plus haut, M. le
Président, ces deux verbes ne renvoient
jamais qu'au code de référence convenu
que nous appelons l'intelligible,
de sorte que nous devons apprendre à
peser la valeur démonstrative que nous
pré-attribuons aux preuves dites
"matérielles", donc stomacales que nous
faisons digérer à ceux de nos
signifiants que nous exposons sur
l'autel de nos expériences. Mais nos
démonstrations utilitaires ne sont pas
pesables sur la balance de l'autonomie
tout illusoire que nous accordons à
notre cuisine de la preuve profitable.
Apprenons donc à peser les relations que
les raisonnements de Messire Gaster
entretiennent avec le tissu cérébral qui
les connecte entre eux aux yeux de leurs
consommateurs affamé. Car si nous
n'avons pas d'oreilles pour le réseau
mental qui les fait parler haut et fort
dans nos têtes, nous ne sommes pas
encore devenus des animaux cloués sur la
roue d'une pensée capable de
radiographier les entrailles de
l'intelligible. Comment la bête
semi-pensante construit-elle ses
oracles?
8 - La ligne de
flottaison de l'intelligence politique
Telle
est la raison pour laquelle, M. le
Président, il sera bien inutile que vous
vous interrogiez sur la valeur de
l'escrime nucléaire aussi longtemps que
vous ne disposerez pas de
l'anthropologie critique dont le tamis
passera au crible les raisonnements
qu'élabore le cerveau militaire
d'aujourd'hui. Quelle configuration cet
organe présente-t-il à la politique dans
la postérité de Darwin et de Freud? Pour
le découvrir, vous logerez la question
dans une problématique capable de
préciser ce qu'il faudra appeler l'intelligence
simiohumaine de la guerre.
Est-il rationnel, je vous le demande, de
faire monter l'intelligence proprement
humaine sur la scène du monde à
l'occasion de la découverte fortuite du
feu et de la roue ou faut-il apprendre à
peser les motivations semi animales
qu'allègue la boîte osseuse d'une espèce
que son étrangeté cérébrale a conduite à
colloquer des interlocuteurs
fantastiques dans le vide et le silence
de l'immensité? S'il est intelligent
d'apprendre à déchiffrer les arguments
du bimane qui se forge des idoles avant
d'enregistrer l'existence physique des
montagnes et des plaines, comment se
fait-il que nous ignorions les arcanes
de nos conversations imaginaires avec
des acteurs fabuleux du cosmos et que
nous nous prenions néanmoins pour des
animaux pensants? Comment se fait-il que
nous nous imaginions recevoir des
directives précises et des ordres
impérieux de l' assassin fantastique que
nous avons logé dans le cosmos, alors
que nous ignorons pourquoi nous nous
sommes longtemps précipités la tête la
première dans la géhenne de choisir sans
relâche entre les récompenses délirantes
de l'immortalité de notre ossature dans
les nues et les tortures éternelles que
nous nous infligeons dans l'abîme?
Croyez-vous, M. le Président, que si
notre "Connais-toi" placé sous la férule
de l'atome nous laisse sans voix, nous
pouvons nous vanter de comprendre une
"défense nucléaire" qui met notre mort
entre des mains d'imbéciles tout
pantois?
Vous voyez, M. le Président, que la
question anthropologique de décoder la
problématique semi-animale de la
théologie qui sous-tend et téléguide
encore la pensée de nos théoriciens de
la guerre nucléaire - celle que la
politologie actuelle demeure inapte à
seulement se poser - vous renvoie aux
documents cérébraux et psychiques qu'on
appelle des religions et qu'il en est
nécessairement ainsi pour le motif
simple, évident et de bon sens que,
depuis 1945, notre réflexion militaire
et politique tout entière nous renvoie
au Lachès de Platon.
9 - Les fuyards
de la solitude
Je vous
ferai remarque à nouveau, M. le
Président, que la mécanique simiohumaine
dont témoignent les rouages et les
ressorts de l'encéphale de notre siècle
face à la pulvérisation thermonucléaire
demeure construit sur le même modèle que
celui du croyant menacé par la foudre
d'une idole; et vous savez que
l'encéphale de cette idole oscille jour
et nuit entre l'épouvante salutaire
qu'elle entend inspirer à ses créatures
et la bienveillance pateline dont elle
fait preuve par instants à l'égard de
ses courtisans. Du reste, le mouvement
pendulaire entre l'adoration que la
divinité réclame sans relâche pour sa
gloire et les tortures inlassables
qu'elle inflige aux rebelles à sa
judicature, cette oscillation, dis-je,
se trouve racontée tout au long dans les
écrits de la mystique universelle, qui
distingue avec soin le fascinandum
du tremendum, c'est-à-dire
la fascination béatifiante qu'on appelle
l'extase et la "crainte et
tremblement" d'un Kierkegaard
soucieux de rappeler la foi chrétienne
au culte de son échiquier central, la
terreur.
C'est pourquoi, M. le Président, il vous
appartient de vous engouffrer dans la
brèche ouverte par la question focale de
l'irruption du polythéisme atomique dans
la géopolitique et dans l'humanisme
superficiels auxquels la Renaissance
nous a conduits. Car, d'Epicure à Freud
et à Nietzsche, jamais ni la pensée
qualifiée de rationnelle, ni les
conquêtes de la science censée
expérimenter la loquacité du monde, donc
la volubilité des signifiants réputés
gravés dans la matière à notre intention
ne sont parvenus à ébranler l'épouvante
irréfléchie qui s'est emparée d'une
espèce scindée de naissance entre la
grandeur et la sauvagerie du "boucher
obscur" qu'évoquait Pascal. Pourquoi les
bimanes effarés que nous sommes demeurés
reculent-ils, horrifiés et tremblants
devant un tortionnaire posthume, sinon
en raison de l'incapacité native de ces
fuyards de leur solitude d'illuminer les
ténèbres des feux de leur intelligence?
Mais si ces animaux chargent une pauvre
idole du faix de leur terreur, s'ils
mettent sur les épaules de cet infirme
du cosmos le fardeau du néant qui les
traque et les accable, il appartient aux
élites de la nuit d'armer leurs
congénères faibles d'esprit de la folie
inverse, celle qui les protègera de leur
errance pantelante. Mais vous, M. le
Président, de quelle France avez-vous la
charge ? Profiterez-vous de la panique
d'entrailles des estropiés du vide pour
les discipliner et les moraliser?
10 -
Le crucifié universel
Ce n'est
pas de ma faute, M. le Président, si la
politique de la France du XXIe siècle
réclame des cerveaux hors du commun. A
l'heure où les neurones et les
chromosomes affolés des rescapés des
ténèbres constatent l'effarement des
peuples et des nations menacés de
s'auto-pulvériser réciproquement - et
cela sur le vieux modèle mis en scène
par un créateur dément - une fenêtre
s'ouvre toute grande à la science
politique des chefs d'Etat sommitaux;
car le retrait de l'échiquier de
l'action sur lequel l'atome guerrier se
prélassait bouleverse le champ de vision
de l'intelligence de l'histoire. De même
que Platon introduisait dans la pensée
stratégique des Athéniens la question de
savoir si le courage militaire doit se
montrer intelligent ou s'il est
préférable qu'il demeure stupide, parce
que la férocité du soldat idiot rend sa
vaillance plus efficace sur le champ de
bataille, de même, vous devez vous
demander, M. le Président, si la France
d'aujourd'hui se montrera l'élève du
général Lachès, le grognard et le
baroudeur, ou le disciple de Nicias,
l'escrimeur de la dialectique, qui
refusait tout net d'appeler
courageuses des bêtes féroces telles
que le tigre et le lion. Certes la
problématique de la sauvagerie de la
raison est devenue plus difficile à
clarifier qu'en 498 avant notre ère,
parce qu'une potence nous a fait oublier
que nous sommes demeurés des animaux
sauvages et que la question de savoir
quel est le courage propre à
l'intelligence léonine ou tigresque n'a
pas progressé d'un pas à l'école du
Golgotha.
Comment
parviendrez-vous, M. le Président, à
faire boire aux Lachès de la France de
l'atome la ciguë de leur sottise
militaire ? Si vous n'observez pas vos
généraux avec les yeux d'un lecteur
politique de l'anthropologue grec,
comment verrez-vous jamais M. Netanyahou
se démener et gesticuler tout son
content sur la scène du monde, comment
le verrez-vous en crucifié universel,
comment verrez-vous les engrenages
cérébraux d'un homme politique
parfaitement informé, lui, du blocage de
l'évolution de l'encéphale collectif des
musulmans et des chrétiens? A ce titre,
avec quelle habileté ne met-il pas en
scène une mascarade de l'apocalypse dont
l'Iran est censé menacer la planète de
l'équateur au pôle nord? Mais si le
monde entier assiste motus et bouche
cousue à un spectacle aussi saugrenu
qu'ahurissant, la raison en est
évidente: notre planisphère médusée
demeure prisonnière des neurones
théologiques dans lesquels le
simianthrope s'est trouvé incarcéré au
sortir du paléolithique.
11 - Un
changement de boussole de la pensée
mondiale
Vous voyez, M. le Président, que si vous
ne portez pas un regard
d'anthropologue-né sur la géopolitique
de notre temps, vous manquerez de
l'assise nécessaire à l'observation et à
la description des jugements que la semi
raison française cultive depuis près de
soixante-dix ans sur la bombe atomique,
donc sur la politique de la France et
sur celle du XXIe siècle.
Mais,
par bonheur, M. Netanyahou a également
mis en scène l'encéphale d'une espèce
dont ils connaît le mode d'emploi.
Observez ce pédagogue piégé par
l'apocalypse pour attrape-nigauds dont
il se veut l'acteur et la vedette,
observez ce clown du symbolique,
observez cette effigie apprise de la
persécution de son peuple, observez ce
paradigme de la victime innocente et
sacrée. Ce héros de l'apocalypse
onirique a compris qu'il suffit
d'expliquer aux enfants l'instant précis
où il sera trop tard pour arrêter le Mal
pour que l'.alliance de la pantomime
politique avec la bande dessinée fasse
image dans l'imagination para-religieuse
de la terre entière. Mais si vous
ignorez, M. le Président, que le cerveau
de M. Netanyahou est d'un autre calibre
que celui du reste du monde, si vous
ignorez que ce Nicias de l'apocalypse
est un fin bretteur, si vous ignorez
qu'il dispose d'une longue avance sur
les circonvolutions cérébrales des
chrétiens et des musulmans, jamais vous
ne découvrirez la plate-forme
scientifique qu'exige la compréhension
anthropologique de l'épouvantail
nucléaire. M. Netanyahou sait
parfaitement, lui, que le retard
cérébral dont souffre la classe
dirigeante mondiale lui fait encore
présupposer que l'atome serait une arme
non moins efficace sur les arpents d'un
champ de bataille réel que
l'excommunication majeure du XIe siècle
que j'ai évoquée plus haut.
M. Netanyahou sait parfaitement, lui,
que la politique réelle ressortit à la
feinte théologique et que si l'Iran
disposait de la bombe thermonucléaire,
il acquerrait aussitôt le prestige qui
s'attache encore au fantastique
atomique. Non, M. le Président, la boîte
osseuse du genre humain n'est pas encore
d'égale grosseur sur toute la terre
habitée - sur vingt-six enfants surdoués
à New-York, vingt-trois sont juifs.
Mais, en ce début du IIIe millénaire, la
France des anthropologues de
l'apocalypse se trouve à nouveau aux
commandes de l'encéphale en marche de
l'humanité, parce que l'universalité de
sa logique ne tient pas au nombre de ses
divisions, de ses canons et de ses
colons, mais à la vocation cérébrale qui
inspire son génie depuis le XVIIIe
siècle. Si vous démythifiez le sacré
atomique, si vous psychanalysez les
arcanes théologiques de la politique
mondiale, si vous démontrez que le
chemin de la paix du monde est parallèle
à celui des progrès de l'intelligence
humaine, vous mettrez le destin mental
des rescapés de la nuit entre les mains
de la nation de la raison et votre
quinquennat ne sera pas un épisode de la
Ve République, mais l'heure du
changement de boussole de la pensée
mondiale.
Reçu de l'auteur
pour publication
Les textes de Manuel de Diéguez
Les dernières mises à jour
|